ADLC, 22 février 2010, n° 10-A-04
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
Relatif à une demande d'avis de l'Association pour le maintien de la concurrence sur les réseaux et infrastructures (AMCRI) sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation des aéroports français
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre en date du 10 juillet 2008 enregistrée le 11 juillet 2008 sous le numéro 08/0078 A, par laquelle l'Association pour le Maintien de la Concurrence sur les Réseaux et Infrastructures (AMCRI) a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce, d'une demande d'avis portant sur les problèmes de concurrence pouvant résulter d'une éventuelle privatisation des aéroports français ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu la directive 2009-12-CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires ; Vu la directive 2004-17-CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux ; Vu le Code de l'aviation civile ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; Vu l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics ; Vu la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports ; Vu le décret n° 2005-828 du 20 juillet 2005 relatif à la société Aéroports de Paris ; Vu le décret n° 2007-244 du 23 février 2007 relatif aux aérodromes appartenant à l'Etat et portant approbation du cahier des charges type applicable à la concession de ces aérodromes ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants de l'Association pour le Maintien de la Concurrence sur les Réseaux et Infrastructures (AMCRI) entendus au cours de la séance du 20 janvier 2010 ; Les représentants de la Direction Générale de l'Aviation Civile, de la société Aéroports de Paris, de la Fédération Nationale de l'Aviation Marchande et de l'Union des aéroports français entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte l'avis suivant :
1. Des réformes majeures ont été entreprises en 2004 et 2005 pour moderniser la gestion des aéroports français, qui se sont notamment traduites par la création de sociétés aéroportuaires, dont le capital a été partiellement ouvert aux investisseurs extérieurs.
2. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales a transféré la propriété des aéroports de l'Etat aux collectivités territoriales, à l'exception des aéroports parisiens gérés par Aéroports de Paris et des grands aéroports régionaux gérés par les chambres de commerce et d'industrie. La loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports (ci-après " loi du 20 avril 2005 ") a modifié le statut des grands aéroports dont la gestion n'avait pas été transférée aux collectivités territoriales, en les transformant en sociétés commerciales.
3. L'Association pour le maintien de la concurrence sur les Réseaux et Infrastructures (ci-après " AMCRI "), auteur de la présente demande d'avis, regroupe principalement des entreprises actives dans le bâtiment et les travaux publics, indépendantes des grands groupes du secteur que sont en France, Vinci, Eiffage et Bouygues. Cette association craint que la privatisation possible des sociétés gestionnaires d'aéroports, avec une prise de contrôle par des groupes présents dans les domaines des travaux publics et des services associés à l'exploitation des aéroports, ne conduise à un allégement des règles applicables à la passation de leurs marchés et, par suite, à une diminution sensible de la concurrence dans ces domaines. Elle redoute également que le système de régulation économique actuel ne permette pas, dans une telle hypothèse, de contrôler efficacement le tarif des services aéroportuaires.
4. L'AMCRI a saisi le Conseil de la concurrence des questions suivantes :
1°) La cession à des sociétés privées des participations majoritaires de l'Etat dans le capital de la SA ADP et des SAR sera-t-elle de nature à affaiblir la concurrence ? Cet affaiblissement sera-t-il plus important si les cessionnaires sont des entreprises de BTP ?
2°) Dans l'hypothèse où le capital de ces sociétés aéroportuaires deviendrait majoritairement privé, peut-on les considérer comme des entités adjudicatrices au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005 ?
3°) Si ces sociétés aéroportuaires privatisées ne sont pas des entités adjudicatrices, ne doivent-elles cependant pas y être assimilées, à l'instar des sociétés concessionnaires d'autoroutes privatisées en 2005 ?
4°) Quelle que soit la qualification retenue, quels sont les principes généraux selon lesquels il conviendrait d'organiser le cadre juridique dans lequel évolueront les sociétés privées gestionnaires d'aéroports afin de préserver la concurrence sur tous les marchés concernés et affectés, y compris les marchés aval et connexes ?
5°) Quels sont les principes généraux selon lesquels devront être attribués les marchés de travaux, de fournitures et de services par les sociétés aéroportuaires privatisées pour permettre une concurrence effective, au bénéfice des consommateurs (compagnies aériennes et utilisateurs individuels) sur les marchés du transport, des travaux et fournitures aéroportuaires et des services annexes offerts aux passagers et au public ?
6°) S'agissant plus particulièrement du marché des travaux de construction, de rénovation et d'entretien demandé par la société ADP privatisée, également susceptible d'intervenir, directement ou indirectement, comme offreur de ces prestations, comment la concurrence peut-elle être préservée sans imposer à l'exploitant ADP, à l'occasion de sa privatisation, le respect de règles similaires à celles qui pèsent sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes privatisées en 2005, à savoir : l'obligation de recourir systématiquement à la concurrence en termes de procédures claires, transparentes et non discriminatoires, mises en œuvre sous le contrôle de commissions d'attribution indépendantes ?
5. Par courrier complémentaire du 23 octobre 2009, l'AMCRI a souhaité compléter sa demande d'avis initiale en posant les questions suivantes :
7°) Les probables perturbations du jeu concurrentiel sont-elles de nature à provoquer une augmentation sensible du montant des redevances aéroportuaires et, partant sur les prix payés par le client final du transport aérien ?
8°) Compte tenu de l'importance et de la complexité des questions de concurrence soulevées par la privatisation du secteur aéroportuaire, une surveillance de celui-ci confiée à une Autorité de régulation indépendante constitue- t'elle une solution souhaitable ?
6. La saisine de l'AMCRI est recevable. Ses statuts, déposés en annexe à la saisine, disposent qu'elle a notamment pour objet " de favoriser, développer, promouvoir et mettre en œuvre toute action concourant à la préservation des intérêts professionnels, notamment en matière de concurrence, des entreprises indépendantes intervenant sur les marchés de fournitures, de services ou de travaux des réseaux et infrastructures ". Ils précisent que peut devenir membre toute personne morale appartenant au secteur des entreprises de travaux publics, classée dans la catégorie des entreprises indépendantes et remplissant certaines conditions. L'AMCRI constitue ainsi une organisation professionnelle visée à l'article L. 462-1 du Code de commerce. Par ailleurs, ses statuts prévoient que son président la représente en justice et dans tous les actes de la vie civile. Le Conseil de la concurrence a donc valablement été saisi par le courrier du président de l'AMCRI en date du 10 juillet 2008.
7. Les questions posées par la saisine sont proches de celles qui avaient été soumises à l'examen du Conseil de la concurrence à l'occasion de la privatisation des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) en 2005. Dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2002, le Conseil avait recommandé de préserver, après la privatisation de ces sociétés, des mécanismes de mise en concurrence proches de ceux de la commande publique. Il avait également préconisé des mesures visant à renforcer la transparence des coûts afin de permettre à l'Etat d'assurer efficacement sa mission de contrôle de l'exploitation des réseaux d'autoroutes, en qualité de concessionnaire et non plus d'actionnaire.
8. L'analyse pourra par ailleurs utilement être replacée dans la perspective plus générale des enjeux de la régulation publique des transports, alors même que le secteur ferroviaire français fait l'objet d'un processus graduel d'ouverture à la concurrence, assortie de la création d'une autorité de régulation indépendante par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires.
9. Le présent avis présentera tout d'abord le cadre institutionnel de l'exploitation des aéroports français (I). Il présentera les marchés concernés et les enjeux de concurrence liés à une éventuelle privatisation (II). Il exposera ensuite les règles de concurrence applicables pour la passation des marchés des gestionnaires d'aéroports (III), puis les modalités de la régulation publique du secteur aéroportuaire (IV). Enfin, l'avis émettra des recommandations relatives à ces différentes problématiques (V).
I. Présentation du régime de l'exploitation des aéroports
A. L'EVOLUTION DU CADRE INSTITUTIONNEL
10. Jusqu'aux réformes de 2004 et 2005, l'exploitation des aéroports français était assurée par les chambres de commerce et d'industrie (ci-après " CCI ") en vertu de concessions octroyées par l'Etat, suivant un régime défini notamment par la loi aéroportuaire du 20 juin 1933. Les aéroports parisiens étaient quant à eux concédés à un établissement public, Aéroports de Paris (ci-après " ADP "), en vertu de l'ordonnance du 24 octobre 1945.
1. La décentralisation des aéroports d'intérêt local
11. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 précitée a organisé le transfert aux collectivités territoriales ou à leurs groupements de la propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des aérodromes civils appartenant à l'Etat. Ce transfert est intervenu en 2007. Ont été exclus de ce transfert les aéroports d'intérêt national et international et les aérodromes nécessaires à l'exercice des missions de l'Etat, dont la liste a été fixée par le décret n° 2005-1070 du 24 août 2005 (1).
12. Les 150 aéroports décentralisés forment un ensemble hétérogène puisque certains accueillent plus d'un million de passagers par an alors que d'autres ne reçoivent que de l'aviation légère. Au total, seule une vingtaine de ces aéroports ont un trafic de plus de 100 000 passagers par an.
13. La décentralisation s'est effectuée sur la base des candidatures des collectivités territoriales intéressées : ainsi, 19 plates-formes ont été attribuées à des régions (seules ou en groupement), 29 à des départements, 61 à des communautés de communes ou à des syndicats intercommunaux et 41 à des communes.
2. La création de sociétés aéroportuaires
14. Le statut des gestionnaires des grands aéroports a par ailleurs été aligné avec celui des sociétés commerciales.
15. La loi du 20 avril 2005 transforme l'établissement public ADP en société anonyme. Son article 1er prévoit ainsi que : " L'établissement public Aéroports de Paris est transformé en société anonyme. Cette transformation n'emporte ni création d'une personne morale nouvelle, ni conséquence sur le régime juridique auquel sont soumis les personnels ".
16. L'Etat a concédé à la SA ADP l'exclusivité de l'exploitation des plates-formes aéroportuaires parisiennes existantes sans limitation de durée. Les biens compris dans le domaine public de l'établissement public ADP et dans celui que l'Etat avait mis à sa disposition ont été transférés à la nouvelle société (2).
17. L'article 7 de la loi du 20 avril 2005 prévoit la création de sociétés aéroportuaires régionales (ci-après " SAR "), avec un capital initial détenu entièrement par des personnes publiques, et auxquelles les concessions aéroportuaires sont transférées à l'initiative des CCI concernées. Les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements peuvent prendre des participations dans ces sociétés.
18. Les trois premières SAR ont vu le jour en 2007 : Aéroports de Lyon et Aéroports de Toulouse-Blagnac en mars 2007 et Aéroport de Bordeaux-Mérignac en mai 2007. Elles ont été rejointes en juin 2008 par la SA Aéroports de la Côte d'Azur (qui regroupe les aéroports de Nice et de Cannes-Mandelieu) et en juin 2009 par la SA Montpellier-Méditerranée.
B. L'HYPOTHESE D'UNE PRIVATISATION DU CAPITAL DES SOCIETES CONCESSIONNAIRES D'AEROPORTS
19. L'AMCRI fait valoir que l'évolution du statut juridique des aéroports pourrait être suivie d'une privatisation de leur capital à plus ou moins longue échéance.
1. L'ouverture du capital des sociétés aéroportuaires aux investisseurs privés
20. La transformation des gestionnaires d'aéroports en sociétés commerciales permet l'ouverture de leur capital à des investisseurs extérieurs afin de faciliter le financement des investissements dans les infrastructures aéroportuaires. Pour ADP, le changement de statut s'explique également par la volonté de dépasser les limites imposées à l'établissement public par le principe de spécialité, qui entravait la diversification et le développement de ses activités hors de la zone géographique de l'Ile-de-France.
21. L'ouverture du secteur aux capitaux privés s'est du reste généralisée en Europe, accompagnée de la commercialisation du savoir-faire des grands opérateurs et leurs prises de participation dans des sociétés de gestion aéroportuaire étrangères. ADP a ainsi développé à l'international des activités d'architecture et d'ingénierie par le biais de sa filiale ADPI, ainsi que des activités de gestion d'aéroports par le biais de sa filiale ADP Management.
22. Mais à l'exception de British Airport Authority, privatisé par l'Airports Act du 8 juillet 1986, puis racheté en 2006 par le groupe espagnol Ferrovial, les ouvertures de capital sont restées partielles, comme par exemple à Vienne (27 % en 1992), Copenhague (25 % en 1994), Athènes (45 % en 1996), Rome (45,5 %), Zurich (50 % en 2000) ou Francfort (29 % en 2001).
2. Le scénario d'une prise de contrôle par un actionnariat majoritairement privé
a) Aéroports de Paris (ADP)
23. La loi du 20 avril 2005 dispose en son article 5 que le " capital initial de la société Aéroports de Paris est détenu intégralement par l'Etat. ". Elle autorise l'ouverture du capital aux participations privées. Au 30 juin 2009, le capital d'ADP était réparti comme suit : Etat : 52,4 % et Fonds stratégique d'investissement : 8 % soit 60,4 % d'actionnariat public ; salariés : 1,9 % ; Schiphol Group 8 % ; investisseurs institutionnels : 21 % ; particuliers : 8,7 %.
24. L'AMCRI redoute une prise de contrôle d'ADP par des capitaux majoritairement privés. Elle fait valoir que certains acteurs du secteur des bâtiments et travaux publics, dont le groupe Vinci, qui détient aujourd'hui 3,3 % du capital d'ADP, n'ont pas caché leur ambition d'accroître leur participation en cas de privatisation de cette société.
25. L'article L. 251-1, al. 2 du Code de l'aviation civile, issu de l'article 6 de la loi du 20 avril 2005, prévoit toutefois que la majorité du capital d'ADP est détenue par l'Etat. Le passage à un actionnariat majoritairement privé nécessiterait donc l'intervention du législateur (3). Si ce changement est envisageable, il reste aujourd'hui purement hypothétique, l'ouverture du capital souhaitée par le gouvernement ayant seulement pour but, aux termes de l'exposé des motifs de la loi précitée, " de permettre à l'entreprise de poursuivre son développement et de financer son important programme d'investissements ", le principe de la détention par l'Etat de la majorité du capital d'ADP étant justifié par " l'importance des missions assurées par l'entreprise pour l'attractivité et l'aménagement du territoire et le développement du transport aérien ".
b) Les Sociétés Aéroportuaires Régionales
26. La loi du 20 avril 2005 prévoit que le capital initial des SAR est détenu entièrement par des personnes publiques. Lors du débat parlementaire, le ministre chargé des transports avait indiqué que les participations des CCI et des collectivités territoriales devraient atteindre respectivement 25 % et 15 %, l'Etat conservant 60 % du capital des sociétés. La répartition du capital des SAR créées depuis 2007 est conforme à cette pondération.
27. En revanche, la loi reste muette sur la pérennité d'un actionnariat public majoritaire. Dans son rapport public thématique de juillet 2008, Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, la Cour des comptes indique que l'Etat a pris l'engagement informel de maintenir un actionnariat majoritairement public jusqu'à la fin de l'année 2013 dans une lettre du Premier ministre adressée à l'Union des aéroports français. Par la suite, aucune disposition législative ne s'opposera à une prise de contrôle des SAR par des capitaux privés.
c) Les aéroports décentralisés
28. Une quinzaine de ces aéroports ont été délégués à des sociétés privées (Vinci, Kéolis, Véolia Transport et SNC Lavallin). Le groupe Vinci détient ainsi 99 % du capital des sociétés d'exploitation des aéroports de Grenoble-Isère, Chambéry-Savoie, Clermont-Ferrand-Auvergne et Quimper-Cornouaille.
II. Economie générale du secteur aéroportuaire en France
A. LE JEU LIMITE DE LA CONCURRENCE DANS LE SECTEUR AEROPORTUAIRE
1. La concurrence entre aéroports
29. La concurrence entre les aéroports peut prendre trois formes : la concurrence entre aéroports dont les zones d'attraction se superposent, qui concerne plutôt les aéroports régionaux ; la concurrence entre " hubs ", c'est-à-dire entre les aéroports qui jouent le rôle de plaque tournante pour les passagers en correspondance, qui, en France, concerne plutôt ADP ; et la concurrence existant sur le marché du trafic cargo.
30. Au niveau national, on observe une certaine concentration des infrastructures aéroportuaires dans certaines régions : tel est le cas de la région lyonnaise avec les aéroports de Lyon St-Exupéry et de St-Etienne Bouthéon, ou du triangle Caen/Rouen/Le Havre avec quatre aéroports distants d'au plus 130 km. Ces aéroports visant la même zone de clientèle, ils sont substituables entre eux.
31. Les gestionnaires des aéroports régionaux sont également en concurrence pour attirer les compagnies aériennes à bas coût, dont le trafic est passé de 5,2 millions à 21 millions de passagers entre 2002 et 2007. Cette concurrence, souvent coûteuse pour les gestionnaires, car les compagnies aériennes peuvent interrompre brutalement leurs lignes sans contrepartie, est aujourd'hui limitée en pratique par l'encadrement des aides publiques qui accompagnaient l'implantation de ces compagnies (4).
32. En ce qui concerne les aéroports d'Ile-de-France, s'il existe deux aéroports, Orly et Roissy-Charles de Gaulle, ceux-ci ont le même exploitant et sont organisés aujourd'hui comme des services complémentaires. Il n'existe donc pas de concurrence entre ces deux aéroports. Par ailleurs, on n'observe pas de concurrence entre les aéroports parisiens et les aéroports régionaux pour le trafic international : 87,1 millions de passagers par an transitent par ADP, soit plus de 60 % du trafic des aéroports français.
33. Au niveau européen, la concurrence reste limitée entre les aéroports : même s'il existe une certaine concurrence entre le " hub " de Paris et d'autres " hubs " tels que Londres Heathrow, Francfort ou Amsterdam Schiphol, chaque " hub " est celui d'une compagnie aérienne. Ainsi, le " hub " de Paris est celui d'Air France-KLM, de même que celui de Londres Heathrow est celui de British Airways.
34. Par ailleurs, la concurrence entre les " hubs " porte surtout sur la capacité des aéroports à organiser un maximum de correspondances en un minimum de temps et sur la qualité des infrastructures et des services rendus, et non sur les prix.
35. Dans l'affaire Aéroports de Paris/Commission relative à l'accès aux installations aéroportuaires d'ADP pour la fourniture de services en escale, le Tribunal de première instance des communautés européennes a ainsi considéré que " pour la plupart des passagers au départ et à destination de la région parisienne ou d'autres régions françaises, les services aériens utilisant les aéroports d'Orly et de Roissy-CDG ne sont pas interchangeables avec les services offerts dans d'autres aéroports " et que " la concurrence entre aéroports n'est importante que dans la mesure où ils représentent un point de correspondance pour d'autres destinations " (arrêt du 12 décembre 2000, T-128-98, II. 3929).
36. Les grandes compagnies aériennes sont le plus souvent des clients captifs de leur " hub " et ne sont pas en mesure de faire jouer la concurrence sur les tarifs des redevances aéroportuaires. Changer de " hub " représente en effet un coût considérable pour une compagnie aérienne. Du fait des alliances entre compagnies aériennes, les compagnies extérieures sont également contraintes dans leur arbitrage entre les différentes plates-formes européennes pour assurer leurs transferts. Ainsi, malgré sa puissance d'achat (5), Air France n'est pas en mesure de contrebalancer le pouvoir de marché d'ADP. 75 % du trafic passager d'ADP est constitué d'un trafic point à point (contre 25 % en correspondance), soit deux fois plus qu'à Francfort, Madrid ou Amsterdam, ce qui diminue la dépendance d'ADP face à Air France et aux contraintes du " hub ", alors que la réciproque est fausse. L'alliance Skyteam, dont Air France est membre, a toutefois obtenu d'ADP de bonnes conditions autres que tarifaires, comme l'utilisation d'un terminal dédié.
37. C'est sur le marché du trafic cargo que la concurrence entre les aéroports européens est la plus importante, compte tenu de la réactivité du secteur aux tarifs pratiqués par les aéroports. Cette concurrence est principalement liée à des critères autres que celui du prix, notamment les conditions en termes d'accessibilité, d'interopérabilité et de capacités de stockage.
2. La concurrence intermodale
38. L'activité de transport aérien est par ailleurs soumise à une concurrence intermodale pour certains usagers et certains trajets.
39. C'est avec le TGV que la concurrence intermodale est la plus significative. L'incidence de la mise en service d'une ligne à grande vitesse (LGV) sur le transport aérien est réelle. Selon le rapport thématique de la Cour des comptes de juillet 2008 précité, la perte de trafic en cas d'ouverture de LGV est la suivante : 80 % pour les trajets de 1 heure 30 minutes en TGV, 50 % pour les trajets de 2 heures 30 minutes, 25 % pour les trajets de 4 heures et 10 % pour les trajets de 7 heures (6). L'extension du réseau TGV pourrait provoquer un report de trafic de l'avion vers le train évalué à 17 millions de passagers par an en 2030 pour les aéroports de Paris.
40. La substituabilité observée entre l'avion et le train pour les trajets de courte distance n'exclut pas dans certains cas une complémentarité entre les deux types de transports.
41. Il résulte de ce qui précède que les concessionnaires des infrastructures aéroportuaires sont le plus souvent en situation de monopole à l'égard des usagers, ce qui justifie la régulation par une autorité publique du prix de la mise à disposition de ces infrastructures, c'est-à-dire des redevances aéroportuaires.
42. Les Etats qui ont choisi de privatiser leur secteur aéroportuaire n'ont d'ailleurs pas pour autant supprimé toute forme de régulation tarifaire. Ainsi, au Royaume-Uni, la réforme de l'organisation du secteur aéroportuaire issue de l'Airports Act du 8 juillet 1986 a attribué à la Civil Aviation Authority (Autorité de l'aviation civile) la régulation du secteur avec deux pôles de compétences : la régulation tarifaire ainsi que la surveillance des atteintes à l'intérêt public.
43. A contrario, d'autres Etats, comme le Canada, tout en gardant un secteur aéroportuaire à capitaux publics, n'ont pas mis en place de contrôle externe des tarifs des redevances aéronautiques. De même, la Nouvelle-Zélande n'a pas mis en place de régulation tarifaire après la privatisation de ses aéroports.
B. LES MARCHES CONCERNES
44. Plusieurs marchés peuvent être distingués, sur lesquels les gestionnaires d'aéroports apparaissent tantôt comme des demandeurs, tantôt comme des offreurs.
1. Les marchés amont
45. Les marchés amont concernent principalement des marchés de travaux de construction et d'entretien des infrastructures présentes sur les plates-formes aéroportuaires ainsi que des marchés de fourniture d'équipements. Sur ces marchés, la demande est celle des exploitants d'aéroports et l'offre, celle des entreprises de travaux publics ou d'équipements.
46. Le programme d'investissement d'ADP témoigne de l'importance des marchés concernés. Le contrat de régulation économique d'ADP pour la période 2006-2010 prévoit ainsi un programme d'investissement de 2 519 millions d'euro, soit 1 087 millions d'euro pour les investissements de capacité relatifs aux installations passagers, 238 millions d'euro pour les investissements de restructuration lourde des terminaux, 185 millions d'euro pour les investissements de développement immobilier, 731 millions d'euro pour les investissements courants, 243 millions d'euro pour frais d'études et de surveillance des travaux. Le montant du programme d'investissement prévu par le groupe pour le deuxième contrat de régulation économique pour la période 2011-2015 s'élève à 2 367 millions d'euro.
47. Le montant des marchés passés par les SAR est bien moindre. Les investissements les plus importants concernent les aérogares (et notamment celles qui sont destinées aux compagnies aériennes à bas coût) et les pistes. Une fois les infrastructures réalisées, les travaux d'entretien restent limités. Ainsi, pour 2008, l'ensemble des investissements prévus pour les grands aéroports métropolitains (hors ADP) s'élevait à 171 millions d'euro (dont 48 millions d'euro pour Nice, 29 millions d'euro pour Lyon, 12 millions d'euro pour Marseille et 55 millions d'euro pour Toulouse). Pour 2009, les programmes d'investissements s'élèvent à 236 millions d'euro (dont 60 millions d'euro pour Nice, 28 millions d'euro pour Lyon, 15 millions d'euro pour Marseille, 64 millions d'euro pour Toulouse et 22 millions d'euro pour Beauvais).
48. En ce qui concerne les marchés amont de travaux de construction et d'entretien des infrastructures aéroportuaires, la question posée par la saisine est celle du risque d'atteinte à la concurrence dans l'hypothèse d'une prise de contrôle des sociétés aéroportuaires par des groupes comptant en leur sein une entreprise de travaux publics, avec pour conséquence un risque d'éviction des entreprises de travaux publics concurrentes et un renchérissement de ces travaux.
49. L'intégration verticale entre un gestionnaire d'aéroport et une entreprise de travaux publics peut avoir un double effet. Elle peut entraîner un gain d'efficacité lié à la suppression de la double marge qui serait facturée par des entreprises non intégrées. Mais l'intégration verticale peut aussi conduire à l'augmentation des coûts des travaux du fait d'une absence de mise en concurrence. Ce risque est d'autant plus important que la régulation des redevances aéroportuaires permet au gestionnaire de répercuter intégralement la hausse des coûts sur ces redevances : l'entreprise intégrée serait alors incitée à augmenter artificiellement le prix proposé par l'entreprise de travaux publics, permettant ainsi à cette dernière de se constituer une rente injustifiée.
50. Les enjeux d'une éventuelle privatisation des sociétés aéroportuaires pour la mise en concurrence de leurs marchés amont de travaux sont donc en partie similaires aux enjeux liés à la privatisation des sociétés d'autoroutes analysés par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 précité.
2. Les marchés aval
51. Les marchés aval liés à l'exploitation des aéroports correspondent aux services rendus sur les aéroports aux compagnies aériennes et à leur clientèle.
52. L'importance des marchés concernés est liée à la croissance continue du trafic de passagers et à une stratégie de développement des activités commerciales au sein des aéroports. A titre d'exemple, ADP compte plus de 48 000 m² de surfaces commerciales à destination des passagers, mais également près de 725 000 m² de surfaces d'immobilier et 535 hectares de terrains qui sont loués à des tiers. Restent en outre 362 hectares de terrains encore disponibles pour le développement immobilier (cf. Rapport d'activité et de développement durable d'ADP pour 2008).
a) Les marchés de services rendus aux compagnies aériennes
53. Sur ces marchés, la demande est celle des compagnies aériennes et l'offre celle des exploitants d'aéroports.
54. La Commission européenne a distingué deux types de services rendus : d'une part, les services d'utilisation de l'infrastructure aéroportuaire, et d'autre part, les services d'assistance en escale (voir en ce sens la décision de la Commission du 14 janvier 1998, Flughafen Frankfurt/Main AG (FAG), JOCE, L. 72 11 mars 1998).
55. La mise à disposition des installations aéroportuaires représente une activité de service public. Elle recouvre, selon la définition de l'article R. 224-1 du Code de l'aviation civile, les " services rendus aux exploitants d'aéronefs et à leurs prestataires de service à l'occasion de l'usage de terrains, d'infrastructures, d'installations, de locaux et d'équipements aéroportuaires fournis par l'exploitant d'aérodrome, dans la mesure où cet usage est directement nécessaire, sur l'aérodrome, à l'exploitation des aéronefs ou à celle d'un service de transport aérien ". Le prix de ces services n'est pas librement fixé par l'exploitant mais établi par le biais de redevances réglementées par les pouvoirs publics.
56. Les services d'assistance en escale " recouvrent l'ensemble des services qui sont nécessaires pour un avion de ligne entre son arrivée sur un aéroport et son départ " (Conseil de la concurrence, avis n° 97-A-13 et n° 97-A-24). Ils comprennent les prestations rendues sur les pistes, soumises à des contraintes importantes de sécurité et de limitation de l'espace (maintenance, avitaillement, guidage, transport du fret ) et les prestations rendues dans les aérogares (contrôle des billets, enregistrement, traitement des bagages ). A la différence des services de mise à disposition des infrastructures aéroportuaires, les services d'assistance en escale peuvent être offerts par d'autres prestataires que l'exploitant de l'aéroport. L'assistance en escale est un marché concurrentiel, dont le fonctionnement est encadré par la directive n° 96-67-CE du Conseil du 15 octobre 1996 relatif à l'accès au marché de l'assistance en escale dans les aéroports de la Communauté. Cette directive a eu pour but de supprimer les restrictions à la libre prestation de services sur ce marché par le recours à des procédures de sélection des prestataires transparentes et impartiales. Ces marchés font l'objet d'appels d'offres de la part des compagnies aériennes.
b) Les marchés de services rendus aux passagers et autres clients de l'aéroport
57. Sur ces marchés, la demande est celle des voyageurs ou d'autres clients et l'offre, celle des exploitants commerciaux.
58. La gestion des emplacements commerciaux peut s'effectuer par exploitation directe, par l'intermédiaire d'une filiale, ou sous la forme de concessions commerciales. Ainsi, ADP gère directement l'activité de parkings. En revanche, l'exploitation des espaces commerciaux est effectuée soit par le biais de ses filiales, Société de Distribution Aéroportuaire et Duty Free Paris, soit par le biais de concessions commerciales. Le gestionnaire d'aéroport perçoit alors une redevance exprimée en pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le concessionnaire, dont le taux est variable en fonction de l'activité considérée et de l'emplacement des commerces.
59. Si les prix sont libres sur ces marchés, ils sont aujourd'hui toutefois implicitement corrélés au montant des redevances aéroportuaires en raison du système de régulation de la " caisse unique " en vertu duquel le montant des redevances est déterminé en fonction des charges aéronautiques et des revenus extra-aéronautiques des exploitants (voir infra IV. A. 1.)
c) Les marchés de services rendus aux entreprises présentes sur les aéroports
60. Sur ces marchés, la demande est celle des entreprises de services présentes sur les aéroports et l'offre, celle des exploitants commerciaux.
61. De nombreuses entreprises sont implantées sur les sites aéroportuaires : elles sont au nombre de 1 100 sur Aéroports de Paris, dont 750 à Roissy, 290 à Orly et 60 au Bourget. L'offre fournie par les gestionnaires d'aéroports à ces entreprises est constituée par une offre immobilière (location de terrains ou d'immeubles), des facilités de communications et des prestations industrielles (fourniture d'électricité, d'eau ). La filiale d'ADP, Roissy Sogaris, gère un centre de logistique de fret aérien qui comprend un parc locatif de 9 400 m² de bureaux et de 32 900 m² d'entrepôts.
62. Sur les marchés aval des services de fourniture d'infrastructures aéroportuaires aux compagnies aériennes, la privatisation des exploitants d'aéroports est indissociable de la question de la régulation d'un monopole privé. L'éventuelle privatisation d'ADP et des SAR ne paraît en effet pas de nature à modifier la situation concurrentielle existante entre les aéroports. Cette faible pression concurrentielle sera vraisemblablement insuffisante pour inciter les exploitants à rechercher une tarification efficiente des services de mise à disposition de leurs infrastructures aéroportuaires aux usagers. Placées en situation de monopole de fait, les sociétés d'exploitation aéroportuaire devraient donc continuer à être soumises à une régulation de leurs tarifs par une autorité publique.
63. Sur les marchés aval de l'assistance en escale et des services rendus aux passagers et aux entreprises, qui constituent des marchés concurrentiels, la privatisation éventuelle des gestionnaires d'aéroports ne devrait pas avoir d'effet concurrentiel significatif. Toutefois, un risque d'atteinte à la concurrence existe au stade de l'attribution des concessions commerciales par l'exploitant. Dans le cas d'une privatisation doublée de l'intégration verticale entre le gestionnaire d'aéroport et un groupe comptant en son sein une entreprise présente dans les activités de services aéroportuaires, les risques d'atteinte à la concurrence sont symétriques à ceux qui existent sur les marchés amont.
III. Les règles de mise en concurrence applicables aux gestionnaires d'aéroports pour la passation de leurs marchés
A. LE DROIT APPLICABLE
1. Les obligations de mise en concurrence applicables aux concessionnaires d'aéroports
64. Les gestionnaires d'aéroports dont le capital est majoritairement public sont soumis à des règles spécifiques de publicité et de mise en concurrence lors de la passation de leurs marchés prévues par la directive 2004-17, l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 prise pour sa transposition et le Code des marchés publics.
a) Le droit communautaire
65. Les marchés passés dans certains secteurs, qualifiés de spéciaux sont soumis à des règles particulières de publicité et de mise en concurrence dans le cadre de la directive 2004-17-CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux. Ces secteurs, auparavant exclus de toute obligation de mise en concurrence, correspondent à des services publics industriels et commerciaux liés à l'exploitation de réseaux.
66. En l'espèce, la gestion et l'exploitation d'un aérodrome civil constitue une activité entrant dans le champ d'application de la directive 2004-17. L'article 7 b de la directive prévoit en effet que " La présente directive s'applique aux activités relatives à l'exploitation d'une aire géographique dans le but : ( ) b) de mettre à disposition des transporteurs aériens, maritimes ou fluviaux, des aéroports, des ports maritimes ou intérieurs ou d'autres terminaux de transport ".
67. Aux termes de son article 2, la directive 2004-17 s'applique aux entités adjudicatrices exerçant une activité entrant dans son champ d'application, qui comprennent les trois catégories suivantes :
- les pouvoirs adjudicateurs, à savoir l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public ;
- les entreprises publiques ;
- les entités qui ne relèvent pas des deux catégories précédentes mais qui bénéficient de droits spéciaux ou exclusifs délivrés par une autorité compétente d'un État membre.
68. La possibilité de soumettre à des procédures de mise en concurrence des entreprises détenues par des intérêts purement privés constitue une spécificité notable de la réglementation des marchés passés dans les secteurs spéciaux, justifiée par le fait que les détenteurs des droits spéciaux ou exclusifs sont en situation de monopole sur le réseau ou l'infrastructure non reproductible qu'ils exploitent dans le cadre d'une mission de service public.
69. Compte tenu de l'actionnariat majoritairement public d'ADP et des SAR, ces sociétés sont des entités adjudicatrices soumises aux règles de mise en concurrence prévues par la directive. Le Conseil d'Etat statuant en référé (CE, 3 juin 2009, n° 323594, Société Aéroports de Paris) a ainsi qualifié ADP, du fait de sa qualité d'entreprise publique, d'entité adjudicatrice au sens de l'article 4 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, qui transpose exactement l'article 2 de la directive 2004-17.
70. La directive impose aux entités adjudicatrices d'organiser une mise en concurrence pour l'attribution de leurs marchés de travaux d'un montant supérieur à 6 242 000 euro HT et de leurs marchés de fournitures et de services d'un montant supérieur à 499 000 euro HT. Son article 55 précise les critères d'attribution des marchés, qui doivent être octroyés soit à l'offre économiquement la plus avantageuse, en se fondant sur divers critères liés à l'objet du marché, tels par exemple que le coût d'utilisation, la rentabilité, la qualité ou la valeur technique, soit à l'offre proposant le prix le plus bas.
b) Le droit national
71. En France, la directive 2004-17 a été transposée pour partie dans le Code des marchés publics, et pour partie par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics (ci-après " ordonnance du 6 juin 2005 ").
72. Les aéroports décentralisés gérés par les CCI, établissements publics administratifs, et par les collectivités territoriales sont soumis au Code des marchés publics. Les sociétés gestionnaires d'aérodromes à capitaux publics sont soumises, en tant qu'entités adjudicatrices, aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par l'ordonnance du 6 juin 2005.
73. Le régime issu de l'ordonnance du 6 juin 2005 et de son décret d'application n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 reprend d'une manière générale les obligations issues de la directive 2004-17, notamment en ce qui concerne les critères d'attribution des marchés, tout en imposant des seuils de mise en concurrence inférieurs aux seuils communautaires. Les seuils de mise en concurrence sont ainsi fixés au 1er janvier 2010 à 4 845 000 euro HT pour les marchés de travaux et à 387 000 euro HT pour les marchés de fournitures et de services. En dessous de ces seuils, les marchés sont passés selon des modalités librement définies par l'entité adjudicatrice.
2. Les exceptions aux obligations de mise en concurrence
74. Les marchés conclus avec des entreprises liées et les concessions commerciales accordées par les gestionnaires d'aéroports échappent aux règles spéciales de mise en concurrence précédemment exposées.
a) Les marchés conclus avec des entreprises liées
75. La directive 2004-17, l'ordonnance du 6 juin 2005, et le Code des marchés publics prévoient que les entités adjudicatrices ne sont pas tenues de recourir aux procédures de mise en concurrence lorsque les marchés sont conclus avec une " entreprise liée ".
76. En vertu de l'article 23 § 1 de la directive et du III de l'article 29 de l'ordonnance du 6 juin 2005, une " entreprise liée " est une entreprise " dont les comptes annuels sont consolidés avec ceux de l'entité adjudicatrice " ou une " entreprise sur laquelle l'entité adjudicatrice peut exercer, directement ou indirectement, une influence dominante, ou qui peut exercer une influence dominante sur l'entité adjudicatrice ou qui, comme l'entité adjudicatrice, est soumise à l'influence dominante d'une autre entreprise du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent ". Les entreprises liées doivent réaliser l'essentiel de leur activité (80 %) en faveur des entités adjudicatrices pour pouvoir bénéficier de l'exemption.
77. Conscient des risques d'atteinte à la concurrence résultant de cette exemption, l'Etat a choisi d'imposer par la voie contractuelle une mise en concurrence des marchés conclus par les SAR avec les entreprises qui leur sont liées. Le cahier des charges type applicable aux SAR, approuvé par décret n° 2007-244 du 23 février 2007 prévoit ainsi dans son article 62 que : " les marchés de travaux du concessionnaire sont soumis aux procédures de publicité et de mise en concurrence prévues par l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, même dans les cas où ils sont passés avec une entreprise liée au sens de l'article 29 de cette même ordonnance ".
78. Ce régime, plus protecteur pour la concurrence que les prescriptions de la directive et de l'ordonnance, s'appliquera à d'autres gestionnaires d'aérodromes. Le décret n° 2007-244 précité prévoit l'application de ce cahier des charges " à toute concession accordée ou renouvelée par l'Etat à compter [du 1er janvier 2009] sur un aérodrome lui appartenant, en application de l'article R. 223-2 du Code de l'aviation civile ", ce qui concerne les concessions accordées par l'Etat sur les aérodromes qui demeurent sa propriété.
79. Ces règles plus strictes comportent toutefois des réserves, puisqu'elles ne s'appliquent qu'aux seuls marchés de travaux conclus entre les SAR et des entreprises liées, à l'exception de leurs marchés de fournitures ou de services.
80. Par ailleurs, les marchés conclus par ADP et par les aéroports décentralisés avec des entreprises liées ne sont pas soumis à cette obligation de mise en concurrence. Il en est de même des marchés qui seront conclus par le futur gestionnaire de l'aéroport de Notre Dame des Landes, aéroport de la région du Grand Ouest qui remplacera l'aéroport de Nantes, et dont le contrat de concession devrait être signé en 2010. En effet, selon les indications de la Direction générale de l'aviation civile, le cahier des charges type applicable aux SAR ne s'appliquera pas à ce nouvel aéroport.
b) Les concessions de travaux et de services
81. Les concessions de travaux et de services échappent au champ d'application de la directive communautaire 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005, lesquelles ne concernent que les marchés.
82. Les concessions de travaux relèvent de la directive 93-37 du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, qui prévoit uniquement une mesure de publicité pour les concessions dont la valeur dépasse un certain seuil. Les concessions d'exploitation d'aéroport entrent en principe dans le champ d'application de cette directive, dès lors qu'elles recouvrent en général la prise en charge des travaux requis par le fonctionnement et le développement de l'infrastructure. La Commission a d'ailleurs rappelé dans ses lignes directrices publiées en 2005 (JOUE, C 312, 9 décembre 2005) que les conventions d'exploitation d'aéroport, qu'elles soient qualifiées de conventions de travaux ou de conventions de services, doivent être attribuées " dans le cadre d'une procédure d'adjudication transparente, non discriminatoire et assurant l'égalité de traitement des candidats potentiels qui permettra une ouverture de ce marché à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication ".
83. Les cahiers des charges d'ADP et des SAR restreignent de manière stricte toute forme de subdélégation des concessions d'exploitation des aéroports. S'agissant d'ADP, elle n'est possible que par décret. S'agissant des SAR, l'article 89 du cahier des charges type prévoit que " toute cession partielle ou totale de la concession ( ) ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une autorisation préalable du ministre ( ) Toute opération entraînant un changement de contrôle du concessionnaire vaut ( ) cession du contrat de concession ".
84. Les concessions de services et notamment celles des espaces commerciaux relèvent du droit commun et ne sont soumises, en vertu de la jurisprudence communautaire, qu'à une obligation de transparence et de non discrimination (CJCE, arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria, C-324-98, Rec. p. I-10745). L'autorité publique concédante doit " garantir en faveur de tout soumissionnaire potentiel un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication ". Ce principe a été régulièrement confirmé depuis (voir notamment CJCE, arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen GMBH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen Ag, C-458-03, s'agissant de l'attribution d'une concession de parking).
85. Pour ce qui concerne les SAR, l'attribution des espaces commerciaux est régie par les règles de la domanialité publique. La délivrance d'autorisations d'occupation temporaire du domaine public n'est soumise qu'aux seules obligations de publicité issues de la jurisprudence Telaustria (voir en ce sens l'avis du Conseil de la concurrence n° 04-A-19 du 21 octobre 2004, Occupation du domaine public pour la distribution de journaux gratuits).
86. Conscient qu'une telle obligation ne présentait pas une garantie satisfaisante, l'Etat a imposé aux exploitants un régime plus protecteur de la concurrence dans le cadre des contrats de concession. L'article 11 du cahier des charges des SAR dispose que : " Sauf accord préalable du directeur de l'aviation civile ( ) les autorisations d'occupation sont délivrées à l'issue d'une procédure permettant une mise en concurrence effective. Les autorisations sont attribuées aux candidats présentant les offres économiquement les plus avantageuses pour la concession, selon des critères définis par le concessionnaire et communiqués aux pétitionnaires ".
87. Pour ce qui concerne ADP, l'attribution des espaces commerciaux n'est pas régie par les règles de la domanialité publique du fait du transfert de la propriété du patrimoine aéroportuaire à ADP par la loi du 20 avril 2005. Les baux portant sur les emplacements commerciaux sont donc des baux civils. La loi a toutefois prévu certains verrous qui interdisent d'assimiler la gestion de cet aéroport à une gestion commerciale ordinaire. Ainsi, l'article L. 251-3 du Code de l'aviation civile interdit la conclusion de baux commerciaux sur les dépendances du domaine aéroportuaire qui sont nécessaires à la bonne exécution par la société de ses missions de service public ou au développement de celles-ci.
88. Dans sa décision n° 08-D-05 du 27 mars 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des domaines sous douane des aéroports parisiens, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 juillet 2008 et par l'arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2009, le Conseil de la concurrence a indiqué que l'attribution de surfaces commerciales par ADP s'analyse comme un dispositif de concession d'activité et non de location de surfaces, dès lors qu'il est effectué en contrepartie d'un intéressement au chiffre d'affaires. Ces concessions d'activité relèvent des principes posés par le juge communautaire dans l'arrêt Telaustria précité, c'est-à-dire de la mise en œuvre d'une obligation de publicité.
89. Mais le simple respect d'une obligation de publicité préalable reste minimale et n'équivaut pas à la mise en œuvre d'une procédure de mise en concurrence.
B. L'ALLEGEMENT DES OBLIGATIONS DE MISE EN CONCURRENCE EN CAS DE PRIVATISATION DES SOCIETES AEROPORTUAIRES
90. Au vu de ce qui précède, les risques engendrés par une éventuelle privatisation du capital des aéroports pourraient résulter de la perte du statut d'entité adjudicatrice au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005, qui détermine la soumission des marchés aux règles de mise en concurrence, et de l'absence de garanties de concurrence suffisantes pour l'attribution des marchés conclus avec des entreprises liées ou des concessions commerciales.
1. Le statut d'entité adjudicatrice
a) ADP et les sociétés aéroportuaires régionales
91. Dans l'hypothèse d'une privatisation de son capital, qui nécessiterait, ainsi qu'il a été dit, l'intervention du législateur, ADP ne serait plus ni un pouvoir adjudicateur ni une entreprise publique au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005. Il en est de même pour les SAR.
92. Comme mentionné supra (point 67), ces textes qualifient toutefois d'entités adjudicatrices soumises aux obligations de concurrence qu'ils définissent les entités qui bénéficient de " droits spéciaux ou exclusifs ".
93. L'article 2 § 3 de la directive 2004-17 prévoit que, pour être qualifiés de spéciaux et exclusifs, les droits accordés par l'autorité compétente d'un Etat membre doivent avoir " pour effet de réserver à une ou plusieurs entités l'exercice d'une activité [entrant dans le champ d'application de la directive] et d'affecter substantiellement la capacité des autres entités d'exercer cette activité ". Le 3° de l'article 4 de l'ordonnance du 6 juin 2005 transpose cette définition et précise que : " Ne sont pas considérés comme des droits spéciaux ou exclusifs pour l'application de ces dispositions les droits accordés à l'issue d'une procédure permettant de garantir la prise en compte de critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires ".
94. Les deux critères cumulatifs ainsi posés pour qualifier d'exclusifs et spéciaux des droits octroyés par une autorité publique à une entité privée tenant à leur effet d'une part, et à leurs modalités d'octroi d'autre part, sont ceux qui ont été dégagés par la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt du 12 décembre 1996, The Queen/Secretary of State for Trade and Industry, (C-302-94, Rec.1996, p. I-6417), relatif aux activités des opérateurs de réseaux de télécommunications.
95. La simple occupation du domaine public ou les facilités d'installation dont peuvent jouir certains opérateurs de réseaux ne sont pas considérées comme la manifestation de droits spéciaux ou exclusifs. Le considérant 25 de la directive 2004-17 précise ainsi que ne constitue pas un droit exclusif ou spécial le fait de jouir d'une procédure d'expropriation publique ou d'une servitude, ou d'utiliser le sol, le sous-sol et l'espace au-dessus de la voie publique.
96. Par ailleurs, s'agissant de la procédure d'octroi de droits spéciaux ou exclusifs, la Commission a précisé la notion de critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires dans sa fiche explicative du 18 juin 2004 (CC/2004/33 FR, points 5 et 6). Les droits octroyés ne peuvent être qualifiés d'exclusifs et spéciaux lorsque la procédure a permis d'assurer une " publicité adéquate " : il en est ainsi des procédures de passation de marchés publics ou des procédures entrant dans le champ d'application de la jurisprudence Telaustria précitée (concessions de services ou marchés de services non prioritaires).
97. S'il est vrai que ni les juges communautaires ni les juges nationaux ne se sont encore prononcés sur cette notion, il est vraisemblable que cette définition des droits spéciaux ou exclusifs permette de qualifier les sociétés gestionnaires d'aéroports d'entités adjudicatrices au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005.
98. En effet, les droits concédés à ces sociétés ont pour effet, compte tenu notamment de la durée de la concession, illimitée s'agissant d'ADP, de quarante ans pour les SAR, de leur réserver l'exercice de l'activité aéroportuaire et d'affecter substantiellement la capacité des autres entités, auxquelles de tels droits n'ont pas été conférés, d'exercer cette activité dans la même zone géographique. Il s'agit en substance de monopoles de fait.
99. Par ailleurs, il ressort de la loi du 20 avril 2005 que ces droits n'ont pas été octroyés sur la base de critères objectifs, proportionnels et non discriminatoires.
100. En ce qui concerne ADP, l'article 4 de la loi du 20 avril 2005 assure en effet une parfaite continuité entre l'établissement public ADP et la société anonyme ADP qui lui succède en attribuant " de plein droit et sans formalité à la société Aéroports de Paris ( ) l'ensemble des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de l'établissement public Aéroports de Paris, en France et hors de France ( ) ".
101. En ce qui concerne les SAR, l'article 7 de la loi du 20 avril 2005 a prévu que les CCI peuvent, sur autorisation de l'autorité administrative, céder les concessions dont elles sont titulaires aux sociétés aéroportuaires en dérogeant aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin (ci-après " loi Sapin "). Il a été considéré par ailleurs que, la création des SAR constituant un simple prolongement des concessions existantes et non l'attribution d'une concession nouvelle, la cession des concessions des CCI aux SAR n'imposait pas la mise en œuvre des procédures de mise en concurrence prévues par le droit communautaire.
102. Il en résulte que, si leur actionnariat devenait majoritairement privé, les SAR comme ADP resteraient des entités adjudicatrices, soumises aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par la directive 2004-17 et l'ordonnance du 6 juin 2005 pour ceux de leurs marchés passés dans le cadre de leur activité d'exploitant aéroportuaire.
103. La situation juridique des sociétés aéroportuaires se distingue donc de celle des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, dont la privatisation a eu pour conséquence la perte de leur statut de pouvoir adjudicateur au sens du droit communautaire et du droit national, et pour lesquelles le Conseil de la concurrence avait recommandé, dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005, de réintroduire les obligations de mise en concurrence s'imposant aux pouvoirs adjudicateurs par la voie de leurs contrats de concession. La transposition d'un tel dispositif au cas présent est inutile.
104. Le statut juridique des SAR sera toutefois modifié à l'occasion du renouvellement des concessions. Les sociétés gestionnaires seront en effet choisies à la suite d'un appel d'offres conformément aux dispositions prévues par la loi Sapin, qui imposent le respect d'une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, tout en laissant à l'autorité délégante le choix du délégataire. Les concessionnaires choisis à l'issue de cette procédure ne seront donc pas titulaires de droits spéciaux ou exclusifs, faute de remplir le critère relatif à leurs modalités d'octroi. Elles ne seront pas des entités adjudicatrices et échapperont de ce fait au champ d'application de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005. L'article 7 de la loi du 20 avril 2005 a toutefois autorisé la prolongation des concessions accordées aux SAR pour une durée de quarante ans. La question de la perte du statut d'entité adjudicatrice des concessionnaires des SAR ne devrait donc pas se poser avant un avenir encore lointain. (7)
b) L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes
105. La concession de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera attribuée à la suite d'une procédure d'appel d'offres actuellement en cours, la signature du contrat de concession devant intervenir avant la fin de l'année 2010. Les droits accordés au concessionnaire choisi ne seront donc pas spéciaux ou exclusifs, faute de remplir le critère relatif à leurs modalités d'octroi. Si le capital du futur concessionnaire est détenu majoritairement par des investisseurs privés, celui-ci ne pourra donc pas être qualifié d'entité adjudicatrice en application des dispositions de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005.
106. Les risques d'atteinte à la concurrence liés à l'absence de soumission du futur concessionnaire de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes à toute procédure contraignante de mise en concurrence pour la passation de ses marchés sont d'autant plus préoccupants que, s'agissant d'un nouvel aéroport, le volume de commandes concerné sera important. Les surcoûts éventuels résultant d'une insuffisante mise en concurrence pourront être répercutés sur les usagers de l'aéroport, du fait du faible degré de concurrence existant dans le secteur.
107. L'alignement des obligations de mise en concurrence qui s'imposeront au futur concessionnaire pour la passation de ses marchés de travaux, de fournitures et de services sur celles qui s'imposent à ADP et aux SAR est donc souhaitable et peut être mis en œuvre dans le cadre du contrat de concession.
c) Les aéroports décentralisés
108. Lorsque les collectivités territoriales décident de confier la gestion des aéroports à des sociétés privées, elles choisissent le délégataire après une procédure d'appel d'offres respectant les règles posées par la loi Sapin. Ces sociétés délégataires ne sont donc pas des entités adjudicatrices au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005.
109. Alors que les collectivités territoriales et les CCI qui exploitent directement les aéroports décentralisés sont des entités adjudicatrices soumises aux obligations de publicité et de mise en concurrence, il est souhaitable que les sociétés privées exploitant ce type d'aéroports soient elles aussi soumises à de telles obligations. La portée d'une telle mesure restera cependant limitée dès lors qu'eu égard à la faible rentabilité de ces aéroports, les investissements initiaux sont souvent réalisés par les collectivités territoriales et que le montant total des marchés qui peuvent être conclus par ces entreprises est très inférieur à celui des marchés conclus par ADP ou certaines SAR.
2. Des garanties de mise en concurrence insuffisantes pour les marchés passés avec des entreprises liées et les concessions d'activité
a) Les marchés conclus avec des entreprises liées
110. Si les SAR resteront en cas de privatisation soumises à des obligations de mise en concurrence pour leurs marchés de travaux conclus avec des entreprises liées en vertu de l'article 62 de leur cahier des charges précité, il n'en est de même ni d'ADP, ni, sauf clause contraire du contrat de concession, du futur gestionnaire de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ni des aéroports décentralisés privatisés.
111. Dans sa rédaction actuelle, l'article 62 du cahier des charges d'ADP se borne à prévoir une information obligatoire des ministres en charge de l'aviation civile et de l'économie pour les contrats conclus avec une entreprise liée dépassant un montant de 130 000 euro. Cette information est assortie d'un contrôle des conditions économiques dans lesquelles sont passés ces contrats par comparaison avec des contrats de même nature signés avec des entreprises tierces. Ce régime de simple information ne présente pas des garanties suffisantes en matière de protection de la concurrence.
112. A l'heure actuelle, les gestionnaires d'aéroports procèdent à des mises en concurrence pour l'attribution de leurs marchés et ce, en dessous des seuils communautaires.
113. Ainsi, ADP soumet tous ses marchés à des procédures de publicité et de mise en concurrence. La portée de ces procédures reste toutefois limitée. Tous les marchés d'un montant supérieur à 100 000 euro sont soumis à la concurrence, mais la commission d'appel d'offres où siège un représentant de la DGCCRF n'intervient que pour attribuer les marchés correspondant aux seuils communautaires. En 2007, les marchés d'ADP dépassant les seuils communautaires représentaient 9 % de la totalité des marchés attribués en volume et 63 % en valeur. Les marchés d'un montant supérieur à 100 000 euro et inférieurs aux seuils communautaires représentaient 19 % de la totalité des marchés attribués en volume et 26 % en valeur. Enfin, les marchés d'un montant inférieur à 100 000 euro représentaient 72 % de la totalité des marchés attribués en volume et 11 % en valeur.
114. Les SAR utilisent principalement la procédure du marché négocié après mise en concurrence, comme l'autorise l'ordonnance du 6 juin 2005. Si cette procédure présente un intérêt financier certain pour ces sociétés du fait de la négociation possible du montant des marchés à la baisse, il n'y a pas de commission d'appels d'offres et il existe donc un risque en cas de privatisation capitalistique des SAR que certains opérateurs ne soient favorisés au détriment d'autres (8).
115. Ainsi, les obligations de mise en concurrence qui s'imposent aujourd'hui aux sociétés aéroportuaires paraissent insuffisantes pour garantir le maintien d'une concurrence satisfaisante dans l'hypothèse d'une privatisation de leur capital.
b) Les concessions commerciales
116. Seules les concessions d'espaces commerciaux gérées par les SAR sont soumises à des obligations de mise en concurrence en vertu de l'article 11 du cahier des charges de ces sociétés.
117. Malgré l'absence d'obligation légale, ADP n'attribue généralement ses emplacements commerciaux qu'après une mise en concurrence des sociétés intéressées. Ces procédures ont été mises en place dès 1996. Elles ne concernent toutefois pas ses filiales commerciales, détenues paritairement avec la société Aelia, à savoir la Société de Distribution aéroportuaire (SDA) qui exploite les boutiques de vente d'alcools, tabacs, parfums et cosmétiques et des boutiques dédiées à la gastronomie, et Duty Free Paris.
118. Dans l'hypothèse d'une privatisation capitalistique d'ADP, il serait utile de prévoir que ces procédures de mise en concurrence soient pérennisées.
119. Les règles de concurrence applicables aux aéroports dans l'hypothèse d'une privatisation sont synthétisées dans le tableau figurant en annexe I au présent avis.
IV. La régulation du secteur aéroportuaire
A. LA REGULATION DES REDEVANCES AEROPORTUAIRES
120. L'article L. 224-2 du Code de l'aviation civile précise que : " Les services publics aéroportuaires donnent lieu à la perception de redevances pour services rendus fixées conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 410-2 du Code de commerce ". Aux termes de l'article L. 410-2 du Code commerce : " dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence ". La réglementation des redevances aéroportuaires a fait l'objet du décret n° 2005-827 du 20 juillet 2005, sur lequel le Conseil de la concurrence s'est prononcé par un avis n° 05-A-15 du 11 juillet 2005.
121. La régulation s'applique aux aérodromes dont le trafic annuel moyen des trois dernières années dépasse 100 000 passagers (article R. 224-2 du Code de l'aviation civile). Pour ADP et les SAR, elle repose sur un encadrement de l'évolution des tarifs des redevances dans le cadre de contrats de régulation pluriannuels conclus avec l'Etat. Pour les aéroports décentralisés, la collectivité concédante peut fixer elle- même les tarifs ou en charger l'exploitant, avec notification au préfet.
1. Le principe de la caisse aménagée
122. La régulation tarifaire repose en France sur le principe dit de la " caisse unique ". Dans ce système, les charges aéronautiques sont couvertes par le produit des redevances aéronautiques, augmenté des revenus des activités non aéronautiques (revenus des commerces, des parkings ). Il s'agit d'un système de mutualisation des recettes. Il permet de facturer des redevances plus faibles que celles qui résulteraient de la stricte couverture des charges aéronautiques par les redevances aéronautiques, et le prix acquitté par les compagnies et les passagers est moins élevé.
123. La justification économique du système de " caisse unique ", recommandé par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), repose sur le fait que les recettes non aéronautiques (liées aux boutiques ou aux parkings) sont largement liées à l'accueil des passagers aériens et que les compagnies doivent pouvoir bénéficier des retombées du trafic aérien par le biais d'une réduction des redevances aéroportuaires qu'elles acquittent. Ce système a toutefois été abandonné par certains aéroports comme Amsterdam ou Francfort, car il est peu incitatif pour les protagonistes de l'activité subventionnée. Il est en revanche appliqué par les aéroports londoniens.
124. L'exemple britannique montre d'ailleurs que la caisse unique ne se traduit pas nécessairement par une modération des redevances aéroportuaires : les redevances de l'aéroport de Londres Heathrow ont augmenté de 6,5 % par an hors inflation entre 2003 et 2008, l'augmentation proposée pour les quatre années suivantes étant de 7,5% par an.
125. Le système alternatif est celui de la " double caisse ", où les charges aéronautiques sont intégralement financées par le produit des redevances aéronautiques. La justification économique de ce système repose sur l'opportunité que les prix de l'utilisation des infrastructures aéroportuaires reflètent la rareté de celles-ci dans un contexte de saturation croissante du secteur. Par ailleurs, les recettes commerciales ne sont pas uniquement liées au trafic aérien mais résultent également de la qualité de l'offre commerciale mise en place par le gestionnaire d'aéroport, qui est ainsi fondé à en conserver le bénéfice.
126. Le système de la double caisse est susceptible de favoriser la hausse des redevances ou la réduction des dépenses d'investissements des exploitants dans les infrastructures aéroportuaires. Son adoption suppose un fonctionnement concurrentiel du marché des activités dérégulées, dès lors qu'il favorise la constitution d'une rente de monopole au profit de l'exploitant, par la voie d'une augmentation injustifiée du prix des concessions d'activités commerciales.
<emplacement tableau>
127. Le système retenu en France par la loi du 20 avril 2005 est un système dit de " caisse unique aménagée ". Concrètement, il s'agit d'un système de " caisse unique " pouvant évoluer progressivement vers une " double caisse " au moyen d'une modification du " périmètre de régulation ", c'est-à-dire des activités entrant dans la caisse.
128. Ce régime évolutif a été retenu pour prendre en compte la nécessité de financer des investissements lourds dans le cadre du premier contrat de régulation économique d'ADP : retenir immédiatement un système de " double caisse " aurait fait courir le risque que les efforts nécessaires de financement des investissements ne soient pas consentis par l'opérateur aéroportuaire.
129. L'arrêté du 16 septembre 2005 relatif aux redevances pour services rendus sur les aérodromes prévoit que l'ensemble des activités exercées par ADP sur les aérodromes de l'Ile de France entre dans le périmètre du premier contrat de régulation économique, c'est-à-dire, dans la " caisse unique ", à l'exception des missions régaliennes financées par la taxe d'aéroport, relatives principalement à la sécurité des pistes et à la sûreté, ainsi que des activités concurrentielles de l'assistance en escale et des activités des filiales d'ADP.
130. L'arrêté du 16 septembre 2005 a été modifié par arrêté du 17 décembre 2009, lequel prévoit que le périmètre de régulation des activités d'Aéroports de Paris sera aménagé à compter du 1er janvier 2011, correspondant au début du deuxième contrat de régulation économique. Sortiront ainsi du périmètre régulé les activités commerciales et les activités relatives à l'immobilier de diversification, c'est-à-dire, les constructions ou locations en dehors des aérogares. Aéroports de Paris a accompagné cette évolution de propositions d'évolutions tarifaires modérées. Les tarifs des redevances couvertes par le contrat de régulation économique 2011-2015 devraient évoluer de 1,38 % en moyenne par an en sus de l'inflation. (9)
131. Le schéma ci-dessous illustre l'aménagement du périmètre régulé qui interviendra en 2011 :
<emplacement tableau>
132. Le système de la " caisse unique aménagée " régit également les SAR. L'arrêté du 16 septembre 2005 prévoit une évolution possible du périmètre de régulation dans le cadre des contrats de régulation conclus avec les aéroports. Jusqu'à présent toutefois, un seul contrat de régulation économique a été conclu avec l'aéroport de Toulouse Blagnac et il n'y a pas eu de modification du périmètre de régulation initial.
2. L'encadrement de l'évolution des tarifs des redevances aéronautiques
133. La loi du 20 avril 2005 soumet ADP et les SAR à des modalités de régulation économique identiques. Il s'agit de contrats de régulation économique signés entre l'Etat et le gestionnaire d'aéroport, déterminant les conditions d'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires pour une durée maximale de 5 ans. A terme, l'ensemble des grands aéroports régionaux sera concerné par la réforme et devra conclure des contrats de régulation économique.
a) Les redevances aéronautiques
134. Les redevances aéronautiques, dont la liste est fixée à l'article R. 224-2 du Code de l'aviation civile, sont principalement constituées par la redevance d'atterrissage, la redevance passager, la redevance de stationnement et la redevance carburant (10).
135. Ces redevances sont des redevances pour service rendu, ce qui implique qu'elles doivent être justifiées par la réalisation d'un service public aéroportuaire, qu'elles doivent respecter le principe d'égalité de traitement entre les usagers et qu'elles doivent être en rapport avec le coût du service rendu.
136. La loi du 20 avril 2005 a prévu que ce coût pouvait inclure le coût du capital (ou la rémunération des capitaux investis) et les dépenses d'investissements à venir. La loi a par ailleurs autorisé les exploitants à procéder à des modulations limitées du montant des redevances (11) et posé le principe que seul le produit global des redevances ne peut excéder le coût des services rendus sur l'aérodrome, sans que le produit de chaque type de redevance ne soit tenu d'égaler le coût du service correspondant. Les exploitants d'aéroports ne sont donc pas autorisés à dégager des excédents purement commerciaux.
137. Les redevances aéronautiques constituent une part non négligeable des ressources des aéroports, même si elle est très variable. S'agissant d'ADP, elles représentent environ 40 % de son chiffre d'affaires alors que les recettes commerciales (redevances commerciales, recettes locatives, parkings) correspondent à 30 % du chiffre d'affaires.
138. Il est difficile de déterminer avec exactitude la part des redevances aéroportuaires dans le coût d'un billet d'avion et dans les charges supportées par les compagnies aériennes, les structures des coûts des transporteurs aériens étant très différentes. Elle dépend du type d'exploitation, des caractéristiques du trafic et des aéronefs employés. Selon ADP, les redevances aéroportuaires représentent environ 4 % du total des charges des compagnies aériennes, les premiers postes de charges étant le personnel (16 %) et le carburant (13 %).
139. En valeur absolue, le montant total des redevances aéroportuaires en vigueur sur les aéroports de Paris s'élève en moyenne à 21,30 euro par passager, ce montant variant en fonction de la destination finale des passagers (de 13,53 euro à 28 euro). Sur l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, la moyenne des redevances aéroportuaires par passager est de 13,10 euro.
<emplacement tableau>
b) Les modalités de contrôle de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires
140. Le contrôle effectué par l'Etat sur l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires est une régulation de type " price cap ". Cette forme de régulation consiste à imposer un niveau maximum de recettes tirées des redevances aéroportuaires. L'augmentation des tarifs aéroportuaires est alignée non pas sur les coûts mais sur l'inflation, diminuée d'un coefficient de productivité (coefficient X). Cette forme de régulation constitue une incitation pour le gestionnaire de l'aéroport à réduire ses coûts, puisqu'en cas de gains d'efficacité, il conserve les recettes prévues initialement et augmente donc son profit. En principe, les tarifs prévus pour la période suivante tiennent compte de ces gains de productivité qui, in fine, bénéficient aux usagers au travers d'une diminution des redevances. Un inconvénient de ce type de régulation est que le gestionnaire d'aéroport peut être tenté de réduire ses coûts non pas en améliorant sa productivité mais plutôt en réduisant la qualité des services offerts. La régulation de type " price cap " peut ainsi conduire le gestionnaire de l'aéroport à sous-investir dans les infrastructures ou la qualité des services rendus. En outre, il faut rappeler que le " coefficient X " peut être négatif (autorisant donc une augmentation des prix supérieure à l'inflation), afin de prendre en compte des situations ou des coûts imprévus. Toutefois, la régulation de type " price cap " est considérée comme plus efficiente que la méthode dite " cost plus ", pourtant recommandée par l'OACI, qui consiste à fixer les prix de manière à couvrir l'ensemble des coûts, tout en assurant que le monopoleur ne bénéficie pas d'une marge indue sur son activité. En effet, cette méthode est fréquemment critiquée car elle n'encourage pas le gestionnaire de l'aéroport à innover ou améliorer l'efficacité de ses prestations, et peut même conduire à des investissements superflus qui augmentent le montant des redevances.
141. Si le législateur a envisagé de créer une autorité de régulation indépendante du secteur aéroportuaire dans le cadre de la loi du 20 avril 2005, il y a finalement renoncé et a mis en place une commission commune à l'ensemble des grands aéroports, la Commission Consultative Aéroportuaire (CoCoAéro). Placée auprès du ministre chargé de l'aviation civile, elle est composée de personnalités qualifiées (12), peut consulter les usagers, notamment les compagnies aériennes, et rend un avis sur les projets de contrats de régulation économique. Ces contrats sont ensuite conclus entre l'Etat et l'opérateur aéroportuaire.
142. Par ailleurs, la loi a maintenu l'existence des Commissions Consultatives Economiques (CoCoEco), présentes sur chaque aérodrome, qui sont chargées de rendre un avis sur les tarifs annuels des redevances. Elles sont composées de représentants des compagnies aériennes, des organisations professionnelles et du gestionnaire d'aéroport.
143. L'article R. 224-4 du Code de l'aviation civile définit la procédure de fixation des redevances aéroportuaires pour ADP et les aérodromes de l'Etat. Pour les aéroports signataires d'un contrat de régulation avec l'Etat, ce contrat détermine les conditions d'évolution des tarifs de redevances, et notamment le plafond du taux moyen d'évolution sur une période de cinq ans, après consultation des usagers et saisine pour avis de la CoCoAero. Les tarifs sont par la suite fixés annuellement par l'exploitant, dans le respect du plafond prévu au contrat de régulation économique, et après consultation des usagers et saisine pour avis de la CoCoEco. Ils sont alors homologués tacitement ou explicitement par les autorités de tutelle, à savoir la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
B. APPRECIATION DE L'EFFICACITE DE LA REGULATION
1. Les insuffisances du dispositif de régulation issu de la réforme de 2005
a) La confusion des rôles de l'Etat actionnaire et de l'Etat régulateur
144. Le cumul par l'Etat des fonctions, d'une part, de régulation du secteur aéroportuaire et de la propriété, d'autre part, des sociétés aéroportuaires ainsi que de 15,7 % des parts de la principale compagnie aérienne nationale, Air France KLM, est susceptible de donner naissance à des conflits d'intérêts pour la détermination du niveau et de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires : les décisions de l'Etat régulateur ont en effet une incidence sur la valeur des sociétés dont il est actionnaire.
145. Dans son rapport thématique de juillet 2008 précité, la Cour des comptes a ainsi dénoncé le flou entretenu par le dispositif de régulation issu de la réforme de 2005 entre les missions de l'Etat régulateur et celles de l'Etat actionnaire.
146. La création de la CoCoAero, composée de personnalités indépendantes, ne permet pas à elle seule de surmonter les risques de conflits d'intérêts, dès lors que ses avis sont de nature purement consultative. L'avis de cette commission sur le projet de contrat de régulation d'ADP n'a ainsi pas été suivi par les autorités de tutelle.
b) Une transparence insuffisante
147. Un mécanisme de régulation, quel qu'il soit, implique une connaissance des coûts de l'opérateur régulé, et en l'espèce des sociétés gestionnaires d'aéroports. Ces informations étant fournies à l'autorité de régulation par les gestionnaires, se pose inévitablement la question de l'asymétrie d'information.
148. Cette asymétrie est d'autant plus forte que le système de fixation des tarifs des redevances aéroportuaires est extrêmement complexe. Par ailleurs, cette complexité ainsi que les différences entre les grilles tarifaires européennes ne permet pas aux compagnies aériennes de faire pleinement jouer la concurrence entre les aéroports.
149. Dans l'hypothèse de la saisine, qui est celle d'une privatisation des sociétés aéroportuaires et d'une intégration verticale résultant d'un rachat par des groupes de travaux publics, l'asymétrie informationnelle entre le régulateur et l'opérateur intégré serait inévitablement accrue, ce qui engendrerait des difficultés significatives en matière de concurrence tant sur les marchés aval que sur les marchés amont de travaux.
150. Les mécanismes de facturation interne à un groupe sont en effet plus difficiles à contrôler que des facturations entre entreprises indépendantes. Le risque est alors que les coûts liés à l'exploitation des aéroports soient surfacturés, conduisant à l'augmentation des redevances aéronautiques et créant une rente de monopole injustifiée permettant aux groupes concernés de subventionner leurs activités concurrentielles de travaux ou de services.
151. Le manque de transparence des coûts des exploitants aéroportuaires accroît le risque de constitution d'une rente lorsque le système de régulation évolue vers le mécanisme de la " double caisse ". Ce risque a été partiellement pris en compte par l'arrêté du 16 septembre 2005 précité qui permet de réintégrer les activités des filiales des gestionnaires d'aéroports dans le périmètre de régulation lorsque celles-ci affectent anormalement les résultats des activités régulées. Ce mécanisme correctif repose toutefois sur un contrôle des autorités de tutelle qui apparaît moins efficace que ne le serait l'obligation de soumettre les marchés et concessions commerciales aux procédures de publicité et de mise en concurrence.
2. L'expérience du premier contrat de régulation économique signé avec ADP
152. Alors que les tarifs des redevances étaient auparavant fixés annuellement, la signature d'un contrat de régulation pluriannuel présente une indéniable avancée, en accordant aux acteurs du secteur une plus grande visibilité économique.
153. Force est toutefois de constater que la première expérience du contrat de régulation économique avec ADP n'a pas été pleinement satisfaisante. Ainsi, les autorités de tutelle n'ont pas suivi l'avis de la CoCoAero, qui recommandait une augmentation du tarif des redevances limitée à 2,5 % chaque année hors inflation, et de 11 % pour l'ensemble de la période 2006-2010. Le contrat a prévu une augmentation de 3,25 % en sus de l'inflation, l'une des explications possibles de cet écart tenant à l'objectif recherché par l'Etat actionnaire de valorisation à court terme d'ADP dans la perspective de l'ouverture de son capital.
154. Les hausses des tarifs ont ainsi été importantes depuis le changement de statut d'ADP : 5 % en 2006, 4,25 % en 2007, 3,8 % en 2008 et 5,5 % en 2009 (inflation comprise). La Cour des comptes, dans son rapport thématique de juillet 2008 précité, imputait le rythme élevé des hausses des redevances, quoique conforme au plafond fixé par le contrat de régulation économique, en partie au faible effort de productivité réalisé par la société ADP. La Cour recommandait à ce titre que les propositions tarifaires pour les redevances aéronautiques faites annuellement par ADP à la CoCoEco donnent systématiquement lieu à la présentation des gains de productivité déjà réalisés et des mesures mises en œuvre pour atteindre les prochains objectifs.
155. Par ailleurs, les compagnies aériennes, estimant que leur consultation dans le cadre des différentes commissions consultatives était insuffisante et que le processus de détermination des redevances manquait de transparence, ont adopté une stratégie de contestation juridique en attaquant devant le Conseil d'Etat tant le contrat de régulation économique conclu avec ADP que les décisions fixant le tarif annuel des redevances depuis 2006 (13).
156. Mais le contrôle exercé par le Conseil d'Etat ne peut pallier l'absence de régulation indépendante. La juridiction administrative n'exerce qu'un contrôle restreint tant sur les taux des redevances pour service rendu que sur les décisions fixant un plafond d'évaluation dans le cadre d'un encadrement pluriannuel des tarifs (14).
157. Il faut noter cependant que le contrat de régulation économique signé avec l'aéroport de Toulouse Blagnac, lequel a prévu des hausses tarifaires relativement faibles, n'a donné lieu, quant à lui, à aucune contestation juridique.
C. L'ENCADREMENT COMMUNUNAUTAIRE DES REDEVANCES AEROPORTURAIRES
158. A l'heure actuelle, le droit communautaire n'impose aucune règle spécifique pour la régulation du secteur aéroportuaire. La jurisprudence communautaire impose simplement que les tarifs d'utilisation des infrastructures aéroportuaires soient établis selon des règles objectives, transparentes et non discriminatoires, en raison de leur caractère de facilités essentielles (TPICE, arrêt du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris, précité).
159. Le 11 mars 2009, a été adoptée la directive 2009-12-CE du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires, qui crée un cadre commun aux Etats membres pour la régulation de ces redevances. Cette directive s'applique aux aéroports dont le trafic annuel dépasse 5 millions de mouvements de passagers, soit en France, Roissy, Orly, Nice, Lyon, Marseille et Toulouse. Elle devra être transposée en droit interne au plus tard le 15 mars 2011. Cette transposition pourrait être l'occasion de mettre en œuvre une régulation du secteur aéroportuaire plus efficace.
160. La directive organise des règles de consultation des usagers pour la fixation du tarif des redevances, assorties d'obligations de transparence des informations fournies par les gestionnaires d'aéroports. Son article 7 prévoit ainsi que les usagers des aéroports reçoivent, avant toute modification du montant des redevances, une information quant aux modalités de fixation des tarifs, à la nature et au coût des services rendus, et à l'utilisation des redevances.
161. Elle prévoit également un mécanisme de recours en cas de désaccord, sous l'égide d'une autorité de supervision indépendante. Aux termes de l'article 6 de ce texte, cette autorité doit pouvoir examiner les recours des parties " en cas de désaccord sur une décision relative aux redevances aéroportuaires prise par l'entité gestionnaire d'aéroport ", sauf s'il " existe en droit national, une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l'autorité de supervision indépendante ".
162. Selon des principes communautaires bien établis, l'article 11 de la directive dispose que : l'autorité de supervision doit être " juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante de toutes les entités gestionnaires d'aéroports et de tous les transporteurs aériens. ". Les Etats doivent veiller " à ce que l'autorité de supervision indépendante exerce ses compétences d'une manière impartiale et transparente ".
163. L'article 11 de la directive ajoute que : " Les Etats membres qui conservent la propriété d'aéroports, d'entités gestionnaires d'aéroports ou de transporteurs aériens, ou le contrôle de gestionnaires ou de transporteurs ne pourront pas confier les fonctions liées à cette propriété ou à ce contrôle à l'autorité de supervision indépendante. Les États membres garantissent l'indépendance de l'autorité ". Ces dernières dispositions sont similaires à celles de la directive-cadre 2002-12-CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques. La formulation adoptée par le droit communautaire appelle ainsi la dissociation entre actionnaire et régulateur. La régulation du secteur des télécommunications a été confiée en France à une autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
164. A l'heure actuelle en Europe, les organismes de régulation du secteur aéroportuaire sont le plus souvent les autorités en charge de l'aviation civile, à l'exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et de la Belgique.
165. Les autorités de tutelle françaises envisagent de pérenniser le dispositif de régulation actuel : le rôle de l'autorité de supervision indépendante serait ainsi confié conjointement à la DGAC et à la DGCCRF, lesquelles approuveraient les redevances aéroportuaires et leur niveau maximal.
166. Toutefois, la conformité de ce dispositif avec les exigences d'indépendance juridique et fonctionnelle du régulateur et du régulé posées par l'article 11 de la directive n'est pas évidente, dès lors que l'Etat conservera par ailleurs la majorité du capital d'ADP, dont la participation est gérée par le ministre de l'économie via l'Agence des participations de l'Etat, ainsi que la propriété des grands aéroports régionaux. Relevons que, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des services publics en réseaux, la Cour de justice des communautés européennes a notamment considéré que " des directions différentes d'une même administration ne sauraient être considérées comme indépendantes l'une de l'autre " (arrêt du 27 octobre 1993, Taillandier, C-92-91, Rec. 1993, p. I-5398). En tout état de cause, l'attribution du rôle de supervision à des directions ministérielles ne permettrait pas de mettre un terme au conflit d'intérêts suscité par la confusion des rôles de l'Etat régulateur et de l'Etat actionnaire.
V. Les préconisations de l'Autorité de la concurrence
167. L'Autorité de la concurrence est d'avis de répondre de la manière suivante aux questions posées par l'AMCRI dans la saisine.
A. SUR LES QUESTIONS DE PRINCIPE SOULEVEES PAR LA SAISINE
1. Sur le choix du maintien de la gestion publique des sociétés aéroportuaires
168. Pour éviter les risques d'atteinte à la concurrence résultant d'une éventuelle privatisation des sociétés aéroportuaires, l'AMCRI interroge l'Autorité sur le point de savoir s'il ne serait pas nécessaire de maintenir la gestion publique d'ADP et des SAR. L'Autorité de la concurrence ne saurait émettre un avis sur une telle question, qui relève d'un choix d'opportunité ne relevant pas de sa compétence. Elle rappelle que le droit de la concurrence est neutre au regard de la propriété publique ou privée des entreprises. Ainsi, l'article 345 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule que " le présent traité ne préjuge en rien le régime de propriété dans les Etats membres ", tandis que son article 106, paragraphe 1, précise : " Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus ". En droit national, l'article L. 410-1 du Code de commerce, introduisant le livre IV relatif à la liberté des prix et de la concurrence, dispose : " Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et des services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégations de service public ".
2. Sur la nécessité d'éviter la concentration des infrastructures au sein d'une même entreprise
169. En cas de privatisation du capital des sociétés aéroportuaires, l'AMCRI fait valoir qu'il serait préférable d'éviter une concentration des infrastructures, d'une part, en concédant l'exploitation des aérodromes de Roissy et d'Orly à des opérateurs différents, ce qui supposerait la scission d'ADP ainsi que l'édiction de règles interdisant que les détenteurs du capital de l'une des deux sociétés d'exploitation aéroportuaire détiennent des droits de l'autre, et, d'autre part, en confiant la gestion du nouvel aéroport de Notre Dame des Landes à une société distincte des gestionnaires des aéroports parisiens.
170. L'Autorité de la concurrence ne peut pas plus se prononcer sur ce point dès lors qu'il ne lui appartient pas, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce, de donner une opinion sur les problèmes de concurrence posés par une opération de concentration, les questions posées dans la saisine étant relatives à des acquisitions d'entreprises et pouvant être appréhendées dans le cadre du droit des concentrations.
171. Il peut être utile toutefois de rappeler l'exemple du Royaume-Uni qui, confronté à la difficulté d'une régulation efficace face à un opérateur aéroportuaire entièrement privatisé, s'est orienté vers la mise en place d'une concurrence entre les structures aéroportuaires. Le choix historique des autorités britanniques de céder globalement British Airport Authority (BAA) était motivé par l'absence de concurrence observée entre les trois aéroports londoniens, qui, comme c'est le cas des aéroports parisiens de Roissy et d'Orly, étaient considérés comme répondant à des demandes complémentaires. Sur le fondement d'une enquête de marché, la commission britannique de la concurrence est revenue sur cette analyse et a décidé en mars 2009 de briser le monopole de fait de l'opérateur aéroportuaire BAA en lui donnant deux ans pour céder trois de ses sept aéroports (15).
B. LA SOUMISSION A DES REGLES DE MISE EN CONCURRENCE SYSTEMATIQUE
1. L'assimilation des gestionnaires d'aéroports à des entités adjudicatrices au sens de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005
172. Dans l'hypothèse d'une privatisation, les SAR comme ADP devraient rester des entités adjudicatrices et être soumises aux obligations de publicité et de mise en concurrence posées par la directive communautaire 2004-17 et l'ordonnance du 6 juin 2005. Cela ne sera pas le cas du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ni des aéroports décentralisés concédés à un opérateur privé.
173. Afin de prévenir les risques d'atteinte à la concurrence résultant de cette absence d'obligations, et notamment, les effets potentiels d'éviction d'entreprises tierces lors de la passation de ses marchés, l'Autorité recommande que le contrat de concession du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes prévoie que le concessionnaire soit assimilé à une " entité adjudicatrice " au sens de la directive communautaire 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005. Le même dispositif devrait être appliqué aux aéroports décentralisés concédés à un opérateur privé.
174. Cette assimilation permettra d'imposer au concessionnaire, outre la règle de mise en concurrence systématique de ses marchés, l'obligation de respecter les critères de choix qui s'imposent aux entités adjudicatrices. Elle a pour objet d'éviter que les concessionnaires ne privilégient les entreprises qui leur sont liées, ce qui poserait problème en cas de régulation imparfaite, avec constitution d'une rente financée par les redevances aéroportuaires. Elle aurait également pour effet de garantir une transparence des prix, de nature à permettre aux autorités de tutelle de mieux assurer leur mission de régulation du secteur.
2. Les marchés
175. Pour renforcer la concurrence sur les marchés attribués par les sociétés concessionnaires d'aéroports, il serait souhaitable d'adopter, pour le secteur aéroportuaire, des règles semblables à celles qui avaient été proposées dans l'avis n° 05-A-22 du Conseil de la concurrence relatif à la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes.
176. A cet égard, un simple alignement du régime d'ADP, de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et des aéroports décentralisés sur le régime prévu par le cahier des charges des SAR offrirait un niveau de garantie inférieur en matière de protection de la concurrence à celui qui avait été retenu dans le cadre de la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. En effet, la procédure de mise en concurrence ne s'impose qu'à partir d'un seuil de commande élevé, ce qui a pour conséquence que la majorité des marchés signés échappent à cette obligation, elle ne concerne que les marchés de travaux, et elle ne prévoit pas l'intervention de commissions d'appels d'offres indépendantes.
177. Dans son avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 précité, le Conseil de la concurrence avait recommandé que la mise en concurrence s'applique à partir d'un seuil de commande de travaux, de services et de fourniture " fixé de telle manière que l'essentiel des volumes de commandes soit contrôlé par le dispositif procédural évoqué ". Les seuils retenus par le gouvernement pour les sociétés d'autoroutes privatisées ont été de 2 millions d'euro pour les travaux et de 240 000 euro pour les fournitures, ce qui est très inférieur aux seuils prévus par l'ordonnance du 6 juin 2005.
178. Le Conseil avait également préconisé que les commissions des marchés placées auprès de chaque société d'autoroute disposent d'un véritable pouvoir d'approbation et non de la simple faculté d'émettre un avis consultatif. Cette recommandation visait, conformément aux principes dégagés par la Cour de justice des communautés européennes (arrêt du 12 février 1998, Silvano Raso, C-163-96, Rec. p. I-533), à " éviter que l'Etat ne puisse se voir reprocher d'avoir mis les concessionnaires dans une situation de cumul de rôles de juge et partie débouchant sur un conflit d'intérêts dans la mesure où ils mettraient en œuvre des procédures de mise en concurrence alors qu'ils auraient des intérêts auprès de certains soumissionnaires ".
179. Les cahiers des charges des exploitants aéroportuaires privatisés devraient de même prévoir que soit formalisée l'existence de commissions d'appel d'offres placées auprès de chaque gestionnaire d'aéroports. Ces commissions devraient être composées majoritairement de membres indépendants des concessionnaires ou, à défaut, le représentant de la DGCCRF devrait y disposer d'un droit de veto.
180. Ces commissions seraient appelées à se prononcer par avis conforme sur les marchés de travaux, de fournitures et de services conclus par les sociétés aéroportuaires, tant avec des entreprises liées qu'avec des entreprises tierces, à partir de seuils à définir de telle sorte que l'essentiel des commandes en valeur soit effectivement contrôlé par le dispositif. L'obligation de respecter les critères de choix prévus par l'ordonnance du 6 juin 2005 qui s'imposent aux entités adjudicatrices devra également être prévue dans les cahiers des charges pour toute commande supérieure aux seuils fixés.
181. Ce dispositif devra concerner également l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et les aéroports décentralisés concédés à un opérateur privé.
3. Les concessions commerciales
182. Dans l'hypothèse d'une privatisation capitalistique d'ADP, le cahier des charges de cette société devrait retenir un article comparable à l'article 11 du cahier des charges des SAR, prévoyant une obligation de mise en concurrence des concessions commerciales, y compris celles attribuées à des entreprises liées, et le choix par le concessionnaire de l'offre économiquement la plus avantageuse. Une obligation similaire devrait être introduite dans le contrat de concession du futur gestionnaire de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
183. Les préconisations relatives au renforcement des obligations de mise en concurrence pour les commandes des sociétés aéroportuaires sont synthétisées dans le tableau figurant en annexe II au présent avis.
C. LA MISE EN OEUVRE D'UNE REGULATION EFFICACE
184. Indépendamment de l'hypothèse de privatisation des sociétés aéroportuaires posée par la saisine, l'Autorité recommande la mise en œuvre de diverses mesures destinées à rendre plus efficace la régulation actuelle des activités aéroportuaires.
1. La constitution d'une autorité de supervision indépendante
185. L'Autorité recommande la création d'une autorité indépendante de régulation des activités aéroportuaires. Cette création permettrait de mettre fin aux situations de conflit d'intérêts qui résultent aujourd'hui du cumul par l'Etat des rôles de régulateur du secteur aéroportuaire et d'actionnaire des principaux opérateurs de ce secteur, gestionnaires d'aéroports et compagnie aérienne nationale.
186. Cette autorité serait appelée à devenir l'autorité de supervision indépendante prévue par la directive 2009-12, avec pour rôle la détermination ou l'approbation des tarifs de redevances aéroportuaires conformément aux prévisions de l'article 6 de ce texte.
187. L'Autorité estime que cette création pourrait être l'occasion de réfléchir à la constitution d'une autorité de régulation des transports intermodale.
188. Dans son avis n° 08-A-17 du 3 septembre 2008 sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et collectifs ainsi qu'à la sécurité des transports, le Conseil de la concurrence appelait déjà les pouvoirs publics à " préciser leur stratégie en matière de régulation des transports, notamment en réfléchissant sur le champ de compétence du nouveau régulateur sectoriel créé pour les activités ferroviaires ".
189. En effet, les transports aérien, autoroutier et ferroviaire ont pour trait commun de faire l'objet d'une régulation publique concernant l'accès et la tarification d'infrastructures non reproductibles, qui conserveront le caractère de monopoles malgré une libéralisation des activités de services qui les utilisent, en particulier pour des raisons de coûts ou de rareté des espaces. La création d'une autorité intermodale permettrait ainsi de mieux appréhender les problématiques communes à tous les secteurs des transports.
190. Dans l'avis précité, le Conseil rappelait les précédents du régulateur sectoriel des communications électroniques, dont la compétence a été élargie au secteur postal, et du régulateur sectoriel de l'électricité, dont la compétence a été étendue au secteur gazier, soulignant qu'il est " généralement plus efficace d'élargir les compétences d'un régulateur pour des secteurs connexes que de multiplier les régulateurs sectoriels sur des champs de compétence trop étroits ".
191. La création d'une autorité indépendante de régulation des transports pourrait s'effectuer à partir du socle constitué par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), créée par la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dont les dispositions entreront en vigueur au 1er avril 2010. L'ARAF est, aux termes de la loi, " une autorité publique indépendante, dotée de la personnalité morale, qui concourt au bon fonctionnement du service public et des activités concurrentielles de transport ferroviaire, au bénéfice des usagers et clients des services de transport ferroviaire " (article 11). Elle est chargée de veiller à ce que les conditions d'accès au réseau ferroviaire par les entreprises ferroviaires n'entravent pas le développement de la concurrence. A ce titre, elle est notamment chargée d'émettre un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructures et de se prononcer sur les réclamations présentées par les acteurs du secteur.
192. La nature du contrôle qui sera exercé par l'ARAF dans le secteur ferroviaire s'apparente à celui qui est exercé pour la régulation des redevances aéroportuaires. La fusion à terme des compétences au sein d'un régulateur unique des transports aurait donc du sens. Mais il s'agit d'un choix politique qu'il n'appartient qu'au gouvernement et au Parlement de trancher.
2. Le renforcement de la transparence nécessaire à une régulation tarifaire efficace
193. L'arrêté du 17 décembre 2009 sur les redevances aéroportuaires a opéré une réduction du périmètre de régulation de la " caisse unique " d'ADP en excluant tant les activités commerciales que l'immobilier de diversification. Cette évolution traduit un passage implicite vers un système proche de la " double caisse ".
194. L'Autorité de la concurrence est favorable à l'évolution du périmètre de régulation engagée par l'arrêté du 17 décembre 2009 précité, dès lors qu'une telle évolution devrait permettre de favoriser l'émergence d'une vérité des prix du transport aérien et que la situation concurrentielle des activités commerciales des aéroports n'impose pas de régulation spécifique de ces activités.
195. Toutefois, afin d'éviter les transferts de charges et de ressources entre les différentes activités des sociétés aéroportuaires, dont le risque est accentué par le système de la double caisse, il est nécessaire d'instaurer des règles de transparence renforcées pour permettre l'identification des coûts et ressources de chacune des activités des gestionnaires d'aéroports. La clarification des coûts et ressources des activités régulées et des activités concurrentielles permettra notamment de définir précisément la part qui doit revenir à chaque type d'activité dans le financement des investissements des gestionnaires d'aéroports.
196. A cet effet, l'Autorité recommande une séparation claire entre les activités de monopole relevant du périmètre de régulation et les activités soumises à la concurrence.
197. Le Conseil de la concurrence s'est prononcé à de multiples reprises sur la nécessaire séparation entre les activités sous monopole liées à l'exercice par un opérateur de réseaux d'une mission de service public et les activités concurrentielles exercées par ailleurs par cet opérateur (en ce sens, voir notamment l'avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 précité s'agissant des sociétés concessionnaires d'autoroutes, l'avis n° 97-A-07 sur les questions soulevées au regard du droit de la concurrence par la coexistence à France Télécom, au sein d'une même structure juridique et commerciale, d'activités de télécommunications exercées en situation concurrentielle et sous monopole, l'avis n° 96-A-10 du 25 juin 1996, concernant le fonctionnement des services financiers de La Poste au regard du droit de la concurrence ou l'avis n° 95-A-18 du 17 octobre 1995 sur les problèmes soulevés par les activités de messagerie de la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) au regard de la concurrence).
198. Cette séparation suppose au minimum l'adoption d'une comptabilité analytique permettant de distinguer les coûts et les ressources des activités régulées de ceux des activités concurrentielles.
199. La mise en place d'une comptabilité analytique pour les sociétés gestionnaires d'aéroports a déjà été recommandée par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 05-A-15 du 11 juillet 2005 précité, relatifs aux redevances aéroportuaires. Le Conseil soulignait ainsi que " la base de l'objectivité repose sur l'existence d'une comptabilité analytique permettant d'isoler les coûts des services fournis ". Cette recommandation a été relayée par la Cour des comptes dans son rapport thématique de juillet 2008 précité. Dans l'avis précité, le Conseil a par ailleurs préconisé la mise en œuvre d'audits réguliers des coûts d'utilisation des infrastructures aéroportuaires, " la règle de l'objectivité nécessit[ant] que des contraintes externes d'efficacité soient imposées aux opérateurs afin de les inciter à maîtriser leurs coûts et à améliorer la qualité de leurs prestations ".
200. Si les cahiers des charges d'ADP et des SAR font obligation à ces sociétés de mettre en œuvre une telle comptabilité, celle-ci reste toutefois embryonnaire, tant pour les SAR que pour les aéroports décentralisés, ce qui rend la fiabilité des comptes de certains aéroports régionaux très incertaine. L'Autorité réitère donc ses recommandations de l'avis n° 05-A-15 du 11 juillet 2005.
201. La séparation juridique entre les entités assurant des activités sous monopole et des activités concurrentielles, par la voie d'une filialisation des activités commerciales des sociétés aéroportuaires, constituerait une garantie supplémentaire. Le Conseil a déjà indiqué, dans de précédents avis, qu'il était parfois souhaitable de procéder à une séparation juridique des entités assurant des activités différentes, pour garantir l'exercice d'une concurrence effective, une filialisation permettant de vérifier que l'utilisation des infrastructures du réseau fait l'objet d'une facturation à son coût réel (voir en ce sens, les avis n° 97-A-07, n° 96-A-10 et n° 95-A-18 précités).
202. Le renforcement de la transparence des coûts et ressources des différentes activités aéroportuaires permettrait également d'améliorer la procédure de consultation des usagers des aéroports, en l'espèce les compagnies aériennes, lors de la fixation des redevances aéroportuaires, processus aujourd'hui peu transparent, et ce, alors que les obligations de transparence à l'attention des usagers sont renforcées par la directive 2009-12.
Délibéré sur le rapport oral de Mme Sylvie Vidal, rapporteure et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, Mme Françoise Aubert, Mme Anne Perrot, et Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes.
Notes :
1 Il s'agit des aéroports de Roissy-Charles de Gaulle, Orly, le Bourget, les aérodromes situés dans la région Ile de France, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry et Lyon-Bron, Marseille-Provence, Aix-Les Milles et Marignane-Berre, Montpellier-Méditerranée, Nantes-Atlantique et Saint-Nazaire-Montoir, Nice-Côte d'Azur et Cannes-Mandelieu, Strasbourg-Entzheim, Toulouse-Blagnac, Cayenne-Rochambeau, Fort de France-Le Lamentin, Pointe à Pitre-Le Raizet, Saint-Denis-Gillot, Saint-Pierre-Pointe Blanche et Bâle-Mulhouse.
2 Trois " verrous " ont été prévus à l'occasion du transfert de propriété : certains biens nécessaires à l'exercice par l'Etat ou ses établissements publics de leurs missions de service public concourant à l'activité aéroportuaire sont conservés dans le domaine public de l'Etat ; l'Etat peut s'opposer à la cession par ADP de tout ouvrage ou terrain nécessaire à l'exécution par la société de ses missions de service public ; en cas de fermeture partielle ou totale à la circulation aérienne publique d'un aéroport exploité par ADP, il est prévu le retour à l'Etat d'une part des plus-values foncières qui ne pourrait être inférieure à 70 % de leur total.
3 Le principe constitutionnel issu du 9e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 interdit de privatiser un bien ou une entreprise qui aurait le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait. L'exemple de France Telecom montre toutefois qu'il ne s'agit pas d'un verrou définitif, la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom n'ayant pas été soumise à l'examen du Conseil Constitutionnel.
4 Dans ses lignes directrices du 9 décembre 2005, la Commission a rappelé que le financement des infrastructures aéroportuaires et leur mise à disposition doivent être conformes au droit communautaire en matière d'aides d'Etat : ainsi, une subvention à l'exploitation d'un aéroport de plus d'un million de passagers annuels doit être notifiée à la Commission. Les aides aux compagnies aériennes pour le démarrage de nouvelles dessertes ne peuvent être justifiées que pour de petits aéroports et pour une durée limitée.
5 Les principales compagnies aériennes présentes sur les aéroports de Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly sont Air France-KLM (53,3 % du trafic total), Easyjet (5,1 %), Iberia (1,9 %), Lufthansa (1,6 %) et Corsairfly (1,6 %).
6 La mise en service de la LGV Est vers Strasbourg a eu un impact important sur le trafic enregistré à l'aéroport de Strasbourg-Entzheim. Le trafic prévisionnel anticipé par le gestionnaire est de 245 000 passagers vers Orly en 2008 (effet année pleine) contre 746 106 en 2005, soit une baisse de 67 %. Vers Roissy, la baisse du trafic serait limitée à 17 % du fait de l'effet " hub ".
7 L'échéance de la concession de l'aéroport de Lyon est fixée en 2047, de Toulouse en 2046, et de Bordeaux en 2037.
8 Aujourd'hui, le système des commissions d'appels d'offres ne fonctionne que pour les aéroports régionaux encore gérés par des CCI qui sont soumises au Code des marchés publics.
9 Les évolutions prévues sont les suivantes : 0 % en 2010, 0 % plus inflation en 2011, 1 % plus inflation en 2012, 1,5 % plus inflation en 2013, 2,2 % plus inflation en 2014, et 2,2 % plus inflation en 2015.
10 A ces redevances dites principales, s'ajoutent des redevances dites accessoires (redevance de balisage, pour mise à disposition de comptoirs d'enregistrement et d'embarquement, des installations de tri-bagages, des installations fixes de fournitures d'énergie électrique et des installations pour le dégivrage) qui peuvent être fixées par contrat si elles ne sont rendues qu'à certains usagers.
11 Ces modulations sont autorisées afin de réduire ou compenser les atteintes à l'environnement, améliorer l'utilisation des infrastructures, favoriser la création de nouvelles liaisons ou répondre à des impératifs de continuité ou d'aménagement du territoire (article L. 224-2-I du Code de l'aviation civile).
12 La CoCoAéro est composée de sept membres nommés pour une durée de cinq ans, dont quatre sont désignés par les présidents de l'Assemblée Nationale et du Sénat, par le Conseil d'Etat et la Cour des comptes et trois choisies par les ministres chargés de l'aviation civile et de l'économie.
13 Le Conseil d'Etat a ainsi annulé les tarifs des redevances pour service rendu d'ADP pour 2006 au motif de l'insuffisance de l'information fournie par ADP à la CoCoEco pour la délivrance de son avis.
14 CE, 2 novembre 1987, Mansier ; CE, 25 avril 2007 FNAM.
15 Cette décision a été remise en cause par le Tribunal d'appel de la concurrence (Competition Appeal Tribunal), non sur le fond mais pour des motifs relatifs à la régularité de la procédure suivie par la Commission.
Annexe I : Règles de concurrence qui seraient applicables aux exploitants aéroportuaires après privatisation de leur capital
Application de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005 | Règles applicables aux marchés conclus avec des entreprises liées | Règles applicables aux concessions (activités commerciales)
- Aéroports de Paris (ADP)
OUI | Information des ministres pour les marchés de plus de 130 000 euro conclus avec les entreprises liées. (article 62 du cahier des charges) | Régime des baux civils (sauf interdiction prévue à l'article L. 251-3 du Code de l'aviation civile pour certaines parties du domaine aéroportuaire). Obligations de transparence et de non-discrimination (jurisprudence Telaustria).
- Sociétés Aéroportuaires Régionales (SAR) (grands aéroports régionaux)
OUI | Mise en concurrence des marchés de travaux. (article 62 du cahier des charges) Pas d'obligation de mise en concurrence pour les autres marchés. | Mise en concurrence obligatoire. (article 11 du cahier des charges)
- Aéroport Notre-Dame- des-Landes
NON | Cf. clauses du futur contrat de concession, dont la signature est prévue pour la fin de l'année 2010. | Conventions d'occupation temporaire du domaine public. Obligations de transparence et de non-discrimination (jurisprudence Telaustria).
- Aéroports décentralisés
NON | Aucune obligation de mise en concurrence. | Conventions d'occupation temporaire du domaine public. Obligations de transparence et de non-discrimination (jurisprudence Telaustria).
Annexe II : Propositions visant à soumettre les exploitants aéroportuaires à des règles de concurrence renforcées
Application de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005 | Exemption des règles de concurrence profitant aux entreprises liées | Règles de concurrence applicables aux concessions (activités commerciales) | Renforcement des obligations de mise en concurrence
- Aéroports de Paris (ADP)
Il n'est pas nécessaire de prévoir une assimilation contractuelle d'ADP à une entité adjudicatrice. | Modifier le cahier des charges pour imposer une mise en concurrence pour les marchés de travaux, de fournitures et de services passés avec des entreprises liées. | Modifier le cahier des charges pour imposer une mise en concurrence pour l'attribution des concessions commerciales. | Modifier les seuils d'application des règles de concurrence de telle sorte qu'ils permettent de contrôler l'essentiel des commandes en valeur. Mettre en place des commissions d'appel d'offres composées de membres indépendants et d'un représentant de la DGCCRF.
- Sociétés Aéroportuaires Régionales (SAR) (grands aéroports régionaux)
Id. | Etendre les obligations de mise en concurrence aux marchés de fournitures et de services conclus avec des entreprises liées. | N.A. | Id.
- Aéroport Notre Dame des Landes
Réintroduire les obligations de mise en concurrence issues de la directive 2004-17 et de l'ordonnance du 6 juin 2005 dans le contrat de concession. | Inclure dans le cahier des charges des règles de mise en concurrence pour les marchés de travaux, de fournitures et de services passés avec des entreprises liées. | Inclure dans le cahier des charges des règles imposant une mise en concurrence pour l'attribution des autorisations d'occupation du domaine public. | Id.
- Aéroports décentralisés
Id. | Id. | Id. | Id.