CJUE, 1re ch., 22 décembre 2010, n° C-304/09
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission européenne
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Tizzano
Avocat général :
Mme Trstenjak
Juges :
MM. Kasel, Borg Barthet, Levits, Safjan (rapporteur)
Avocat :
Me Gentili
LA COUR (première chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n'ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de supprimer le régime d'aides déclaré illégal et incompatible avec le Marché commun par la décision 2006-261-CE de la Commission, du 16 mars 2005, concernant le régime d'aides n° C 8-2004 (ex NN 164/2003) mis à exécution par l'Italie en faveur de sociétés récemment cotées en Bourse (JO 2006, L 94, p. 42), et de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu dudit régime, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE et des dispositions des articles 2 à 4 de cette décision.
Le cadre juridique
2 Le treizième considérant du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88 CE] (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:
"considérant que, en cas d'aide illégale incompatible avec le Marché commun, une concurrence effective doit être rétablie; que, à cette fin, il importe que l'aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai; qu'il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national; que l'application de ces procédures ne doit pas faire obstacle au rétablissement d'une concurrence effective en empêchant l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission; que, afin d'atteindre cet objectif, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'effet utile de la décision de la Commission".
3 L'article 14 du règlement n° 659-1999, intitulé "Récupération de l'aide", énonce:
"1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée 'décision de récupération'). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire.
2. L'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération.
3. Sans préjudice d'une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l'article [242 CE], la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire."
4 Aux termes de l'article 23, paragraphe 1, de ce même règlement:
"Si l'État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, en particulier dans le cas visé à l'article 14, la Commission peut saisir directement la Cour de justice des Communautés européennes conformément à l'article [88, paragraphe 2, CE]."
Le cadre factuel et la décision 2006-261
5 Par l'article 1er de sa décision 2006-261, la Commission a déclaré que le régime d'aides d'État, mis à exécution par la République italienne sous forme d'incitations fiscales en faveur de sociétés admises à la cote d'un marché réglementé européen, était incompatible avec le Marché commun.
6 Ainsi qu'il résulte de ladite décision, le régime d'aides en cause conférait deux types d'avantages économiques. En premier lieu, il introduisait en faveur des sociétés admises à la cote d'une Bourse de valeurs réglementée un taux réduit de 20 % de l'impôt sur le revenu des sociétés, augmentant ainsi pendant trois ans le bénéfice net réalisé par ces sociétés dans le cadre de toute activité économique. En second lieu, le régime avait pour effet de réduire le revenu imposable pendant l'exercice fiscal au cours duquel avait eu lieu l'opération d'admission à la cotation en Bourse. Ces réductions se traduisaient en outre par l'application d'un taux d'imposition réel plus bas sur les revenus de l'année 2004.
7 À la suite de l'ouverture d'une enquête formelle par la Commission, les autorités italiennes ont publiquement informé les bénéficiaires potentiels du régime des conséquences possibles de la constatation par cette institution que ledit régime constituait une aide incompatible avec le Marché commun. La Commission a estimé que, en tout état de cause, il était nécessaire de récupérer les aides éventuellement déjà accordées aux bénéficiaires.
8 Plus spécifiquement, les articles 2 à 4 de la décision 2006-261 disposaient ce qui suit:
"Article 2
L'Italie est tenue de supprimer le régime d'aides [...] à compter de l'exercice fiscal au cours duquel intervient la date de notification de la présente décision.
Article 3
1. L'Italie prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de ses bénéficiaires l'aide [...] déjà illégalement mise à leur disposition.
2. La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu'elles permettent l'exécution immédiate et effective de la présente décision.
3. La récupération est menée à bien dans les meilleurs délais. En particulier, lorsque l'aide a déjà été accordée sous forme d'une réduction des impôts dus pour l'exercice fiscal en cours, l'Italie doit recouvrer la totalité de l'impôt dû lors du dernier versement prévu pour 2004. Dans tous les autres cas, l'Italie récupère l'impôt exigible au plus tard à la fin du premier exercice fiscal au cours duquel intervient la date de notification de la présente décision.
4. Les aides à récupérer incluent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu'à la date de leur récupération.
5. Les intérêts sont calculés sur la base du chapitre V du règlement (CE) n° 794-2004.
6. Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, l'Italie met en demeure tous les bénéficiaires des aides visées à l'article premier de rembourser les aides illégales majorées des intérêts.
Article 4
Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision, l'Italie informe la Commission, en utilisant le questionnaire qui figure dans l'annexe 1 de la présente décision, des mesures qu'elle a prises pour s'y conformer. L'Italie présente dans le même délai tous les documents prouvant l'ouverture effective de la procédure de récupération auprès des bénéficiaires des aides illégales."
Le recours introduit contre la décision 2006-261
9 Le 26 mai 2005, la République italienne a introduit un recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes visant à l'annulation de la décision 2006-261. La République italienne n'a pas demandé de mesures provisoires.
10 Par un arrêt du 4 septembre 2009, Italie/Commission (T-211-05, Rec. p. II-2777), le Tribunal a rejeté ledit recours. Le 16 novembre 2009, la République italienne a formé un pourvoi contre cet arrêt. Ce pourvoi, enregistré sous le numéro C-458-09 P, est actuellement pendant devant la Cour.
La procédure précontentieuse
11 Le 17 mars 2005, la décision 2006-261 a été notifiée à la République italienne.
12 Afin d'exécuter cette décision, les autorités italiennes ont adopté un certain nombre de mesures et en ont informé la Commission. Ainsi, notamment, la procédure d'exécution s'est déroulée de la manière suivante:
- un projet de loi a été élaboré en vue d'exécuter la décision 2006-261;
- face à des difficultés dans le processus législatif de l'adoption d'une loi, les autorités italiennes ont opté, au mois de juillet 2006, pour la récupération des aides illégales par la voie administrative;
- l'Agenzia delle Entrate (ci-après l'"Agenzia") a procédé à la notification préalable aux contribuables concernés d'une communication contenant l'injonction de paiement des montants dus dans les 60 jours et elle a fixé des codes appropriés afin de permettre aux bénéficiaires de restituer spontanément l'aide perçue ainsi que les intérêts; des notes de service spéciales ont été adressées aux directions et aux bureaux chargés d'effectuer les procédures de contrôle et de récupération afférentes avant le 30 septembre 2006;
- deux sociétés ont présenté un recours devant les juridictions fiscales italiennes contre les actes visant à récupérer les aides; une société a succombé en première instance et, par suite, a intégralement versé les montants dus le 1er avril 2009; dans le cas d'une autre société qui était le bénéficiaire principal de l'aide, la Commissione tributaria provinciale di Modena a suspendu l'acte d'injonction de paiement, le motif décisif de cette suspension étant le fait que ledit acte d'injonction aurait été pris en l'absence de base légale; statuant en appel contre la décision de première instance annulant ledit acte d'injonction, la Commissione tributaria regionale di Bologna a ordonné la suspension de la procédure, affirmant notamment que le recours en annulation de la décision 2006-261 était pendant devant le Tribunal (affaire T-211-05);
- le législateur italien a tenté de résoudre le problème procédural résultant de la suspension des ordres visant à récupérer les aides, prononcée par les juridictions nationales, en ayant recours à la voie législative, par l'adoption d'un décret-loi n° 59, du 8 avril 2008 (GURI n° 84, du 9 avril 2008, p. 3, ci-après le "décret-loi n° 59-2008"), converti en loi par la loi n° 101, du 6 juin 2008 (GURI n° 132, du 7 juin 2008, p. 4).
13 Tout au long de la procédure précontentieuse, la Commission a insisté sur l'exécution immédiate et effective de la décision 2006-261. En outre, elle a demandé, à plusieurs reprises, des informations et des éclaircissements supplémentaires portant sur les bénéficiaires et les modalités d'adoption des dispositions réglementaires de recouvrement. Les demandes de la Commission étaient motivées soit par l'insuffisance, aux yeux de celle-ci, des informations fournies par les autorités italiennes, soit par une mise à jour des données sur l'état d'avancement du recouvrement de l'aide. Les autorités italiennes ont informé la Commission, par plusieurs courriers consécutifs, de l'état et des modalités d'exécution de la décision 2006-261.
14 La Commission a attiré l'attention de la République italienne sur le caractère insuffisant de la procédure de recouvrement de l'aide illégale, le montant des aides indûment perçues et non encore remboursées s'élevant, au mois d'octobre 2008, à un total de 4 365 265,04 euros (aides et intérêts). Par conséquent, la récupération des aides n'a pas, de l'avis de la Commission, progressé malgré les interventions législatives. Dans ces conditions, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
15 Dans sa requête, la Commission soutient que l'État membre destinataire d'une décision l'obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l'article 249 CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l'exécution de ladite décision.
16 De l'avis de la Commission, l'obligation de récupération constitue une véritable obligation de résultat. De plus, la récupération devrait être non seulement effective, mais aussi immédiate.
17 En ce qui concerne le projet de loi initial que la République italienne avait l'intention d'adopter pour exécuter la décision 2006-261, la Commission aurait rappelé à plusieurs reprises que le choix d'un instrument législatif ne constituait pas le moyen le plus adéquat pour garantir l'exécution immédiate et effective de cette décision.
18 Or, l'application des procédures nationales ne devrait pas faire obstacle au rétablissement d'une concurrence effective. Ces procédures devraient, au contraire, être adoptées dans le but d'assurer l'efficacité de la décision 2006-261.
19 La Commission observe ensuite que le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par la République italienne dans la présente affaire est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision 2006-261. Or, les autorités italiennes n'auraient jamais invoqué une quelconque impossibilité absolue à cet égard.
20 La condition relative à l'existence d'une impossibilité absolue d'exécution ne serait pas remplie lorsque l'État membre défendeur se borne, comme dans la présente affaire, à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présente la mise en œuvre de la décision 2006-261, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de cette décision qui auraient permis de surmonter ces difficultés.
21 S'agissant des décisions des juridictions nationales ordonnant les mesures de suspension, la Commission souligne que le principe d'effectivité doit s'appliquer également aux juridictions nationales. En présence d'une demande éventuelle de suspension de l'exécution de la mesure de récupération présentée par le bénéficiaire, le juge national serait tenu d'appliquer les conditions prévues par la jurisprudence afin d'éviter que la décision de récupération ne soit privée de son effet utile. Or, dans la présente affaire, les mesures de suspension appliquées par les juridictions nationales ne satisferaient pas aux exigences qui découlent de ladite jurisprudence.
22 Bien que, en vertu du décret-loi n° 59-2008, visé au point 12 du présent arrêt, en cas de suspension fondée sur des motifs ayant trait à l'illégalité de la décision de récupération, le juge national doive, en principe, ordonner le renvoi préjudiciel immédiat de la question devant la Cour, la Commission est d'avis que cette législation nationale ne semble pas avoir eu d'effet significatif sur la pratique procédurale des juridictions nationales. En effet, souligne la Commission, plus de quatre ans après l'adoption de la décision 2006-261, les autorités italiennes n'ont récupéré que 25,91 % des aides pour lesquelles une injonction de paiement a été envoyée.
23 En ce qui concerne le recours en annulation de la décision 2006-261 introduit devant le Tribunal, la Commission souligne que la République italienne a attaqué cette décision sans toutefois demander le sursis à l'exécution de celle-ci. L'ordonnance de la Commissione tributaria provinciale di Modena ne ferait cependant aucune référence à l'existence de la procédure devant le Tribunal ni à d'éventuels vices de ladite décision, mais se fonderait uniquement sur la prétendue absence de base juridique de l'ordre visant à récupérer l'aide, émis par les autorités italiennes.
24 S'agissant, enfin, des deux sociétés bénéficiaires de l'aide, la Commission relève que, depuis le 31 octobre 2008, aucune mise à jour n'a été communiquée sur la situation de l'action en cours en deuxième instance, ainsi que sur l'état de la récupération. Cette situation constituerait une violation de l'obligation d'information qui incombe aux autorités italiennes en vertu tant de l'article 4 de la décision 2006-261 que de l'article 10 CE.
25 La République italienne fait valoir que le droit de l'Union n'impose pas de suivre une procédure spécifique aux fins de la récupération des aides d'État, mais exige uniquement que l'application des procédures nationales soit soumise à la condition que celle-ci permette l'exécution immédiate et effective de la décision 2006-261.
26 En vertu de la Constitution italienne, seule une mesure normative serait de nature à réglementer l'activité administrative de recouvrement et les sommes à rembourser dans ce cadre. En outre, le projet de loi visé au point 17 du présent arrêt tendrait à favoriser la restitution spontanée de l'aide, en vue précisément d'accélérer la phase de récupération.
27 La République italienne relève également que le fait, pour l'État membre destinataire, de ne pouvoir soulever d'autres moyens que l'existence d'une impossibilité d'exécution absolue n'empêche pas qu'un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision telle que celle à l'origine du présent litige, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience des conséquences non envisagées par la Commission soumette ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause.
28 Or, dans la volumineuse correspondance échangée entre la Commission et les autorités italiennes, ces dernières auraient signalé tant les raisons pour lesquelles elles estimaient devoir procéder au moyen de l'adoption d'une règle spécifique que les circonstances imprévues qui, ultérieurement, ont conduit à l'adoption d'une procédure de récupération différente de celle envisagée initialement, à savoir une procédure mise en œuvre par la voie administrative.
29 S'agissant des mesures juridictionnelles de suspension, la République italienne fait valoir que la décision de la Commissione tributaria provinciale di Modena de suspendre l'acte d'injonction de paiement aurait été rendue bien que l'Agenzia ait insisté sur le caractère légal du recouvrement ainsi que sur l'applicabilité directe de la décision 2006-261 dans l'ordre juridique italien. En ce qui concerne la procédure devant la Commissione tributaria regionale di Bologna, l'Agenzia aurait déposé devant cette juridiction une demande d'annulation de l'ordonnance de suspension prononcée par cette dernière juridiction. À la suite de l'arrêt du Tribunal Italie/Commission, précité, par lequel celui-ci a rejeté le recours formé contre la décision 2006-261, l'Agenzia aurait à nouveau sollicité la révocation de l'ordonnance en cause.
30 En ce qui concerne, enfin, le moyen tiré par la Commission d'une violation de l'obligation d'information, la République italienne a produit, dans son mémoire en défense, un état complémentaire des sommes perçues ainsi que du contentieux en cours en la matière.
Appréciation de la Cour
31 Il ressort d'une jurisprudence constante que l'État membre destinataire d'une décision l'obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l'article 249 CE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l'exécution de cette décision (voir arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France, C-232-05, Rec. p. I-10071, point 42 et jurisprudence citée).
32 L'État membre doit parvenir à une récupération effective des sommes dues (voir arrêt Commission/France, précité, point 42). Une récupération tardive, postérieure aux délais impartis, ne saurait satisfaire aux exigences du traité (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2008, Commission/Grèce, C-419-06, points 38 et 61).
33 Conformément à l'article 3, paragraphe 3, de la décision 2006-261, la République italienne était tenue de supprimer le régime d'aides en cause dans les meilleurs délais. En particulier, lorsque l'aide avait déjà été accordée sous la forme d'une réduction des impôts dus pour l'exercice fiscal en cours, cet État membre devait recouvrer la totalité de l'impôt dû avec intérêts lors du dernier versement prévu pour l'année 2004. Dans tous les autres cas, l'impôt exigible, majoré des intérêts, devait être récupéré au plus tard à la fin du premier exercice fiscal en cours à la date de la notification de ladite décision, à savoir le 17 mars 2005.
34 Or, dans la présente affaire, il n'est pas contesté que, plusieurs années après la notification à la République italienne de la décision 2006-261 et après l'expiration de tous les délais fixés par celle-ci, une partie considérable des aides illégales n'a pas encore été récupérée par cet État membre. Une telle situation est manifestement inconciliable avec l'obligation de ce dernier de parvenir à une récupération effective des sommes dues et constitue une violation du devoir d'exécution immédiate et effective de la décision 2006-261.
35 S'agissant des arguments de la République italienne présentés pour sa défense, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision en cause (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 2007, Commission/Espagne, C-177-06, Rec. p. I-7689, point 46, et du 13 novembre 2008, Commission/France, C-214-07, Rec. p. I-8357, point 44).
36 La condition d'une impossibilité absolue d'exécution n'est pas remplie lorsque l'État membre défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause afin de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés (voir, notamment, arrêts du 14 décembre 2006, Commission/Espagne, C-485-03 à C-490-03, Rec. p. I-11887, point 74, et du 13 novembre 2008, Commission/France, précité, point 46).
37 La Cour a jugé également qu'un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, l'État membre et la Commission doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions de l'Union des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 10 CE, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et, notamment, de celles relatives aux aides (voir, notamment, arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-348-93, Rec. p. I-673, point 17; du 1er avril 2004, Commission/Italie, C-99-02, Rec. p. I-3353, point 17; du 1er juin 2006, Commission/Italie, C-207-05, point 47, et du 6 décembre 2007, Commission/Italie, C-280-05, point 20).
38 À cet égard, il convient de souligner que, dans ses contacts avec la Commission ainsi que dans le cadre de la procédure devant la Cour, la République italienne n'a pas invoqué d'impossibilité absolue d'exécution de la décision 2006-261, seul moyen de défense admissible en vertu de la jurisprudence visée au point 35 du présent arrêt.
39 En réalité, le Gouvernement italien s'est borné à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présente la mise en œuvre de ladite décision.
40 Il est vrai que, au cours de la procédure de récupération, le législateur italien a entrepris une démarche sérieuse en vue de garantir l'efficacité de cette récupération en adoptant le décret-loi n° 59-2008. En particulier, il ressort du dossier que ce décret-loi, destiné à résoudre le problème procédural de la suspension des ordres visant à récupérer les aides, prononcée par les juridictions nationales, avait pour objet d'accélérer le règlement des litiges déjà en cours.
41 Cependant, le décret-loi n° 59-2008 n'a pas permis de remédier au retard dans la récupération de l'aide visée par la décision 2006-261. En effet, il a été adopté le 8 avril 2008, c'est-à-dire postérieurement au 7 février 2007, date de la décision de la Commissione tributaria provinciale di Modena suspendant l'acte d'injonction de paiement adressé au bénéficiaire principal de l'aide illégale. En outre, malgré l'entrée en vigueur de ce décret-loi, la procédure concernant le bénéficiaire principal de l'aide a été suspendue par la juridiction d'appel.
42 Or, il y a lieu d'observer que les démarches législatives destinées à garantir l'exécution, par les juridictions nationales, d'une décision de la Commission obligeant un État membre à récupérer une aide illégale, qui sont prises tardivement ou qui s'avèrent inefficaces, ne satisfont pas aux exigences découlant de la jurisprudence visée aux points 31 et 32 du présent arrêt.
43 Il convient d'ajouter que, en tout état de cause, les autorités italiennes n'ont pas présenté de demande visant à modifier ou à révoquer la décision de la Commissione tributaria provinciale di Modena du 7 février 2007, ordonnant la suspension de l'acte d'injonction de paiement, bien que, comme l'a admis la République italienne lors de l'audience de plaidoiries, une telle demande puisse être présentée dans ce type de procédure. Enfin, au jour de l'audience dans la présente affaire, la République italienne n'avait pas encore entrepris de démarches en vue de lever la suspension de la procédure en appel, ordonnée par la Commissione tributaria regionale di Bologna le 21 janvier 2010.
44 S'agissant, en outre, de l'argument de la Commission relatif à la faculté accordée aux juridictions nationales d'adopter des mesures de suspension au cours de la procédure de récupération de l'aide, il y a lieu de rappeler que lesdites juridictions sont tenues, en vertu de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659-1999, de garantir la pleine effectivité de la décision ordonnant la récupération de l'aide illégale et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par cette décision (voir arrêt du 20 mai 2010, Scott et Kimberly Clark, C-210-09, non encore publié au Recueil, point 29).
45 En ce qui concerne les mesures provisoires de suspension adoptées par les juridictions italiennes, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, C-143-88 et C-92-89, Rec. p. I-415, ainsi que du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I), C-465-93, Rec. p. I-3761), de telles mesures peuvent être accordées sous réserve que certaines conditions soient réunies, à savoir:
- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l'acte de l'Union et si, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie elle-même;
- s'il y a urgence en ce sens que les mesures provisoires sont nécessaires pour éviter que la partie qui les sollicite subisse un préjudice grave et irréparable;
- si la juridiction prend dûment en compte l'intérêt de l'Union;
- si, dans l'appréciation de toutes ces conditions, la juridiction nationale respecte les décisions de la Cour ou du Tribunal statuant sur la légalité de l'acte de l'Union ou une ordonnance de référé visant à l'octroi, au niveau de l'Union européenne, de mesures provisoires similaires.
46 Il convient également de souligner que la juridiction nationale ne peut pas se limiter à saisir la Cour d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité, mais doit indiquer, au moment d'octroyer la mesure de référé, les raisons pour lesquelles elle estime que la Cour sera amenée à constater l'invalidité de l'acte de l'Union (arrêt Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I), précité, point 36).
47 Les exigences visées aux deux points précédents sont également applicables à toute action visant à obtenir la suspension de la procédure en appel, dans le cadre de laquelle est contestée l'annulation en première instance de l'acte national visant à récupérer l'aide illégale.
48 Il convient d'examiner si, dans la présente affaire, les décisions des juridictions italiennes satisfont auxdites exigences.
49 Les actes de suspension, dans le cadre de la procédure de récupération concernant le bénéficiaire principal de l'aide illégale, ont été pris par les juridictions italiennes pour deux motifs. Premièrement, par décision du 7 février 2007, la Commissione tributaria provinciale di Modena a suspendu l'acte d'injonction de remboursement de l'aide, le motif décisif de cette suspension étant le fait que ledit acte d'injonction aurait été pris en l'absence de base légale. Deuxièmement, par décisions du 26 mai 2009 et du 21 janvier 2010, la Commissione tributaria regionale di Bologna a suspendu la procédure en appel, dans le cadre de laquelle était contestée l'annulation en première instance dudit acte d'injonction, au motif que le recours en annulation de la décision 2006-261 était pendant devant le Tribunal (affaire T-211-05).
50 À cet égard, il y a lieu d'observer que le premier des deux motifs susmentionnés ne saurait justifier, à la lumière de la jurisprudence issue des arrêts précités Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, ainsi que Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I), la suspension de l'acte visant à récupérer l'aide illégale.
51 S'agissant du second desdits motifs, il convient de constater qu'une décision d'une juridiction nationale qui vise à suspendre la procédure nécessaire pour assurer la mise en œuvre effective d'une décision de la Commission obligeant l'État membre à récupérer l'aide illégale, en raison du fait que la légalité de ladite décision est contestée devant le Tribunal, est censée justifier cette suspension, ainsi qu'il a été rappelé au point 46 du présent arrêt, en exposant les arguments visant à établir l'invalidité de la décision en cause.
52 Cette exigence trouve sa confirmation dans le fait qu'un recours en annulation introduit devant le Tribunal contre une décision ordonnant la récupération d'une aide n'a pas d'effet suspensif sur l'obligation d'exécuter cette décision (voir arrêt du 6 décembre 2007, Commission/Italie, précité, point 21). Il en va de même lorsque l'arrêt du Tribunal, prononcé dans le cadre de ce recours, fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour. À cet égard, il convient d'ajouter que, en l'espèce, la République italienne n'a pas demandé de mesures provisoires dans le cadre dudit recours en annulation.
53 Or, en l'espèce, les juridictions italiennes n'indiquent pas, dans leurs décisions, les raisons pour lesquelles les juridictions de l'Union seraient amenées à constater l'invalidité de la décision 2006-261. De plus, la procédure a été suspendue par la décision du 21 janvier 2010, au motif de l'existence d'un recours introduit devant le Tribunal contre la décision 2006-261, malgré le fait que ce dernier avait rejeté ce recours par un arrêt du 4 septembre 2009.
54 Enfin, en ce qui concerne les autres conditions devant être remplies en vertu de la jurisprudence visée au point 45 du présent arrêt, il suffit de constater que les décisions nationales en cause ne font pas référence à l'intérêt de l'Union et que la Commissione tributaria regionale di Bologna n'a pas abordé, dans ses décisions des 26 mai 2009 et 21 janvier 2010, la question de l'urgence des mesures ordonnées.
55 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les décisions de suspension ont été prises par les juridictions italiennes en méconnaissance manifeste des exigences du droit de l'Union en matière de récupération des aides d'État.
56 Il résulte de ce qui précède que le présent recours est fondé en ce que la Commission reproche à la République italienne de ne pas avoir pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de supprimer le régime d'aides déclaré illégal et incompatible avec le Marché commun par la décision 2006-261 et de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu dudit régime.
57 Compte tenu de la conclusion énoncée au point précédent, il n'y a pas lieu de statuer sur le chef des conclusions de la Commission visant à faire condamner la République italienne pour ne pas avoir informé la Commission des mesures mentionnées audit point, étant donné que cet État membre n'a précisément pas procédé à l'exécution de la décision 2006-261 dans les délais prescrits (voir arrêts précités du 4 avril 1995, Commission/Italie, point 31; du 14 décembre 2006, Commission/Espagne, point 82; du 20 septembre 2007, Commission/Espagne, point 54; du 6 décembre 2007, Commission/Italie, point 30, et du 13 novembre 2008, Commission/France, point 67).
58 Il convient donc de constater que, en n'ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de supprimer le régime d'aides déclaré illégal et incompatible avec le Marché commun par la décision 2006-261 et de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu dudit régime, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision.
Sur les dépens
59 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1) En n'ayant pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires afin de supprimer le régime d'aides déclaré illégal et incompatible avec le Marché commun par la décision 2006-261-CE de la Commission, du 16 mars 2005, concernant le régime d'aides n° C 8-2004 (ex NN 164/2003) mis à exécution par l'Italie en faveur de sociétés récemment cotées en Bourse, et de récupérer auprès des bénéficiaires les aides octroyées en vertu dudit régime, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 3 de cette décision.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.