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Décisions

ADLC, 7 juin 2010, n° 10-A-11

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif au Conseil interprofessionnel de l'optique

ADLC n° 10-A-11

7 juin 2010

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la demande d'avis du 26 septembre 2007, présentée par l'Union des opticiens, syndicat professionnel, sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce, enregistrée par le Conseil de la concurrence sous le numéro 07/0086 A ; Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants de l'Union des opticiens entendus lors de la séance du 4 mai 2010 ; Est d'avis de répondre dans le sens des observations suivantes :

1. L'Union des opticiens (ci-après l'UDO), syndicat professionnel regroupant 350 opticiens lunetiers indépendants, a participé aux discussions précédant la création, en juin 2007, du Conseil interprofessionnel de l'optique (ci-après le CIO), mais n'a pas souhaité y rejoindre par la suite les autres syndicats professionnels opérant dans le secteur de l'optique.

2. Le 26 septembre 2007, l'UDO a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce, afin de recueillir son avis sur la conformité aux règles de concurrence de l'organisme interprofessionnel.

3. En définitive, la question posée à l'Autorité de la concurrence est la suivante : le CIO est-il susceptible de donner lieu à des échanges d'informations contraires aux règles de concurrence, dès lors que son champ d'intervention théorique est relativement étendu et qu'il regroupe en son sein la quasi-totalité des représentants des opérateurs du marché de l'optique, particulièrement ceux des fabricants et des distributeurs ?

4. A titre liminaire, il convient de préciser qu'il n'appartient pas à l'Autorité, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'avis, de qualifier des pratiques au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, une telle qualification relevant exclusivement de ses fonctions contentieuses et selon une procédure contradictoire.

5. L'Autorité s'appuie sur des principes établis par le Conseil de la concurrence, notamment dans son avis n° 06-A-18 du 5 octobre 2006 relatif à un projet d'indicateur d'occupation des hôtels de la région de Mulhouse : "Si l'article L. 462-1 du Code de commerce ouvre la possibilité à une organisation professionnelle de saisir pour avis le Conseil de la concurrence de toute question de concurrence, il n'a pas pour objet de permettre un examen pré-contentieux d'une pratique. Les réponses apportées à une demande d'avis ne sauraient en rien préjuger de l'appréciation que le Conseil de la concurrence pourrait porter sur des faits identiques ou comparables, dont il pourrait être ultérieurement saisi dans le cadre d'une affaire contentieuse."

6. De manière générale, toute organisation professionnelle qui suspecte l'existence de pratiques anticoncurrentielles dans son secteur d'activité peut susciter une procédure contentieuse en saisissant l'Autorité de la concurrence, "pour toute affaire qui concerne les intérêts dont [elle a] la charge", en application de l'article L. 462-5-II du Code de commerce.

7. Dans un avis n° 05-A-06 du 31 mars 2005 relatif à une demande d'avis de la Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers bois (CNIEFEB), le Conseil de la concurrence a d'ailleurs rappelé que "seule une saisine contentieuse et la mise en œuvre d'une procédure pleinement contradictoire, prévue par les articles L. 463-1 et suivants dudit code, sont de nature à permettre une appréciation de la licéité de la pratique considérée au regard des dispositions prohibant les ententes illicites et les abus anticoncurrentiels de position dominante ou de dépendance économique."

8. L'Autorité de la concurrence rappelle également que le présent avis ne saurait constituer une exemption d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles, au sens de l'article L. 420-4 du Code de commerce ou de l'article 101 paragraphe 3 du Traité CE.

I. Le secteur concerné par la demande d'avis

A. ASPECTS RÉGLEMENTAIRES

Des produits et une profession réglementés

9. Pour porter des lunettes, un patient doit au préalable obtenir d'un médecin spécialisé en ophtalmologie une prescription indiquant le niveau de correction des verres.

10. Les produits d'optique oculaire, c'est-à-dire les verres, montures, lentilles de contact et solutions d'entretien sont des dispositifs médicaux régis par le code de la santé publique (notamment par les articles L. 5211-1 à L. 5211-6 dudit code).

11. La délivrance de ces produits d'optique oculaire est également encadrée et réservée à des professions de santé ou paramédicales réglementées, au premier chef les opticiens (cf. les articles L. 4362-1 et suivants du code de la santé publique et notamment l'article L. 4363-2 dudit code qui prohibe "l'exercice illégal de la profession (…) d'opticien-lunetier". Les pharmaciens peuvent dans certains cas procéder à la délivrance des solutions d'entretien.

12. La réglementation applicable à la profession d'opticien s'étend aux modalités d'exercice du commerce de produits d'optique-lunetterie. L'article L. 4362-9 du code de la santé publique dispose ainsi que "les établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d'optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier."

Le rôle central de l'opticien dans l'acte d'achat de produits optiques

13. Le rôle de l'opticien est décisif dans le choix par le patient de ses montures, de ses verres correcteurs ou de ses lentilles de contact.

14. C'est à lui qu'il incombe d'informer le patient de ses tarifs, lesquels peuvent varier en fonction de la qualité des verres (incassables ou non) et d'autres services connexes (antireflets ou non). L'opticien doit être également en mesure d'indiquer à son client, notamment par la remise de devis, le taux de remboursement de base pour tel ou tel produit.

15. Depuis 2007, les opticiens peuvent renouveler des lunettes sans nouvelle ordonnance, sous certaines conditions et à l'exception notamment des verres destinés aux enfants de moins de 16 ans.

B. ASPECTS ÉCONOMIQUES

Les chiffres clés du secteur

16. Le marché de l'optique a réalisé un chiffre d'affaires de 4,9 mds € en 2007 (source GFK), en progression de 2,6 % par rapport à l'année antérieure.

17. Plus d'un Français sur deux porte des lunettes et 10 millions de paires sont vendues chaque année (données 2007 - Institut National de la consommation).

La prise en charge par l'assurance maladie obligatoire

18. L'âge des patients est une donnée importante s'agissant de la prise en charge par l'assurance maladie obligatoire des montures et des verres. S'agissant des patients mineurs, l'Assurance Maladie rembourse la monture à hauteur de 65 %, sur la base d'un tarif fixé à 30,49 euros, soit 19,80 euros. Pour les adultes, le taux est identique mais le tarif de base est fixé à 2,84 euros, soit une prise en charge de 1,85 euros.

19. Le nombre de paires de lunettes susceptibles d'être prises en charge peut également varier en fonction de l'âge des patients, de l'évolution de l'affection et de la périodicité des achats.

20. Au total, la prise en charge de ce type de soins par la sécurité sociale demeure particulièrement faible, à hauteur de 5 %.

Le rôle des organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM)

21. Les organismes complémentaires d'assurance maladie contribuent de plus en plus au financement des lunettes. Ces organismes peuvent ainsi prendre en charge tout ou partie des frais qui ne sont pas remboursés par l'Assurance Maladie dans la mesure où le contrat liant l'assuré à son organisme le prévoit.

22. Le rôle croissant des OCAM s'exprime également par le développement des réseaux de soins agréés, notamment dans les domaines de l'optique et des soins dentaires. L'avis de l'Autorité de la concurrence n° 09-A-46 du 9 septembre 2009 a ainsi relevé que sur les 11 000 opticiens opérant en France, 5 950 étaient affiliés à l'un de ces réseaux de soins.

C. ASPECTS CONCURRENTIELS

Au stade de la production

23. Au stade de la fabrication des lunettes, le marché se caractérise par la forte atomicité des opérateurs : en 2007, 78,4 % des entreprises du secteur employaient moins de 20 salariés (source étude Xerfi d'octobre 2008). Cette atomicité explique pour partie la relative fragilité du tissu industriel ainsi que sa double polarisation, entre d'un côté les établissements les plus petits menacés par la concurrence des pays à faible coût de main d'œuvre et de l'autre, la réussite du leader mondial de la fabrication de verres, Essilor, du fait notamment de sa spécialisation sur des produits innovants.

24. Ce marché est cependant marqué par la concentration relative des entreprises, en progression entre 2001 et 2006 mais qui s'est stabilisée en 2007 (source étude Xerfi d'octobre 2008).

Au stade de la distribution

25. S'agissant de la distribution de lunettes, la concurrence intersectorielle, celle représentée par la vente à distance et par les grandes surfaces alimentaires, demeure marginale, compte tenu notamment des spécificités réglementaires ou économiques du secteur exposées plus haut.

26. En revanche, la concurrence intra-sectorielle se caractérise par un dynamisme durable. En effet, le nombre de points de vente d'optique est passé de 8 700 en 2004 (source étude Xerfi de novembre 2008) à 11 000 en 2009.

27. Le circuit de la distribution des produits optiques se répartit entre trois pôles de taille similaire et un quatrième de taille relativement modeste. Les opticiens franchisés ou succursalistes ont ainsi réalisé 34,5 % des ventes en valeur en 2007, les opticiens en groupement coopératif 29,9 %, les opticiens indépendants 26,1 % et les opticiens mutualistes 9,5 % (source étude Xerfi de novembre 2008).

D. PRÉSENTATION DU CONSEIL INTERPROFESSIONNEL DE L'OPTIQUE

La représentativité de l'organisme interprofessionnel

28. Le Conseil interprofessionnel de l'optique (CIO) regroupe les syndicats professionnels suivants :

- Le Groupement des industriels et fabricants de l'optique (GIFO), lui-même constitué des cinq syndicats professionnels de fabricants de produits optiques ;

- La Fédération nationale des opticiens de France (FNOF), créée en 1999 par des opticiens en provenance de l'UDO, représente 5 000 opticiens indépendants ;

- Le Syndicat des Opticiens sous enseigne (SYNOPE), également constitué par des opticiens ayant quitté l'UDO, rassemble 6 groupes qui se répartissent 14 enseignes (Afflelou, Pluriel, Atol, Grand Optical, Générale d'Optique, Optic 2000, Lissac, Krys, Lun'S, Vision original, Vision Plus, Lynx, Optissimo et Visual). Le SynOpe représente 4 000 points de vente ;

- Le Syndicat national des centres d'optique mutualistes (SYNOM), créé en octobre 2008, regroupe 670 points de vente ;

- Le Syndicat des centrales d'Achat au service des opticiens indépendants (CASOPI), créé en février 2009, est constitué de quatre centrales d'achat liées à 3 000 opticiens indépendants.

29. Au total et à l'exception de l'organisation professionnelle saisissante, tous les syndicats professionnels opérant dans le secteur de l'optique adhèrent au CIO.

L'activité de l'organisme interprofessionnel

30. Le champ d'intervention théorique du CIO apparaît relativement étendu : "l'étude et le suivi de toutes questions présentant un intérêt collectif partagé par les fabricants et les opticiens, notamment pouvant favoriser la technique, le développement, la normalisation et la valorisation des produits optiques. Elle a en particulier pour objet l'étude de procédés d'échanges de données informatisées facilitant les transactions dans la filière optique et avec les tiers" (article 3 des statuts).

31. Compte tenu des informations dont dispose à ce stade l'Autorité de la concurrence, l'activité du CIO semble être orientée principalement vers les questions suivantes :

La participation au projet EDI-Optique

32. Le projet EDI-Optique s'inscrit dans le cadre plus large du projet TIC-PME 2010, lancé en 2005, qui a pour objectif d'améliorer la compétitivité de l'économie française par un meilleur usage des technologies de l'information et de la communication, et qui se traduit par un dispositif de soutien technique public à des organismes interprofessionnels sélectionnés après appel à projets.

33. Dans le secteur concerné par la demande d'avis, le projet EDI-Optique a été sélectionné, compte tenu de sa "vocation d'étendre le champ des télétransmissions émises et reçues dans les magasins d'optique. Présentement limités aux catalogues, commandes, confirmations de commande et facturations de verres, ces échanges seront étendus aux domaines de la lunetterie et de la contactologie. En outre, le projet mettra à l'étude une extension des échanges entre les opticiens et les Assureurs Maladie Complémentaires." (fiche de présentation EDI-Optique).

34. Le projet EDI-Optique est porté par une association éponyme qui réunit, aux côtés de l'Union nationale des organismes complémentaires d'assurance maladie, les grands industriels du verre, la mutualité, ainsi que les centrales d'achat sous enseigne mais qui ne comprend pas d'organismes représentant les opticiens.

35. La création du CIO a donc pour origine première le souhait de l'ensemble des syndicats professionnels de la filière optique d'associer les représentants des opticiens au projet EDI-Optique.

36. L'action du CIO s'est traduite par la création d'un comité de pilotage paritaire EDI Optique - CIO et par des discussions au sein du CIO, notamment dans le but de proposer une norme commune à toute la filière optique en matière de données susceptibles d'être transmises par les opticiens aux organismes complémentaires d'assurance maladie.

Les interventions en matière de vente à distance des produits optiques

37. Le CIO a également établi des liens avec le Forum des droits sur l'Internet, structure qui rassemble acteurs publics et privés et qui doit formuler des recommandations, notamment à propos de la vente à distance de produits de santé. Le CIO a été également sollicité par les pouvoirs publics en vue de répondre aux griefs de la Commission européenne à l'encontre des présumés obstacles réglementaires à la vente à distance des produits d'optique-lunetterie sur le marché français.

38. Au total, deux grands axes peuvent être dégagés dans ce qui constitue l'activité du CIO et dans les échanges d'information auxquels celle-ci donne lieu : l'élaboration de positions communes en matière de dématérialisation des transactions concernant les produits optiques d'une part ; la défense des intérêts de l'ensemble du secteur au moyen d'actions de communication et de " lobbying " d'autre part.

II. La compatibilité des échanges d'informations entre concurrents au regard des règles de concurrence

A. LE CADRE GÉNÉRAL DE L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

39. Le fonctionnement concurrentiel d'un marché repose sur l'autonomie dont font preuve les entreprises présentes sur ce marché dans la détermination de leur politique commerciale et donc sur l'incertitude de chaque opérateur quant au comportement futur de ses concurrents.

40. Afin de réduire cette incertitude, des entreprises peuvent s'échanger de manière licite des informations qui sont accessibles à tous les opérateurs, clients y compris. Cependant, dès lors que ces entreprises s'échangent volontairement et de manière réciproque des informations non accessibles à l'ensemble du marché et stratégiques, elles ne sont plus en mesure de définir leur politique commerciale avec un degré d'autonomie suffisant, entraînant par la même le risque de la mise en place d'un équilibre collusif.

41. La Cour de Justice des Communautés Européennes a ainsi énoncé les principes pouvant justifier - ou non - des échanges d'informations entre concurrents : "L'exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents. Elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché" (CJCE, Züchner contre Bayerische Vereinsbank, 14 juillet 1981).

42. Les échanges d'informations entre entreprises peuvent donc avoir des effets différents sur le fonctionnement d'un marché. Si, dans certains cas, ils peuvent être porteurs d'effets anticoncurrentiels de type collusif, ils peuvent aussi le cas échéant donner lieu à des effets pro-concurrentiels.

1. LE RISQUE D'ÉCHANGES D'INFORMATIONS ANTICONCURRENTIELS

43. Parmi les effets collusifs induits par les échanges d'informations entre concurrents figurent la possibilité de coordonner, même de manière tacite, les politiques commerciales des différents opérateurs (par un alignement des offres, par exemple) ainsi que la capacité à détecter et à prévenir les éventuelles déviations de certains opérateurs.

44. Les échanges d'informations entre entreprises sont donc susceptibles d'être considérés comme des pratiques concertées contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ou de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

45. Les échanges d'informations entre entreprises peuvent être sanctionnés en tant que tels et indépendamment de toute autre forme d'entente dès lors qu'il apparaît de façon concrète qu'ils ont eu "pour objet ou pour effet réel ou potentiel, compte tenu des caractéristiques du marché, de son fonctionnement, de la nature et du niveau d'agrégation des données échangées (…) et de la périodicité des échanges, de permettre aux opérateurs de s'adapter aux comportements prévisibles de leurs concurrents et ainsi de fausser ou de restreindre de façon sensible la concurrence sur le marché concerné" (arrêt du 29 juin 2007 de la Cour de cassation, Téléphonie mobile, faisant suite à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 décembre 2006 et à la décision n° 05-D-65 du conseil de la concurrence du 30 novembre 2005).

46. La Cour de Justice des Communautés Européennes a même considéré que des échanges d'informations pouvaient être considérés comme des pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel, dès lors qu'ils étaient "susceptibles d'éliminer les incertitudes quant au comportement envisagé par les entreprises concernées". Elle a précisé par ailleurs que les entreprises demeurées actives sur le marché sont présumées avoir pris en compte les informations échangées pour déterminer leur comportement postérieur, et ceci même dans l'hypothèse où l'échange serait intervenu une seule fois. (CJCE, T-mobile, 4 juin 2009).

2. LA POSSIBILITÉ D'ÉCHANGES D'INFORMATIONS PROCONCURRENTIELS

47. Les échanges d'informations peuvent permettre aux entreprises de mieux connaître le marché et donc d'améliorer leur efficacité interne, notamment au moyen de méthodes d'étalonnage ("benchmarking") par rapport à leurs concurrentes.

48. Les échanges d'informations peuvent également contribuer à effectuer des réajustements de l'offre par rapport à la demande, par exemple en orientant la production vers les marchés à forte demande et/ou à faibles coûts ou en évitant des surcapacités.

49. Par ailleurs, si ces informations sont largement diffusées, elles peuvent favoriser l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché et améliorer l'information des consommateurs.

50. La Commission européenne a souligné les facteurs pouvant rendre des échanges d'informations pro-concurrentiels par leurs effets : "Afin de pouvoir soutenir efficacement la concurrence sur un marché donné, les sociétés ont besoin d'informations sur celui-ci et sur son évolution. La préparation et la distribution des statistiques de la production, des ventes ou autres à l'intérieur d'un secteur est une tâche qui peut légitimement être entreprise par les bureaux statistiques et associations professionnelles. La fourniture de ces statistiques peut améliorer la connaissance qu'ont les sociétés du marché sur lequel elles opèrent et donc renforcer la concurrence. C'est pourquoi la Commission n'a pas d'objections à formuler lorsque des associations professionnelles (…) échangent des statistiques de la production et des ventes du secteur en question sans spécifier les entreprises individuellement" (décision Thyssen Stahl du 16 février 1994).

51. En définitive, le caractère pro-concurrentiel ou anticoncurrentiel d'un système d'échanges d'informations relèvera d'une analyse au cas par cas, en fonction des critères définis par la jurisprudence.

B. B. LES CRITÈRES D'ANALYSE

52. L'appréciation de la licéité de ces échanges d'informations au regard du droit de la concurrence s'effectue au cas par cas par le biais d'une méthode d'analyse multi-critères définie par le Conseil de la concurrence : "Ces critères cumulatifs concernent la forme, la nature, les destinataires des informations, et doivent être aussi rapportés à la situation de la concurrence sur le marché en cause." (avis n° 03-A-09 du 6 juin 2003 relatif à l'établissement d'un indice du coût de la réparation automobile).

53. Avant de rappeler les règles jurisprudentielles en matière d'échanges d'informations tenant à la forme et la nature de l'échange, à l'utilisation faite des données et à la prise en compte de l'intensité de la concurrence existant sur le marché concerné, la question de la participation d'un organisme professionnel à un système d'échange d'informations sera abordée.

1. LA PARTICIPATION D'UN ORGANISME PROFESSIONNEL À UN ÉCHANGE D'INFORMATIONS

L'activité d'un syndicat professionnel au regard des règles de concurrence

54. S'agissant de la possibilité pour un syndicat professionnel de voir son activité soumise aux règles de concurrence, le Conseil de la concurrence a déjà relevé qu'une "organisation syndicale ou un ordre professionnel, lorsqu'il sort de la mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie et qu'il intervient sur un marché, est, au sens du droit de la concurrence, une entreprise susceptible d'être sanctionnée sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce." (Décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne).

55. En tout état de cause, la Cour de cassation a considéré qu'une pratique anticoncurrentielle, même mise en œuvre dans le cadre d'un ordre professionnel, s'entendait également comme un comportement de chacun de ses membres. Dans un arrêt du 16 mai 2000 (Ordre national des pharmaciens), elle a ainsi jugé "qu'un ordre professionnel représente la collectivité de ses membres, et qu'une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente, au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, entre ses membres."

56. Par ailleurs, le fait que les pratiques concertées aient lieu par l'intermédiaire d'un organisme professionnel a été considéré par le Conseil de la concurrence comme sans incidence sur la matérialité desdites pratiques, notamment dans son avis n° 03-A-09 précité : "Peu importe que cette entente intervienne directement entre les entreprises ou par le biais d'une entreprise commune (…) ou d'un organisme professionnel (…). La structure commune peut en effet être partie à l'entente aux côtés des entreprises ("c'est la nature de l'activité économique et non la qualité de l'opérateur ou la forme selon laquelle il intervient, qui détermine l'application des règles de concurrence", Cour d'appel "Académie d'architecture", 2000), ou être considérée comme n'étant que l'expression des volontés des entreprises associées (Cour d'appel, "GITEM", 1993)."

57. Par conséquent, il importe peu, au regard des règles de concurrence, que les pratiques suspectées soient mises en œuvre dans le cadre d'un syndicat regroupant des entreprises ou dans le cadre d'un syndicat constitué d'autres syndicats professionnels, tel étant le cas du CIO.

Le rôle d'un syndicat professionnel au regard des règles de concurrence

58. S'agissant de l'exercice par un syndicat professionnel de ses missions au regard des règles de concurrence, il est possible de définir en la matière quelques principes directeurs.

59. Il incombe ainsi à un syndicat professionnel non seulement de ne pas concourir à la commission de pratiques anticoncurrentielles, mais aussi de mettre en garde ses adhérents contre le caractère manifestement anticoncurrentiel de leurs comportements.

60. Ces principes ont été rappelés par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des produits sidérurgiques, dans laquelle a été établie la participation d'un syndicat professionnel à une entente, mettant également en cause des entreprises au titre de leurs comportements individuels : "Il résulte des pièces réunies au dossier que le syndicat a joué dans la concertation un rôle actif qui dépasse la simple fourniture d'un support logistique : FNA a collecté et diffusé des informations utiles au fonctionnement de l'entente, a participé aux réunions (…). Ce faisant, le syndicat a dévoyé l'agrément qu'il a reçu du SESSI pour la collecte de données statistiques et méconnu sa mission particulière d'assistance et de conseil qui aurait dû l'inciter à mettre ses adhérents en garde contre le caractère manifestement anticoncurrentiel de leur comportement."

61. Par ailleurs, un syndicat peut délivrer des informations ou des conseils à destination de ses adhérents, dès lors que ces informations ont un degré de généralité suffisant et que cette diffusion n'interfère pas dans le processus des négociations commerciales entre opérateurs économiques.

62. Ce principe a été réaffirmé par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 05-D-33 du 27 juin 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Ilec, le syndicat professionnel ayant été en l'espèce mis hors de cause : "Le Conseil de la concurrence a, à maintes reprises(…) affirmé qu'il était loisible à un syndicat professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité. En l'espèce, l'Ilec est resté dans son rôle d'information et de conseil de ses adhérents (…). En limitant son intervention au débat juridique de portée générale, l'Ilec n'a pas outrepassé son rôle de groupement professionnel. (…) Par ailleurs, l'Ilec ne s'est pas non plus immiscé dans le processus des négociations commerciales. (…). En tant qu'association à vocation de défense professionnelle, l'Ilec a suivi de manière globale et anonyme les négociations qui se déroulaient avec l'ensemble des distributeurs. (…). L'Institut n'a pas, dans ces conditions, outrepassé son rôle de défense collective des fournisseurs."

2. LA NATURE DES INFORMATIONS ÉCHANGÉES

63. Il convient de rappeler les conditions de forme et de nature auxquelles doivent se conformer les informations échangées afin que celles-ci ne donnent pas lieu à des effets anticoncurrentiels.

64. De manière générale, "la jurisprudence du Conseil demande (…) que la nature des informations échangées ne permette pas d'identifier la stratégie des entreprises qui sont en concurrence sur un marché" (avis n° 06-A-18 précité). L'indépendance de chaque entreprise dans ses décisions de prix, et plus généralement dans sa stratégie commerciale, représente en effet une condition indispensable pour que se développe le libre jeu de la concurrence.

65. Le Conseil de la concurrence a d'ailleurs rappelé que les échanges d'informations entre concurrents, même ceux portant sur des coûts ou sur des prix, n'étaient pas anticoncurrentiels en soi mais qu'ils devaient ne pas "avoir pour conséquence de restreindre la concurrence sur le marché concerné, par une fixation artificielle des prix de vente sur le marché, ou en dissuadant chaque entreprise d'établir ses prix en fonction de ses coûts et de sa stratégie commerciale propres" (avis n° 03-A-09 précité).

66. Il est donc nécessaire que la mise en forme des informations permette de garantir l'anonymat des entreprises participant à l'échange et celui des informations mises en commun.

67. Sont ainsi prohibés les échanges d'informations stratégiques futures, portant par exemple sur des prix, dans la mesure où ces données ne peuvent être obtenues par les entreprises autrement que par l'échange.

68. Certains échanges relatifs à des prix théoriques, issus par exemple de la diffusion d'études de coûts, peuvent également dissuader les entreprises de fixer leurs prix de manière autonome et sont donc tout autant proscrits.

69. S'agissant de données passées, les critères pris en considération sont "leur caractère public ou confidentiel, leur caractère stratégique ou de secret d'affaires, leur degré d'ancienneté (c'est-à-dire leur proximité ou non avec les derniers résultats connus), ainsi que leur niveau d'agrégation" (avis n° 10-A-05 du 23 février 2010 relatif à la réalisation d'enquêtes statistiques par la Chambre syndicale des améliorants organiques et supports de culture).

70. A titre d'illustration, le volume des ventes réalisées et la part de marché détenue par une entreprise constituent des informations relevant du secret des affaires, particulièrement lorsqu'il s'agit des performances récentes.

71. S'agissant des données à caractère public, l'échange d'informations qui sont déjà publiques n'est pas considéré en principe comme anticoncurrentiel. Le Conseil de la concurrence a ainsi exposé que "dans la mesure où les informations échangées n'ajouteraient rien de déterminant par rapport aux informations déjà disponibles sur le marché, elles ne modifieraient pas la structure du marché et donc les conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence" (décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, téléphonie mobile). Cependant, le caractère véritablement public des données concernées s'apprécie au regard de leur facilité d'accès et donc du coût qu'engendrerait leur collecte par un autre biais que par l'échange.

72. Est également pris en compte le fait que les données échangées soient largement diffusées ou au contraire " diffusées entre les principaux offreurs, à leur seul profit, à l'exclusion des autres offreurs et des consommateurs " (CJCE 28 mai 1998, John Deere). En effet, un échange d'informations est moins susceptible d'avoir des effets anticoncurrentiels s'il est accessible aux tiers, qu'il s'agisse de concurrents étrangers à l'échange, d'opérateurs susceptibles d'entrer sur le marché, ou de consommateurs.

73. Par ailleurs, les échanges sont d'autant plus susceptibles d'être considérés comme anticoncurrentiels qu'ils portent sur des "données stratégiques, récentes et individuelles (ou trop peu agrégées)" (avis n° 10-A-05 précité).

74. L'exigence d'anonymat doit donc conduire à "privilégier les formes agrégées de diffusion de l'information, telles les mercuriales de prix, les valeurs moyennes, ou les indices (avis n° 03-A-09 précité).

75. S'agissant du niveau d'agrégation requis en matière de diffusion de données passées relatives aux prix, le Conseil de la concurrence a admis cette diffusion dès lors que "ces données, constatées a posteriori, traduisant les résultats observés sur un marché concurrentiel, ne sont pas individualisées et ne permettent pas à chaque participant de modifier sa politique tarifaire en fonction de celle constatée chez ses concurrents" (décision n° 88-D-13 du 15 mars 1988, secteur de l'emballage aluminium pour l'alimentaire).

76. La Commission européenne a également rappelé que le niveau d'agrégation des données échangées devait être tel qu'il soit "impossible de désagréger les informations et ainsi de permettre à des entreprises d'identifier directement ou indirectement les stratégies concurrentielles des concurrents" (lignes directrices sur le transport maritime, 2008).

77. L'appréciation de ce niveau d'agrégation doit prendre également en considération "le nombre d'entreprises dont les données sont agrégées, (…) les catégories de produits ou de clients retenus et les zones géographiques concernées", l'existence de "données déjà disponibles sur le marché, ainsi que des données qui pourraient être accessibles à certains opérateurs du fait, notamment, des participations qu'ils détiennent dans d'autres entreprises" (avis n° 10-A-05 précité).

78. En définitive, les conditions générales de validité des échanges d'informations entre concurrents sont celles qui garantissent "l'anonymat, l'ancienneté, l'impossibilité de rétablir l'individualisation des informations et le caractère constaté des données utilisées" (avis n° 03-A-09 précité).

3. LES CARACTÉRISTIQUES DU SYSTÈME D'ÉCHANGE

79. Il convient également de prendre en considération la fréquence des échanges et son aptitude à éliminer ou restreindre l'incertitude sur la stratégie commerciale des concurrents. L'Autorité de la concurrence a rappelé à cet égard que "l'échange d'informations est en effet d'autant plus susceptible d'influer sur les décisions commerciales des participants qu'il se fait de manière systématique et sur la base d'une périodicité rapprochée" (avis n° 10-A-05 précité).

80. Les données doivent donc être collectées a posteriori et avec un délai suffisant par rapport à leur constatation, afin que l'échange d'informations n'empêche pas les entreprises de déterminer leur politique commerciale en totale autonomie par rapport à celle de leurs concurrents.

81. L'utilisation concrète faite par les entreprises des données échangées peut également être prise en compte pour constater qu'un échange d'informations est porteur d'effets anticoncurrentiels. La Cour de cassation a ainsi admis l'existence de tels effets, dès lors que "les informations échangées ont été utilisées concrètement par les opérateurs pour évaluer les conséquences de la politique commerciale mise en œuvre, justifier les mesures commerciales prévues, infléchir, le cas échéant, la politique commerciale, enfin anticiper le comportement de l'un d'entre eux en réaction à une baisse de ses parts de marché ;" et que la cour d'appel avait vérifié que "les informations échangées, en dépit de leurs imperfections, avaient été effectivement utilisées par les opérateurs pour ajuster leur stratégie" (Arrêt du 7 avril 2010, Téléphonie mobile).

4. LA PRISE EN COMPTE DES CARACTÉRISTIQUES DU MARCHÉ CONCERNÉ

82. La transparence accrue du marché résultant des échanges d'informations entre entreprises concurrentes a un impact différent selon le nombre d'entreprises actives sur le marché, leur force commerciale respective et l'intensité de la compétition les opposant.

83. La Commission européenne a ainsi relevé que la concentration du marché en cause devait "s'apprécier en fonction de différents critères, notamment le nombre de producteurs présents sur le marché, l'existence de liens structurels entre eux, les parts de marché cumulées des principales entreprises, les barrières à l'entrée" (décision du 26 novembre 1997, affaire IV/36.069 Wirtschaftsvereinigung Stahl).

84. Dès lors qu'un marché est fortement concentré et que la part de marché combinée des participants à l'échange est importante, le dispositif collusif est plus facile à coordonner et à soutenir, tandis que les éventuelles déviations sont plus aisément détectables.

85. Les échanges fréquents d'informations stratégiques entre opérateurs concurrents sont d'autant plus susceptibles d'altérer les conditions d'exercice de la concurrence sur un marché et de favoriser la mise en place d'un équilibre collusif que ce marché est oligopolistique et les barrières à l'entrée fortes.

86. En effet, un système d'échange d'informations stratégiques et confidentielles, diffusées sur un marché oligopolistique fortement concentré, selon une périodicité rapprochée, de manière systématique ainsi qu'au seul profit des principaux offreurs, "atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché et est de nature à altérer la concurrence entre les opérateurs économiques" (CJCE 28 mai 1998, John Deere).

87. Ce critère de concentration du marché a également été retenu à plusieurs reprises par le Conseil de la concurrence et les juridictions françaises pour sanctionner certaines pratiques d'échanges d'informations (voir notamment en ce sens la décision du Conseil de la Concurrence n° 05-D-64 du 25 novembre 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des palaces parisiens).

88. Toutefois, l'analyse doit toujours s'effectuer au cas par cas car il peut arriver que des échanges d'informations aient des effets anticoncurrentiels sans que le degré de concentration du marché considéré soit élevé.

89. La Cour de Justice des Communautés Européennes a ainsi rappelé qu'un accord d'échange d'informations est contraire aux règles de concurrence "même lorsque le marché en cause n'est pas un marché oligopolistique fortement concentré, lorsqu'il atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement dudit marché avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises". Il faut alors prendre en compte un ensemble de critères, "le seul principe général retenu en matière de structure du marché étant que l'offre ne doit pas avoir un caractère atomisé" (arrêt du 2 octobre 2003, Producteurs européens de poutrelles).

90. S'agissant de marchés sur lesquels l'offre est atomisée, les effets anticoncurrentiels qui pourraient résulter d'échanges d'informations peuvent paraître moins probables. En effet, si la part de marché cumulée des participants à l'échange est faible, l'échange parait peu susceptible d'avoir des effets anticoncurrentiels, dans la mesure où l'incertitude subsiste quant au comportement des entreprises non participantes à l'échange.

91. Cependant, des échanges d'informations ayant lieu sur des marchés fortement atomisés peuvent dans certaines circonstances faciliter la coordination des politiques commerciales des opérateurs.

92. Le Conseil de la Concurrence a souligné à cet égard le caractère décisif du rôle que peut jouer un organisme professionnel dans la coordination des opérateurs sur ce type de marché : "dans l'hypothèse d'un marché comprenant un grand nombre de petites entreprises, le risque d'interactions stratégiques entre elles est faible mais un effet "prescripteur" ou de coordination volontaire par des organismes professionnels sectoriels est à craindre, les opérateurs étant incités à calquer leur politique commerciale sur les informations reçues, ce qui peut avoir pour objet et pour effet de "discipliner" la concurrence dans le secteur" (avis n° 06-A-18 précité).

93. La taille réduite des entreprises présentes peut également réduire le niveau d'incertitude nécessaire à la définition par chaque opérateur de sa politique commerciale de manière autonome, en dépit d'une forte atomicité de l'offre. Le Conseil de la concurrence a pu ainsi prendre en compte ces particularités afin de sanctionner des échanges d'informations anticoncurrentiels survenus sur des marchés fortement atomisés : "Considérant que la taille modeste de la plupart des offreurs et la capacité limitée de chacun d'eux d'accroître son offre sur le marché en cause, (…), restreignent de façon structurelle l'intensité de la concurrence ; que l'examen du marché et les constatations effectuées dans la présente décision montrent que les opérateurs n'ont pas toujours une connaissance suffisante de leurs propres coûts ; que dès lors, ces mercuriales peuvent conduire les opérateurs à définir les conditions de leur offre non pas selon leurs propres conditions d'exploitation mais à partir des prix mentionnés dans la mercuriale" (décision n° 95-D-74 du 21 novembre 1995 concernant le secteur de la réparation automobile dans le département de l'Indre).

III. L'analyse des échanges d'informations organisés au sein du conseil interprofessionnel de l'optique

94. Il convient d'analyser, au regard des critères rappelés ci-dessus, le système d'échange d'informations auquel donne lieu l'activité du CIO : l'avis s'intéressera successivement à la nature des informations échangées, aux caractéristiques du système d'échanges mis en place, au fonctionnement économique du marché concerné, enfin à la mission assignée à un syndicat professionnel.

S'agissant de la nature des informations échangées et des caractéristiques du système d'échange

95. Des éléments recueillis lors de l'instruction, il ressort que les échanges d'informations organisés par le CIO peuvent conduire les syndicats professionnels membres de l'organisme interprofessionnel à communiquer leurs propositions en matière de normalisation et de dématérialisation des transactions relatives à la commercialisation des produits optiques, particulièrement en ce qui concerne les données pouvant être communiquées par les opticiens aux organismes complémentaires d'assurance maladie.

96. Compte tenu des informations dont dispose à ce stade l'Autorité de la concurrence, de tels échanges d'informations ne paraissent pas porter sur des données stratégiques permettant d'identifier la politique et la stratégie commerciales de telle ou telle entreprise.

97. S'agissant de la fréquence des échanges d'informations effectués au sein du CIO, il ne ressort pas des éléments recueillis lors de l'instruction que ces échanges aient lieu de manière systématique et sur la base d'une périodicité rapprochée, ce qui réduit les possibilités pour les entreprises susceptibles d'avoir accès aux informations échangées de les utiliser, notamment en vue d'éliminer ou de restreindre l'incertitude sur la stratégie commerciale de leurs concurrents.

98. Il en va de même s'agissant des échanges d'informations suscités par la contribution du CIO à la réponse de la France à la Commission européenne dans le contentieux relatif à la vente à distance de produits optiques.

S'agissant du fonctionnement économique des marchés concernés

99. Le marché de l'optique se caractérise, comme il a été vu précédemment, par sa forte atomicité, tant au stade de la production qu'à celui de la distribution.

100. La présence de nombreuses PME aux côtés de leaders mondiaux, particulièrement au stade de la fabrication des verres, souligne la grande diversité des entreprises opérant dans ce secteur d'activité.

101. Au stade de la distribution, les 11 000 points de vente d'optique présents sur le marché français représentent tout d'abord un facteur important de concurrence intra-sectorielle. Par ailleurs, les modes de distribution peuvent être sensiblement différents d'un magasin d'optique à l'autre, que l'opticien soit commercialement indépendant ou qu'il fasse partie d'un réseau sous enseigne ou de type mutualiste.

102. Dès lors, le regroupement de la totalité des syndicats professionnels au sein du CIO, à l'exception du syndicat saisissant, contraste fortement avec l'atomicité du marché considéré. De plus, la part de marché cumulée des participants aux échanges d'informations organisés au sein du CIO est en théorie massive, compte tenu du nombre relativement faible des opérateurs représentés par le seul syndicat qui n'adhère pas au CIO.

103. Dans l'hypothèse où le CIO collecterait des informations stratégiques, confidentielles et non anonymes et les diffuserait vers à ses adhérents, la quasi-totalité des entreprises opérant dans le secteur de l'optique pourraient donc avoir accès à ces informations et les utiliser en vue d'atténuer, voire de supprimer le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché, avec comme conséquence une restriction injustifiable de la concurrence entre entreprises.

104. Cependant, compte tenu de la nature des informations échangées au sein du CIO et des caractéristiques du système d'échanges mis en place, ainsi qu'il a été vu précédemment, cette hypothèse ne paraît pas être vérifiée.

S'agissant du champ d'intervention du CIO au regard de sa mission syndicale

105. Au vu des deux domaines d'intervention privilégiés par le CIO, c'est-à-dire l'élaboration de positions communes en matière de dématérialisation des transactions dans la filière optique et la défense des intérêts de l'ensemble du secteur par la communication et le lobbying, l'organisme interprofessionnel ne paraît pas, par les échanges d'informations qui résultent de son activité, s'immiscer dans les relations commerciales entre opérateurs du marché de l'optique.

106. Par ailleurs, l'utilisation faite par le CIO des éléments échangés ne semble pas être en contradiction avec la mission de défense des intérêts collectifs de ses membres, compte tenu des informations dont dispose à ce stade l'Autorité de la concurrence.

107. Dans ces conditions, il n'apparaît donc pas que le CIO soit susceptible d'excéder sa mission d'information, d'assistance, de conseil à l'égard de ses adhérents et de défense des intérêts collectifs des professionnels du secteur de l'optique.

108. Toutefois, s'il est admis par la jurisprudence que la mission d'un syndicat professionnel inclut le devoir de mettre en garde ses adhérents contre le caractère manifestement anticoncurrentiel de leur comportement, il convient de souligner qu'un syndicat professionnel peut également jouer un rôle dans la prévention des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur dont il a la charge.

109. A cette fin, un syndicat professionnel peut prendre des mesures visant à ce que ses membres soient informés des risques relatifs aux échanges d'informations entre concurrents. A cet égard, l'adoption par le CIO, lors de son assemblée générale du 6 juillet 2009, d'une charte éthique portant rappel de règles de concurrence et devant être signée par les adhérents de l'organisme interprofessionnel, constitue une mesure utile qui mérite d'être soulignée.

110. Compte tenu du regroupement au sein du Conseil interprofessionnel de l'optique de la quasi-totalité des syndicats professionnels de la filière et du risque collusif potentiel qui en résulte, l'organisme interprofessionnel devra rester attentif et établir les conditions d'une vigilance concurrentielle constante concernant tous les échanges d'informations effectués en son sein.

111. En conclusion, compte tenu de la nature et de la fréquence des informations échangées entre les syndicats professionnels membres du CIO, dans les domaines d'interventions privilégiés par le syndicat, à savoir l'élaboration de positions communes en matière de dématérialisation des transactions et défense des intérêts du secteur par des actions de lobbying, l'Autorité estime, en l'état actuel des informations qui lui ont été fournies, que les échanges d'informations susvisées sont conformes aux règles posées par les autorités de concurrence.

Délibéré sur le rapport oral de M. Emmanuel Protassieff et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot, M. Emmanuel Combe, M. Noël Diricq, M. Jean-Bertrand Drummen, M. Pierre Godé, membres.