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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 5, 11 février 2010, n° 08-06850

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pancrazi

Défendeur :

Banque AIG (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Froment

Conseillers :

Mmes Caron-Deglise, Leprince

Avocats :

Mes Laubeuf, Meyniel, Humbert

Cons. prud'h. Paris, du 4 févr. 2008

4 février 2008

Monsieur Cédric Pancrazi a été embauché suivant contrat du 23 mars 2004 par la SA Banque AIG en qualité de directeur-adjoint. La SA Banque AIG est une filiale à 100 % de AIG Financial Products Corporation elle-même filiale à 100 % d'American International Group, l'un des plus importants acteurs du secteur de l'assurance et des services financiers.

La convention collective applicable est la convention collective des personnels des banques.

Par lettre du 2 août 2006, Monsieur Cédric Pancrazi a démissionné de ses fonctions et a été dispensé de son préavis à compter du 11 septembre 2006.

Constatant à la lecture de son solde de tout compte qu'il n'avait pas été réglé de son bonus relatif aux derniers mois travaillés, Monsieur Cédric Pancrazi a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris le 31 janvier 2007 lequel, par un jugement en date du 4 février 2008 notifié les 8 et 17 mars 2008, l'a débouté de l'intégralité de ses demandes.

Monsieur Cédric Pancrazi a régulièrement relevé appel de cette décision le 8 avril 2008.

Lors de l'audience du 10 décembre 2009, les parties ont développé oralement leurs écritures, visées le même jour par le greffier.

Monsieur Cédric Pancrazi conclut à l'infirmation de la décision déférée et à la condamnation de la SA Banque AIG à lui payer les sommes suivantes :

- 360 000 euro bruts au titre du bonus 2006

- 30 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive

- 90 000 euro à titre de dommages-intérêts au titre de l'engagement de non-sollicitation de l'article 11 du contrat de travail s'analysant en un engagement de non-concurrence

- 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile

La SA Banque AIG, quant à elle, conclut à la confirmation de la décision déférée, au débouté de l'appelant et à sa condamnation à lui payer la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur la demande au titre du bonus,

Monsieur Cédric Pancrazi, qui explique avoir travaillé pour le groupe AIG depuis le 22 juillet 1996 date d'effet de sa lettre d'embauche par la société AIG International Limited, soutient le contrat de travail qu'il a conclu le 23 mars 2004 avec la SA Banque AIG lui conférait un droit à bonus annuel que son employeur ne peut lui refuser pour l'année 2006 alors que ses performances et celles de la société au titre de cette année justifient l'octroi d'un bonus de 360 000 euro.

Il fait valoir que ce bonus n'avait aucun caractère discrétionnaire, que des salariés effectuant le même travail ou un travail de valeur égale à lui l'ont touché et que son employeur ne fait valoir ni n'établit aucun élément objectif et pertinent pour justifier une différence de traitement. Selon lui, en raison de son caractère permanent et du versement systématique en début d'année de ce bonus, il est devenu un élément du contrat de travail et doit lui être versé pour la période de 10 mois pendant laquelle il a travaillé pour la société en 2006. Il verse aux débats ses bulletins de paie de décembre 1996, décembre 1997, janvier 1999, décembre 1999, décembre 2000, janvier 2002, février 2003, décembre 2003, janvier 2005, janvier 2006 et pour la période de mai à octobre 2006, ainsi que les sommations de communiquer les bulletins de paie de Messieurs Marc Fabre, Amos Benaroch et Marc Alperovich mentionnant les bonus pour les années 2005 et 2006, en date des 14 et 23 janvier 2008.

Il ajoute que la condition de présence dans l'entreprise au 1er janvier 2007 ne figure pas au contrat de travail et que la Banque AIG avait les moyens d'étudier la possibilité de verser ce bonus suite à sa démission, la revue des résultats ayant été faite avant la fin de l'année et avant la fin de l'année comme le lui a confirmé Monsieur Cassano, PDG du groupe AIG, par un mail du 28 décembre 2006 qu'il produit.

Monsieur Cédric Pancrazi soutient enfin qu'aucun usage n'interdit le versement de toute prime à un salarié démissionnaire, la rupture du contrat de travail ne pouvant avoir d'effet rétroactif sur les rémunérations dues à raison de l'exécution du contrat. Il ajoute que, en tout état de cause, il appartient à son employeur de rapporter la preuve de cet usage alors même que des bonus ont déjà été versés pour des années incomplètes. Il verse aux débats une attestation de Monsieur Ludovic Candon, qui a travaillé comme managing director pour le groupe AIG Trading du 1er avril 1990 au 1er juillet 2002 selon lequel les bonus annuels étaient un élément de la rémunération des commerciaux, dont Monsieur Pancrazi qu'il supervisait, et étaient calculés selon des modalités parfaitement identifiées en interne, chaque manager identifiant la production individuelle des membres de son équipe et proposant un chiffre au PDG. L'attestant ajoute : Pour ce qui concerne la situation de départ avant la fin d'année, à laquelle j'ai été ponctuellement confronté, la pratique était de verser un bonus de départ dans la mesure où la production du collaborateur justifiait d'un tel paiement et que le départ n'intervenait pas dans les premiers mois de l'année.

La SA Banque AIG réplique que les anciennes modalités de rémunération consenties avant le contrat de travail conclu le 23 mars 2004 ne lui sont pas opposables et rappelle que Monsieur Cédric Pancrazi a démissionné pour partir dans une autre institution financière, son contrat de travail prenant fin le 31 octobre 2006 le préavis ayant cessé d'être exécuté d'un commun accord le 11 septembre 2006. Elle fait valoir que le salarié ne répondait plus à la condition de présence au sein de l'entreprise pour pouvoir toucher la prime discrétionnaire éventuellement octroyée en janvier et soutient qu'il est impossible pour elle de savoir si elle versera une telle prime avant la fin de l'année puisque ses comptes ne sont pas encore arrêtés.

Elle avance par ailleurs l'existence d'usages dans le groupe aux termes desquels aucun bonus, complet ou prorata temporis, n'est jamais versé aux salariés démissionnaires et indique que le salarié en avait connaissance, cette clause figurant expressément dans ses anciens contrats. Elle produit dans ce sens une attestation de la société d'expertise comptable et une attestation de Monsieur Shephard, directeur juridique jusqu'en 2004 puis dirigeant responsable de la Banque AIG. Plusieurs autres attestations de dirigeants du groupe AIG, Messieurs Griffiths, Wareham et Gabriel, sont par ailleurs versées aux débats. Elles font état de l'absence de demande faite par un employé de la Banque AIG pour un bonus basé sur une formule ou une méthodologie prédéterminée, de l'usage de ne pas verser de bonus en cas de départ pour cause de licenciement ou de démission avant la fin de l'année et de l'usage consistant à négocier un welcome bonus avec le nouvel employeur suite à une démission.

LA SA Banque AIG soutient que le salarié tente aujourd'hui d'obtenir le paiement de sommes supplémentaires alors qu'il a dû tenir compte des usages qu'il connaissait lors des négociations qu'il a conduites pour partir dans une autre institution financière et fait observer que le nouveau contrat de travail conclu par Monsieur Cédric Pancrazi en 2006 prévoit qu'aucun paiement ne sera effectué si, à la date du paiement, le salarié a donné ou fait l'objet d'une fin de contrat.

En droit, une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, qu'elle ne fait pas porter le risque de l'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels, étant observé que le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail.

En l'espèce, il résulte du contrat de travail signé entre les parties le 23 mars 2004 que la rémunération de Monsieur Cédric Pancrazi en sa qualité de directeur-adjoint s'établissait comme suit en application de l'article 3.1:

" Le salaire du salarié pendant l'emploi sera de 180 000 euro par an (minoré des déductions fiscales et des cotisations sociales à retenir), et sera sous réserve d'une révision à laquelle la Banque AIG pourra procéder à tout moment à son entière discrétion. Le salaire du salarié sera payable par versements mensuels à terme échu. "

Le contrat de travail ajoutait à l'article 4.1 le versement d'une prime dans les termes suivants :

" Le ou avant le (au gré de la Banque AIG) 1er janvier de chaque année pendant l'emploi, la Banque AIG étudiera la possibilité de payer au salarié une prime discrétionnaire en fonction de la performance réalisée par le salarié et de la performance réalisée par le groupe AIG-FP sur l'année civile précédente. "

Des termes clairs et non équivoques du contrat de travail, il résulte que le droit à prime n'était ouvert que pendant l'emploi de sorte que Monsieur Cédric Pancrazi qui a démissionné par lettre du 2 août 2006 pour être embauché dans une société concurrente, et qui a été dispensé de son préavis contractuel de 3 mois à compter du 11 septembre 2006, ne pouvait y prétendre, d'autant moins qu'il ne démontre pas qu'au-delà de son contrat de travail il existait un usage consistant à verser une prime prorata temporis en présence d'une clause identique. Les arguments qu'il invoque antérieurement à son contrat de travail du 23 mars 2004 avec la SA Banque AIG ne sont pas pertinents puisqu'ils relevaient d'un contrat distinct conclu avec le groupe. La production de son nouveau contrat de travail avec la société More Europe Capital Management Ltd, proposé le 31 juillet 2006 et signé par lui le 9 août 2006, sans qu'y soit joint aucun bulletin de salaire n'est pas davantage de nature à contredire les termes du contrat de travail conclu avec la SA Banque AIG.

Dans ces conditions, et au vu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, Monsieur Cédric Pancrazi doit être débouté de sa demande de paiement d'un bonus au titre de l'année 2006 et la décision déférée doit être confirmée, par substitution de motifs.

Sur la clause de non-sollicitation :

Monsieur Cédric Pancrazi soutient que la clause de non-sollicitation visée à l'article 11 de son contrat de travail doit être analysée en une clause de non-concurrence au regard de sa rédaction et de ses effets et sollicite une indemnisation de 90 000 euro à ce titre invoquant l'absence de toute contrepartie financière à ladite clause et le fait que l'employeur ne l'a pas dispensé, par écrit, de la respecter.

La SA Banque AIG réplique que cette demande, formée pour la première fois en cause d'appel, n'est pas fondée puisque la clause contractuelle ne correspond qu'à des faits de concurrence déloyale et vise en particulier le détournement de clientèle ou le débauchage de salarié. En l'espèce, l'article 11 du contrat de travail est ainsi rédigé:

" A la fin de l'emploi quelle qu'en soit la cause et pendant un délai d'un an ensuite, le salarié s'interdit, s'il n'a pas été autorisé à la faire par écrit par la Banque AIG:

a) de démarcher directement ou indirectement l'un des clients ou grands comptes du groupe AIG-FP au sujet d'une transaction potentielle qui a été proposée par une société du groupe AIG-FP ou dont le salarié sait qu'il est dans l'intention d'une société du groupe AIG-FP de la proposer à ce client ou à ce grand compte ou en vue de la restructuration d'une transaction conclue par une société du groupe AIG-FP avec ce client ou ce grand compte; ou

b) de s'immiscer dans, de rompre ou de tenter de rompre la relation, contractuelle ou non, entre une société du groupe AIG-FP et un client, un fournisseur, un conseil ou un employé d'une société du groupe AIG-FP ; ou

c) d'embaucher, de proposer d'embaucher ou de persuader de quelque façon que ce soit tout dirigeant, employé ou agent d'une société du groupe AIG-FP de mettre fin à sa relation avec une société du groupe AIG-FP. "

De la lecture de cette clause claire et dépourvue d'ambiguïté il résulte que l'obligation faite au salarié est en l'espèce une obligation de non-sollicitation visant la concurrence déloyale et non une obligation générale de non-concurrence, ce dont Monsieur Cédric Pancrazi, qui ne conteste pas avoir reçu son nouveau contrat de travail alors qu'il était encore salarié de la SA Banque AIG, avait parfaitement connaissance puisqu'il a signé son nouvel engagement dans un établissement financier concurrent le 31 juillet 2006 à effet au 6 novembre 2006.

En conséquence, et au vu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, Monsieur Cédric Pancrazi doit être débouté de sa demande à ce titre.

Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Compte tenu des circonstances de l'espèce, et des situations respectives des parties, il n'est pas inéquitable que chacune d'elles conserve la charge de ses frais irrépétibles, étant observé que Monsieur Cédric Pancrazi, qui succombe et doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel, ne peut quant à lui prétendre à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Confine la décision déférée, Y ajoutant, Déboute Monsieur Cédric Pancrazi de sa demande au titre de la clause de non-sollicitation, Rejette toute autre demande, Condamne Monsieur Cédric Pancrazi aux dépens de première instance et d'appel.