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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 25 octobre 2007, n° 05-00145

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sofil (SARL)

Défendeur :

Antoine, Soffil (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

Me Garnier, SCP Laval-Lueger

Avocats :

Mes Delayat, Duponchel, SCP Cottereau-Meunier-Bardon

T. com. Tours, du 26 nov. 2004

26 novembre 2004

Exposé

La SARL Sofil a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Tours par acte du 16 janvier 2002 la SA Société française de filtration industrielle des liquides dite " Soffil " en réparation du préjudice causé par divers manquements qu'elle lui impute à un accord dit de coopération commerciale conclu entre les deux sociétés le 3 décembre 1998 et dénoncé le 3 septembre 2001 et notamment pour avoir débauché monsieur Patrick Antoine, ancien directeur de Sofil, auquel elle a ensuite fait délivrer le 14 février 2003 assignation d'avoir à comparaître devant la même juridiction à fin de condamnation in solidum en tant que complice de ces agissements.

Selon jugement du 26 novembre 2004, le Tribunal de commerce de Tours :

- a prononcé la jonction des assignations du 16 janvier 2002 et du 14 février 2003

- s'est déclaré incompétent à l'encontre de Patrick Antoine au profit du Tribunal de grande instance de Tours

- a débouté la SARL Sofil de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- a débouté la SA Soffil de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

- et a condamné la SARL Sofil à payer à la SA Soffil 3 000 euro d'indemnité de procédure et à supporter les dépens de l'instance.

La SARL Sofil a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 11 janvier 2005.

Par arrêt prononcé le 1er décembre 2005, la Cour de céans a sursis à statuer sur l'appel formé contre la décision du tribunal de commerce jusqu'au prononcé du jugement du Tribunal de grande instance de Tours et a réservé les dépens.

Selon jugement du 22 février 2007, le Tribunal de grande instance de Tours a :

- déclaré recevables les demandes présentées par la société Sofil

- dit qu'il ne pourra être tenu, ni dans la présente instance ni dans aucune autre, compte des déclarations effectuées par messieurs Stevenin relatives à la société BGER ou à la société Cositech de Pointe-à-Pître et rapportées dans le procès-verbal de maître Rameil, huissier à Bonnières-sur-Seine, le 12 juin 2001

- dit que les rapports d'enquête des 9 février 2001 et 14 février 2001 de la société Faralicq ne constituent pas une atteinte à la vie privée de monsieur Patrick Antoine

- condamné monsieur Patrick Antoine à payer à la Sari Sofil une somme de 25 000 euro en réparation de son préjudice commercial

- condamné monsieur Patrick Antoine à payer à la Sari Sofil une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Monsieur Antoine a formé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 23 mars 2007.

Le conseiller de la mise en état a ordonné le 3 mai 2007 la jonction des deux procédures.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux décisions déférées et aux dernières conclusions des parties

* signifiées et déposées le 2 août 2007 (par la SARL Sofil)

* signifiées et déposées le 4 septembre 2007 (par monsieur Antoine)

* signifiées et déposées le 11 septembre 2007 (par la SA Soffil)

La société Sofil demande à la cour de faire droit à son appel incident à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance, d'infirmer cette décision et de dire qu'il pourra être tenu compte de l'intégralité du constat de maître Rameil en date du 12 juin 2001 ; d'infirmer le jugement du tribunal de commerce et, au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil s'agissant de monsieur Antoine et de la Convention du 3 décembre 1998 et des articles 1134, 1145 et 1147 du Code civil s'agissant de la SA Soffil, de condamner in solidum la société Soffil et monsieur Antoine à lui payer 104 313 euro en réparation de son préjudice commercial et 2 294,02 euro au titre des frais de constats, le tout avec intérêts à compter de la date des assignations à titre de dommages et intérêts complémentaires et avec capitalisation des intérêts telle que prévue à l'article 1154 du Code civil, de débouter la société Soffil et monsieur Antoine de tous leurs chefs de prétentions et de les condamner in solidum à lui payer 6 000 euro d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'à supporter les dépens de première instance et d'appel.

La SARL Sofil expose au soutien de ces prétentions qu'elle construit et commercialise des filtres pour l'industrie notamment agro-alimentaire qu'elle avait passé le 3 décembre1998 un accord de coopération commerciale avec la SA Soffil spécialisée de son côté dans le commerce d'équipements pour l'industrie navale et automobile et pour le traitement des eaux et qu'au mépris de toute loyauté et bonne foi contractuelles et en méconnaissance des engagements exprès souscrits envers elle dans cette convention, laquelle stipulait une interdiction de débauchage et une clause de confidentialité, la SA Soffil a pris contact avec Patrick Antoine, son directeur, lui proposant de le recruter avec une rémunération supérieure en qualité de directeur commercial pour créer un département agro-alimentaire et l'embauchant de fait à compter du mois d'octobre 2000 ; qu'une consultation du fichier informatique de monsieur Antoine et une saisie de documents autorisées par le Président du tribunal de grande instance ainsi qu'une enquête d'une agence de renseignements ont révélé qu'alors même qu'il s'était engagé aux termes d'un accord transactionnel conclu le 26 octobre 2000 à ne divulguer à personne les plans et réalisations de l'entreprise et certifiait avoir restitué les fichiers et les plans qui lui avaient été confiés dans le cadre de sa mission, l'intéressé avait quitté Sofil en emportant des fiches-clients très détaillées, des plans de machines de filtration agro-alimentaire, des fiches de prix et un grand nombre de documents techniques et commerciaux; qu'il avait, clans l'intérêt de la SA Soffil, contacté ou visité des clients de la SARL Sofil en leur proposant sous une autre dénomination et à moindre prix des filtres agro-alimentaires constituant la copie servile de ceux de Sofil, réalisée grâce aux plans qu'il avait emportés ; qu'il s'agit là d'une concurrence déloyale de la part de son ancien employé en raison des moyens fautifs utilisés pour lui prendre sa clientèle, et de la part de la SA Soffil outre le manquement à ses obligations contractuelles, tant pour avoir débauché son salarié sans son accord que pour avoir utilisé à son insu ses propres plans et documents commerciaux et que pour avoir développé une gamme identique à celle de Sofil du temps même de leur accord commercial puis après sa résiliation alors que leur collaboration devait être complémentaire ; que les modes de preuve fournis au tribunal sont licites car l'huissiers s'est conformé strictement aux termes de sa mission judiciaire et que les investigations n'ont pas mis en cause la vie privée de monsieur Antoine ; que ces manquements sont directement la cause de la baisse sensible de chiffe d'affaires enregistrée par la société Sofil d'octobre 2000 à octobre 2001, période sur laquelle elle réclame donc sa perte de marge.

Monsieur Antoine demande à la cour d'infirmer la décision du Tribunal de grande instance de Tours prononcée le 22 février 2007 de déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée en ses prétentions la SARL Sofil et de condamner celle-ci à lui verser 15 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et 6 000 euro d'indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir que l'annulation de l'intégralité du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 12 juin 2001 s'impose car le pouvoir d'enquête est strictement réservé aux juges mais que maître Rameil a cependant cru opportun de rapporter des propos qui lui auraient été prétendument tenus par des tiers, lesquels n'ont d'ailleurs pas émargé ; que s'agissant des deux rapports d'enquête de l'agence Faralicq en date des 9 et 14 février 2001, ils constituent des procédés de preuve déloyaux attentatoires à sa vie privée puisqu'il a été suivi et espionné à son insu pendant près d'une année, le détective privé relatant même ses démarches familiales dans des magasins ou pour accompagner son enfant à l'école et ses conversations avec des tiers ; qu'en tout état de cause, si la cour n'annule pas ces rapports, elle devra leur dénier toute force probante car il pourrait s'agir tout au plus d' attestations, comme telles non conformes à l'article 202 du nouveau Code de procédure civile.

Sur le fond, monsieur Antoine estime qu'il était libre de quitter son employeur pour mettre à profit ses connaissances puisqu'il n'était lié à la société Sofil par aucune clause de non concurrence ; il fait valoir qu'aucun élément ne prouve qu'il se serait servi au profit de la SA Soffil des fichiers clients et des documents qu'il avait conservés; il indique que la société Sofil n'explique pas en quoi le simple fait de créer une gamme de filtres agro-alimentaires constituerait un acte de concurrence déloyale alors que cette gamme n'est que la reprise de filtres existant depuis 1934, qu'elle n'est pas la copie servile de celle de Sofil et que cette dernière ne peut se prévaloir d'aucune protection au titre d'un brevet ou de la propriété d'un secret de fabrique ; il nie avoir détourné la clientèle de la SARL Sofil en objectant que Sofil n'établit pas positivement qu'il aurait contacté les clients cités, que les sociétés Soffil et Sofil pouvaient parfaitement avoir déjà des clients communs et qu'il ne lui était de toute façon pas interdit de prospecter les clients de son ancien employeur ; il conteste l'affirmation de Sofil selon laquelle il aurait proposé systématiquement des tarifs inférieurs et indique que rien ne prouve qu'il ait envoyé à leurs destinataires les courriers retrouvés en ce sens chez lui ; très subsidiairement, il conteste l'existence même du préjudice allégué au motif que le chiffre d'affaires de la SARL Sofil fut chaque année en nette diminution de 1998 à 2002 et que lui-même ne fût pas remplacé à son poste de directeur après son départ, de sorte qu'aucun lien de causalité direct et certain ne peut être retenu avec les faits allégués, situés en 2000.

La SA Soffil demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce et de condamner la SARL Sofil à lui restituer le disque sur lequel ses plans de fabrications furent copiés lors du constat dressé au domicile de Patrick Antoine ainsi qu'à lui verser 5 000 euro d'indemnité de procédure.

S'agissant du manquement allégué à l'interdiction de débauchage qu'elle avait souscrite, elle soutient qu'en raison du temps écoulé depuis la signature du contrat en 1998, elle avait oublié cette clause lorsqu'elle embaucha monsieur Antoine en raison de son insistance, affirme qu'elle ne s'est pas méfiée en établissant à sa demande la promesse d'embauche du 14 septembre 2000 qui lui est aujourd'hui reprochée, précise que l'embauche se fît en réalité à des conditions différentes pour un salaire et des responsabilités moindres, et relève que la SARL Sofil ne bénéficiait d'aucune clause de non concurrence et n'avait pas cherché à retenir son salarié.

S'agissant de la clause de confidentialité, la SA Soffil fait valoir qu'elle n'est pas responsable d'une éventuelle violation par monsieur Antoine de ses propres obligations envers son ancien employeur, et proteste que rien ne prouve qu'elle ait elle-même utilisé les documents trouvés au domicile de l'intéressé, niant en tout état de cause avoir fabriqué des filtres copiés sur ceux de Sofil.

S'agissant du manquement allégué à son devoir de loyauté contractuelle, elle fait valoir que l'accord conclu en 1998 ne contenait aucune clause de non concurrence et elle affirme que les filtres litigieux sont dans le domaine public et que ceux commercialisés par la société Sofil sont eux-mêmes la copie de modèles existant sur le marché depuis au moins une quarantaine d'années.

A titre subsidiaire, la SA Soffil estime qu'il n'existe en tout état de cause aucun préjudice avéré lié aux manquements qui lui sont imputés dans la mesure où la baisse du chiffre d'affaires de la SARL Sofil était amorcée bien avant le départ de monsieur Antoine et qu'elle s'est poursuivie jusqu'en 2002, ajoutant qu'aucun justificatif du taux de marge allégué n'est produit.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance du il septembre 2007, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

Par note conjointe du président et du greffier adressée la veille de la date du présent arrêt, les avoués des parties ont été également avisés que le prononcé de l'arrêt était avancé à cette date.

Motifs de l'arrêt

Attendu qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité réclamée par monsieur Antoine du procès-verbal dressé le 12 juin 2001 par l'huissier Rameil, lequel pouvait valablement être commis en justice conformément à l'article 1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 pour effectuer les constatations purement matérielles auxquelles il a procédé dans son constat et recueillir des personnes chez lesquelles il instrumentait les déclarations strictement propres à éclairer ses constatations, telles celles qu'il relate de monsieur Stevenin, président directeur général de la SA Soffil, et de son fils, portant à sa connaissance qu'ils n'étaient pas en mesure de lui remettre copie de la déclaration d'embauche de Patrick Antoine visée dans l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Versailles parce qu'il n'en avait été fait aucune;

Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont toutefois dit qu'il ne pourrait pas être tenu compte des propos des consorts Stevenin relatifs aux sociétés BGER et Cositech en tant qu'ils s'analysent en un témoignage qu'il n'était pas dans les pouvoirs de l'huissier de recueillir car relevant de la procédure d'enquête prévue par les articles 204 et suivants du nouveau code de procédure civile, et qu'ils ont dit que le recueil de ces quelques propos dans le procès-verbal de constat n'appelait pas son annulation dans la mesure où ces déclarations n'entachent en rien les constatations, dont elles sont dissociables, opérées en exécution de l'ordonnance;

Attendu en revanche que monsieur Antoine est fondé à demander que soient écartés des débats les deux rapports d'enquête du cabinet Faralicq en date des 9 et 14 février 2001 produits par la SARL Sofil et à obtenir ainsi la réformation du jugement du tribunal de grande instance sur ce point ;

Qu'un tel mode de preuve apparaît en effet illicite au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du nouveau Code de procédure civile puisqu'il s'agit de compte-rendu de filatures de monsieur Antoine réalisées à son insu et qui ont nécessairement impliqué une atteinte à sa vie privée, comme en persuadent en tant que de besoin les mentions dans lesquelles il y est fait état de ce qu'il accompagne son enfant à l'école avec sa femme, va faire des courses avec cette dernière ou se rend à la Poste, et où il y est fait mention des hôtels dans lesquels il séjourne ou des heures auxquelles il quitte et rejoint son domicile, pareille atteinte à la vie privée apparaissant disproportionnée au regard des intérêts en cause;

Attendu, ensuite, que monsieur Antoine demande à la cour de déclarer la SARL Sofil irrecevable en ses prétentions mais n'articule aucune fin de non recevoir;

Attendu sur le fond, que Patrick Antoine a été employé du 2 novembre 1984 au 26 octobre 2000 dans la SARL Sofil, qu'il a quittée avec la qualité de directeur dans des conditions convenues par voie d'accord transactionnel conclu le 26 octobre 2000 stipulant qu'il s'engageait " formellement à ne divulguer à qui que ce soit aucun des plans, études, conceptions, compte-rendus de travaux ou essais, projets, réalisations, étudiés à l'entreprise, soit pour le compte des clients de Sofil, soit pour Sofil elle-même " et énonçant aussi que " M. Antoine déclare avoir restitué à Sofil les fichiers, les plans, les échantillons, les documentations à lui confiés dans le cadre de ses fonctions ";

Que les sociétés Soffil et Sofil avaient conclu le 3 décembre 1998 un accord dit " de coopération " en vigueur jusqu'à sa dénonciation par Soffil au 3 décembre 2001, prévoyant pour chacune un commissionnement d'apporteur d'affaires dans chaque cas où elle aurait signalé à l'autre un cas d'utilisation de ses produits ayant permis à celle-ci de réaliser une offre commerciale ; qu'aux termes de cette convention, " chaque partie s'interdi(sai)t de faire travailler pour son compte, et a fortiori d'engager tout collaborateur de l'autre partie, sans autorisation écrite préalable de celle-ci, et ce pendant toute la durée et au plus tard 2 ans après la fin du présent accord, quelle qu'en soit la cause " ; qu'à l'article 5 " confidentialité ", il y était également stipulé que " par convention tacite, sont déclarées " informations confidentielles " tous les documents techniques, sous quelque forme que ce soit, appartenant à l'une des parties et qui les aura déclarés confidentiels, que ceux-ci soient protégés par un titre de propriété industriel ou non, et tous les documents de conditions commerciales, offres, marchés, informations financières en général ", et que " chaque partie devra(it) s'imposer, y compris au niveau de ses employés et collaborateurs, des règles et moyens de protection de ces informations confidentielles ";

Or attendu qu'il ressort de l'examen des pièces produites que la SA Soffil a adressé à monsieur Patrick Antoine en date du 14 septembre 2000 alors donc qu'il était le préposé de la SARL Sofil, une lettre contenant promesse de l'embaucher " en tant que directeur commercial département agro-alimentaire, que nous désirons créer dans le cadre de notre société ", pour un salaire brut annuel de 390 000 francs sur treize mois outre intéressement d'1 % sur le chiffre d'affaires facturé dans le secteur agro-alimentaire ;

Qu'à la suite de sa lettre de démission adressée en date du 21 septembre 2001 au gérant de Sofil, monsieur Antoine a quitté cette société le 26 octobre et a été embauché par la SA Soffil à effet du 30 octobre 2000 moyennant un salaire brut mensuel de 30 000 francs (cf annexe à la pièce n° 5 de Sofil) qu'il a effectivement perçu jusqu'à son départ de cette entreprise le 8 février 2002;

Attendu qu'il n'est ni justifié ni soutenu que la société Sofil aurait donné son accord à la SA Soffil pour qu'elle embauche monsieur Antoine;

Qu'il est inopérant de la part de la société Soffil de soutenir qu'elle aurait pu oublier l'engagement qu'elle avait souscrit de ne pas embaucher de salarié de Sofil sans autorisation de celle-ci, s'agissant d'une obligation valablement contractée au respect de laquelle elle était tenue, étant observé qu'il résulte de la pièce n° 10 produite par la SARL Sofil la démonstration que lorsqu'elle l'a recruté Soffil savait, pour avoir déjà traité avec lui en cette qualité, que monsieur Antoine était le préposé de Sofil ; qu'il est tout aussi indifférent de la part de la SA Soffil d'objecter que la société Sofil n'aurait pas cherché à retenir monsieur Antoine, étant rappelé que c'est lui qui signifia sa démission quelques jours après avoir reçu la promesse d'embauche;

Attendu que ce recrutement caractérise de la part de la société Soffil une méconnaissance manifeste de l'engagement qu'elle avait souscrit envers la société Sofil le 3 décembre 1998 et qui était toujours en vigueur ; que la décision du Tribunal de commerce de Tours sera donc infirmée en ce qu'elle a conclu à l'absence d'un tel manquement;

Attendu que les constatations de l'huissier Morfoisse, commis par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Tours en date du 20 avril 2001 contenant autorisation de se faire assister d'un informaticien, et celles du rapport de mission de l'expert en informatique Lafontaine qu'il s'est de fait adjoint lors de son transport au domicile de monsieur Antoine le 12 juin 2001, montrent que ce dernier conservait à cette date à son domicile, les uns en édition papier les autres sur le disque dur de l'ordinateur professionnel avec lequel il travaillait chez lui dans son bureau, un très grand nombre de documents techniques de bureau d'études, de fichiers commerciaux, de listes de clients et prospects, de rapports de visites et de contacts commerciaux, de listes de références, de tarifs, de comparatifs de prix et de performances, de correspondances commerciales et techniques et de documents photographiques à but publicitaire émanant de la SARL Sofil ou afférents à son activité pour cette société ;

Attendu qu'il est ainsi apparu, notamment (pages 2 et 3 du procès-verbal de constat), que monsieur Antoine détenait chez lui dans un classeur un état commercial des filtres vendus par Sofil depuis 1984, un tableau de chiffre d'affaires de Sofil pour 1999, un tableau des filtres en location pour Sofil en 2000, un ensemble de fiches clients établissant le chiffre d'affaires réalisé sur plusieurs années, un fichiers des clients de Sofil dans l'industrie laitière, un tableau du tarif des pièces détachées SAV Sofil avec les numéros de référence Sofil, une liste de 13 pages de clients de Sofil, la copie d'un plan d'un filtre, la première et la dernière pages du rapport d'essai d'un filtre Sofil TX5, une étude de la marge bénéficiaire de Sofil sur ses filtres SX2 et SX4 et les fiches de Sofil énonçant le prix de revient de ces deux produits, un tableau de prévision de commandes sur 12 mois de Sofil, deux tableaux concernant les ventes de manchettes Sofil, une série de tableaux et diagrammes de manchettes Sofil, ventes et tableaux techniques et un ensemble de tableaux et diagrammes concernant le chiffre d'affaires de Sofil;

Que dans son ordinateur, monsieur Antoine s'est notamment avéré détenir (cf rapport de mission de monsieur Lafontaine) des fichiers de clients de Sofil (p. l à 4) et des documents techniques se référant aux filtres de la gamme Sofil (p. 249);

Que la détention de ces documents caractérise par elle-même une violation par monsieur Antoine des engagements souscrits dans l'accord transactionnel qu'il avait conclu le 26 octobre 2000 avec la SARL Sofil, dont il avait ainsi emporté et conservé sans autorisation avérée et sans motif avoué un nombre considérable de documents techniques et commerciaux;

Attendu qu'il résulte des énonciations préliminaires de l'accord de coopération du 3 décembre 1998, des propres termes de sa promesse d'embauche du 14 septembre 2000 et de ses écritures judiciaires, que la SA Soffil, spécialisée dans les filtres destinées aux industries navale et automobile et au traitement des eaux, commercialisait des " produits différents " (cf p.3 de ses conclusions récapitulatives) de ceux de Sofil, laquelle est quant à elle spécialisée dans les filtres destinés à l'industrie alimentaire, et qu'elle a recruté monsieur Patrick Antoine pour qu'il crée ou contribue à créer chez Soffil un département agro-alimentaire;

Attendu que sitôt recruté par la SA Sofil, monsieur Antoine était à même de proposer au nom de celle-ci à la clientèle des filtres destinés à l'industrie agro-alimentaire, puisque par courriers tous datés du 1er novembre 2000 signés de lui et à l'en-tête Soffil il contactait les sociétés Danone, Motovario, Sogefiltress (à Bruxelles) ou encore Allia Tech pour leur indiquer qu'il avait quitté la société Sofil depuis le 26 octobre et qu'il était en mesure de leur fournir des filtres autonettoyants et rotatifs centrifuges;

Attendu que dans son courrier du 17 octobre 2001 à la société Sofil (sa pièce 7b) répondant à la lettre recommandée avec demande d'avis de réception que celle-ci lui avait adressée au mois d'août pour lui demander des explications sur cette commercialisation de produits concurrents des siens, le PDG de la SA Soffil, tout en estimant que tous les filtres de ce type étaient similaires depuis une trentaine d'années, reconnaissait "la similitude de nos filtres Soefilter avec ceux de Sofil";

Attendu certes que la société Sofil n'est à même de se prévaloir d'aucune protection au titre du droit des dessins et modèles ou des secrets de fabrique ;

Attendu que la SARL Sofil est toutefois fondée à faire valoir que la comparaison entre la fiche technique de son filtre Sofil TX 4 E (pièce n° 39) et celles des filtres Soffilter FRC TE et FRC 300 AL de Soffil (pièces n° 40 et 47) démontre que le rédacteur de la seconde s'est fortement inspiré de la première, la plupart des phrases étant reproduites à l'identique, et la formule finale de Sofil "le filtre ... offre une solution simple, fiable et économique à vos problèmes de séparation" étant reprise à la lettre ;

Qu'il apparaît de même que les photographies utilisées pour illustrer la documentation relative aux Soffilter FRC 300AL/V/300 et FRC 300/1 L/V/50 de Soffil (pièces 45 et 49) correspondent exactement à des photographies détenues par la SARL Sofil, qui en produit les originaux (cf ses pièces n° 44 et 50);

Que la même reproduction de documentation Sofil est observée pour le filtre FRA 1000 et pour le filtre FA 500 de Soffil dont le schéma reproduit celui utilisé par Sofil pour illustrer la fiche technique de ses filtres SX 2 et SX 4 (cf pièces n° 51 et 52 et pièces n° 53 et 54);

Que sont ainsi également établies la divulgation et l'utilisation, déniées par l'intéressée, de la documentation de Sofil par Soffil, en contradiction avec les termes de la Convention du 3 décembre 1998, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal de commerce de Tours ;

Attendu qu'il s'agit là d'un comportement parasitaire caractérisé de la part de la SA Soffil, et de sa part d'un comportement déloyal au regard de l'accord de coopération qui la liait encore avec la société Sofil dans le cadre de gammes jusqu'alors qualifiées de " complémentaires " et non pas concurrentes ;

Qu'il est significatif de la conscience de ces emprunts parasitaires par la SA Soffil quelle ait ignoré totalement les filtres de Sofil dans ses brochures comparant ses filtres à ceux de la concurrence (cf rapport Lafontaine p. 258 à 260);

Attendu que la participation délibérée de monsieur Antoine à ces agissements fautifs de la SA Soffil n'est pas douteuse au regard de la présence frauduleuse son domicile de certains des documents de Sofil;

Que l'intéressé ne saurait utilement objecter que l'utilisation de cette documentation au profit de Sofil ne serait pas avérée, alors qu'il résulte de la comparaison entre ces deux documents (pièces n° 22 et 59 de Sofil) que le fichier des clients de Soffil dans le secteur agro-alimentaire qu'il venait de créer et dont il était alors le directeur était d'emblée strictement identique à celui de la société SofIl, y compris en sa présentation et en son libellé mêmes, ce qui persuade, en l'absence de toute autre explication de sa part sur cette totale similitude, que monsieur Antoine a mis au service de la SA Soffil le fichier clientèle qu'il avait conservé en quittant ses fonctions chez Sofil ;

Attendu que la pièce n° 16 communiquée par la SARL Sofil, constituée par un rapport de visite adressé en date du 24 novembre 2000 par monsieur Antoine à son nouvel employeur Soffil, révèle qu'il espérait convaincre une société Rochette Venizel d'acheter à Sofil un filtre rotatif Soffilter FRC300TE en lui remettant à titre d'essai un filtre TX 4S de chez Sofil dont il aurait préalablement " retiré la plaque de firme ", ce qui démontre à la fois l'extrême similitude entre les deux modèles et le risque de totale confusion pour la clientèle;

Qu'une autre preuve de cette similitude et de cette confusion résulte de ce qu'il s'avère aussi que monsieur Antoine a adressé le 31 octobre 2000 à la société Senoble alors qu'il travaillait pour son nouvel employeur depuis la veille un devis au nom de Soffil pour trois filtres autonettoyants Soffil type FA 500 après avoir entamé avec elle le mois précédent des négociations en vue de la vente de trois filtres autonettoyants pour le compte de Sofil (pièces 25 et 26), le marché portant sur une somme totale HT de l'ordre de 60 000 euro;

Attendu qu'un courrier adressé en date du 5 juin 2001 (pièce n° 24) à la SARL Sofil par une entreprise avec laquelle elle était en discussions, la société Roto-Sieve France, illustre cette confusion causée par ces emprunts et similitudes auprès de ses partenaires, l'auteur de cette lettre y exprimant ses interrogations sur " la question de la concurrence de la société Soffil SA " après la lecture dans la presse spécialisée d'un article illustré évoquant un modèle " identique à votre tamis rotatif centrifuge type TX 4 " et notant comme cause supplémentaire de sa perplexité : " s'y ajoute la proximité de raison sociale très troublante" avant de conclure "tout ceci est évidemment de nature à créer une extrême confusion dans l'esprit de la clientèle. Vous comprendrez donc que nous souhaiterions avoir un éclaircissement complet de cette situation et d'assurance de votre part avant de nous engager dans la distribution de vos produits...";

Et attendu qu'il est aussi établi par les pièces 6 bis 1, 2 et 3 produites par la SARL Sofil que le soir même du dernier jour où il était employé dans cette société, monsieur Antoine a adressé à 22 heures au responsable de la société BGER, monsieur Eric Uhrig, avec lequel il était depuis quelques jours encours de négociation d'un contrat de fourniture d'un filtre pour distiller des alcools, une télécopie libellée en ces termes: " je tenais à vous informer suite à nos différents entretiens téléphoniques, que j'avais donné ma démission en tant que directeur de la Sté Sofil, et que j'ai quitté officiellement celle-ci ce jour, jeudi 26 octobre 2000. Vous n'aurez plus comme interlocuteur que M. Massue, qui ne sera pas en mesure de vous répondre concrètement sur le plan technique. Si vous désirez me joindre, vous pourrez m'appeler aux numéros suivants... restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire... ";

Qu'il indique dans ses lettres à Danone et à Sogefiltress être à même de leur proposer " des prix beaucoup plus intéressants qu'avant ";

Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'alors qu'elle ne commercialisait pas de produits concurrençant directement ceux de la gamme de Sofil et qu'elle était liée avec elle par un accord de coopération en vue de lui apporter des affaires et lui interdisant de débaucher ses salariés et d'utiliser sa documentation technique sans son accord, la SA Soffil a promis à monsieur Antoine, directeur de Sofil, de l'embaucher avec un salaire et des avantages supérieurs pour venir créer chez elle une gamme strictement concurrente à celle de Sofil, qu'elle a utilisé en partie au moins la documentation technique et commerciale et les fichiers-clients conservés par monsieur Antoine en méconnaissance des termes de l'accord transactionnel le liant à Sofil et que celui-ci a œuvré pour elle auprès d'anciens clients de Sofil en leur déclarant qu'il pouvait leur proposer de meilleurs prix et en indiquant que depuis son départ ils ne trouveraient plus chez Sofil d'interlocuteur à même de répondre concrètement à leurs interrogations techniques ;

Attendu que ces agissements concertés et délibérés caractérisent de leur part, outre une méconnaissance de leurs engagements contractuels respectifs, la mise en œuvre d'agissements fautifs par voie de parasitisme, de dénigrement par un ancien salarié, de démarchage et de détournements de documents et de clientèle constitutifs d'une concurrence déloyale au préjudice de la SARL Sofil, par la confusion qu'ils ont risqué de créer auprès de sa clientèle et de ses partenaires commerciaux ;

Qu'il doit donc être fait droit à la demande de Sofil tendant à obtenir la condamnation in solidum de la SA Soffil et de monsieur Antoine à réparer le préjudice qu'ils lui ont causé;

Attendu que la SARL Sofil n'est pas fondée à prétendre chiffrer ce préjudice à sa perte de marge sur la période du 31 octobre 2000 au 1er novembre 2001 car les données produites sur sa situation économique pendant la période courant de l'année 1998 à l'année 2002 établissent que sur cette période son chiffre d'affaires a été constamment en baisse, notamment de 23,57 % entre 1999 et 2000 soit antérieurement aux agissements litigieux, seul étant indemnisable le dommage en lien certain et direct avec ces agissements, qui n'expliquent manifestement pas seuls ses mauvais résultats sur la période considérée;

Qu'ils lui ont toutefois assurément causé un préjudice économique et commercial en raison de la perte de marchés au profit de Soffil et de l'atteinte à son image liée à la confusion;

Attendu qu'au vu du chiffre d'affaires moyen réalisé par Sofil - de l'ordre de 510 000 euro en 2000 et 440 000 euro en 2001 -, du nombre de clients concernés par l'utilisation fautive du fichier-clientèle et du prix de vente moyen d'un filtre tel qu'il ressort des nombreux devis de monsieur Antoine pour Soffil produits aux débats et du seul marché Senoble qui s'était conclu, comme le prouve la pièce n° 27 où l'entreprise commande à Soffil des pièces détachées pour les trois filtres en mars 2001, ce dommage peut être chiffré à la somme de 40 000 euro;

Attendu que cette indemnité, appréciée au jour de la décision rendue, n'a pas à être assortie d'intérêts comme réclamé par la SARL Sofil;

Que la demande complémentaire en capitalisation des intérêts s'en trouve sans objet;

Attendu que la SA Soffil, qui succombe et chez laquelle ces pièces ne se trouvaient pas, n'est pas fondée à obtenir la restitution du disque sur lequel l'assistant de l'huissier Rameil copia certains documents enregistrés sur le disque dur de l'ordinateur de monsieur Antoine lors du constat du 12 juin 2001;

Attendu que les parties succombantes verseront également à la société Sofil la somme de 1 494 euro qu'elle justifie (cf ses pièces n° 14 et 15) avoir déboursée au total au titre des frais de constats d'huissiers et d'accompagnement par serrurier soit 5 000 + 4 000 + 800 francs, le surplus de cette demande étant rejeté faute de justificatifs;

Attendu enfin que la SARL Sofil recevra une indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort: Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Tours en ce qu'il a débouté la SARL Sofil de ses demandes de dommages et intérêts dirigées contre la SA Soffil et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens de l'instance ; Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Tours à l'exception de ses chefs de décisions relatifs à la validité des rapports d'enquête du cabinet Faralicq et au montant des dommages et intérêts dus par monsieur la société Sofil ; Statuant à nouveau : Dit que les rapports de filatures et d'enquête établis en date des 9 et 14 février 2001 par le Cabinet Faralicq constituent des modes de preuve illicites et ordonne en conséquence qu'ils soient écartés des débats ; Dit que la SA Soffil et monsieur Patrick Antoine ont manqué à leurs engagements respectifs et ont commis des agissements de concurrence déloyale au préjudice de la SARL Sofil ; Condamne in solidum la SA Soffil et monsieur Patrick Antoine à verser à la SARL Sofil la somme de 40 000 euro (quarante mille euro) à titre de dommages et intérêts ; la somme de 1 494 euro (mille quatre cent quatre-vingt quatorze euro) au titre de ses frais justifiés de constats d'huissiers et d'accompagnement par serrurier ; Y ajoutant ; Déboute la SA Soffil de sa demande en restitution de la copie du disque réalisée lors du constat pratiqué le 12 juin 2001 chez monsieur Antoine ; Condamne in solidum la SA Soffil et monsieur Patrick Antoine à payer à la SARL Sofil une somme de 5 000 euro (cinq mille euro) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la SA Soffil aux dépens de première instance devant le Tribunal de commerce de Tours, et in solidum la SA Soffil et monsieur Patrick Antoine aux dépens d'appel ; Accorde à Maître Garnier, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.