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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 5 janvier 2010, n° ECEC1004481X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'exploitation de l'entreprise Ponsaty (SARL)

Défendeur :

Transports Cerdans (SARL), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avoués :

Me Teytaud, SCP Grappotte Benetreau Jumel

Avocats :

Maître Redon, Selinsky

CA Paris n° ECEC1004481X

5 janvier 2010

Exposé du litige

La loi d'orientation sur le transport intérieur n°82-1153 du 30 décembre 1982 organise le transport public et définit les missions des collectivités locales. Aux termes de son article 29, les services publics réguliers de transport routier non urbain de personnes, à l'exclusion des liaisons d'intérêt régional ou national, sont organisés par le département, qui peut assurer lui-même ces services, ou les faire assurer en passant des conventions avec des entreprises publiques ou privées. Dans ce cadre le département dispose d'une large compétence pour organiser le transport scolaire, soit directement en tant qu'organisateur de premier rang, soit par délégation en tout ou en partie de ce service à des communes, groupements de communes ou syndicats mixtes, alors qualifiés d'organisateurs secondaires.

Jusqu'à l'année 2002 comprise, les transports scolaires et interurbains dans le département des Pyrénées-Orientales étaient organisés par des conventions conclues de gré à gré entre d'une part des "syndicats intercommunaux scolaires et de transport" regroupés dans une union départementale, l'UDSIST, et d'autre part une trentaine d'entreprises locales de transport de voyageurs. Dix-huit d'entre elles étaient membres d'un groupement d'intérêt économique, le "GIE Carinter 66", créé au début des années 80 pour assurer certains services communs (notamment la gestion de la billetterie, l'accueil du public et la vente de billets à la gare routière de Perpignan).

Le 15 mars 2002, pour satisfaire aux exigences notamment de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 dite "loi Sapin" imposant la mise en place d'une procédure d'appel à la concurrence lorsque les collectivités publiques délèguent un service public à une entreprise, l'UDSIST a lancé son premier appel d'offres restreint pour un marché destiné à assurer à titre principal la desserte des établissements d'enseignement du département ; ce marché était subdivisé en neuf lots géographiques, attribués chacun pour une durée maximale de 9 ans, avec possibilité de résiliation tous les 3 ans ; il concernait globalement le transport quotidien de 24 000 élèves par 500 cars environ.

Au vu des offres déposées, comprenant un groupement d'entreprises par lot et de zéro à trois candidatures individuelles selon les lots, l'appel d'offres a été déclaré infructueux en juin 2002, les prétentions financières des candidats ayant été jugées trop élevées par rapport aux estimations du donneur d'ordre, et incompatibles avec la politique publique de maîtrise du budget des transports scolaires. En effet le total des offres moins disantes était supérieur de 28,31 % à l'estimation administrative (13 205 816 euro) et le total des offres des groupements dépassait de 42,7 % l'estimation.

L'UDSIST a alors mis en place une procédure négociée de passation de ce marché public, faisant l'objet d'une nouvelle estimation pour un total de 15 508 313 euro. Dans les offres déposées pour le 15 octobre 2002, on retrouvait les mêmes groupements, un par lot, et une, deux ou trois candidatures individuelles par lot ; le total des offres des groupements ne s'écartait plus que de 0,2 % de l'estimation administrative ; après un contentieux administratif relatif au lot n° 5, c'est finalement pour chaque lot le groupement d'entreprises ayant déjà soumissionné pour ce lot au premier appel d'offres qui a été retenu ; les candidatures individuelles ont été écartées. L'ensemble des entreprises membres de ces groupements était titulaire de conventions de service de transport scolaire antérieurement au premier appel d'offres.

Ces marchés ont pris effet le 1er janvier 2003. Par avenant du 2 août 2004 le conseil général des Pyrénées-Orientales s'est substitué à l'UDSIST pour leur exécution ; il y a mis fin à l'issue de la première phase (août 2005). Les marchés suivants ont été passés directement par le Conseil général. En effet dès mai 2003, les missions de l'UDSIST ont été transférées au Conseil général des Pyrénées-Orientales, à l'occasion d'un autre appel d'offres pour les transports interurbains de voyageurs sur les lignes régulières départementales.

Une enquête a été ouverte le 8 février 2005 par le ministre de l'Economie sur la situation de la concurrence dans le secteur des transports réguliers de personnes dans le département des Pyrénées-Orientales ; cette enquête conduite par les services de la DGCCRP, a donné lieu à des opérations de visite et de saisie pratiquées le 1er avril 2005 dans les locaux des entreprises Bec et Caball, Capeille, Cars verts, Les courriers Catalans, Gep Vidal, Jean Vaills, Pages, Ponsaty et Transports Cerdans. Aucun document n'a été saisi au sein des entreprises Capeille et Pages, cette dernière ayant cependant fourni aux enquêteurs quelques pièces. L'enquête a été clôturée par un rapport administratif en date du 14 juin 2005.

Par lettre enregistrée le 9 novembre 2005, le ministre a alors saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, de pratiques mises en œuvre par des entreprises de transport de personnes dans le secteur du transport scolaire et interurbain dans le département des Pyrénées-Orientales, à l'occasion du marché de transport scolaire organisé en 2002 et de celui de transport interurbain organisé en 2003. C'est dans ces conditions qu'après enquête, des griefs d'infractions aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ont été notifiés le 8 avril 2008 à 32 entreprises de transport de personnes, dont la société Transports Cerdans et la société Ponsaty. Il leur était fait grief : " ....de s'être réparti avant le dépôt des offres les lots du marché de transport scolaire lancé en mars 2002 dans le département des Pyrénées-Orientales, qui a donné lieu à une relance en juillet 2002, puis en mars 2003 sur un lot, et d'avoir empêché l'un des candidats à l'appel d'offres, la société Siberbus ou sa filiale CFT, de pouvoir normalement soumissionner en constituant des groupements.

Ces pratiques, mises en œuvre par des entreprises concurrentes, ont trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et faussé celle-ci. Elles constituent une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce".

Deux entreprises, Les courriers catalans et GEP Vidal, appartenant toutes deux au groupe Keolis, ont choisi de ne pas contester les griefs et de bénéficier des dispositions du § III de l'article L. 464-2 du Code de commerce.

Le Conseil de la concurrence a rendu sa décision n° 09-D-03 le 21 janvier 2009.

Après un article 1" mettant hors de cause 25 entreprises, il a statué comme suit :

"Article 2 : Il est établi que les entreprises Les Transports Bec et Caball, Cars verts. Les Courriers Catalans, Transports Gep Vidal, Entreprise Jean Vaills, Société d'exploitation de l'entreprise Ponsaty, et Transports Cerdans ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

"Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Les Transports Bec et Caball une sanction de 11 000 euro ;

- à la société Les courriers Catalans une sanction de 183 000 euro ;

- à la société Transports Gep Vidal une sanction de 82 000 euro ;

- à l'entreprise Jean Vaills une sanction de 25 000 euro ;

- à la société d'Exploitation de l'entreprise Ponsaty une sanction de 28 000 euro;

- à la société Transports Cerdans une sanction de 28 000 euro ;

"Article 4 : Aucune sanction pécuniaire n'est infligée à la société Cars Verts [en liquidation judiciaire]."

En résumé le Conseil a retenu que les entreprises sanctionnées avaient pris part à une concertation anticoncurrentielle antérieurement au dépôt des offres et avaient notamment utilisé la constitution d'un seul groupement par lot pour procéder, lors de l'appel d'offres de 2002, à une répartition du marché des transports scolaires du département des Pyrénées-Orientales (§ 107 de lai décision).

Deux sociétés ont formé un recours contre cette décision : la société Transports Cerdans et la société d'exploitation de l'entreprise Ponsaty.

Motifs de la décision

LA COUR :

Vu le recours contre la décision n° 09-D-03 rendue le 21 janvier 2009 par le Conseil de la concurrence, formé le 17 février 2009 par la société d'exploitation de l'entreprise Ponsaty, en annulation, subsidiairement en réformation ;

Vu le recours contre cette décision formé le 26 février 2009 par la société Transports Cerdans, en annulation, subsidiairement en réformation ;

Vu le mémoire déposé le 17 mars 2009 par la société Ponsaty à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réponse déposé le 2 octobre 2009,

Vu le mémoire déposé le 26 mars 2009 par la société Transports Cerdans à l'appui de son recours, soutenu par ses conclusions responsives déposées le 2 octobre 2009,

Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence déposées le 25 mai 2009,

Vu les observations écrites du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi déposées le 25 juin 2009,

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties avant l'audience ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 3 novembre 2009, en leurs observations orales, les conseils des requérantes, ainsi que les représentants de l'Autorité de la concurrence, le représentant du ministre et le Ministère public, les requérantes ayant été mises en mesure de répliquer ;

Sur ce :

Considérant que la société Transports Cerdans, qui soutient n'avoir jamais été associée d'une quelconque manière à une répartition de marché à laquelle elle n'avait aucun intérêt, soulève plusieurs moyens d'annulation de la décision du Conseil de la concurrence, et tout d'abord soutient que la décision doit être annulée parce qu'elle découle d'actes d'enquêtes conduits selon une procédure contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ; qu'elle critique la régularité de l'ordonnance ayant autorisé des opérations de visite et de saisie réalisées le 1er avril 2005 dans les locaux de neuf entreprises, dont les siens ;

- Sur le recours contre l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie

Considérant que, dans le cadre de l'enquête ministérielle ouverte le 8 février 2005, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Perpignan, saisi en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, a autorisé par ordonnance du 22 mars 2005 les agents de la DGCCRF à procéder ou à faire procéder à dans les locaux des entreprises suivantes : Bec et Caball, Capeille, Cars verts, Les courriers Catalans, Gep Vidal, Jean Vaills, Pages, Ponsaty et Transports Cerdans, aux visites et aux saisies de tous documents nécessaires à la recherche de la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par le point 4 de l'article L. 420-1 du Code de commerce et relevés dans le secteur du transport de voyageurs dans le département des Pyrénées-Orientales ; que les opérations se sont déroulées le 1er avril 2005 ; qu'elles n'ont pas fait l'objet de recours, pas plus que l'ordonnance ;

Considérant que devant la cour d'appel, saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce du recours contre la décision du Conseil de la concurrence ayant prononcé, à la suite de l'enquête et des opérations ci-dessus rappelées, des sanctions pour des pratiques anticoncurrentielles, la société Transports Cerdans est recevable à contester la régularité de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie du 22 mars 2005 ; qu'en effet cette faculté a été ouverte par l'article 5 § IV 2e alinéa de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, notamment lorsque l'ordonnance du JLD n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ;

Considérant que pour soutenir l'irrégularité de la décision prescrivant la visite, la société Transports Cerdans se fonde sur l'absence d'un contrôle juridictionnel effectif en fait et en droit de cette ordonnance ;

Que cependant, même si la seule voie de recours permise à l'époque par l'article L. 450-4 du Code de commerce, à savoir le pourvoi en cassation, pouvait être regardée comme insuffisante pour assurer aux personnes concernées par de telles mesures un accès à un tribunal répondant aux exigences du procès équitable posées par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, et cela nonobstant la possibilité de contester le déroulement des opérations devant le juge les ayant autorisées, la situation a changé depuis la réforme opérée par l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008;

Qu'en effet la Cour d'appel de Paris saisie du recours en contestation de l'autorisation de visite et de saisie prévu par l'article 5 § IV de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 est tenue d'apprécier en fait et en droit la régularité de la décision du juge des libertés et de la détention au vu des éléments du dossier, ce qui constitue un contrôle juridictionnel effectif ;

Considérant que selon la société Transports Cerdans, ce recours est un leurre, en ce qu'il ne lui offre pas une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à ses adversaires ; que selon elle, la cour ne pourra pas faire abstraction de la condamnation prononcée par le Conseil de la concurrence quand elle statuera sur la régularité de l'ordonnance d'autorisation de 2005 ;

Considérant que ce raisonnement est inopérant puisque la condamnation de la société Transports Cerdans par le Conseil de la concurrence n'est pas définitive et qu'elle est remise en cause devant la cour, qui pourra dès lors statuer valablement sur les deux recours, sans qu'il n'y ait atteinte à l'exigence d'impartialité ; qu'aucun principe ne fait obstacle à ce que le même juge examine successivement la régularité d'une étape de la procédure, puis l'affaire au fond ; qu'enfin dénier la possibilité d'un procès équitable après une décision de condamnation frappée de recours reviendrait à interdire de juger au second degré ;

Que la société Transports Cerdans, qui ne formule aucune critique sur les conditions de fait ou de droit dans lesquelles le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Perpignan s'est prononcé, est donc mal fondée en sa demande d'annulation reposant sur le seul motif d'une absence de contrôle juridictionnel effectif de l'ordonnance d'autorisation du 22 mars 2005 ;

- Sur le fond

Considérant que l'article L. 420-1 du Code de commerce dispose que :

" Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou défausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1°- Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2°- Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3°- Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4°- Répartir les marchés et les sources d'approvisionnement. "

Considérant que les pratiques sanctionnées au visa de ce texte par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 09-D-03 rendue le 21 janvier 2009 ont trait à un marché lancé en 2002 dans des conditions particulières ; qu'il s'agissait du premier appel d'offres en matière de transports scolaires dans le département des Pyrénées-Orientales ; que jusqu'alors ce service était assuré par des petites entreprises implantées localement, dans le cadre de contrats conclus avec l'UDSIST, organisme regroupant au niveau du département les syndicats intercommunaux chargés notamment des transports scolaires ;

Que dès l'annonce en 2000 d'un futur appel à la concurrence, les transporteurs concernés ont fait part au conseil général de leur crainte de perdre leur activité et, dans le cadre du GIE évoqué plus haut, se sont réunis pour étudier les possibilités de groupements pour soumissionner sur les lots, ce dès le mois d'avril 2000 comme le prouvent les documents et les déclarations exactement analysées par le Conseil de la concurrence aux points 37 à 41 de sa décision ;

Que le 6 février 2002 l'UDSIST a réuni les entreprises de transports du département pour les informer sur l'appel d'offres imminent ; qu'il n'est pas contesté qu'elle a alors tenté de calmer les inquiétudes en affirmant son souci que personne ne soit lésé et a incité les opérateurs à présenter des offres en groupement puisque les moyens exigés par chaque lot dépassaient la capacité de la plupart des entreprises locales ;

Considérant que s'agissant des deux entreprises concernées par le présent recours :

- la société Ponsaty a soumissionné sur les lots :

n° 2 dans un groupement de 6 entreprises,

n° 3 dans un groupement de 10 entreprises,

n° 5 dans un groupement de 8 entreprises,

n° 8 dans un groupement de 5 entreprises,

n° 9 dans un groupement de 13 entreprises

- la société Transports Cerdans a soumissionné sur les lots :

n° 6 dans un groupement de 9 entreprises,

n° 7 dans un groupement de 8 entreprises ;

Considérant que la société Transports Cerdans soutient que la décision du Conseil de la concurrence devrait être annulée en ce qu'elle s'appuie sur des preuves insuffisantes à établir sa participation à l'entente condamnée ; que de même la société Ponsaty dénie avoir participé à une quelconque entente et reproche à la décision attaquée de ne pas avoir apporté la preuve de sa participation à une entente illicite ;

Considérant que les deux sociétés relèvent justement que la constitution, par des entreprises indépendantes et concurrentes, de groupements en vue de présenter une réponse commune à un appel d'offres, n'est pas en soi illicite au regard des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant que la constitution de groupements peut néanmoins avoir un effet anticoncurrentiel si elle provoque une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates ou masque une entente anticoncurrentielle relative aux prix ou à la répartition des marchés ;

Considérant qu'en l'espèce l'enquête a établi que des réunions et des contacts entre transporteurs concernés ont eu lieu entre février 2002 et la date limite de dépôt des offres le 4 juin 2002, puis également dans la période précédant les offres du marché négocié ;

Que la liste diffusée le 26 mars 2002 par télécopie émanant du GIE Carinter 66, décrite aux points 42 et suivants de la décision du Conseil, contient des références de lots en regard de chaque nom de transporteurs ; qu'y figurent la société Transports Cerdans sur les lots 6 et 7 et la société Ponsaty sur les lots 2, 3, 8 et 9 ; qu'elle a été saisie dans les locaux de l'entreprise Gep Vidal ; qu'un autre transporteur (Cars Verts) a déclaré l'avoir reçue également ; qu'elle est donc un indice sérieux d'échanges d'informations entre les concurrents avant le dépôt des offres ;

Que de plus les documents manuscrits détaillant la composition des lots saisis dans l'entreprise Jean Vaills, et décrits aux points 48 à 52 de la décision, constituent des indices concordants de cet échange d'informations ; que le premier manuscrit a été exactement analysé comme un document préparatoire au dépôt des offres ; que peu importe que ne soit pas indiqué le nom du mandataire du lot n° 3 sur ce document ; que cela permet seulement d'en déduire son antériorité par rapport à la désignation de la société Ponsaty comme mandataire de ce lot, et l'absence d'entente générale sur son choix, mais que cela n'exclut pas l'échange d'informations sur les candidatures ; que les déclarations du dirigeant de l'entreprise à propos du second manuscrit saisi prouvent qu'il a été établi à l'occasion d'une réunion de transporteurs du 25 mars 2002 ;

Qu'ainsi le Conseil de la concurrence en a déduit à bon droit que des contacts ont eu lieu entre entreprises concurrentes en vue de la répartition des lots et de la constitution d'un seul groupement par lot avant le dépôt des candidatures ;

Considérant que la société Transports Cerdans conteste vainement avoir pris part à cette concertation ; qu'en effet la lettre et les notes saisies dans les locaux de l'entreprise (décrits aux points 53 à 57), éclairées par les déclarations recueillies au cours de l'enquête de 2005, confirment d'une part que des réunions fréquentes ont eu lieu pour définir une politique commune de réponse à l'appel d'offres et d'autre part que de nombreux transporteurs, et notamment les dirigeants de la société Transports Cerdans, s'opposaient à la soumission de groupements concurrents ; que de plus lors de son audition du 4 mai 2005 (retranscrite au point 63 de la décision du Conseil), le gérant de la société Transports Cerdans a reconnu que la décision de constituer un groupement par lot a été prise collectivement ; qu'enfin les problèmes de santé dont il fait état datent de l'automne 2002; qu'aucun document ne prouve formellement que son état de santé l'empêchait de se rendre à des réunions au printemps 2002 ;

Considérant que la société Ponsaty reconnaît que sa gérante a participé à la formation dispensée par l'AFT et que par la suite les groupements se sont constitués sur une base historique en ce sens que chaque entreprise rejoignait le lot géographique qui correspondait à ses services antérieurs ; qu'elle dénie toute concertation quant au choix d'un groupement unique par lot ; que pourtant sa gérante a bien déclaré :

" par la suite nous avons décidé de nous grouper par secteur géographique en présentant un groupement par lot ; "

Que les termes sont clairs et de plus corroborés par les déclarations d'autres transporteurs, ce qui démontre que le choix de ne présenter qu'un seul groupement par lot était concerté, et que la société Ponsaty, comme la société Transports Cerdans, a personnellement et volontairement adhéré à cette concertation ;

Considérant qu'un rapport de gestion daté du 17/10/2002 saisi dans les locaux de la société "Les transporteurs catalans" (pièce 125 figurant en annexe 5 du rapport d'enquête administrative et décrite en page 12 de ce rapport) démontre qu'en septembre 2002 c'est-à-dire le mois précédant la date limite de réponse à la procédure de marché négocié, une rencontre entre les transporteurs du département a décidé que les groupements présentés au premier tour resteraient les mêmes, prolongeant ainsi la concertation élaborée précédemment ;

Qu'il est ainsi établi que pour l'attribution des neuf lots du marché de transports scolaires, la candidature d'un groupement, formé de 5 à 13 entreprises locales, par lot est le résultat d'une stratégie commune, pour se donner toutes les chances de conserver ses circuits antérieurs, sans se faire concurrence entre elles et en empêchant la constitution de groupements concurrents ;

Considérant que les sociétés requérantes font valoir que le principe et les modalités de leur réponse aux appels d'offres s'expliquent indépendamment de toute répartition de marché et que leur comportement n'a empêché personne ni de constituer un autre groupement sur les mêmes lots, ni de se présenter individuellement comme le prouvent les candidatures isolées reçues par l'UDSIST ;

Qu'il est indéniable que rechercher les meilleures chances de se retrouver attributaire des circuits déjà exploités n'est pas répréhensible en soi ; qu'il en est autrement lorsque les moyens employés faussent la concurrence ;

Considérant que le Conseil de la concurrence a bien montré que les groupements constitués ne se justifiaient pas économiquement, présentaient un caractère artificiel et ont fait obstacle au jeu normal de la concurrence ;

Considérant que tout d'abord, s'il est vrai que la plupart des entreprises des Pyrénées-Orientales n'auraient pas pu se présenter seule sur un lot du fait de leur flotte restreinte de véhicules, les moyens requis pour chaque lot du marché ne justifiaient pas toujours autant d'entreprises dans un groupement unique, comme l'a bien montré le Conseil de la concurrence aux points 75 à 77 de sa décision; que par exemple la société Ponsaty a soumissionné pour le lot 5, requérant 58 véhicules, dans un groupement de transporteurs totalisant 248 véhicules mais n'y a finalement affecté aucun moyen, comme son confrère Jean Vaills ; que d'ailleurs ce dernier qui faisait partie de cinq groupements n'a affecté sa flotte qu'au lot 4; que la société Ponsaty faisait aussi partie du groupement constitué pour le lot 8 sur lequel le rapport entre parc requis (14) et parc total offert (169) s'est élevé de 1 à 12 ; qu'un tel surdimensionnement des groupements, sauf pour le lot n°7, ne peut pas s'expliquer uniquement par le fait que les entreprises se positionnaient en général sur plusieurs lots, mais révèle une volonté d'être présentes sur de multiples lots sans se concurrencer entre elles ;

Que de plus certaines entreprises locales qui auraient pu se présenter seules sur un lot ne l'ont pas fait parce que "ce n'était pas l'état d'esprit des transporteurs'' comme l'a déclaré le gérant de la société Cars Verts dans son audition du 19 mai 2005 citée au point 60 de la décision ; que le même a précisé qu'il ne s'est pas porté candidat sur le lot 8 à la demande des membres du GIE ;

Qu'enfin cette pratique s'est révélée comme un moyen de neutraliser des offres concurrentes, comme l'a retenu justement le Conseil de la concurrence dans les points 77 et 107 de sa décision ; que cet effet de la participation des entreprises à un groupement unique par lot est bien démontré par les éléments recueillis par le rapporteur ; qu'il a rappelé (§ 20 et suivants de son rapport) que sur les neuf lots composant le marché, l'UDSIST n'avait eu de propositions alternatives que d'entreprises ne possédant pas d'installations dans le département (Siberbus, Sadap, Progésud et Garreton) et se présentant seules ; que pourtant selon les déclarations, accompagnées de documents internes, faites aux enquêteurs par les directeurs de la "Corporation Française de Transport'' (CFT), déjà présente sur les transports urbains de Perpignan, et de sa société mère Siberbus, cette dernière société d'origine espagnole s'était efforcée de rechercher des partenaires afin de constituer des groupements, notamment pour les lots 1, 5, 4, 6 et 7 ; que les négociations, bien engagées jusqu'en avril 2002 notamment avec les sociétés Bombardo, Comas, et Llanas n'ont pas été menées à leur terme (PV du 18 mai 2005), les sociétés considérées étant entrées finalement dans les groupements de transporteurs locaux ;

Que selon les compte-rendus de réunions émanant de CFT, des pressions ont été exercées sur les "dissidents" notamment par Monsieur Bonnet, gérant de la société Transports Cerdans et président du GIE Carinter 66, pour les dissuader de se grouper avec Siberbus ; qu'au contraire l'attestation rédigée le 5 juin 2008 par Madame Comas et produite par la société Transports Cerdans dénie toute pression ;

Que néanmoins la lettre et les autres éléments décrits aux points 53 à 57 de la décision du Conseil rend crédibles les propos des directeurs de CFT sur l'hostilité manifestée par les membres du GIE et notamment la société Transports Cerdans quant à l'arrivée de concurrents extérieurs ;

Que s'agissant du lot n° 7, et contrairement à ce qu'elle soutient, la société Transports Cerdans avait un intérêt à la concertation du fait qu'elle n'était pas assurée de retrouver ses circuits antérieurs dans les zones montagneuses de Cerdagne et Capcir ; qu'en effet Siberbus était intéressée par le lot 7 en association avec des transporteurs déjà en place, comme le prouvent les éléments rappelés dans la notification de griefs n° 149 à 150 et aux points 68 à 71 de la décision du Conseil ;

Considérant que finalement la société Siberbus a présenté sa candidature sur 4 lots (2, 5,6 et 7) et sa filiale CFT sur le lot 9 ; qu'au deuxième tour leurs offres se sont trouvées moins-disantes que celles des groupements ; qu'en effet il était difficile aux sociétés extérieures au département de faire une offre compétitive sans s'associer aux entreprises locales possédant déjà des installations et une connaissance du terrain, surtout qu'il s'agit d'un département montagneux ; qu'il s'en déduit que la constitution de groupements rassemblant la quasi-totalité des transporteurs disposant d'implantations locales a entravé les possibilités pour les concurrents extérieurs de se grouper avec eux, et a ainsi asséché la concurrence potentielle dont les propositions se sont trouvées plus onéreuses ;

Qu'en définitive les indices précis et concordants relevés ci-dessus démontrent que la société Ponsaty et la société Transports Cerdans ont librement adhéré à des pratiques qui sont établies et qui ont conduit à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence entre entreprises ainsi qu'à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché lors de l'appel à la concurrence lancé en 2002 pour les transports scolaires des Pyrénées-Orientales;

Considérant que c'est donc à bon droit que le Conseil de la concurrence a retenu la participation consciente des sociétés Transports Cerdans et Ponsaty à une entente anticoncurrentielle par des échanges d'informations et une coordination des offres antérieurement à leur dépôt ;

- Sur les sanctions

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées par le présent titre ;

Que le plafond de la sanction pour une entreprise est de "10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours de l'un des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre" ;

Considérant tout d'abord que les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l'occasion d'appels d'offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles parce qu'elles portent atteinte conjointement aux intérêts de consommateur ou usager et du contribuable ;

Considérant que la société Ponsaty reproche au Conseil de la concurrence de ne pas avoir tenu compte des critères légaux et spécialement de l'inexpérience et de l'incompétence du maître de l'ouvrage qui étaient de nature à favoriser les pratiques, de la dénonciation des marchés au bout de deux ans et demi seulement, de l'absence de dommage à l'économie, enfin de la situation déficitaire de l'entreprise ;

Que la société Transports Cerdans fait valoir des moyens généraux similaires et ajoute que sa situation de petite entreprise indépendante au chiffre d'affaires de seulement 1 903 944 euro en 2007 n'a pas été prise en compte et que toutes les entreprises impliquées dans les groupements n'ont pas été sanctionnées mais seulement les mandataires de ceux-ci ;

Considérant que cependant le Conseil de la concurrence au point 115 de sa décision a pris en considération le comportement de l'UDSIST qui a pu faciliter la pratique anticoncurrentielle tout en relevant à juste titre l'absence de contrainte de nature à exonérer les entreprises de leur responsabilité ; qu'il a également tenu compte de la durée d'effet des pratiques, limitée à trois années scolaires (§ 122) ; que s'agissant du dommage à l'économie, et comme l'a exactement énoncé le Conseil, "une concurrence faussée par des ententes de répartition de marchés entraîne nécessairement une pression moindre sur les entreprises pour qu'elles fassent des efforts de prix" (§121) ; que le dommage à l'économie présente donc en l'espèce un caractère certain et non négligeable, sans qu'il soit nécessaire de se pencher sur le caractère raisonnable ou non des prix effectivement proposés par les groupements lors du second appel d'offres ;

Considérant que la société Ponsaty ne conteste pas que le chiffre d'affaires de référence pour déterminer le plafond de la sanction est celui de l'exercice 2005/2006, s'élevant à 2 384 012 euro, ce qui fixe le plafond à 238 401 euro ; qu'elle établit que ses résultats d'exploitation sont négatifs depuis 2005, qu'elle a subi une perte de 81 474 euro en 2008 et qu'elle est endettée ;

Qu'au regard des critères légaux et de ces éléments, la société Ponsaty, qui ne peut pas se prévaloir du niveau de sanction d'une autre entreprise (qui a participé seulement à 3 groupements) sanctionnée par la même décision, est mal fondée à estimer disproportionnée la sanction de 28 000 euro prononcée à son encontre par le Conseil de la concurrence ;

Considérant que s'agissant de la société Transports Cerdans, le Conseil a légitimement retenu le chiffre d'affaires de 2007 pour déterminer le plafond de la sanction qui s'établit donc à 190 400 euro ; que le sort réservé aux autres entreprises destinataires d'une notification de griefs n'est pas au nombre des critères à prendre en considération pour la sanction ; qu'en prononçant une sanction de 28 000 euro le Conseil a respecté l'exigence de proportionnalité de la sanction par rapport aux critères légaux ;

Qu'en définitive les recours ne sont pas fondés;

Par ces motifs, Rejette le recours formé par la société Transports Cerdans contre l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie rendue le 22 mars 2005 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Perpignan; Rejette les recours de la société Ponsaty et de la société Transports Cerdans contre la décision n° 09-D-03 rendue le 21 janvier 2009 par le Conseil de la concurrence et rejette toutes leurs demandes ; Condamne la société Ponsaty et la société Transports Cerdans aux dépens.