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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 18 décembre 2007, n° 05-03834

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des détaillants spécialistes du disque

Défendeur :

Auchan France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SCP Cocheme-Kraut-Labadie, Me Quignon

Avocats :

Mes Fourgoux, Deprez

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 27 avr. 20…

27 avril 2005

Du 22 septembre au 2 octobre 2004, l'ensemble des magasins Auchan a organisé une campagne que nous dénommerons "tout à un euro", consistant à vendre à ce prix 900 produits les plus divers, parmi lesquels des CD et des DVD.

Le Syndicat des Détaillants du disque, qui réunit des disquaires indépendants et plusieurs gros revendeurs (Fnac, Virgin, etc.) s'est inquiété de cette opération et a assigné la SA Auchan dès le 28 décembre 2004 pour obtenir une provision de 300 000 euro et la désignation d'un expert qui pourrait évaluer la désorganisation du marché du disque introduite par la campagne promotionnelle de leur adversaire.

Mais le 27 avril 2005, le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing a débouté le syndicat et a fait une application modérée de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile contre lui. Pour l'essentiel, le Tribunal de commerce a considéré que ce syndicat avait un intérêt à agir, a jugé que l'inclusion des CD dans un panel de 900 articles montre qu'il n'y a pas eu volonté d'évincer un concurrent, que la brièveté de la campagne abonde dans le même sens, que le prix très bas n'est quand même pas une vente à perte, qu'au total il n'y a pas de comportement déloyal dans la concurrence. Pour le syndicat, naturellement appelant et très long dans ses écritures sur ce qu'est la désorganisation fautive d'un marché et sur l'état du marché du disque, la campagne d'Auchan était constitutive de concurrence déloyale, estime à 160 000 CD les ventes litigieuses, considère que le prix de un euro ne dégage aucun bénéfice et est donc une vente à perte qui, par surcroît, déconsidère le produit lui-même.

Auchan reprend les arguments du tribunal de commerce et répond point par point au syndicat ; mais avant cela, Auchan soutient que le syndicat défend ici les intérêts individuels de ses membres, ce à quoi il n'est pas recevable (article L. 470-7 du Code de commerce) et non pas les intérêts collectifs d'une profession.

Sur quoi, LA COUR

A) Sur l'irrecevabilité de l'action du SDSD :

Attendu que l'article L. 470-7 du Code de commerce prévoit que : "les organisations professionnelles peuvent introduire l'action devant la juridiction civile ou commerciale pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ou du secteur qu'elles représentent, ou à la loyauté de concurrence" ;

Qu'un syndicat professionnel n'est habilité à agir que pour obtenir "la réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession" ; que le préjudice porté à l'intérêt collectif ne s'identifie pas à la somme des préjudices subis individuellement par les membres de la profession, ni au préjudice individuel subi par les adhérents du syndicat ;

Attendu qu'au sein d'une maigre jurisprudence commerciale, il faut relever d'abord que si la lettre du texte sus-énoncé semble distinguer l'atteinte à l'intérêt collectif et la déloyauté de la concurrence, il n'apparaît pas qu'un syndicat puisse, au nom de la défense d'une concurrence saine, s'affranchir de l'exigence première, celle de défendre la collectivité ;

Qu'il apparaît au contraire que si un syndicat a pu être déclaré recevable à agir en cas de violation d'une prescription réglementaire ou des usages professionnels (Com. 8 juillet 1997, pourvoi n° 94-20701), la Cour de cassation a refusé ce droit à un autre qui invoquait la loyauté de la concurrence pour mettre fin à une ouverture (autorisée) du dimanche (Com. 21 juillet 1986, pourvoi 84-15397) ;

Attendu qu'en l'espèce, les appelants n'ont pas réussi à démontrer la violation de la loi (précisément, une vente à perte) par Auchan ;

Attendu qu'en somme, en invoquant le préjudice subi par ses membres, le SDSD fait en réalité valoir des intérêts individuels propres à chaque enseigne spécialisée, mais ne caractérise pas une atteinte propre à l'intérêt collectif de la profession des détaillants du disque.

B) Accessoires :

Attendu qu'il sera fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (procédure ancienne, demandes très élevées, avocats extérieurs et spécialistes) ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, Infirme le jugement rendu à Roubaix le 27 avril 2005. Statuant à nouveau, Déclare irrecevable l'action du Syndicat des détaillants spécialistes du disque (SDSD). Condamne le SDSD à payer à la SA Auchan France la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne le même aux dépens. Accorde aux avoués constitués le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.