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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 11 mars 2008, n° 05-09277

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Henot

Défendeur :

Siti (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

MM. Boilevin, Coupin

Avoués :

SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, Me Ricard

Avocats :

Mes Guillot, Garnier Jourdan

T. com. Paris, 20e ch., du 23 nov. 2001

23 novembre 2001

Faits, procédures et moyens des parties

Suivant un contrat du 1er novembre 1995, ultérieurement complété de deux avenants, M. Alain Henot a reçu un sous-mandat de la société Pierre & Vacances, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la Société d'Investissement Touristique et Immobilier, ci-après dénommée Siti, pour commercialiser des parts de SCI d'attribution de propriété à temps partagé d'appartements dans les résidences dites du Hameau de Beauregard et Ultramarine en Martinique, puis en France métropolitaine à Port Leucate.

Le promoteur de la première a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et devant l'incertitude de l'administrateur sur sa volonté de poursuivre les ventes en multipropriété, la société Pierre & Vacances, par lettre du 28 novembre 1996, a indiqué à M. Henot que la résiliation du sous-mandat n'était pas à exclure.

Saisi par M. Henot, le Tribunal de commerce de Paris a, dans un premier jugement rendu le 20 mai 1998, déclaré valable le contrat de sous-mandat, dit que M. Henot ne rapportait pas la preuve d'une faute commise par la société Pierre & Vacances, dit que cette dernière ne démontrait pas une exécution déloyale par M. Henot de son mandat et a désigné, pour donner un avis sur les comptes entre les parties, un expert en la personne de Madame Ducolège qui a rendu son rapport le 25 janvier 1999.

Entre-temps, M. Henot avait interjeté appel de la décision et, par un arrêt rendu le 1er septembre 2000 devenu définitif, la Cour d'appel de Paris, infirmant partiellement le jugement, a dit que la société Pierre & Vacances avait commis une faute en rompant brusquement le contrat de sous-mandat qu'elle a qualifié de mandat d'intérêt commun en lui déniant celle d'agent commercial.

Par un second jugement rendu le 23 novembre 2001, le Tribunal de commerce de Paris, au vu du rapport d'expertise, a condamné M. Henot à rembourser à la société Siti une somme de 7 405,35 euro de trop-perçu sur commissions. Il a aussi condamné la société Siti à payer à M. Henot 70 661,07 euro en indemnisation du non-respect du préavis contractuel de trois mois. Il a ordonné la compensation et débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Sur appel interjeté par M. Henot, et par arrêt du 28 février 2003, la Cour d'appel de Paris a rappelé le contenu de sa précédente décision dont elle a dit que le dispositif et les motifs qui lui servaient de soutien, ne pouvaient être remis en cause. Elle a donc rejeté une demande de M. Henot en paiement de l'indemnité compensatrice à laquelle un agent commercial peut prétendre, aux termes de la loi du 25 juin 1991, pour perte de clientèle, le contrat n'étant régi que par les dispositions de l'article 1134 du Code civil. Elle a aussi rappelé avoir fixé au 28 novembre 1996 la date de résiliation du sous-mandat et débouté M. Henot de sa demande subsidiaire de commissions qu'il aurait dû percevoir pendant la période annuelle de renouvellement.

Elle a confirmé le jugement en sa disposition allouant à M. Henot une somme de 70 508,62 euro au titre de l'indemnité de préavis sauf à fixer la date de départ des intérêts au 31 juillet 1997, comme en celle condamnant M. Henot à rembourser 7 405,35 euro de trop-perçu sur commissions, ainsi que la compensation ordonnée. Elle a rejeté la demande de dommages et intérêts compensatoire pour le retard de paiement allégué par M. Henot qui avait été réglé de ses commissions par des avances et dont les préjudices étaient indemnisés par l'arrêt.

M. Alain Henot a formé contre cette décision un pourvoi et par un arrêt du 11 octobre 2005, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé celui rendu par la Cour d'appel de Paris le 28 février 2003 mais seulement en ce qu'il avait rejeté les demandes de M. Henot sur le renouvellement du sous-mandat au-delà du 1er novembre 1996 ainsi que celles relatives au paiement d'une indemnité de cessation de contrat.

Elle a considéré, vu l'article 1147 du Code civil, que la cour, qui avait rappelé l'impossibilité de remettre en cause sa précédente décision sur la qualification du contrat et relevé que celui-ci donnait au mandant une faculté de révocation, sous réserve de préavis et excluait toute réparation autre qu'une indemnité de préavis, alors qu'elle constatait que le mandant avait fautivement rompu le contrat et que M. Henot n'avait commis aucune faute, sans rechercher si le mandat d'intérêt commun avait été révoqué pour une cause légitime reconnue en justice ou si, à défaut, le mandataire avait renoncé à toute indemnisation pour perte de clientèle, n'avait pas donné de base légale à sa décision de rejet de la demande en paiement d'une indemnité de cessation du contrat.

Elle a aussi dit, au visa de l'article 1134 du Code civil, que, pour décider que le contrat n'avait pas été tacitement reconduit au-delà du 1er novembre 1996, la cour d'appel avait retenu que M. Henot avait eu connaissance des intentions de rupture de son sous-mandant dès la fin du mois d'octobre 1996 et que la société Pierre & Vacances n'avait manifesté aucune volonté de reconduction, la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision en se déterminant par ces motifs inopérants, dès lors qu'il était convenu que le contrat serait reconduit, sauf à être résilié ou dénoncé moyennant un préavis, ce qui impliquait la manifestation par la partie prenant cette initiative d'une volonté sans équivoque.

Elle a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, devant laquelle M. Henot procède à un long exposé des faits et de la procédure et souligne que la saisine de la cour se trouve limitée aux indemnités de rupture qu'il réclame.

Il fustige le style des écritures de la société Siti, qu'il qualifie de diffamant et critique la partialité des premiers juges qui lui ont reproché de n'avoir pas concilié avec son contradicteur.

Il rappelle que l'arrêt, aujourd'hui définitif, du 1er septembre 2000 de la Cour d'appel de Paris, n'a pas statué sur le droit à indemnité de rupture, mais a dit que la société Pierre & Vacances avait fautivement rompu le contrat et que lui-même n'avait commis aucune faute dans son exécution.

Il soutient que l'initiative de rupture prise par la société Pierre & Vacances ne l'exonérait pas du paiement d'une indemnité de clientèle qui, selon lui, est due dès lors que les parties ont concouru à la réalisation d'une œuvre commune qui sous-tend l'apport d'une clientèle.

Il assimile ainsi le sous-mandat qui lui a été confié, mandat d'intérêt commun, à celui qui résulterait du statut réservé aux agents commerciaux quant au paiement des indemnités de rupture, lequel découle d'une jurisprudence ancienne qui concernait tous les mandataires.

Il relève que la société Siti profite de l'arrêt de cassation pour remettre en cause l'indemnisation du non-respect du préavis. Il souligne à cet égard que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er septembre 2000 n'a pas distingué entre les deux opérations du Hameau de Beauregard et d'Ultramarine. Il demande à la cour de constater que la rupture est intervenue le 1er décembre 1996, date de réception de la lettre du 28 novembre 1996 et de confirmer le jugement qui a condamné la société Siti à lui payer la somme de 70 661,07 euro sauf à fixer au 13 juin 1997 la date de départ des intérêts légaux.

Relativement à la perte de clientèle, il rappelle la jurisprudence qui en évalue l'indemnisation à deux ou trois années de commissions. Il souligne la spécificité du produit commercialisé sur laquelle il explique qu'il pouvait escompter plus de 1 200 000 euro de commissions. Il qualifie sa clientèle d'habituelle et génératrice pour la société Pierre & Vacances d'autres ventes.

Il s'estime ainsi fondé à réclamer que l'indemnité de clientèle soit fixée à une somme de 823 887,39 euro TTC correspondant à trois années de commissions et réclame des intérêts sur cette somme calculés au taux légal à compter du 13 juin 1997 et capitalisés.

Il explique que la société Pierre & Vacances ne l'ayant pas résilié ou dénoncé avec un préavis d'un mois, le contrat s'est trouvé reconduit pour une nouvelle durée d'un an à compter du 1er novembre 1996. Il considère que la société Pierre & Vacances ne pouvait le résilier en cours d'exécution sans lui devoir les commissions de l'année entière et qui s'élèvent, selon lui, à 274 629,13 euro.

Il rappelle son long combat judiciaire et estime que le non-paiement, pendant dix ans, des sommes auxquelles il pouvait prétendre justifie l'indemnisation d'un préjudice, toutes causes confondues, à hauteur de 100 000 euro.

Il réfute enfin, point par point, les affirmations et arguments développés par la société Siti dans ses écritures.

Il demande en conséquence à la cour :

- de le déclarer recevable en la poursuite de sa procédure d'appel,

- de confirmer le jugement en sa disposition condamnant la société Siti à lui payer la somme de 70 661,07 euro au titre de l'indemnité de préavis,

- de dire que cette somme portera intérêts calculés au taux légal à compter du 13 juin 1997 et capitalisés à partir du 14 juin 1998,

- d'infirmer la décision qui lui a refusé les indemnités de rupture,

- de dire irrecevable et mal fondée la société Siti en l'ensemble de ses demandes,

- de la condamner à lui payer la somme de 823 887,39 euro au titre de l'indemnité de clientèle avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 1997, subsidiairement du 31 juillet 1997,

- de condamner la société Siti à lui payer 274 629,13 euro pour son manque à gagner en 1996-1997 avec intérêts légaux depuis le 31 juillet 1997,

- de condamner la société Siti à lui payer, sur le fondement de l'article 1153 du Code civil, une indemnité de 100 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 1997,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts, sollicitée dès le 31 juillet 1997,

- de condamner la société Siti à lui payer 33 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Siti critique les manœuvres processuelles et le comportement comme l'argumentaire de M. Henot.

Elle réplique, en substance, que M. Henot a volontairement interrompu son activité en soumettant son redémarrage à la condition de l'acceptation par elle d'une série de modifications du contrat, et invoque à cet égard une renonciation au mandat au sens des articles 2003 et 2007 du Code civil. Elle en déduit l'absence de tout préjudice réparable.

Elle souligne que la Cour d'appel de Paris a jugé que le sous-mandat n'était aucunement un contrat d'agent commercial et relève qu'il pouvait être dénoncé, sous un préavis de trois mois, sans justification ni pénalité, ce qui exclut, selon elle, toute indemnité de perte de clientèle ou de rupture.

Elle en déduit que seule peut être envisagée l'indemnisation du préjudice résultant de l'absence de préavis et dénonce à cet égard l'estimation qu'en ont faite les premiers juges en refusant de distinguer les deux sous-mandats. Elle souligne en effet que si le préavis était de trois mois pour la résidence Hameau de Beauregard, il n'était que d'un mois dans l'avenant concernant Ultramarine et affirme que ce dernier a été respecté. Elle estime ainsi que l'indemnisation de M. Henot à ce titre ne saurait dépasser la somme de 38 774 euro ou, subsidiairement celle de 42 005 euro.

Elle conteste la réalité de tout préjudice sérieux supplémentaire en rappelant les termes du contrat, en insistant sur la circonstance que la situation litigieuse a résulté d'un événement extérieur qu'est le redressement judiciaire de la société Les Hameaux de Beauregard et en qualifiant le préjudice allégué de fantaisiste dans son évaluation, d'aléatoire et incertain pour la Résidence de Beauregard, d'inexistant pour Ultramarine, causé par le fait conscient et volontaire de M. Henot et contraire au bon sens et à la clause contractuelle.

Elle entend, subsidiairement, souligner la durée des engagements, l'absence de véritable clientèle apportée, la faible marge nette de M. Henot, la spécialité du produit, l'absence d'exclusivité comme celle de toute structure fixe sur place et prétend que l'indemnisation ne saurait excéder 44 243 euro HT, voire celle de 71 868 euro HT dont il conviendrait de déduire celle de 70 508 euro déjà payée au titre du préavis.

Elle conclut au rejet de la demande d'indemnité de 274 629 euro au titre du manque à gagner sur l'exercice 1996-1997 en soulignant son caractère excessif. Elle ajoute qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel et, donc, irrecevable.

Elle discute pareillement le bien-fondé de la demande en paiement de 100 000 euro pour retard de paiement en rappelant que des intérêts au taux légal ont été accordés à M. Henot et en rappelant les dispositions de l'article 1153 du Code civil.

Elle demande en conséquence à la cour de :

- dire M. Henot irrecevable et infondé en son appel,

- le débouter de toutes ses demandes,

- dire qu'aucune indemnité de préavis n'est due et d'infirmer le jugement de ce chef, subsidiairement de la limiter à la somme de 38 774,34 euro et plus subsidiairement à celle de 47 436,92 euro,

- confirmer le jugement dans sa disposition faisant partir les intérêts légaux du 16 février 2001 et en celle ordonnant la compensation avec le trop-perçu,

- le confirmer dans sa disposition déboutant M. Henot de sa prétention à indemnité compensatrice de préjudices,

- subsidiairement, dire que la demande en paiement d'une indemnité de clientèle est infondée,

- débouter M. Henot de ses autres demandes complémentaires de 100 000 euro au titre d'un retard de paiement,

- dire irrecevable car nouvelle la demande en paiement de la somme de 274 629 euro pour rupture anticipée du contrat,

- condamner M. Henot à tous les dépens en infirmant partiellement le jugement qui les avait partagés,

- condamner M. Henot à lui payer 40 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La procédure a été communiquée au Ministère public le 28 septembre 2006.

Elle a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 20 décembre 2007.

Motifs de la décision

Sur la recevabilité de l'appel

Considérant que la société Siti demande à la cour de dire M. Henot irrecevable en son appel sans exposer un quelconque moyen à l'appui de cette prétention ;

Considérant que la cour de ce siège n'est saisie que dans les limites de la cassation, laquelle est limitée au rejet des demandes de M. Henot fondées sur le renouvellement du sous-mandat au-delà du 1er novembre 1996 et sur celles relatives au paiement de cessation du contrat ;

Que l'irrecevabilité sera, en conséquence, rejetée, et M. Henot déclaré recevable en son appel ;

Sur le périmètre de la saisine de la cour de renvoi

Considérant qu'en son arrêt du 28 février 2003, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement rendu par le Tribunal de commerce de la même ville le 23 novembre 2001 en toutes ses dispositions hormis du chef du point de départ des intérêts sur le montant de l'indemnité de préavis, qu'elle a fixé au 31 juillet 1997 ; qu'elle a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et partagé les dépens par moitié ;

Considérant que la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 octobre 2005, a cassé cette décision seulement en ce qu'elle avait rejeté les demandes de M. Henot fondées sur le renouvellement du sous-mandat au-delà du 1er novembre 1996 ainsi que celles relatives au paiement d'une indemnité de cessation de contrat ;

Considérant qu'il s'en infère que la cour de renvoi est seulement saisie de ces deux éléments du litige qui concernent les conséquences postérieures à la rupture et non pas, comme le soutient inexactement la société Siti, de l'ensemble des difficultés d'indemnisation liées au renouvellement du sous-mandat ;

Considérant, en conséquence, que sont irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose définitivement jugée, les prétentions de la société Siti à remettre en cause la décision des premiers juges sur le principe et le quantum d'une indemnité de préavis, comme celles de M. Henot de voir modifier le point de départ des intérêts tel qu'il a été fixé par la cour d'appel ;

Sur l'indemnité de rupture

Considérant que le contrat de sous-mandat conclu le 1er novembre 1995 entre la société Pierre & Vacances et M. Henot avait pour objet la commercialisation de parts de sociétés civiles d'attribution donnant vocation à jouissance de semaines en "multipropriété" dans la résidence "Le Hameau de Beauregard", en Martinique ;

Considérant que, dans son arrêt du 1er septembre 2000, devenu définitif à défaut de pourvoi, la Cour d'appel de Paris a dit que cette convention ne constituait pas un contrat d'agent commercial relevant des dispositions de la loi du 25 juin 1991, aujourd'hui codifiées sous les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, mais l'a qualifiée de mandat d'intérêt commun ;

Considérant que le contrat stipulait qu'il était conclu pour une durée de six mois à compter de sa signature puis tacitement renouvelable, d'abord pour un second semestre, puis par périodes annuelles sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties sous un préavis de trois mois ;

Considérant que, par une lettre de Pierre & Vacances du 23 janvier 1996, acceptée par M. Henot, les clauses générales du sous-mandat ont été étendues au produit Ultramarine sans autres modifications qu'une autorisation relative à une modalité particulière de démarchage de la clientèle dite "in house" ;

Considérant que, par une lettre du 12 juillet 1996, la société Pierre & Vacances a inclus dans le mandat principal de "commercialisateur", la possibilité de vendre, du 15 juin au 15 septembre 1996, des semaines en "multipropriété" de sa résidence de Port-Leucate ;

Considérant que le contrat principal et son premier avenant, se sont trouvés reconduits jusqu'au 1er novembre 1997 à défaut de dénonciation à l'échéance des deux premiers semestres d'exécution ; que le troisième avenant, suivant le principal, venait pareillement à la même échéance ;

Considérant que la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 1er septembre 2000, devenu définitif, a dit que la société Pierre & Vacances avait fautivement rompu les relations contractuelles le 28 novembre 1996 ;

Considérant que M. Henot réclame à la société Siti le paiement d'une somme de 823 887,39 euro en indemnisation de sa perte de clientèle suite à la rupture fautive ;

Considérant qu'à l'appui de cette prétention, l'analogie ou l'assimilation avec le contrat d'agent commercial demeurent inopérantes dès lors que cette qualification a été définitivement écartée pour la convention litigieuse ;

Considérant que M. Henot n'est pas davantage fondé à prétendre à une indemnité de clientèle, distincte des préjudices subis, en se bornant à affirmer que "l'indemnité est due dès lors que les parties ont concouru à la réalisation d'une œuvre commune et que leur contrat a été sous-tendu par la notion d'intérêt commun" ; que la qualification de mandat d'intérêt commun, attribuée à la convention par la décision définitive du 1er septembre 2000, ne dispense pas M. Henot d'apporter la démonstration de la réalité et de l'ampleur de son préjudice ainsi que celle du lien de causalité avec la rupture du contrat ;

Considérant que les moyens développés par la société Siti quant à la force majeure ou au fait d'un tiers et quant à une faute, et même à une faute grave, prétendument commise par M. Henot ne sauraient avoir pour effet de la soustraire à sa responsabilité dès lors qu'il a été définitivement jugé, d'une part que la preuve n'était pas rapportée d'une exécution déloyale du sous-mandat par M. Henot et, d'autre part que la société Siti avait commis une faute en le rompant brusquement ;

Considérant que la société Siti n'est pas davantage fondée à opposer à M. Henot la stipulation contractuelle ainsi formulée au premier alinéa de l'article durée du contrat: "Le présent sous-mandat prend effet à la date de signature pour une période de six mois reconductible. Passé cette deuxième échéance, il pourra se reconduire tacitement par période annuelle sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, sous un préavis de trois mois sans justification ni pénalité", dès lors que, précisément, l'interruption des relations contractuelles ne résulte pas d'une non-reconduction du contrat à son échéance mais de sa rupture anticipée et brutale ;

Considérant que M. Henot explique que, à la suite de la rupture du contrat, la société Pierre & Vacances pouvait poursuivre et développer les relations avec la nouvelle clientèle que lui-même avait apportée, qu'il se prévaut à cet égard de la fidélité des clients et des documents publicitaires édités par Pierre & Vacances ;

Considérant, toutefois, qu'il se borne à procéder par des affirmations et à limiter ses explications à des généralités en exposant que la société Pierre & Vacances "pouvait" récupérer sa clientèle mais sans établir, ou seulement prétendre, qu'elle l'aurait fait ; qu'il ne produit aux débats aucun élément de nature à démontrer qu'un seul des clients qu'il aurait démarchés et qui ont acquis du promoteur, grâce à ses diligences, des parts de multipropriété, aurait été ultérieurement récupéré par la société Pierre & Vacances qui lui aurait vendu d'autres produits de même nature ;

Considérant, au contraire, qu'il est établi par les échanges de télécopies et de courriers intervenus au cours du mois de novembre 1996 entre M. Henot, les sociétés Pierre & Vacances et RCI, autre "commercialisateur", que Pierre & Vacances avait décidé de ne pas envoyer d'équipes sur ses sites de Martinique alors pourtant qu'une telle visite était prévue pour le 10 décembre 1996 ;

Considérant que M. Henot affirme, sans le démontrer, que la "clientèle se caractérise par le fait qu'en général et la plupart du temps elle n'acquiert pas une seule semaine de vacances à temps partagé mais un certain nombre de semaines pouvant aller jusqu'à 5, 6 voire davantage" ;

Considérant qu'il explique longuement, dans ses écritures, qu'il est un spécialiste reconnu de la commercialisation de propriété en temps partagé, qu'il a assuré la direction commerciale de la société Hameau de Beauregard avant d'accepter le sous-mandat de commercialisation afin exploiter la clientèle fidélisée et les équipes sur place, sans préciser si cette clientèle appartenait à la société qui l'employait ou à lui-même, au titre d'une activité de "commercialisateur" indépendant dont il ne précise ni la date de début, ni l'ampleur ;

Considérant, en effet, que M. Henot ne verse aux débats aucun élément comptable de nature à justifier qu'il exploitait, antérieurement au 1er novembre 1995, date d'effet du contrat, une clientèle propre ; qu'à cet égard, la société Siti souligne sans être contredite, que M. Henot ne disposait pas de la carte professionnelle exigée pour les activités d'opérations de négoce immobilier ;

Considérant que M. Henot n'allègue ni ne démontre que la rupture du contrat l'aurait empêché de poursuivre, avec sa propre clientèle, la vente de propriété en temps partagé sur d'autres résidences des Antilles ; qu'il ne fournit aucune indication sur le volume de son activité postérieure à la rupture et ne produit aucun élément comptable susceptible de démontrer une diminution globale de son chiffre d'affaires ;

Considérant, au demeurant, que M. Henot expose que la clientèle de propriété en temps partagé est "habituelle pour le commercialisateur" qui est amené à la retrouver sur d'autres sites pour d'autres périodes ; qu'il contredit par là son affirmation d'une évasion de sa propre clientèle au bénéfice de son mandant ;

Considérant ainsi que la preuve de la réalité d'un préjudice constitué d'une perte de clientèle au profit de la société Siti n'est pas rapportée ; que la demande indemnitaire de ce chef doit être rejetée ;

Sur l'indemnisation d'un manque à gagner pour 1997

Considérant que M. Henot réclame à la société Siti une somme de 274 629,13 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 1997, au titre de son manque à gagner sur l'exercice 1996-1997 ;

Considérant que cette prétention ne peut être tenue, ainsi que le soutient la société Siti, pour irrecevable comme nouvelle en cause d'appel dès lors qu'elle tend aux mêmes fins indemnitaires des conséquences de la rupture du contrat de sous-mandat bien qu'articulée sur un fondement juridique différent ;

Considérant que le contrat venait à son échéance le 1er novembre 1997 ; qu'il a été brutalement rompu par la société Siti le 28 novembre 1996 ; que cette rupture avant le terme contractuel a privé M. Henot d'une chance de réaliser des ventes et, donc, de percevoir des commissions pendant les onze mois restant à courir au cours desquels il n'a pas pu exécuter son sous-mandat ;

Considérant que les difficultés soulevées par M. Henot dans sa lettre à Pierre & Vacances du 13 novembre 1996 n'ont pas pour portée de démontrer que celui-ci aurait renoncé à tout droit à indemnisation, à défaut de l'expression d'une volonté claire et sans équivoque ;

Considérant qu'il résulte des constatations et analyses de l'expert judiciaire Ducolège, dont les calculs se sont trouvés explicitement et définitivement confirmés par le Tribunal de commerce et la Cour d'appel de Paris, qu'au titre de ses interventions pour Pierre & Vacances, entre le 1er novembre 1995 et le 28 novembre 1996, M. Henot a perçu 1 850 024,55 F (282 034,42 euro) TTC de commissions soit 257 565,68 euro HT ;

Considérant que l'appréciation du préjudice de la perte de chance indemnisable ne saurait se limiter à la simple application arithmétique d'un prorata temporis aux montants des commissions encaissées au titre de l'année d'exécution du contrat ;

Considérant, tout d'abord, que les calculs allégués par M. Henot incluent la TVA qui ne saurait servir de base à une indemnisation ;

Considérant de plus que, s'agissant d'une perte de chance sur des activités non réalisées, l'appréciation du préjudice doit prendre en compte non pas le montant des commissions, qui correspond au chiffre d'affaires du sous-mandaté, mais la marge nette ;

Considérant que M. Henot a exposé, à cet égard, dans une lettre du 5 novembre 1996, qu'il déployait son activité avec le concours de 35 collaborateurs, dont la rémunération était nécessairement prélevée sur les commissions perçues ; qu'il ne fournit aucune indication sur le statut juridique et le coût de ces personnes ni sur leur maintien ou non au cours de l'année 1997 ;

Considérant qu'il ne verse aux débats aucun élément comptable ou fiscal de nature à démontrer les marges et les bénéfices qu'il a effectivement tirés du contrat de sous-mandat pendant les treize mois de son exécution, ni aucune estimation chiffrée pertinente d'un compte d'exploitation estimatif pour la période de onze mois restant à courir jusqu'au 1er novembre 1997 ;

Considérant, par ailleurs, que les difficultés d'exécution du contrat de sous-mandat trouvent leur origine dans la circonstance que la société de promotion immobilière Les Hameaux de Beauregard a été placée en redressement judiciaire et que la société Pierre & Vacances n'a pu obtenir rapidement un avis de l'administrateur sur la continuation ou l'interruption du contrat principal de mandat de commercialisation ;

Considérant que M. Henot a explicitement admis cette réalité dans une télécopie du 13 novembre 1996 adressée à Pierre & Vacances dans laquelle il précisait, notamment "La commercialisation du Hameau de Beauregard étant, semble-t-il, devenue plus qu'hasardeuse, nous sommes dans la mesure de concentrer tous nos efforts sur Ultramarine" ;

Considérant ainsi que, pour l'année 1997, le potentiel d'activité était nécessairement amoindri par cette circonstance, indépendante des volontés de Pierre & Vacances comme de M. Henot, alors pourtant que la commercialisation de cette résidence avait représenté une part très importante de l'activité ; que la société Siti indique, sans être contredite, que les commissions 1996 sur ce programme représentaient un montant approximatif, cumulé sur un an, de 205 300 euro ;

Considérant qu'il doit également être pris en considération, comme le fait valoir la société Siti, que le produit constitué de semaines en temps partagé dans une résidence est non renouvelable et qu'il est de plus en plus difficile à commercialiser, en queue de programme, sans déployer un gros effort commercial ; qu'à cet égard, M. Henot explique que 300 semaines avaient été commercialisées avant la mise en place du sous-mandat, que 110 l'ont été durant son exécution et que les ventes déjà réalisées, à la fin de l'année 1996 représentaient 12,20 % de l'ensemble ;

Considérant que, concernant le programme Ultramarine, M. Henot a soumis la continuation de son action à un certain nombre de prétentions, énumérées dans sa lettre du 13 novembre 1996, qui visaient à alléger ses efforts de trésorerie au regard du différé de l'encaissement des commissions et des frais, mais aussi à voir porter de 30 à 35 % le taux de calcul de ces dernières ;

Considérant que cette même lettre du 13 novembre 1996 fait état de frais logistiques pouvant atteindre jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires ;

Considérant que ces éléments démontrent que M. Henot était insatisfait de la rentabilité obtenue pour ses interventions sur ce programme ;

Considérant qu'il n'est pas allégué que Pierre & Vacances aurait accepté ces demandes qui emportaient des modifications importantes des conditions contractuelles dont la satisfaction était pourtant érigée par M. Henot en condition de sa reprise d'activité ;

Considérant enfin que le sous-mandat donné par la société Pierre & Vacances à M. Henot ne comportait aucune clause d'exclusivité au bénéfice de ce dernier ;

Considérant, en conséquence, au regard de ces éléments commerciaux, économiques et financiers, tels qu'ils sont soumis à la cour, que la rupture du contrat avant son terme a privé M. Henot d'une chance de percevoir une marge nette, générée par les commissions, qui doit être chiffrée, en prenant en compte et en incluant la tardiveté de l'indemnisation, à un montant de 50 000 euro ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1153-1 du Code civil, cette indemnité portera intérêt à compter du présent arrêt ;

Sur l'indemnisation des retards de paiement

Considérant qu'il a été définitivement jugé que la société Siti devait à M. Henot une indemnité de préavis de 70 508,62 euro majorée d'intérêts calculés au taux légal à compter du 31 juillet 1997 et capitalisés à compter du 31 juillet 1997 (sic) ;

Considérant que l'indemnité de 50 000 euro allouée par la présente décision au titre du manque à gagner sur l'exercice 1996-1997 inclut le préjudice tenant à la tardiveté de son attribution ;

Qu'il suit de là que la demande indemnitaire de 100 000 euro sur le fondement d'un retard de paiement ne peut prospérer ; qu'y faire droit aboutirait à accorder à M. Henot deux fois la réparation d'un même préjudice ;

Sur les demandes accessoires

Considérant que ne sont pas réunies les conditions de l'article 1154 du Code civil pour prononcer la capitalisation des intérêts dus par la société Siti au titre de la condamnation prononcée par le présent arrêt ; que ce chef de demande sera rejeté ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à M. Henot la charge des frais qu'il a été contraint d'engager en cause d'appel ; que la société Siti sera condamnée à lui payer une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer des sommes sur le fondement du même texte à la société Siti ;

Considérant que la Cour d'appel de Paris en son arrêt du 28 février 2003 a dit que les dépens de première instance et dudit arrêt incluant les frais d'expertise, devaient être partagés par moitié entre M. Henot et la société Siti ;

Considérant que ce chef du dispositif n'a pas été visé par la cassation partielle prononcée par la Cour de cassation le 11 octobre 2005, qu'il ne découle pas non plus nécessairement de la cassation partielle prononcée ; que la société Siti est irrecevable à solliciter l'infirmation du jugement de ce chef ;

Considérant que les dépens d'appel doivent être supportés par la société Siti qui succombe, à l'exception de ceux relatifs à la demande en paiement d'une somme de 823 887,39 euro au titre d'une indemnité de clientèle qui doivent être mis à la charge de M. Henot qui échoue en ce chef de demande ;

Par ces motifs, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de la saisine de la cour, sur renvoi après cassation partielle de la décision de la Cour d'appel de Paris du 28 février 2003 par arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 octobre 2005, Dit irrecevable l'exception d'irrecevabilité de l'appel soulevé par la Société d'Investissement Touristique et Immobilier, Déclare irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée les demandes de la Société d'Investissement Touristique et Immobilier et de M. Alain Henot portant sur l'indemnité de préavis et le point de départ des intérêts la majorant, Déboute la Société d'Investissement Touristique et Immobilier de sa fin de non-recevoir tirée du caractère prétendument nouveau de la demande de M. Alain Henot en indemnisation de son manque à gagner sur l'exercice 1996-1997, Déclare la Société d'Investissement Touristique et Immobilier irrecevable à solliciter l'infirmation du jugement quant aux condamnations portant sur les dépens, Confirme le jugement en ses dispositions déboutant M. Alain Henot de sa demande indemnitaire d'un retard de paiement comme de celle en paiement d'une indemnité de perte de clientèle, Infirme partiellement le jugement qui a débouté M. Alain Henot de ses demandes d'indemnités compensatrices du préjudice subi, et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la Société d'Investissement Touristique et Immobilier à payer à M. Alain Henot la somme de 50 000 euro à titre d'indemnité du manque à gagner résultant de la rupture anticipée du contrat, Dit que cette indemnité sera majorée d'intérêts calculés au taux légal à compter du présent arrêt, Constate que les conditions de leur capitalisation ne sont pas réunies et déboute M. Alain Henot de ce chef de demande, Y ajoutant, Condamne la Société d'Investissement Touristique et Immobilier à payer à M. Alain Henot la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de ce même texte au bénéfice de la Société d'Investissement Touristique et Immobilier, Condamne la Société d'Investissement Touristique et Immobilier aux dépens du présent arrêt, à l'exception de ceux relatifs à la demande en paiement d'une somme de 823 887,39 euro au titre d'une indemnité de clientèle qui doivent être mis à la charge de M. Henot, Autorise dans ces limites, la SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod et Maître Ricard, avoués, à les recouvrer directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.