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Décisions

ADLC, 8 octobre 2009, n° 09-A-50

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un projet d'ordonnance modifiant certaines dispositions du Code du cinéma et de l'image animée

ADLC n° 09-A-50

8 octobre 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre, enregistrée le 10 août 2009 sous le numéro 09/0103A et la lettre complémentaire enregistrée le 1er octobre 2009, par lesquelles la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis en application de l'article L. 462-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu le Code du cinéma et de l'image animée ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Centre national du cinéma et de l'image animée ainsi que le Médiateur du cinéma entendus lors de la séance du 2 octobre 2009 ; Les représentants de la Fédération nationale des cinémas français, de la Fédération nationale des distributeurs de films, du Syndicat des distributeurs indépendants, des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) ainsi que du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

PRÉAMBULE

1. Les articles 71 et 72 du titre IV de loi 2009-258 du 5 mars 2009, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ont renvoyé à deux projets d'ordonnances " les dispositions relatives au cinéma et autres arts et industries de l'image animée ".

2. Sur le fondement du premier article a été adoptée l'ordonnance 2009-901 du 24 juillet 2009, dont le projet n'a pas été soumis à l'avis de l'Autorité de la concurrence. Cette ordonnance vise à simplifier et moderniser le droit du cinéma dans un périmètre élargi aux arts et industries de l'image animée. Elle prévoit principalement :

- la substitution à l'ancien Code de l'industrie cinématographique d'un nouveau " Code du cinéma et de l'image animée " rassemblant et simplifiant les dispositions du droit sectoriel, dans un meilleur respect de la hiérarchie des normes ;

- de doter le CNC d'un conseil d'administration à l'instar des autres établissements publics et de revoir son organisation et son fonctionnement, dans le respect de la répartition des compétences exercées en propre ou pour le compte de l'Etat. Subsidiairement le CNC devient Centre National du Cinéma et de l'image animée et son directeur général en devient le président ;

- de supprimer les systèmes d'autorisations d'exercice pour l'ensemble des intervenants de la filière cinématographique (producteurs, distributeurs, exploitants) et de cartes professionnelles pour les techniciens.

3. La ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi pour avis l'Autorité de la concurrence du projet d'ordonnance prévu par l'article 72 de la loi du 5 mars 2009 visant à modifier ou créer dans le nouveau Code " les dispositions législatives relatives à l'encadrement et à la régulation des rapports entre les différents acteurs économiques intervenant dans la diffusion des œuvres cinématographiques en salle et par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande ". Ces modifications doivent permettre, selon le rapport de présentation au Président de la République, l'articulation du droit de la concurrence et du droit du cinéma, en améliorant " les outils de régulation des relations entre détenteurs de droits et diffuseurs des œuvres au bénéfice de la création cinématographique ".

4. Le projet d'ordonnance, élaboré après concertation avec les professionnels intéressés, aménage tout d'abord les dispositifs de régulation de la diffusion cinématographique concernant :

- les conditions de délivrance de l'agrément des groupements et ententes de programmation cinématographiques ;

- les engagements de programmation pris par les exploitants d'établissements de salles cinématographiques, en préconisant leur adaptation aux contextes locaux ;

- l'étendue des pouvoirs du médiateur du cinéma, en les élargissant en matière de concurrence.

5. Ensuite, il modifie les conditions et modalités de délivrance de l'agrément des formules d'accès au cinéma donnant droit à des entrées multiples (dispositif " cartes illimitées "), en consolidant le dispositif de fixation du prix de référence, assiette de rémunération des distributeurs et des ayants droit.

6. Par ailleurs, il aménage les conditions financières de la cession des droits de représentation cinématographiques en prévoyant la fixation administrative d'une rémunération minimale des distributeurs par les exploitants. Un dispositif de rémunération minimale visant également à protéger les ayants droit est institué en ce qui concerne l'accès aux films fournis par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande. Le principe d'une rémunération de ces ayants droit, conforme à la " chronologie des médias ", est préalablement acté.

7. Enfin, le dispositif est complété par des dispositions relatives à la formalisation du contrat de concession des droits de représentation cinématographique (contrat écrit comportant des clauses obligatoires) ainsi que par l'autorisation légale accordée aux distributeurs de se coordonner pour établir périodiquement un calendrier prévisionnel de sorties des films en salle.

8. Le texte soumis à l'avis de l'Autorité de la concurrence définit donc un cadre général de régulation de l'activité cinématographique, en dépit du " nombre de sujets relativement limités ", qu'évoque le rapport de présentation. En renforçant le dispositif existant, il institue une véritable régulation concurrentielle confiée en partie au médiateur du cinéma, ayant pour effet d'extraire singulièrement l'industrie cinématographique du droit commun de la concurrence. Cette autonomisation se caractérise notamment :

- par l'intervention du médiateur pour garantir l'accès au marché et par les pouvoirs généraux qui lui sont confiés en matière d'appréciation des situations concurrentielles, dans le cadre d'un dispositif de conciliation susceptible de déboucher sur des injonctions ;

- par le caractère suspensif de l'intervention du médiateur, vis-à-vis des procédures en cours devant l'Autorité de la concurrence ;

- par un dispositif obligatoire d'engagements de programmation imposés aux majors, aux groupements et ententes de programmation ainsi qu'aux salles soumises à autorisation préalable par la CDEC ;

- par l'introduction multiple de minima garantis et de prix de référence dans les rapports entre exploitants et distributeurs de films, en contravention aux dispositions relatives à la liberté des prix et à l'interdiction de prix imposés ;

- par l'autorisation préalable des groupements et ententes de programmation et par la possibilité offerte aux distributeurs de coordonner les dates de sortie des films en salle. Ces dispositions sont implicitement motivées par leur caractère contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- par le nouvel encadrement des cartes à accès illimités.

9. Sur un plan formel, l'ordonnance renvoie pour chacun des principaux dispositifs de régulation (groupements, ententes et engagements de programmation, formules d'accès au cinéma, médiateur du cinéma, minimum garanti des distributeurs, rémunération minimale de l'exploitation des œuvres cinématographiques sur les services de médias audiovisuels à la demande) à un décret en Conseil d'Etat pris après l'avis de l'Autorité de la concurrence.

10. En la matière, cette articulation de la loi et du règlement, outre qu'elle ne permet pas à l'Autorité de se prononcer sur la base d'une connaissance complète du dispositif, est de nature à prédéterminer son appréciation des décrets d'application.

11. L'article L. 410-1 du Livre IV du Code de commerce dispose que les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence " s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ". En vertu de ce principe d'application générale du droit de la concurrence, ses règles s'appliquent donc au secteur du cinéma, qui ne bénéficie en la matière d'aucune exception. Un avis fondateur de la Commission de la concurrence du 28 juin 1979 précise que " si le cinéma est à la fois un art et une industrie " et " nonobstant l'existence de réglementations spécifiques mises en œuvre sous l'autorité du CNC, les règles de concurrence en vigueur sont applicables aux entreprises et activités cinématographiques ".

12. Après une présentation générale du secteur cinématographique, l'avis distinguera les dispositions relatives à la régulation de la diffusion cinématographique de celles ayant trait à la rémunération des opérateurs et à l'évolution du dispositif des cartes illimitées. L'analyse concurrentielle de chaque dispositif et les propositions éventuelles d'aménagement de l'ordonnance seront précédées d'une présentation du contexte économique et juridique et de l'évolution résultant du projet d'ordonnance.

I. Le secteur cinématographique

1. ECONOMIE GÉNÉRALE DE L'ACTIVITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE

13. En raison du statut particulier du film, à la fois bien culturel et produit commercial, le secteur du cinéma est réglementé et son activité est encadrée par le Centre National du Cinéma et de l'image animée (CNC), établissement public qui assure, sous l'autorité du Ministre chargé de la culture, la mise en œuvre de la politique de l'Etat dans le domaine du cinéma.

14. L'activité est organisée autour de trois types d'intervenants : producteurs, distributeurs et exploitants.

15. Aux termes de l'article L. 132-23 du Code de la propriété intellectuelle, le producteur est " la personne physique ou morale qui prend l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'œuvre ". Il détient des droits de propriété artistique et met en œuvre les moyens artistiques, techniques et financiers nécessaires à la réalisation des films.

16. Ces œuvres sont ensuite distribuées par les distributeurs, aux exploitants des salles de cinéma. Le contrat de distribution qui lie le producteur et le distributeur comprend le droit de procéder au tirage des copies et le droit de concéder aux exploitants de salles la représentation publique de l'œuvre cinématographique dans les salles, moyennant le paiement d'un prix payé par l'exploitant de la salle. La concession du droit de représentation publique aux exploitants (contrat de location) s'accompagne de la remise matérielle d'un support sous forme de copies ainsi que de supports de promotion (affiches, photographies). Le prix payé par l'exploitant est égal à un pourcentage (taux de location) du prix d'entrée de chaque billet acheté par le spectateur. Le prix payé au distributeur permet ensuite l'amortissement des frais de distribution (publicité, tirage de copies…) et le paiement des ayants droit en amont de la filière, en premier lieu le producteur de l'œuvre.

17. Les différents intervenants se trouvent ainsi liés par un dispositif dans lequel le nombre d'entrées réalisées et le prix des places déterminent non seulement les revenus des exploitants mais aussi, par le jeu de la remontée des recettes, les revenus encaissés par les producteurs et les distributeurs, afin d'amortir le coût du film et les frais de distribution.

18. De ce fait, les politiques tarifaires des exploitants de salles (réduction du prix d'entrée de certaines catégories de spectateurs, promotions, abonnements…), en modulant le prix des places de cinéma qui constitue l'assiette de calcul des droits, déterminent le niveau des recettes perçues par les distributeurs et par voie de conséquence par les producteurs. Il existe donc une solidarité financière entre les différents acteurs de la filière cinématographique, directement imputable au mode de rémunération.

2. LES OPÉRATEURS DE L'EXPLOITATION ET DE LA DISTRIBUTION

19. Le secteur cinématographique a évolué vers une intégration verticale des différentes activités, de sorte que les groupes dominants (Europalaces, UGC) sont à la fois producteurs, distributeurs et exploitants.

a) L'exploitation

20. En 2008, la fréquentation annuelle des salles de cinéma s'est établie selon le CNC à 189,7 millions d'entrées, correspondant à une recette guichet de 1 139 millions d'euro, soit une recette moyenne par entrée de 6 euro.

21. Le parc cinématographique français était constitué en 2008 de 5 418 écrans (1 070 926 fauteuils) regroupés dans 2076 établissements.

22. L'apparition des multiplexes en 1993 a contribué à l'accroissement de la fréquentation. S'il n'y a pas de définition juridique du multiplexe, en pratique il s'agit d'un établissement cinématographique d'au moins 8 écrans, disposant d'une capacité d'accueil d'au moins 300 fauteuils. Le multiplexe se caractérise par de vastes espaces d'accueil, par des salles en gradins, climatisées et de dimension importante, dotées d'écrans de grande taille (>10 m de base). Il délivre des services complémentaires de confiserie, voire de restauration et d'espaces de jeux vidéo dans son enceinte ou à proximité. En 2008, on dénombrait 164 établissements multiplexe, représentant 33,9 % du parc d'écrans, 35,2 % des fauteuils et 54,9 % des entrées.

23. Le marché de l'exploitation est dominé par trois principaux groupes (Europalaces, CGR et UGC) qui totalisaient, en 2006, 25 % du parc d'écrans et 47,8 % des recettes. Les 8 premiers exploitants totalisaient 59,7 % des encaissements.

b) La distribution des films

24. Le marché de la distribution de films apparaît relativement plus concentré que celui de l'exploitation. En 2006, les 10 premiers distributeurs ont réalisé 78,3 % des entrées et les 5 premiers 52,9 %.

25. L'activité de distribution est exercée en France par des sociétés de distribution étrangères (par exemple Warner Bros), des distributeurs intégrés appartenant à un circuit de salles, des distributeurs affiliés à une chaîne de télévision (TFM lié à TF1 et Studio Canal à Canal+) et des distributeurs indépendants généralistes ou spécialisés.

II. Sur les dispositions relatives à la régulation de la diffusion cinématographique

1. GROUPEMENTS, ENTENTES ET ENGAGEMENTS DE PROGRAMMATION

a) Dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

26. Les dispositions relatives au secteur de l'exploitation cinématographique, concernant les groupements, ententes et engagements de programmation, sont visées par l'article 1er du projet d'ordonnance (articles L. 212-19 à L. 212-26 du nouveau Code du cinéma) et par son article 9, s'agissant des dispositions transitoires.

27. Le dispositif proposé est principalement inspiré par les propositions du médiateur du cinéma (rapport de mars 2009 à la demande de la Directrice générale du CNC).

28. Le projet reformule et précise la législation relative aux groupements et ententes de programmation destinés à assurer la programmation des films dans les cinémas. Il est rappelé que ces rapprochements sont autorisés sur agrément préalable du président du CNC, pour autant qu'ils ne fassent pas obstacle au libre jeu de la concurrence. La délivrance de l'agrément est subordonnée à des engagements de programmation assurant la diversité de l'offre cinématographique et la plus large diffusion des œuvres cinématographiques.

29. Par rapport au texte actuel du Code du cinéma, le projet d'ordonnance précise en les formalisant les relations contractuelles au sein d'un groupement ou d'une entente (contrat de programmation, régime de la redevance de programmation due par le membre au groupement ou à l'entreprise pilote de l'entente). Ces éléments, qui figurent peu ou prou dans le décret actuel, prennent donc une valeur législative. La partie du texte relative aux groupements et ententes procède par renvoi au régime des engagements de programmation dans sa nouvelle version (L. 212-22 à 212-25).

30. L'article L. 212-23 assure à champ constant une présentation unifiée des entités tenues de souscrire des engagements de programmation. Il s'agit non seulement des deux catégories d'opérateurs distingués par le décret du 10 janvier 1983 (d'une part, les groupements et ententes de programmation, d'autre part les entreprises ne programmant que les salles dont elles sont propriétaires), mais aussi des exploitants conduits à contracter des engagements à l'occasion d'une demande d'autorisation de création ou d'extension d'établissements cinématographiques. Il s'agit enfin des cinémas indépendants bénéficiant de l'aide sélective du CNC.

31. L'article L. 212-24 prévoit d'associer le médiateur au dispositif de suivi des engagements en lieu et place du Comité consultatif de la diffusion cinématographique, qui est supprimé. Ce suivi est différencié selon les entités visées par l'article L. 212-23. Il fait l'objet d'une procédure annuelle formalisée (L. 213-7) dans le cas des groupements et ententes de programmation et des exploitants propriétaires et d'une simple information dans les autres cas. Le médiateur n'intervient pas au stade de la souscription des engagements à la différence du Comité consultatif. Le processus d'homologation ne relève que du président du CNC.

32. Plus fondamentalement, cet article prévoit une adaptation des engagements " en fonction de la position du souscripteur dans la (les) zone (s) d'attraction où il exerce son activité ".

b) Analyse concurrentielle

33. A titre liminaire, il convient de rappeler que la délivrance de l'agrément à un groupement ou à une entente de programmation ne lie pas l'Autorité de la concurrence, quand bien même il ne serait " délivré qu'à des groupements ou ententes qui ne font pas obstacle au libre jeu de la concurrence ". Ce principe a été clairement posé par une décision du Conseil de la concurrence n° 91-D-45 du 29 octobre 1991, relative à l'exemption législative (art. L. 420-4 1° du Code de commerce) d'un groupement national de programmation, agréé par le CNC. Un des considérants précise que " la circonstance que les groupements en cause ont bénéficié de plusieurs agréments successifs par le CNC ne saurait s'opposer à ce que le Conseil de la concurrence qualifie leurs comportements sur le marché, alors d'ailleurs que les articles 8 et 15 du décret du 10 janvier 1983 les obligent à assurer la plus large diffusion des œuvres, à permettre la diffusion de celles-ci par des salles tierces et à ne pas faire obstacle au libre jeu de la concurrence ".

34. Un groupement ou une entente de programmation entre exploitants s'analyse au regard du droit de la concurrence comme une entente ou coalition tendant " à limiter ou contrôler la production, les débouchés " (art. L. 420-1 3°du Code de commerce). Cette limitation et ce contrôle se traduisent par le contenu des engagements de programmation auxquels est subordonné l'agrément des groupements. Les contraintes de programmation de films européens et notamment ceux sortis par les distributeurs indépendants ainsi que la limitation de la multidiffusion (engagement visant à ce qu'un multiplexe ne consacre pas plus de 30 % des séances hebdomadaires à un même film) constituent des comportements coordonnés tendant de manière explicite à limiter ou contrôler la production ou les débouchés. Subsidiairement, ces rapprochements peuvent favoriser une " répartition des marchés " entre les membres (art. L. 420-1 4°) pour satisfaire collectivement l'objectif.

35. Les groupements et ententes de programmation entrent donc dans le champ des pratiques anticoncurrentielles visées par l'article L. 420-1 du Code de commerce qui dispose que " sont prohibées…lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions…".

36. La réglementation des groupements et ententes de programmation reprise par l'ordonnance confère aux exploitants constitués en groupements ou ententes de programmation l'autorisation expresse de déroger aux dispositions de l'article L. 420-1.

37. En effet, le paragraphe I 1° de l'article L. 420-4 du Code de commerce dispose que " ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ". Par conséquent, un groupement ou une entente de programmation découlant de l'ordonnance est autorisé, au titre des pratiques anticoncurrentielles résultant d'un texte.

38. Toutefois selon une jurisprudence constante, les dispositions de l'article L. 420-4 ne trouvent à s'appliquer que pour autant que les pratiques constatées sont la conséquence directe et nécessaire des textes. Les auteurs de la pratique devront pouvoir démontrer, non seulement que leur pratique est visée par un texte, mais aussi qu'elle en découle et qu'elle en constitue la conséquence nécessaire et inéluctable. Cela suppose dans le cas d'espèce, notamment, une stricte limitation du groupement ou de l'entente à son objet. Un comportement qui ne serait pas la conséquence directe de la loi pourrait se voir sanctionner du chef de l'article L. 420-1 (cf. décision n° 08-D-06 du 2 avril 2008).

39. Il convient également d'apprécier la compatibilité du dispositif dérogatoire du fait de la loi avec le droit communautaire et plus particulièrement par rapport aux articles 81 à 86 du traité CE.

40. Les règles de concurrence issues du droit communautaire s'appliquent en principe au secteur culturel et donc au secteur du cinéma. La liberté de prestation de service dans l'espace européen concerne donc aussi la diffusion des films en salle. Si les traités européens contiennent des dispositions permettant de prendre en compte la spécificité des produits culturels (article 151 paragraphe 4 du TCE), ces dispositions ne suffisent pas à fonder une exception sectorielle aux règles de concurrence.

41. L'article 81 du traité prévoit que " sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises,…, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ". Les pratiques consistant à " limiter ou contrôler la production, les débouchés " (b du 1 de l'article. 81) sont directement visées.

42. Le texte communautaire ne prévoyant pas comme le Code de commerce (L. 420-4) d'exemption à la prohibition des ententes du fait de la loi, mais du fait des comportements d'entreprises (3 de l'article 81), la coordination envisagée, même légalisée dans le cadre national, pourrait tomber sous le coup de l'article 81-1, pour autant que les pratiques affectent le commerce entre Etats membres.

43. Cette question de l'affectation est donc centrale dans l'appréciation de la conformité du dispositif au droit communautaire.

44. Jusqu'à présent, la Commission européenne a admis que les marchés du cinéma sont relativement cloisonnés en raison de la barrière linguistique. Ainsi, des pratiques constatées sur le marché de l'exploitation des films en salle ont été considérées comme hors du champ du droit communautaire, parce qu'elles n'avaient pas d'effet sensible sur le commerce intracommunautaire (Commission européenne, décision du 22 mars 1986, C(2006)832 final, relative aux aides accordées par le CNC aux salles considérées comme ne constituant pas des aides d'Etat prohibées par le traité). En matière d'exploitation, la décision communautaire considère qu'il n'existe pas de concurrence possible entre les salles situées en France et celles situées dans d'autres Etats membres, sinon en zone transfrontalière.

45. En l'absence d'affectation du commerce intra-communautaire, les groupements et ententes de programmation ne devraient donc pas tomber sous le coup de l'article 81 du traité, au vu de la jurisprudence actuelle relative aux marchés de l'exploitation cinématographique.

46. Il est proposé, s'agissant de la partie relative aux groupements et ententes de programmation, quelques aménagements de fond ou de présentation.

47. A la terminologie " d'entente de programmation " figurant à la section 5 du projet, pourrait se substituer une appellation différente, faisant référence à " la signature d'un accord de programmation " (section 5). Cette formulation serait également plus en conformité avec la notion juridique de " constitution d'un groupement ".

48. Le décret visé par l'article L. 212-26 pourrait prévoir comme dans le texte actuel (art. L. 212-26 1°) une référence explicite à l'assiette de la redevance de programmation (cf. article 10 du décret 83-13 du 10 janvier 1983). L'article L. 212-26 pourrait intégrer un alinéa mentionnant " les modalités d'assiette de la redevance de programmation ".

49. L'article L. 212-20 qui précise la condition de subordination de l'agrément aux engagements de programmation, en renvoyant de manière générale aux engagements mentionnés aux articles L. 212-22 à L. 212-25 vise aussi des engagements de programmation concernant des exploitants non soumis à agrément (L. 212-23 2° à 4°). Le renvoi pourrait se limiter aux seuls articles utiles soit L. 212-22, L. 212-23 1° et L. 212-24.

50. S'agissant des engagements de programmation assignés aux exploitants propriétaires de leur fonds de commerce (L. 212-23 2°), il est préconisé de compléter les critères de l'activité, permettant d'apprécier une atteinte au libre jeu de la concurrence par le nombre d'établissements exploités. Il semble en effet cohérent d'ajouter au critère du nombre de salles d'un établissement le critère qui l'englobe, en substance celui des établissements.

51. S'agissant de l'adaptation locale des engagements, la formulation de l'article L. 212-24 alinéa 2 (" Lors de leur homologation, le président du CNC veille à ce que ces engagements soient adaptés en fonction de la position du souscripteur dans la ou les zones d'attraction dans lesquelles il exerce son activité ") pourrait être précisée de manière que la notion d'opérateur puissant sur un marché considéré soit au centre du dispositif. Les notions d'adaptation, de position du souscripteur des engagements et de zone d'attraction devraient donc être précisées soit au niveau de l'article du Code soit dans le décret en Conseil d'Etat. L'alinéa 2 pourrait être complété par une formule du type suivant : " Les engagements sont renforcés lorsque le souscripteur y dispose d'une position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ou de monopole ".

52. Il paraît enfin utile de prévoir un dispositif de sanction en cas de non respect des engagements de programmation, soit par référence aux dispositions de l'article 13 du Code de l'industrie cinématographique, soit par insertion d'un texte nouveau, permettant de " procéder à une réfaction sur le compte de soutien des exploitants ", comme le suggère le médiateur.

2. LES POUVOIRS DU MÉDIATEUR DU CINÉMA

a) Contexte économique et juridique

53. Autorité administrative indépendante instituée par la loi du 29 juillet 1992 relative à la communication audiovisuelle, le Médiateur du cinéma est principalement chargé d'une mission de conciliation préalable en cas de " litiges relatifs à la diffusion en salle des œuvres cinématographiques qui ont pour origine une situation ayant pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et révélant l'existence d'obstacles à la plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ". La notion d'intérêt général vise notamment la diversité de l'offre de films, de leur distribution et de leur exploitation en salle ainsi que les conditions de la concurrence.

54. Le médiateur est nommé par décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, pour un mandat de 4 ans renouvelable, parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes.

55. Le médiateur peut être saisi de tout litige relatif à l'exploitation des films en salle à l'origine de distorsions de concurrence : difficultés d'accès des exploitants de cinémas aux copies de films (90 % des 92 saisines en 2007 selon le rapport Cinéma et concurrence) ou des distributeurs de films aux salles. Il intervient rapidement et d'une façon adaptée au marché cinématographique.

56. Formellement, la conciliation débute par une tentative de rapprochement téléphonique des parties. Elle peut se poursuivre par la réunion des parties en présence du médiateur. L'accord amiable est constaté par un procès-verbal qui en fixe les termes ainsi que les mesures permettant d'apporter une solution au litige. Le dépôt du procès-verbal au greffe du tribunal d'instance du siège social des parties confère à l'accord sa force exécutoire. En cas d'échec de la conciliation, le désaccord donne lieu à un procès-verbal signé par le seul médiateur. Le litige peut alors se poursuivre à l'initiative du demandeur dans le cadre d'une procédure contradictoire, qui peut conduire le médiateur à émettre une injonction dans le délai de deux mois à partir de la saisine ou à rejeter la demande d'injonction. Le prononcé de l'injonction par le médiateur implique qu'il se substitue aux parties pour fixer les termes du règlement du litige. En cas de non respect de l'injonction, le demandeur peut recourir au tribunal de commerce pour exécution. La décision d'injonction du médiateur est susceptible de recours devant la juridiction administrative.

57. Dans la majorité des cas, la conciliation aboutit à l'accord des parties, " le médiateur tirant son autorité de celle que pourrait avoir un juge de paix objectivant le conflit ". Le médiateur actuel précise que " la finalité de l'institution n'est pas l'injonction mais la conciliation " (le rapport d'activité du médiateur pour 2008 fait état de 65 conciliations pour deux injonctions prononcées). L'ensemble des organisations professionnelles d'exploitants et de distributeurs entendus par le rapporteur exprime leur satisfaction quant au fonctionnement de l'institution.

58. Dans le cadre actuel, le médiateur peut saisir l'Autorité de la concurrence pour avis ou au fond, en cas d'échec de la conciliation, si le litige relève de la compétence de l'Autorité. Lorsqu'une procédure est engagée devant le médiateur, toute action devant l'Autorité de la concurrence est suspendue dans la limite de trois mois. En pratique, en matière de diffusion cinématographique, la saisine du Conseil par le médiateur est peu répandue, sinon inexistante, et les litiges qui sont portés devant lui le sont à l'initiative des parties ou par voie d'auto-saisine.

b) Evolution du dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

59. Les dispositions relatives aux rapports entre exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et distributeurs d'œuvres cinématographiques, concernant le médiateur du cinéma, sont visées par l'article 3 du projet d'ordonnance (articles L. 213-1 à L. 213-8 du nouveau Code du cinéma).

60. Par rapport au dispositif actuel, le projet d'ordonnance précise et étend le champ de la mission de conciliation préalable du médiateur (L. 213-1 et L. 213-2). Par ailleurs, il lui confère un pouvoir d'examen et de suivi des engagements de programmation, confié par substitution partielle du Médiateur au Comité consultatif de la diffusion, qui disparaît (L. 213-7). Il limite enfin les rapports avec l'Autorité de la concurrence aux demandes d'avis (L. 213-4), la saisine au fond, en cas d'échec de la conciliation (article L. 213-2 actuel), ne figurant plus dans le projet de texte. En dehors de ces modifications, le projet fait l'objet d'une mise en forme à droit constant.

61. Le projet d'ordonnance renvoie à un décret les modalités d'application de l'ensemble des dispositions relatives au Médiateur du cinéma (article L. 213-8).

c) Analyse concurrentielle

62. La précision relative au champ de la mission de conciliation du médiateur (article L. 213-1) vise à traduire la notion de " litiges relatifs à la diffusion en salle des œuvres cinématographiques… " ayant pour origine une situation faussant la concurrence. Elle la circonscrit aux litiges imputables aux situations de restriction, relatifs à l'accès des exploitants aux films et des films aux salles. Cette modification permet de faire correspondre en ce domaine le champ légal de la conciliation avec son champ réel et lève l'ambigüité qui pouvait résulter d'une interprétation restrictive de la notion de diffusion en salle des films. Elle ouvre explicitement aux distributeurs la possibilité de saisine du médiateur en cas de litige portant sur l'accès des films aux salles. Or, les situations de difficulté d'accès des distributeurs indépendants aux salles multiplexes risquent de devenir de plus en plus fréquentes dans une situation qui voit 160 multiplexes réaliser les deux tiers des recettes en salle. A titre subsidiaire, la délimitation du champ de la conciliation par référence aux conditions d'accès tend à harmoniser le champ d'intervention du médiateur du cinéma avec celui des régulateurs sectoriels dans leur domaine respectif (énergie, télécommunication ou télévisuel).

63. L'extension du champ de la conciliation aux litiges relatifs à la fixation de délais d'exploitation des œuvres cinématographiques sous forme de vidéo physique ou de VOD, excédant les délais légaux ou conventionnels, ne soulève pas de problème concurrentiel particulier (article L. 213-1 3° du projet d'ordonnance).

64. Le contrôle par le médiateur de la mise en œuvre des engagements de programmation visés par les articles L. 212-23 1° et 2°, en lieu et place du Comité consultatif de la diffusion cinématographique, trouve sa justification dans la disparition de ce Comité et dans le nouveau positionnement du médiateur. Il aurait pu être opportun d'intégrer également le médiateur sous une forme restant à définir dans le nouveau dispositif d'homologation relevant du CNC (cf. L. 212-24). Sa connaissance des zones d'attraction cinématographique ne peut qu'enrichir l'appréciation des engagements pris devant le CNC, dans le cadre des contextes locaux.

65. Le point suivant ne peut, en revanche, être accepté en l'état par l'Autorité de la concurrence.

66. Il s'agit de l'extension du pouvoir de conciliation du médiateur à tout litige " relatif à la mise en œuvre de pratiques commerciales ne respectant pas les exigences d'une concurrence loyale et non faussée" (L. 213-1-2° du projet d'ordonnance). Cette disposition, en élargissant la compétence du médiateur aux pratiques anticoncurrentielles visées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, vient contredire la compétence générale de l'Autorité de la concurrence pour traiter des questions de concurrence, tirée de l'article L. 462-1, et sa compétence exclusive pour connaître des pratiques d'ententes et d'abus de position dominante, ressortant de l'article L. 462-5. Or, il est important de garantir une application unifiée des règles de la concurrence, qui ne peut dépendre du secteur économique dans lequel sont constatées les pratiques.

67. Le pouvoir du médiateur de traiter des pratiques anticoncurrentielles dont il est saisi dans le secteur du cinéma est par ailleurs conforté par l'exclusivité, qui lui est conférée temporairement par la suspension de toute procédure devant l'Autorité de la concurrence pendant une période maximale de 3 mois (article L. 213-5 du projet). Cette disposition ne protège pas les intérêts des demandeurs en cas de situation d'urgence, motivant des mesures conservatoires, que le médiateur n'a pas le pouvoir d'ordonner.

68. Cette dualité de compétence présente aussi le risque de conflit quant aux solutions imposées pour des faits semblables, voire de conflits de juridiction en cas de recours. Les décisions du Médiateur du cinéma relèvent du tribunal administratif, celles de l'Autorité et de la cour d'appel de Paris.

69. L'Autorité de la concurrence préconise donc, pour l'articulation du rôle des deux autorités administratives indépendantes, d'appliquer le droit commun, en reprenant le dispositif existant par exemple en matière d'énergie ou de télécommunications. Ce droit distingue la régulation sectorielle, qui poursuit des objectifs plus larges, du droit de la concurrence, qui a pour seul objet de veiller au libre jeu de la compétition sur les marchés.

70. En conséquence, l'Autorité propose de répartir les pouvoirs respectifs selon le schéma usuel fonctionnant dans d'autres secteurs dotés d'un régulateur sectoriel.

71. Le texte proposé par la dernière version de l'ordonnance (saisine complémentaire du 1er octobre 2009), doit donc être modifié de la façon suivante.

72. Il est recommandé de supprimer les articles L. 213-1 2° et L. 213-5 pour les motifs exposés aux points 67 et 68.

73. L'Autorité préconise en outre de remplacer le texte actuel de l'article L. 213-7 du projet d'ordonnance par les dispositions suivantes :

"Le médiateur saisit l'Autorité de la concurrence des pratiques prohibées par les articles L.420-1, L.420-2 et L.420-5 du Code de commerce, dont il a connaissance dans le secteur de la diffusion cinématographique. Cette saisine peut être introduite dans le cadre d'une procédure d'urgence, conformément à l'article L.464-1 du Code de commerce.

Le médiateur peut également saisir pour avis l'Autorité de toute question de concurrence dans le cadre de l'article L.462-1 du Code de commerce.

L'Autorité de la concurrence communique au médiateur du cinéma toute saisine concernant la diffusion cinématographique. Elle peut également saisir pour avis le Médiateur de toute question relevant de sa compétence.

Lorsqu'il est consulté, en application du présent alinéa, par l'Autorité de la concurrence sur des pratiques dont celle-ci est saisie dans le secteur de la diffusion cinématographique, le médiateur joint à son avis, dans le délai imparti, tous les éléments utiles à l'instruction de l'affaire qui sont en sa possession."

74. Dans ce dispositif, le médiateur peut saisir l'Autorité de la concurrence des pratiques dont il a connaissance, qui sont prohibées par les articles L. 420-1, L.420-2 ou L. 420-5 du Code de commerce. La référence à l'article L. 420-5 vise notamment les situations potentielles de prédation ou de prix abusivement bas, qui peuvent affecter localement le secteur de l'exploitation des salles.

75. Pour répondre à des situations d'urgence du marché, il est prévu que le médiateur puisse saisir l'Autorité de demandes de mesures conservatoires, conformément à l'article L. 464-1 du Code de commerce.

76. Enfin, la saisine de l'Autorité pour avis qui figure dans le projet de texte est confirmée et juridiquement fondée sur l'article L. 462-1 du Code de commerce.

77. Parallèlement, le dispositif prévoit que l'Autorité peut saisir le médiateur pour avis de toute question relevant de sa compétence et qu'elle lui communique obligatoirement toute saisine concernant la diffusion cinématographique.

78. Par rapport au projet d'ordonnance, le dispositif recommandé par l'Autorité de la concurrence tend à renforcer de manière effective l'exercice de la mission confiée au médiateur tout en respectant l'articulation entre le régulateur sectoriel et l'Autorité de la concurrence.

3. LA POSSIBILITÉ D'UNE COORDINATION DES DISTRIBUTEURS AUTOUR D'UN CALENDRIER DE SORTIE DES FILMS EN SALLE

a) Contexte économique

79. La concurrence entre films pour l'accès aux salles est particulièrement avivée par la baisse de la durée d'exposition des films. Comme le souligne le rapport Perrot-Leclerc, " nombre de films, dont la production a été soutenue sur fonds publics, n'ont plus l'occasion de rencontrer leur public, la sanction du marché au moment de la sortie s'avérant particulièrement brutale ".

80. Le raccourcissement de la durée d'exposition des films, qui a pour corollaire une rotation accélérée des films en salle, tient à la saturation des écrans sur certaines périodes. Ce phénomène est dû à l'augmentation forte du nombre de films distribués (589 films sortis en 2006 avec un accroissement de 52 % par rapport à 1996) et explosive du nombre de copies (79 000 en 2006 avec une augmentation de 213 % sur 10 ans), dans un contexte de relative stabilité du parc d'écrans (5 362 écrans en 2006 contre 4 462 en 1997 soit une variation de 20 %). Cette situation de " surproduction " de films au regard de la capacité d'absorption par le réseau de salles dégrade la rentabilité des copies.

b) Dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

81. Les rapports entre exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et distributeurs d'œuvres cinématographiques, concernant le calendrier prévisionnel de sorties en salle des œuvres cinématographiques, sont traités par l'article 5 du projet d'ordonnance (article L. 213-17 du nouveau Code du cinéma).

82. Dans la mesure où il semble impossible de réguler le nombre de films sans restreindre la liberté de création et où l'encadrement du nombre de copies de films " pourrait avoir des conséquences défavorables pour l'ensemble de la filière " (rapport Perrot-Leclerc), le projet d'ordonnance prévoit une coordination périodique des distributeurs pour favoriser un meilleur étalement des sorties.

83. Les distributeurs de films seraient autorisés à se coordonner périodiquement, à l'initiative de leurs organisations professionnelles, pour élaborer un calendrier prévisionnel de sorties des films en salle.

84. La disposition est destinée " à assurer au public la plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général ". Elle viserait plus directement à mieux étaler les sorties de films au cours des périodes creuses et permettrait d'éviter une concurrence trop frontale entre films ayant la même audience.

c) Analyse concurrentielle

85. Une coordination périodique des distributeurs à l'initiative de leurs organisations professionnelles, visant à établir un calendrier prévisionnel des plans de sorties, s'analyse en droit de la concurrence comme une entente destinée à une répartition du marché dans le temps. Elle entre dans le champ des pratiques anticoncurrentielles prohibées sur le fondement de l'article L. 420-1-4° du Code de commerce qui dispose que " sont prohibées…lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à…répartir les marchés". En l'espèce, la coordination envisagée constitue une action concertée, voire une entente expresse, puisqu'elle réunit les membres d'une profession à l'initiative de leurs organisations professionnelles, pour se coordonner sur un élément important de leur stratégie commerciale : la date de sortie de leurs produits.

86. L'ordonnance confère aux distributeurs l'autorisation expresse de déroger aux dispositions de l'article L. 420-1 s'agissant de la coordination envisagée.

87. Mais elle ne peut les protéger de l'application du droit communautaire et plus particulièrement de l'article 81 du traité CE (cf. paragraphes 39 à 44).

88. S'agissant du marché de la distribution de films, la prise en compte simultanée de la pénétration des films européens en France et des films français dans les pays européens partiellement francophones (Belgique et Luxembourg) est de nature à présumer une affectation du commerce entre Etats membres, par une pratique de coordination des distributeurs, sous l'égide d'organisations professionnelles nationales.

89. Selon les données de l'Observatoire européen de l'audiovisuel pour 2005, le nombre de sorties de films en Belgique (700) dépasse les sorties constatées dans les autres Etats membres, y compris la France (550), du fait de la pénétration des films français en zone francophone.

90. Il ressort des données du CNC, rappelées dans le rapport du médiateur relatif aux engagements de programmation, que les films européens hors films nationaux représentaient, en 2007, 78 films soit 23,6 % des films européens et 14,1 % des films représentés. En termes de parts de marché, ces films assuraient 25 % de la fréquentation nationale des films européens (y compris nationaux) et 12,2 % de la fréquentation totale. Ce niveau des parts de marché des films européens distribués en France excède significativement les seuils de sensibilité appliquées par la CJCE pour l'appréciation de l'affectation au commerce intra-communautaire (5 % selon CJCE du 1er février 1978, Miller et 3 % selon CJCE du 7 juin 1983, SA Musique Diffusion Française). Il existe donc un faisceau d'indices laissant présumer un impact des pratiques sur le commerce intra- communautaire, qui rend applicable l'article 81 au cas d'espèce.

91. Il pourrait être envisagé par les parties qui estiment la coordination indispensable de déroger à l'article L. 420-1, par voie d'exemption sur le fondement du 2° du I de l'article L. 420-4, si elles peuvent justifier que les pratiques anticoncurrentielles " ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des parties en cause ". Les restrictions à la concurrence ne doivent être imposées " que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ".

92. Ces dispositions figurent en droit communautaire à l'article 81-3 du traité, qui dispose que les dispositions de l'article 81-1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord entre entreprises, à toute décision d'entreprises et à " toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, (…) sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs et sans donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ".

93. Les conditions de fond pour obtenir le bénéfice de l'exemption sont sensiblement les mêmes dans les deux régimes.

94. La motivation de la coordination dérogatoire, par l'assurance d'une " plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général " (article L. 213-17) pourrait être examinée au titre du progrès économique, les objectifs culturels étant admis à ce titre (cf. dans le secteur cinématographique, CA Paris, 15 juin 1999, secteurs des droits de diffusion audiovisuels, BOCCRF du 25 août 1999).

95. Pour justifier le dispositif, les exploitants de salles relèvent des avantages pour le film et pour le spectateur, qui profitera d'un accès plus équilibré dans le temps à une palette plus large d'œuvres cinématographiques.

96. En revanche, les distributeurs soulignent les difficultés pratiques d'une planification à date fixe de la sortie des films. Ils mentionnent l'existence d'un calendrier prévisionnel des sorties qui satisfait déjà le besoin de visibilité des professionnels, mais soulignent que l'accès à cette base de données privée représente un coût non négligeable pour les plus petits distributeurs. Ils proposent, comme alternative au calendrier prévisionnel, que soit créé un service ad hoc géré par le CNC centralisant cette information.

97. Compte tenu des dangers inhérents à la pratique anticoncurrentielle que constituerait le calendrier prévisionnel, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et par l'article 81-1 du traité, et des incertitudes quant à la possibilité de justifier une exception, l'Autorité, dont la pratique décisionnelle rappelle régulièrement que les organisations professionnelles doivent se tenir strictement à l'écart des sujets commerciaux relevant de la stratégie sur le marché des opérateurs qu'elles représentent, recommande de supprimer du projet d'ordonnance un dispositif jugé inopportun par les professionnels eux-mêmes de la distribution cinématographique.

4. FORMALISATION DU CONTRAT DE CONCESSION DES DROITS DE REPRÉSENTATION CINÉMATOGRAPHIQUE

a) Contexte économique et juridique

98. Le contrat de concession des droits de représentation cinématographique a pour objet de fixer les conditions de la représentation publique d'œuvres cinématographiques dans les salles de spectacles cinématographiques.

99. Jusqu'à une date récente, le caractère écrit et les clauses obligatoires du contrat étaient régis par une disposition réglementaire (décision du CNC n°68 du 25 mars 1993) abrogée par l'ordonnance du 24 juillet 2009, relative à la partie législative du Code du cinéma et de l'image animée. Le contrat devait mentionner au minimum la date de livraison de la copie du film à l'exploitant, la durée minimale d'exploitation en salle, le nombre de séances projetées, la désignation et la capacité de la salle ainsi que les conditions financières de rémunération du distributeur (taux de location).

100. Cette réglementation était assortie en cas de non respect, de sanctions prononcées par le directeur général du CNC, visées par l'article 13 du Code de l'industrie cinématographique. Leur éventail était particulièrement large et gradué, prévoyant notamment la réduction des subventions accordées au titre du soutien financier.

101. Cette réglementation est restée inappliquée par les professionnels, en raison de difficultés pratiques de mise en œuvre liées à l'accroissement du nombre de sorties de films en salle et à l'intensification du rythme d'exploitation des œuvres cinématographiques. Les sanctions pour inobservation du règlement n'ont, semble-t-il, jamais été appliquées.

102. Selon la FNCF, le nombre de sorties de films est passé entre les années 1980 et l'année 2008, de 350 par an à 560, avec un nombre de spectateurs et de salles assez stable (de l'ordre de 5300 salles correspondant à 2000 établissements cinématographiques pour 200 millions de spectateurs par an). La principale variable d'ajustement permettant de concilier l'augmentation du nombre de sorties et la nécessité de conserver les films sur une durée d'exploitation en salle suffisante (durée passée selon la FNCF de plus d'un an au cours de la période de référence à 2 ou 3 mois actuellement), est constituée par le nombre de séances envisagées pour un même film.

103. C'est là l'objet principal des conférences de programmation conduites par les agences de distribution, qui se tiennent tous les lundis matins entre une moyenne de quarante distributeurs et les 2000 établissements cinématographiques (" les lundis de programmation "). Les négociations entre distributeurs et exploitants ont trait à la poursuite de l'exploitation des films distribués, sur la base des entrées constatées à la fin du week-end et du placement des copies de films qui sortent le mercredi suivant. Il peut être décidé d'accroître le nombre de salles où sont projetés des films attirant le public, de réduire la projection de ceux qui ne font plus d'audience et enfin de retirer les films qui sont un échec sur le plan commercial. La profession fait valoir que le nombre et la nécessaire rapidité de ces négociations croisées, dont le sort doit être arbitré dès le lundi matin, ont rendu inapproprié le contrat de concession écrit tel qu'il existait sous la forme du contrat de location. L'absence de formalisation serait selon certains représentants des exploitants un facteur de réactivité des opérateurs par rapport au marché, dont ils seraient privés en cas de réinstauration du contrat écrit. Enfin, le phénomène de centralisation et de concentration des agences de distribution ajouterait à cette difficulté de mise en œuvre du contrat écrit, en réduisant le nombre d'interlocuteurs dédiés du côté des distributeurs.

104. En l'absence de formalisme, la négociation intra-professionnelle actuelle se limite à des contacts téléphoniques multiples de courte durée, qui ne donnent lieu à aucun type de confirmation écrite (ni courriel, ni fax). Le principe des relations entre exploitants et distributeurs est donc celui de contrats oraux n'assurant ni la preuve de la volonté des parties ni celle de l'échange des consentements.

105. Lors de ces négociations, ce sont selon la FNCF, " les petites salles et les petits distributeurs qui souffrent le plus ", les grands circuits de distribution ou d'exploitation, n'étant pas affectés. Le rapport Perrot-Leclerc ainsi que le médiateur du cinéma ont pointé la " loi de la jungle " qui, faute de véritable contrat, affecterait les rapports entre exploitants et distributeurs. Elle se traduirait notamment par le pouvoir discrétionnaire de l'exploitant " de retirer le film de l'affiche, de le programmer dans une salle plus petite ou de le présenter en multiprogrammation ". Les rapporteurs ont donc plaidé pour une formalisation contractuelle qui rétablisse un relatif équilibre dans la négociation, sans prétendre gommer les rapports de domination.

106. Le médiateur du cinéma indique, dans une synthèse de son rapport d'activité 2008, que la règle du contrat écrit contribuera par ailleurs " à une meilleure régulation du marché et facilitera grandement le règlement des litiges ". En l'état actuel, la médiation se limite à statuer sur des contrats oraux pour lesquels la volonté des parties est difficile à établir.

b) Évolution du dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

107. Les dispositions relatives aux relations entre exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et distributeurs d'œuvres cinématographiques, concernant la forme du contrat de concession des œuvres cinématographiques, sont visées par l'article 5 du projet d'ordonnance (articles L. 213-14 à L. 213-16 du nouveau Code du cinéma).

108. L'article L. 213-14 du projet rétablit le contrat écrit dans sa forme règlementaire antérieure, prévue par la décision du CNC du 25 mars 1993. Il pose également le principe d'une négociation entre les parties, préalable à une transmission du contrat écrit par le distributeur à l'exploitant, qui doit s'effectuer au moins deux jours avant son exécution. Le support papier ou la forme électronique sont les formes autorisées du contrat.

109. L'énonciation des clauses obligatoires du contrat de concession allège le dispositif antérieur, en ne se référant plus à " la désignation de la salle et à sa capacité " et en limitant les conditions générales de rémunération et de règlement au seul taux de location.

110. Le caractère non obligatoire de l'inscription du contrat au registre public du cinéma et de l'audiovisuel participe de l'allègement du formalisme (art. L. 213-15).

111. L'obligation commune des parties de rendre compte de l'exploitation de l'œuvre ne fait l'objet d'aucun formalisme particulier (art. L. 213-16).

112. Enfin, les dispositions de l'ordonnance relatives au contrat n'assurent pas le lien avec un dispositif de sanction associé, en cas de non respect.

c) Analyse concurrentielle

113. Le dispositif proposé traduit le principe fondamental du contrat écrit dans les relations commerciales entre exploitants et distributeurs. Il participe incontestablement à la recherche d'une plus grande transparence et de rapports commerciaux plus équilibrés entre les contractants, du fait de la formalisation et de l'opposabilité des engagements réciproques.

114. Ces préoccupations relèvent clairement de la régulation de l'activité. Ainsi, le contrat écrit facilite la solution des litiges résultant de la méconnaissance des engagements contractuels entre exploitants et distributeurs, ayant trait aux conditions de représentation en salle d'un film (cf. art. L. 213-2 du projet d'ordonnance). A défaut, la recherche de la volonté des parties doit être établie par le médiateur par d'autres procédés, plus hypothétiques. En l'absence de contrat écrit, l'extension par le projet d'ordonnance du champ de la médiation au respect des engagements contractuels perdrait donc de sa pertinence.

115. Le contrat écrit constitue aussi pour les mêmes motifs un progrès dans l'appréciation des pratiques anticoncurrentielles par l'Autorité de la concurrence dans ce secteur.

116. Les organisations professionnelles représentatives des exploitants et des distributeurs s'accordent sur un besoin d'assainissement du marché, qui ne devrait pas nécessairement passer selon les exploitants par le rétablissement du contrat écrit. Les distributeurs paraissent plus partagés. Les vertus protectrices du contrat écrit sont parfois soulignées dans le cas de rapports de force inégaux. Certains distributeurs estiment toutefois que le projet n'est pas suffisamment exigeant en matière d'engagement des exploitants.

117. Les critiques du contrat écrit, tel qu'il ressort du projet, portent principalement sur son inadaptation aux conditions réelles des relations commerciales entre exploitants et distributeurs, qui sont fondées sur un cadre souple et dérèglementé. Il constituerait un facteur de rigidité, réduisant la réactivité des opérateurs par rapport aux évolutions hebdomadaires du marché. Il ne pourrait être aisément mis en œuvre que par les structures organisées, assimilables aux distributeurs et aux exploitants les plus importants. Enfin, une trop grande rigidité pourrait avoir un effet contraire à celui recherché, incitant les exploitants à prendre peu d'engagements.

118. Il convient donc, tout en conservant le cadre du projet d'ordonnance relatif au contrat écrit, de favoriser une mise en œuvre adaptée à la nécessité de réactivité des opérateurs aux évolutions du marché. Il est rappelé que cette adaptation doit être réalisée dans un laps de temps très court entre une multitude d'intervenants.

119. L'Autorité recommande donc le retour au contrat de concession écrit, afin de compenser les situations de déséquilibres entre les opérateurs, pouvant résulter de la disproportion des pouvoirs de marché respectifs. Mais elle souligne qu'un formalisme excessif ne doit pas nuire à la réactivité des opérateurs aux incitations de la demande. Elle préconise donc une application du contrat écrit adaptée au fonctionnement du marché. Le contrat préalable muni des différentes clauses obligatoires, devrait donc pouvoir être admis sous différents supports (papier, électronique, télécopie), pour autant qu'il traduise la manifestation de l'échange de volontés des parties. Cela suppose que tout envoi contractuel par le concédant fasse a minima l'objet d'un accusé de réception de la part de l'exploitant, de nature à traduire l'accord des parties.

III. Sur les dispositions assurant une régulation de la rémunération des opérateurs

1. RÉMUNÉRATION MINIMALE DES DISTRIBUTEURS LORS DE L'EXPLOITATION DES FILMS EN SALLE

a) Contexte économique et juridique

Principes de rémunération des distributeurs

120. La concession par un distributeur des droits de représentation publique d'un film ne peut être consentie à un exploitant de salle que moyennant une participation proportionnelle aux recettes d'exploitation de cette œuvre (article L. 213-4 du Code du cinéma issu de l'ordonnance n°2009-901 du 24 juillet 2009).

121. La rémunération des distributeurs, aussi appelée " encaissement distributeur ", est fonction du tarif pratiqué par l'exploitant pour chaque entrée mais aussi du taux de location négocié entre le distributeur et l'exploitant, chaque semaine pour chaque film.

122. Selon une disposition règlementaire du CNC (n°15 du 7 octobre 1948 relative au " taux de pourcentage de location des films cinématographiques ") intégrée au Code du cinéma et de l'image animée par l'ordonnance du 24 juillet 2009, le taux de location doit être compris entre un minimum de 25 % et un maximum de 50 % des recettes correspondant aux entrées de la salle.

123. L'assiette de la rémunération à laquelle est appliqué le taux de location négocié est exprimée hors taxes (hors TVA à 5,5 % et hors taxe spéciale additionnelle sur le prix des entrées, au taux de 10,72 %). La rémunération nette effective résultant de l'application du taux de location à l'assiette hors taxes subit ensuite une déduction de 1,21 %, représentative de la rémunération de la SACEM due par le distributeur, qui sera reversée par l'exploitant. Ce dernier est chargé de rémunérer la SACEM pour le compte des ayants droit.

124. L'encaissement moyen par entrée payante pour les distributeurs était, selon une étude du CNC d'avril 2009, de 2,42 euro en 2007, pour une recette moyenne par entrée de 5,95 euro, soit un taux de rémunération de 40,7 %. La valeur de l'encaissement moyen est en progression de 7,3 % par rapport à 1999, tandis que dans le même temps la recette moyenne par entrée augmentait de 11 % (5,36 euro en 1999), laissant envisager un léger rééquilibrage dans le partage de la rémunération au profit des exploitants.

Économie de la rémunération des distributeurs

125. Le système de rémunération des opérateurs économiques de la chaîne cinématographique est fondé sur une logique commune de proportionnalité aux recettes guichet, qui permet d'associer les différents maillons de la filière (exploitants, distributeurs, producteurs, auteurs) aux risques économiques (succès ou échecs) de la diffusion cinématographique.

126. Ce mode de rémunération des distributeurs les rend tributaires des politiques tarifaires des exploitants, singulièrement lorsque l'exploitant pratique des prix structurellement ou ponctuellement bas. La libération du prix des places intervenue en 1985 a contribué à une diversification de l'offre tarifaire, sans doute avivée par l'intensité de la concurrence par les prix sur le marché de l'exploitation. Cette diversité tarifaire résulte aussi d'une politique visant au maintien de l'attractivité de l'offre cinématographique en salle par rapport à celle des autres supports de diffusion des œuvres cinématographiques.

127. La FNDF mentionne l'existence de 250 gammes de prix dans le secteur de l'exploitation cinématographique.

128. La structure des prix en fonction du nombre d'écrans actifs traduit la diversité tarifaire (source CNC : rapport 2008 sur l'exploitation des films). En 2008, l'éventail de prix est large autour du prix moyen de 6,01 euro : 25,6 % des écrans actifs présentent un prix moyen d'entrée inférieur ou égal à 5 euro, 68,3 % un prix compris entre 5 et 7 euro et 6,1 % un prix supérieur à 7 euro.

129. Les entrées en salle de 2008 se répartissent autour du prix moyen dans les conditions suivantes : 12,9 % des entrées ont été réalisées en dessous de 5 euro, 76,6 % entre 5 et 7 euro et 10,5 % sont supérieures à 7 euro. La légère distorsion entre les deux structures tarifaires par entrée ou par écran actif, met en évidence un effet stabilisateur de la différenciation tarifaire par le marché. Les spectateurs tendent en effet par leur comportement d'achat à atténuer les effets de la politique tarifaire par écran, dans un sens favorable au distributeur, puisque les " prix cassés " sont en proportion moindre dans la structure de prix par entrées que dans celle par écrans.

130. On observe enfin que le prix moyen du marché de 6,01 euro est supérieur de 19,5 % au prix de référence retenu dans le cadre du dispositif de cartes illimitées (5,03 euro) qui traduit par construction les niveaux de prix les plus bas et qui sert contractuellement d'assiette à la rémunération des distributeurs. Cet écart confirme à nouveau l'effet de discipline des prix par le marché ainsi qu'un niveau de prix moyen qui n'est pas fondamentalement défavorable aux distributeurs.

131. Au cours de la période récente, la politique tarifaire des exploitants a eu pour effet une augmentation des prix moyens inférieure à l'inflation. Entre 1999 et 2008, le prix moyen est passé de 5,36 euro à 6,01 euro, soit une augmentation de 12,1 % à comparer au taux d'inflation enregistré sur la même période, de 18,6 %.

132. Mais indépendamment des effets pro-concurrentiels de la différenciation tarifaire, les distributeurs restent vulnérables en raison de leur absence de maîtrise de l'assiette de leur rémunération, nonobstant leur association à la définition du taux de location, dans un cadre négocié et encadré.

133. Cette fragilité s'inscrit dans le contexte d'une structure de coûts défavorable et d'une concentration individuelle des risques sur un nombre réduit d'œuvres cinématographiques. Les distributeurs présentent par rapport aux exploitants la particularité d'engager la totalité de leurs coûts fixes (minimum garanti accordé aux producteurs, édition de copies et dépenses de promotion), de manière définitive et sans possibilité de récupération au terme de la période de sortie en salle. En revanche, les coûts fixes de modernisation ou d'extension des salles sont récupérables par les exploitants. Cette situation s'est encore aggravée ces dernières années, du fait de la rotation de plus en plus rapide des films en salle, qui a rendu nécessaire une augmentation importante du nombre de copies, pour tenir compte d'une durée de vie abrégée, et des frais de promotion, qui ne peuvent plus être étalés dans le temps au fur et à mesure du développement du " bouche à oreille ". Les distributeurs sont aussi vulnérables en raison de la concentration des risques commerciaux sur un nombre de films par distributeur réduit, compris entre 4 et 8 films par an selon les professionnels, ayant un taux de succès se situant dans un rapport de 1 film dont les coûts sont amortis pour 9 films distribués. L'aléa commercial qui pèse sur les exploitants se situe dans un ordre de grandeur différent en raison de l'offre de films beaucoup plus large qui leur est présentée.

134. Enfin, la stratégie de différenciation et d'attractivité de l'offre tarifaire s'inscrit dans le cadre d'une politique commerciale plus globale des exploitants. En effet, les recettes d'exploitation d'une salle reposent d'une part sur la billetterie, d'autre part sur des recettes annexes (confiserie, jeux vidéo, restauration, publicité). Ces recettes annexes représentent une part très importante du compte de résultat de l'exploitant. On estime que, pour les multiplexes, le chiffre d'affaires issu de la confiserie atteint le niveau de celui de la billetterie et qu'il est directement proportionnel à la fréquentation de l'établissement. L'offre cinématographique pourrait donc fonctionner dans certains cas comme produit d'appel favorisant le développement des recettes induites. Les distributeurs ne disposent d'aucune stratégie de compensation équivalente, dès lors que leur rémunération ne prend pas en compte ces recettes.

135. Les distributeurs estiment en conséquence que leur vulnérabilité face à la détermination tarifaire de l'exploitant devrait être prise en compte.

136. La poursuite du mode actuel de rémunération aurait pour conséquence, selon les organisations professionnelles des distributeurs, une disparition des distributeurs les plus fragiles, typiquement les distributeurs des films d'art et d'essai, et une offre de film moins diversifiée avec une concentration de la distribution sur des films à fort potentiel, au détriment de la diversité culturelle souhaitée par le spectateur.

137. Dans le passé, exploitants et distributeurs se sont entendus dans le cadre d'un accord inter professionnel pour assurer une forme de discipline tarifaire (Code de bonne conduite), réduisant le degré de dépendance des distributeurs à l'égard de la politique de prix des exploitants. Ce Code consistait notamment à rendre plus transparent pour le distributeur les opérations promotionnelles ayant une incidence tarifaire et à contingenter les périodes de promotion. Appelé à se prononcer sur ce Code, le Conseil de la concurrence dans sa décision n°07-D-17 du 10 mai 2007, a considéré que " l'interdépendance créée par le système de répartition des recettes entre les distributeurs et les exploitants de salle, les politiques tarifaires de ces derniers, qui ont la possibilité de moduler le prix des places de cinéma en fonction de leurs intérêts commerciaux, ont un impact direct sur l'assiette du calcul des droits et donc des incidences sur les recettes dont bénéficieront les distributeurs et les producteurs ". Que dès lors, il était " légitime que les acteurs en amont se préoccupent du prix des places sur lesquelles est assise leur rémunération ". Néanmoins, " l'interdépendance entre les revenus des acteurs de la filière, qui résulte des modalités de partage des recettes liées à l'exploitation, ne constitue qu'une contrainte sur l'organisation verticale de la filière et ne saurait justifier que des acteurs situés à un même niveau de la chaîne se coordonnent entre eux pour peser sur la fixation des prix ou contraindre les politiques tarifaires ". Le Code de bonne conduite ayant été abandonné du fait des engagements pris par la profession de ne plus lui conférer de portée obligatoire, la question du mode de rémunération des distributeurs est restée pendante dans les termes évoqués.

138. Il est proposé par l'ordonnance un dispositif qui, en contrepartie de la liberté non contestée de l'exploitant pour fixer sa politique tarifaire, garantisse au distributeur une rémunération minimale, rendue en partie autonome de la politique tarifaire. Le découplage entre l'assiette de rémunération du distributeur et la politique tarifaire de l'exploitant serait assuré par un minimum de rémunération, administrativement garanti. Ce découplage serait limité à certaines situations, la proportionnalité demeurant le mode de droit commun pour le calcul de la rémunération des distributeurs.

139. Les distributeurs sont les principaux demandeurs d'un dispositif de ce type, tandis que les exploitants n'y seraient favorables que sous réserve d'un plafonnement de la rémunération des distributeurs, susceptible de compenser l'effet de la garantie. A défaut, ils considèrent, dans un contexte de nécessaire maintien du niveau de leur marge, que le dispositif de garantie aurait un effet inflationniste et de resserrement de l'éventail tarifaire, au détriment des spectateurs.

b) Dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

140. Les dispositions relatives aux rapports entre exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et distributeurs d'œuvres cinématographiques, concernant la rémunération minimale des distributeurs sont visées par l'article 4 du projet d'ordonnance (articles L. 213-12 et L. 213-13 du nouveau Code du cinéma).

141. Le projet pose le principe d'un minimum garanti, par dérogation à la règle de proportionnalité qui fait l'objet d'un rappel explicite, en référence aux articles L. 213-9 à L. 213-11 du Code du cinéma et de l'image animée (articles L. 213-4 à L. 213-6 actuels, qui font l'objet d'une nouvelle numérotation par le projet d'ordonnance).

142. Le mécanisme du minimum garanti ne devient opérationnel que dans la mesure où la rémunération hebdomadaire moyenne par entrée, calculée selon les règles de droit commun, est inférieure à la rémunération plancher. Ce n'est que dans cette hypothèse que la rémunération minimale devient la rémunération effective du distributeur, en se substituant à celle calculée selon les règles de droit commun.

143. La garantie ne joue qu'au cours d'une période d'exploitation limitée à un nombre déterminé de semaines. Au delà, elle ne s'applique plus, quand bien même la rémunération liquidée dans les conditions de droit commun serait inférieure au minimum.

144. Le montant minimum est fixé annuellement par arrêté des ministres en charge de la culture et de l'économie, en fonction de certains critères.

145. Certains types d'entrées (par exemple les entrées à tarif réduit visant certains publics ainsi que les opérations promotionnelles d'envergure nationale telles que la Fête du cinéma) seraient exclus du dispositif de garantie.

146. Le projet d'ordonnance (L. 213-13) renvoie à un décret l'essentiel des conditions de fonctionnement du minimum garanti, d'une part la détermination du nombre de semaines d'exploitation au cours desquelles la garantie peut jouer, d'autre part la fixation des critères devant être pris en compte pour fixer le minimum et enfin la définition des entrées à exclure du dispositif. Il est, en conséquence, difficile pour l'Autorité de la concurrence de se prononcer concrètement sur la mesure instituée.

c) Analyse concurrentielle

147. L'analyse se limitera au principe instituant la rémunération minimale des distributeurs, en l'absence d'éléments relatifs à son niveau, à son mode de détermination et à son champ, (entrées exclues et nombre de semaines d'application), qui relèvent du décret d'application. Il va de soi que ces éléments, et tout particulièrement le premier, pourraient être de nature à modifier l'appréciation du dispositif par l'Autorité (cf. ci-dessous paragraphe n°149).

148. Là encore, il s'agit d'une exception aux pratiques anticoncurrentielles normalement prohibées par l'article L. 420-1. La mesure s'analyse en effet comme la fixation d'un prix minimal imposé à une profession, qui emporte trois conséquences :

- la mesure doit être justifiée, c'est-à-dire nécessaire au secteur et utile à son développement ;

- les critères d'établissement du prix minimum relèvent de la loi, ce qui n'est pas le cas ici ;

- la fixation du prix minimum passera par la procédure prévue au 2ème alinéa de l'article L.410-2, soit par un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Autorité de la concurrence.

Sur les effets de différents niveaux du minimum garanti sur le partage des recettes

149. La fixation du minimum de rémunération à un euro par place aurait un simple effet d'orientation de la grille tarifaire, dans la mesure où ce niveau correspondrait, sous l'hypothèse d'un taux de location de 40 %, à des prix d'entrée inférieurs ou égaux à 2,5 euro, ne concernant que moins de 0,3 % des entrées en 2008. A contrario, un minimum fixé à 2 euro pourrait avoir un effet de garantie de rémunération, en correspondant à un prix d'entrée inférieur ou égal à 5 euro, affectant 11 % des entrées. Enfin une fixation au niveau moyen de 2,4 euro correspondant au tarif moyen du marché de 6 euro modifierait le partage actuel des recettes d'exploitation, en affectant 44 % des entrées (cf. tableau sous le n°152 : source CNC).

150. Ces données constituent une approximation dans la mesure où il faudrait aussi tenir compte du caractère dégressif de la rémunération au fur et à mesure de l'exploitation : l'étude du CNC consacrée à l'encaissement des distributeurs, situe l'encaissement moyen par entrée, à 2,66 euro en première semaine d'exploitation mais à 2,07 en 5ème semaine et à 1,74 en dixième. Le niveau fixe du minimum garanti n'a donc pas la même portée pour le distributeur au fur et à mesure de l'exploitation. Le nombre de semaines d'exploitation qui sera fixé pour l'application du minimum est donc un élément complémentaire à prendre en compte pour apprécier ses effets redistributifs. En l'état actuel du projet et en l'absence de minimum flottant, l'effet de garantie sera d'autant plus grand que l'on s'éloignera de la sortie du film en salles dans le champ temporel fixé par le décret.

Sur la liberté de fixation des prix par le marché dans le secteur cinématographique

151. La liberté de fixation du prix d'entrée par les exploitants, qui leur est reconnue depuis 1985 se traduit par une offre tarifaire particulièrement large. Son effet a été plutôt pro-concurrentiel, puisque l'évolution du prix moyen de la place s'est maintenue en deçà du rythme de l'inflation au cours de la période récente. Par ailleurs, le risque de " guerre des prix " ou de prix abusivement bas, souvent invoqué par les distributeurs à l'appui d'un minimum garanti, ne semble pas établi au moins au plan global au vu de l'évolution de la structure de prix en fonction du nombre d'entrées. La distribution des prix d'entrée (cf. tableau ci-dessous) traduit au contraire une baisse structurelle de la part des entrées au tarif les plus bas (< 5,5 euro), une légère tendance à la baisse de la part des entrées se situant au tarif médian (compris entre 5,5 euro et 6 euro), et en revanche un accroissement structurel de la part des entrées vendues à un tarif supérieur au prix moyen.

152. Cette évolution de la structure de prix tend donc à infirmer, au moins en termes macro- économiques, le risque de prix abusivement bas ou de guerre des prix qui affecterait la rémunération des distributeurs pris dans leur ensemble, même si on ne peut bien entendu l'exclure au niveau de certaines zones d'attraction. Au demeurant, l'évolution constatée n'est pas contradictoire avec la progression constante de la rémunération moyenne des distributeurs sur la période.

<emplacement tableau>

153. Nonobstant la liberté tarifaire, le secteur du cinéma se situe toutefois dans un relatif régime d'exception s'agissant de la formation des prix, notamment du fait de la mise en œuvre de minima de rémunérations aux différents stades de la filière, dérogeant en droit ou en fait au principe général de proportionnalité aux recettes guichet. Ces garanties peuvent jouer verticalement entre les " professions " de la filière ou horizontalement au sein d'une même profession.

154. La garantie de rémunération joue horizontalement dans le cadre des formules d'accès illimités, entre l'exploitant émetteur de la formule et les exploitants associés, du fait de la loi (article L. L212-29 du Code dans la numérotation du projet d'ordonnance). Dans les autres cas, elle joue verticalement au profit des distributeurs ou des ayants droit.

155. Les auteurs bénéficient à titre d'avances sur recettes, de minima garantis forfaitaires. Dès lors que les taux de rémunération proportionnelle prévus contractuellement sont faibles (1 % en moyenne selon le rapport Perrot-Leclerc sur la période 1996-2001), les sommes en résultant sont généralement inférieures à ce forfait de rémunération, qui tient donc lieu de minimum garanti.

156. Dans le régime de concession des droits de représentation cinématographiques, le taux de location servant au calcul de la rémunération des distributeurs fait l'objet d'un encadrement légal au moyen d'une fourchette de taux imposés, constituée d'un minimum et d'un maximum. La borne inférieure fixée à 25 % est conçue comme une garantie pour le distributeur, tandis que la borne supérieure de 50 % contribue à garantir à l'exploitant un taux de rémunération maximum des ayants droit. Le nouveau dispositif, en introduisant un forfait de rémunération se cumule donc avec la garantie du taux de location, qui n'intervient qu'en cas d'application exclusive de la règle de proportionnalité.

157. Ces différents dispositifs aboutissent à une régulation du prix des prestations des opérateurs et indirectement à une régulation de nature inflationniste du prix des entrées, par répercussion de coûts excédant de facto ceux résultant de la règle de droit commun. A titre indicatif, les données figurant dans le rapport Perrot-Leclerc, relatives aux droits d'auteur montrent qu'en 2001 le minimum garanti des auteurs au titre de la représentation en salle et en vidéo représentait près de 3 fois celui qui aurait résulté des taux contractuels (9,2 millions d'euro contre 3,4).

158. Le dispositif projeté complète donc une régulation des prix, directe ou indirecte, déjà à l'œuvre dans la filière qui pourrait avoir des effets potentiellement inflationnistes et anticoncurrentiels sur les tarifs d'entrée en salle. Ce risque doit toutefois être relativisé, dès lors que l'évolution des prix a été maîtrisée en dépit des contraintes existantes.

Sur la compatibilité d'un minimum garanti vis-à-vis du droit interne et du cadre communautaire en matière de liberté des prix

159. L'ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 a posé le principe de la libre détermination des prix par le libre jeu de la concurrence. Toutefois ce principe souffre deux exceptions. L'Etat se réserve le droit d'intervenir dans les secteurs ou les zones caractérisées par une absence structurelle de concurrence (monopole, entraves légales ou règlementaires) et, de manière conjoncturelle, en cas de hausses ou de baisses excessives de prix dues à des situations exceptionnelles ou manifestement anormales.

160. Le principe de liberté des prix n'a, sauf exceptions, valeur de principe et d'irréversibilité qu'à l'égard du pouvoir réglementaire. En revanche le législateur peut revenir sur la liberté des prix de manière générale ou limitée.

161. Le principe concerne principalement la détermination des prix et dans une mesure limitée leur variation.

162. Le principe de liberté des prix s'applique depuis 1985 aux services rendus dans le cadre de la filière cinématographique, dès lors qu'ils n'étaient pas antérieurement exclus du champ d'application de l'ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix.

163. Au cas d'espèce, le dispositif de minimum garanti prévu par l'ordonnance est conforme à la possibilité de déroger sectoriellement à la liberté des prix, du fait de la loi.

164. Les règles communautaires de la concurrence n'interdisent pas aux Etats membres de réguler eux-mêmes un secteur comme le cinéma, si des motifs d'intérêt général le justifient. L'Etat demeure alors compétent pour réglementer les prix. Ainsi il a été jugé par la CJCE (29 janvier 1985, Cullet/Leclerc, af. 231-83) qu'une réglementation nationale imposant un prix minimal et un prix plafond pour la vente de carburants, fixés par l'autorité publique, n'est pas contraire aux règles de concurrence.

165. Dans le cadre d'une réglementation tarifaire est seulement posée la condition que l'Etat ne doit pas abandonner son pouvoir de décision aux opérateurs économiques. Le prix unique du livre offre une illustration de cette préférence communautaire pour une régulation étatique des prix plutôt que pour un encadrement professionnel. La CJCE a condamné les accords professionnels conclus entre éditeurs et libraires aux Pays-Bas et en Allemagne comme constitutifs d'ententes anticoncurrentielles ; par contre elle a réaffirmé de manière constante la compatibilité de la loi française du 10 août 1981 sur le prix unique du livre avec l'article 81 du traité (notamment CJCE 3 octobre 2000, Echirolles, aff. C-9-99).

166. La CJCE contrôle donc que la détermination des tarifs réglementés s'effectue en fonction de critères d'intérêt public ou général et qu'elle ne satisfait pas uniquement aux intérêts des opérateurs du secteur (Voir notamment CJCE 5 décembre 2006, Cippola, affa. C-94-04 ; et 19 février 2002, Arduino, aff. C-35-99).

167. Au cas d'espèce, la fixation d'une rémunération minimale des distributeurs pourrait donc être autorisée, dès lors qu'elle reste une prérogative exclusivement publique (minimum fixé par arrêté conjoint) et pour autant que les motifs d'intérêt général soient suffisamment établis (par exemple, nécessité de préserver la distribution indépendante pour assurer la diversité de l'offre).

168. Or, il semble que le dispositif du minimum garanti soit davantage fondé sur des critères propres à certains opérateurs de la profession que sur des " critères d'intérêt public ou général ". Sur ce point, l'exposé des motifs de l'ordonnance figurant dans le rapport au Président de la République, est révélateur. Les motifs invoqués ne se fondent ni sur la fragilité des opérateurs de la distribution cinématographique, ni sur l'intérêt de la filière ou celui du consommateur, mais quasi exclusivement sur le mode de partage des recettes entre exploitants et distributeurs. Ce fondement exclusif de la mesure est confirmé par la référence à un Code de bonne conduite (cf. paragraphe 137) qui ne constituerait plus, en raison de son invalidation par le Conseil de la concurrence, " un instrument efficace de régulation du prix du billet de cinéma de nature à assurer aux concédants des droits d'exploitation en salle une rémunération minimale ". C'est précisément pour faire " face à cette situation " que " la préconisation majeure retenue par l'ordonnance consiste à assortir les règles actuelles de partage des recettes d'une garantie de rémunération minimale des recettes ". Cette disposition du projet est donc destinée sans ambigüité à desserrer, au profit des distributeurs, la contrainte d'interdépendance entre les revenus des acteurs de la filière, résultant du mode de partage des recettes.

169. Le dispositif de découplage de la rémunération des distributeurs de la politique tarifaire des exploitants, est conçu pour assurer la position des distributeurs dans le partage des recettes et les préserver le cas échéant de politiques tarifaires agressives menées par les exploitants.

170. La référence explicite au Code de bonne conduite, également censé assurer un certain degré d'autonomie à la rémunération des distributeurs, confirme la finalité protectrice assignée au minimum garanti. Dans la décision 07-D-17, le Conseil de la concurrence a précisé que " l'interdépendance entre les revenus des acteurs de la filière, qui résulte des modalités de partage des recettes liées à l'exploitation, ne constitue qu'une contrainte sur l'organisation verticale de la filière ". Le dispositif proposé par le projet étant semble-t-il envisagé comme une alternative au Code de bonne conduite " de nature à assurer aux concédants des droits d'exploitation en salle une rémunération minimale " paraît contraire à la règlementation communautaire en matière de tarifs réglementés, en raison de cet objectif limité. Son fondement est clairement la protection des intérêts des distributeurs.

Sur les justifications d'un minimum garanti

171. La justification du minimum garanti par la nécessité de répondre à la sensibilité des distributeurs aux politiques tarifaires pratiquées en aval, qui les fragiliserait, n'est pas suffisamment établie.

172. La relation de cause à effet entre les politiques tarifaires conduites par les exploitants et l'affaiblissement des distributeurs n'est pas suffisamment établie, la fragilité des distributeurs semblant tenir sans doute davantage à l'évolution de la fréquentation, qui se concentre sur un nombre de films de plus en plus réduits exposés sur une période de plus en plus courte.

173. La vulnérabilité des distributeurs aux politiques tarifaires n'est pas établie au niveau global pour les motifs suivants :

- la rémunération moyenne par entrée des distributeurs (2,42 euro en 2007 selon le rapport du CNC d'avril 2009, consacré à l'encaissement moyen du distributeur sur une entrée en salle) est en progression au cours de la période récente (+7,3 % entre 1999 et 2007), bien que subissant un léger tassement, rapporté à la recette moyenne par entrée (42,2 % en 1999 contre 40,7 % en 2007). En valeur réelle elle subit une érosion, le taux de l'inflation sur la période 1999-2007 étant de 15,4 %. Ce constat est à rapprocher de l'évolution de la recette moyenne par entrée, qui a augmenté de 11 % sur la période de référence. Néanmoins le taux moyen de rémunération rapporté à la recette moyenne annuel hors TVA à 5,5 % et hors TSA, se situe à un niveau proche du taux de location maximum de 50 % autorisé par la législation (48,6 % en 2007 et 49 % en 1999). Cela signifie donc que dans le cadre réglementaire actuel, situant le taux de location entre 25 % et 50 %, les distributeurs ont optimisé la négociation avec les exploitants à l'intérieur de la fourchette légale du taux de location, comprise entre 25 % et 50 %.

- le prix moyen en salle subit au cours de la période récente une progression régulière et maîtrisée en deçà du rythme inflationniste (+12,1 % entre 1999 et 2008).

- la part des entrées aux tarifs les plus bas a diminué tandis que celle des entrés situés au-dessus du prix moyen a augmenté. Cette évolution est de nature à consolider la rémunération des distributeurs plutôt qu'elle ne l'affaiblit. Elle ne dénote en aucune manière une tendance générale à une détérioration des prix imputable à une guerre des prix ou à des pratiques de prix abusivement bas.

174. La fragilité des distributeurs relève d'évolutions et de phénomènes structurels relatifs au marché de la distribution. Une réponse en termes de minimum de rémunération n'est pas nécessairement adaptée à ces facteurs de fragilité.

175. Le rapport Perrot-Leclerc a mis en évidence les évolutions suivantes susceptibles de pénaliser les distributeurs de films :

- la concurrence accrue entre les films qui réduit leurs perspectives d'exposition et par conséquent les recettes potentielles ;

- la pénétration de nouveaux concurrents sur le marché ;

- l'augmentation des coûts de promotion associée à l'accélération de la carrière des films en salles.

176. Les conditions du marché de la distribution mettent en évidence la vulnérabilité des structures de distribution dont certaines assurent la promotion de moins d'une dizaine de films par an (en 2008, selon les données du CNC, 73 % des 277 entreprises de distribution autorisées n'avaient pas distribué plus de 10 films dans l'année, à l'opposé 5 % d'entre elles avait distribué plus de 100 films) avec des taux de succès de l'ordre d'un film sur neuf distribués, selon une organisation professionnelle. Cet effet de taille critique des entreprises de distribution se combine avec une spécialisation des distributeurs par genre ou par nationalité de films, qui constitue un facteur de fragilité supplémentaire. Il y a donc incontestablement une vulnérabilité d'une partie de la profession correspondant schématiquement aux petits distributeurs indépendants spécialisés sur des segments de marché plus difficiles, au premier chef les films d'art et d'essai et les films non français et non européens.

177. Il convient cependant de tenir compte de la possibilité de voir apparaître, sur des marchés locaux, des prix très bas, pratiqués sur une période plus ou moins longue, et destinés à éliminer un concurrent sur un marché par hypothèse suréquipé en salles. Dans ce cas, la possibilité qu'un distributeur puisse être victime d'une " guerre des prix " existe.

178. Le dispositif de rémunération minimale, outre qu'il n'est pas justifié par la " vulnérabilité en prix " des distributeurs, ne semble pas suffisamment adapté comme réponse aux évolutions du marché de la distribution.

Conclusion sur la rémunération minimale des distributeurs

179. Les facteurs de vulnérabilité de la distribution des œuvres cinématographiques sont nombreux et ne se réduisent pas à la question du mode de rémunération.

180. Néanmoins, il n'est pas contestable que les distributeurs ne maîtrisent pas l'un des leviers de leur rémunération qu'est le prix de la place.

181. L'institution d'une rémunération minimale pour les distributeurs peut être de nature à préserver leur situation sur des marchés locaux, notamment lorsque la politique commerciale des exploitants positionne l'entrée en salle, comme un produit d'appel stimulant la demande induite des autres produits (confiserie, jeux vidéo, restauration…). Dans ce contexte, la rémunération minimale peut maintenir un équilibre entre la liberté tarifaire de l'exploitant et le niveau de rémunération du distributeur. Le caractère agressif de la politique tarifaire des exploitants semble toutefois contradictoire avec l'évolution de la structure en prix des entrées. Le dispositif proposé doit donc davantage être envisagé comme une clause de sauvegarde, susceptible de dissuader localement les politiques tarifaires agressives, plutôt que comme une réponse à une politique de prix affectant le partage des recettes.

182. Diverses solutions peuvent être apportées aux problèmes liés à l'assiette de la rémunération des distributeurs :

- un montant forfaitaire au-dessous d'un certain niveau, proportionnel aux recettes ensuite ;

- un prix par place négocié de façon décentralisée entre chaque couple distributeur- exploitant ;

- une négociation décentralisée du taux de location ;

- la solution règlementaire centralisée proposée par le projet d'ordonnance.

183. Cette dernière solution est la moins compatible avec le droit de la concurrence.

184. La fixation administrative et centralisée de la rémunération minimale des distributeurs risque d'avoir des effets anticoncurrentiels, dès lors que le maintien des marges commerciales des exploitants concernés passera par une hausse du prix des places et par un resserrement de l'éventail de prix. Les exploitants devraient mécaniquement répercuter cette variation de leurs coûts pour maintenir le partage actuel, d'autant plus facilement que la demande est peu élastique. L'effet inflationniste sera d'autant plus important, que le prix administré sera fixé à un niveau impliquant une redistribution des recettes. Au-delà de 2,2 euro par place, l'effet redistributif serait sensible, puisque plus de 20 % des entrées seraient concernées par une mise en œuvre du minimum. Le minimum garanti intégré dans la stratégie de prix des opérateurs orientera le marché vers des prix plus élevés. Lors de leur audition, les représentants des distributeurs ont indiqué à l'Autorité que le montant de rémunération qu'ils souhaitaient voir garantir se situait aux alentours de 2,15 € - 2,20 € par place.

185. Pour limiter les effets anticoncurrentiels d'un tel dispositif, il pourrait être envisagé de contractualiser le minimum garanti, celui-ci étant fixé dans un cadre négocié et décentralisé entre l'exploitant et le distributeur. Ce mécanisme éviterait les effets d'entrainement sur les prix, imputables à un minimum de portée générale et répondrait aux situations locales les plus problématiques.

186. Néanmoins, toute solution décentralisée se heurte à la différence très marquée des pouvoirs de négociation, l'une ou l'autre des parties étant susceptible d'imposer son point de vue.

187. L'Autorité de la concurrence n'est donc pas favorable à la fixation réglementaire d'une rémunération minimale, qui pose des problèmes de concurrence. Elle recommande un système de garantie négociée préservant les mécanismes de marché et limitant les effets anticoncurrentiels.

188. S'agissant de la procédure de fixation centralisée d'une rémunération minimale par place, il n'appartient pas à l'Autorité de la concurrence d'arbitrer entre la politique de la concurrence et les nécessités d'une politique culturelle, fondée sur des objectifs de diversité culturelle.

2. RÉMUNÉRATION DES AYANTS DROIT LORS DE L'EXPLOITATION DES FILMS VIA DES SERVICES DE MÉDIAS AUDIOVISUELS À LA DEMANDE

a) Contexte économique et juridique

VoD et services de médias audiovisuels à la demande

189. La directive 2007-65-CE du 11 décembre 2007, relative aux services de médias audiovisuels indique à son article 1er que la catégorie des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) englobe "tout service de média audiovisuel non linéaire proposé par un fournisseur de services de médias pour le visionnage de programmes au moment choisi par l'utilisateur et sur demande individuelle, sur la base d'un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur ". La directive identifie les SMAd à partir de 4 critères cumulatifs, associés à une autonomie de choix de l'utilisateur : le service doit relever d'un média de masse ; il doit entrer en concurrence avec la radiodiffusion télévisuelle ; les prestations sont fournies contre rémunération; la mise à disposition de programmes constitue sa finalité principale.

190. Les SMAd recouvrent les services de vidéo à la demande (VàD ou VoD pour Video on demand) ainsi que la télévision de rattrapage (catch-up TV).

191. Dans la mesure où le projet d'ordonnance se réfère explicitement à l'exploitation des œuvres cinématographiques par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande, la présentation est axée sur la VoD.

192. La VoD permet le visionnage des programmes audiovisuels sans support physique, à la différence de la vidéo ou des DVD, à n'importe quel moment choisi par le consommateur. En pratique, le spectateur peut accéder à des films sur son ordinateur, par l'intermédiaire de portails internet. Deux modes de consommation sont proposés : soit un visionnage ou une location pour une durée de 24 ou 48h (dénommé " streaming "), correspondant à la pratique dominante, soit un téléchargement définitif constitutif d'une vente. Selon le Syndicat de l'Edition Vidéo Numérique (SEVN), 95 % du chiffre d'affaires est réalisé sous forme de paiement à l'acte (5 % du CA par abonnement), dont 99 % sous forme locative. En juin 2008, l'utilisation de la VoD se traduisait par 3,3 actes payant par mois et par utilisateur.

193. Les opérateurs de VoD sont diversifiés, avec en 2008 une cinquantaine de plates-formes françaises regroupant principalement des entités affiliées à des chaînes de télévision, des fournisseurs d'accès à internet (Orange est le 1er opérateur du secteur de la VoD) et des producteurs indépendants.

194. Avec 50 millions d'euro en 2008, le chiffre d'affaires de la VoD reste relativement modeste par comparaison aux recettes guichet des salles (1,1 milliards d'euro) ou à la vidéo physique (1,4 milliards d'euro). Selon le Syndicat des éditeurs de VoD, le marché devrait doubler en 2009, principalement sous l'effet du développement de la télévision par ADSL (TV IP), qui concentre 80 % du marché de la VoD et 90 % de sa croissance. Selon cette source, 17 % des foyers visionnent les programmes de télévision via ADSL (IP TV).

195. Les prix pratiqués sont assez homogènes et relativement proches de ceux de la location ou de l'achat de DVD (environ 4 euro pour une location et 10 euro pour un téléchargement définitif). Certains FAI peuvent faire des propositions plus agressives consistant en offres illimitées réservées à leurs abonnés ADSL.

196. Le niveau actuel du piratage et la réticence des ayants droit à ouvrir leurs catalogues aux FAI et aux plate-formes de VoD constituent les principaux freins au développement de la VoD.

197. L'offre de catalogue reste limitée par rapport celle de la vidéo, qui proposait en juin 2008 75 % des films sortis en salle contre 33 % pour la VoD (3700 films disponibles en VoD payante). La VoD dans la chronologie des médias issue de l'accord professionnel du 6 juillet 2009

198. Au stade de l'exploitation, les films sont commercialisés sous différentes versions (marché de versions), en salle, en DVD, sur les télévisions payantes ou gratuites, auxquels s'est adjoint plus récemment la VoD. La chronologie des médias est un instrument de régulation qui permet, en cloisonnant par séquences temporelles les différents segments du marché de l'exploitation, d'obtenir des spectateurs la recette maximum d'un film résultant de ses différents modes d'exploitation. Elle se fonde sur une différenciation tarifaire de chaque fenêtre, fonction de la disponibilité plus ou moins précoce du film, par rapport à sa sortie en salle. Le principe étant que le consentement à payer par le consommateur (et donc le prix) est d'autant moins élevé que le visionnement du film est éloigné de sa sortie en salle. Pour être efficace, cette chronologie suppose des fenêtres d'exploitation successives et exclusives.

199. Les délais d'exploitation des films, propres à chaque mode, sont fixés par la voie règlementaire pour le délai vidéo et par la voie d'accords interprofessionnels s'agissant de l'exploitation télévisuelle ou en VoD. Il s'agit de délais minimum, exprimés à partir de la date de sortie en salle des films.

200. Le nouveau dispositif de chronologie des médias est issu de la loi (article 30-4 du Code de l'industrie cinématographique) s'agissant de la vidéo et résulte de la négociation professionnelle (accord du 6 juillet 2009, entre les organisations professionnelles représentatives du secteur du cinéma (producteurs, distributeurs, exploitants), de la vidéo, de la VoD et des services de télévision, pris en application de la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet) concernant les autres modes d'exploitation (services de médias audiovisuels et services de télévision). Cette possibilité de négociation est aussi prévue par la directive du 11 décembre 2007 dite " services de médias audiovisuels ".

201. Aux termes de la loi et de la négociation, la chronologie des médias, exprimée en délais d'exploitation minimum à compter de la sortie en salle, est la suivante :

<emplacement tableau>

202. Par rapport au dispositif antérieur, cette nouvelle chronologie rend plus attractive la fenêtre d'exploitation des films par les services de médias audiovisuels à la demande payant à l'acte, dont le délai, fixé depuis 2005 à 33 semaines, est désormais aligné sur celui de la vidéo.

203. Cette nouvelle donne perturbe l'équilibre antérieur dans la mesure où, en amont de la chronologie, elle peut fragiliser l'exploitation en salle par substitution par le consommateur d'un accès vidéo à une entrée en salle. Elle peut aussi, plus fondamentalement, susciter des réallocations de parts de marché entre les différents modes, notamment sous l'effet de politiques tarifaires agressives de la part des services de média audiovisuels à la demande. Ces transferts seraient imputables au découplage entre le niveau de prix et le positionnement dans la chronologie des fenêtres d'exploitation. Les professionnels évoquent un risque de transfert de parts de marché au détriment du segment suivant des chaînes payantes. Les ayants droit sont également susceptibles d'être affectés par la pratique des FAI, qui associent une quasi gratuité des offres VoD (cf. abonnements mensuels illimités) au placement d'abonnements ADSL.

204. En conséquence, les professionnels ont proposé au CNC d'encadrer la politique tarifaire relative aux services de vidéo à la demande par un minimum garanti dû aux ayants droits, orientant le prix minimum de la fenêtre d'exploitation. Ce dispositif dissuaderait une fixation du prix en deçà de ce minimum, dès lors qu'il pourrait être qualifié de prix prédateur ou abusivement bas, en fonction de ses conséquences. Il satisferait également les ayants droit. Les professionnels ont demandé au CNC d'inscrire ce minimum garanti dans le projet d'ordonnance, objet de la demande d'avis.

b) Dispositif envisagé par le projet d'ordonnance

205. Les dispositions relatives à la rémunération de l'exploitation des œuvres cinématographiques sur les services de médias audiovisuels sont visées par l'article 6 du projet d'ordonnance (articles L. 223-1 et L. 223-2 du nouveau Code du cinéma).

206. Le projet pose le principe d'une rémunération des ayants droit au titre de l'exploitation des œuvres cinématographiques, par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande, pour chaque accès dématérialisé d'un utilisateur de service à un film. Cette rémunération des titulaires de droit est adaptée à la catégorie du service, à l'offre commerciale et à la date de sortie du film en salle.

207. L'ordonnance renvoie à un décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Autorité de la concurrence, les modalités de cette rémunération ainsi que le mode de détermination d'une rémunération minimale garantie aux titulaires de droit, fixée par arrêté des ministres en charge de la culture et de l'économie.

208. Le principe d'une rémunération adaptée est motivé par le fonctionnement harmonieux d'une " chronologie des médias " fondée sur des prix propres à chaque fenêtre d'exploitation et reflétant le service offert au public.

209. La rémunération minimale garantie doit être positionnée pour constituer une base de coûts en dessous de laquelle un service de médias audiovisuels à la demande ne pourrait pas pratiquer des prix durablement bas.

c) Analyse concurrentielle

210. Le principe de rémunération conforme à la chronologie des médias ne soulève pas de question concurrentielle des lors que la chronologie des médias constitue, par voie d'exemption, une dérogation autorisée au droit de la concurrence et à la prohibition des répartitions de marchés.

211. S'agissant du minimum garanti, les observations relatives à la non conformité au droit communautaire de la rémunération minimale des distributeurs trouvent à s'appliquer. Sa fixation par la seule voie règlementaire semble non conforme aux exceptions prévues par l'ordonnance de 1986.

212. L'Autorité de la concurrence considère, en opportunité, qu'il ne faut pas imposer de prix plancher dans la mesure où la Vod constitue un marché émergent sur lequel on ne dispose d'aucune donnée et où l'interférence avec la chronologie des médias apparaît particulièrement complexe. Par ailleurs, les justifications économiques avancées supra pour légitimer le minimum garanti des distributeurs ne peuvent être évoquées. En conséquence, l'Autorité ne voit pas les raisons qui justifient cette dérogation au droit de la concurrence.

IV. Sur les dispositions en matière de formules d'accès illimité

1. CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET JURIDIQUE

Régime juridique de la carte illimitée

213. Les formules d'abonnement de type " accès illimité " permettent au spectateur abonné d'avoir un accès non dénombré à l'avance aux salles de cinéma de l'émetteur de carte, moyennant le versement de frais de dossiers à la souscription (30 euro pour les deux formules existantes) et d'une mensualité, pour une période minimale d'un an. Depuis 2004, ces cartes donnent également accès aux cinémas adhérents à cette formule.

214. La première formule a été lancée en 2000 par UGC, le premier groupe d'exploitation de salles en France.

215. Cette initiative commerciale constituait " l'une des réponses apportées à la multiplication des modes d'exploitation des films hors salles de cinéma ". Sa logique repose sur la multiplication de l'offre de films et des lieux de diffusion au sein d'une même zone de chalandise.

216. Les formules à accès illimité sont soumises à agrément préalable du président du CNC.

217. Elles posaient, d'une part la question de la rémunération des ayants droit, dans un système où la recette n'est plus directement liée à l'entrée, d'autre part celle des effets d'éviction potentiels de la clientèle des exploitants indépendants. Le législateur a donc mis en place un dispositif de régulation qui adapte les mécanismes traditionnels de la rémunération des opérateurs à la formule et qui a été conçu pour éviter les effets d'exclusion.

218. La loi n°2001-420 du 15 mai 2001, codifiée à l'article 27 du Code de l'industrie cinématographique prévoit de conditionner la mise en place d'une formule à un agrément préalable du directeur général du CNC. La loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 introduit un prix de référence comme assiette de rémunération des ayants droit et modifie les seuils de la rémunération garantie des exploitants associés à la formule.

219. Le dispositif législatif déroge au principe d'une rémunération des ayants droit proportionnelle aux recettes guichet, dans la mesure où l'entrée en salle est déconnectée du paiement de la place. La remontée des recettes est assurée par un " prix de référence " qui sert d'assiette pour la liquidation de la rémunération des distributeurs, en lieu et place d'un prix d'entrée par définition inexistant. En pratique, il est délivré au spectateur abonné d'une formule un billet d'entrée gratuit d'une valeur faciale égale au prix de référence (5,03 euro depuis 2000). Le taux de location négocié est appliqué au prix de référence dans les conditions de droit commun. Lorsque la carte est utilisée pour une séance bénéficiant d'un tarif inférieur, il est délivré un billet au tarif de la séance (94 % des entrées carte ont été délivrées au tarif de 5,03 euro en 2007).

220. Pour éviter, dans une zone de chalandise (ci-après dénommée " zone d'attraction "), les risques d'exclusion d'exploitants concurrencés par les cinémas d'un émetteur de carte, la loi prévoit d'ouvrir les formules d'accès illimité aux exploitants qui le souhaitent, dès lors qu'ils réalisent moins de 25 % des entrées ou recettes dans une zone d'attraction donnée (15 % dans la zone d'attraction parisienne composée de Paris et des départements limitrophes, 92, 93 et 94) et sous réserve que leur part de marché national ne dépasse pas 0,5 %. Cette association doit obligatoirement être proposée par les émetteurs de formules réalisant au moins 25 % des parts de marché dans une zone d'attraction (8 % dans la zone parisienne) ou plus de 3 % au plan national.

221. Le dispositif d'association à la formule, traduit par un contrat d'association, est complété par un système de garantie de rémunération accordé à l'exploitant associé (" le garanti ") par l'émetteur (" le garant "), afin notamment de pallier les risques économiques pouvant résulter d'une surconsommation par les abonnés. Ce risque est compensé pour les " petits exploitants ". La garantie porte sur un montant minimal de la part exploitant par entrée, au moins égal à la part reversée aux distributeurs par l'exploitant garanti. Cette part est assise sur un prix de référence convenu par l'émetteur avec chaque exploitant associé, qui peut être le tarif moyen réel de l'exploitant.

222. Les exploitants associés mais non garantis s'engagent vis-à-vis des distributeurs sur le même prix de référence et le même taux de location que l'émetteur.

Economie des formules en cours

223. Le marché actuel de l'exploitation des salles de cinémas compte deux formules d'abonnement. Il s'agit de la formule " UGC illimitée " valable sur l'ensemble du territoire, qui comprenait en 2007, 35 cinémas UGC (359 écrans), 31 cinémas associés garantis (72 écrans) et 22 cinémas non garantis (115 écrans). Depuis septembre 2007, le groupe MK2 a intégré la formule UGC à titre d'exploitant non garanti, après s'être retiré de la formule concurrente, la Carte LP. 70 % des écrans de la formule UGC sont situés dans la zone d'attraction parisienne.

224. La formule " carte LP " a été lancée en 2000 par les sociétés Gaumont et Pathé (fusionnées depuis dans Europalaces), MK2 et Ciné Classic. Elle comprend en 2007, 62 cinémas Europalace (644 écrans), 26 cinémas garantis (63 écrans) et 5 non garantis (31 écrans). 44 % des écrans de cette formule sont dans la zone d'attraction parisienne.

225. Au total ces formules représentent 23 % du parc d'écrans national.

226. En 2006, près de 13 millions d'entrées ont été réalisées à partir de ces formules, soit 7 % de la fréquentation totale. Le phénomène reste essentiellement francilien puisque 70 % des entrées carte sont réalisées en Ile-de-France : en 2006, les entrées carte représentent 23 % de la fréquentation parisienne, 11 % de la fréquentation francilienne hors Paris et 4 % de celle des villes de province concernées. 12 % des entrées carte illimitées sont réalisées par les adhérents à l'une des formules, garantis ou non.

227. Le montant de l'abonnement mensuel est de 19,8 euro pour les deux formules depuis octobre 2007. Selon une étude CNC d'avril 2008, le seuil de fréquentation au-delà duquel les entrées génèrent une perte pour l'émetteur (point mort) a été estimé à 81 entrées annuelles (6,79 entrées par mois). Au-delà de 47 entrées annuelles (3,94 par mois), la formule ne peut garantir à l'exploitant un revenu couvrant la part due au distributeur. L'étude indique que la consommation moyenne des abonnés était en 2006 de 3,55 entrées par mois (43 par an), c'est-à-dire que le niveau de fréquentation assurait à l'exploitant un revenu supérieur à celui du distributeur.

228. Le prix de référence des deux formules, de 5,03 euro, est celui pratiqué depuis leur mise en place en 2000. Il a été prorogé jusqu'en 2011 par le CNC. Il s'agit du prix de référence sur lequel s'engage l'émetteur vis-à-vis des distributeurs pour les films diffusés dans les salles qu'il exploite, qui se distingue de celui servant à la mise en œuvre de la garantie des exploitants associés à la formule. On observe que les distributeurs n'ont pas l'assurance d'une rémunération assise sur le prix de 5,03 dans le cas d'une diffusion dans une salle garantie. En effet, le prix de référence utilisé pour la remontée des recettes est alors celui convenu par l'exploitant avec l'émetteur, qui peut être le prix moyen pratiqué par l'exploitant associé.

229. Selon l'étude, le chiffre d'affaires moyen par entrée carte était de 5,09 euro en 2006, soit quasiment le prix de référence.

230. Depuis la mise en place des formules le prix d'entrée moyen du marché des entrées payantes s'est détaché du prix de référence, le dépassant de 19,4 % en 2008 (6,01 euro), alors qu'il ne l'excédait que de 7,2 % en 2000 (5,39 euro). Dans ce contexte, la question de sa revalorisation est régulièrement posée par les distributeurs.

2. EVOLUTION DU DISPOSITIF ENVISAGÉ PAR LE PROJET D'ORDONNANCE

231. Les dispositions relatives au secteur de l'exploitation cinématographique, concernant les formules d'accès au cinéma, sont visées par l'article 2 du projet d'ordonnance (articles L. 212-27 à L. 212-31 du nouveau Code du cinéma).

232. En la matière, la principale modification du projet d'ordonnance porte sur les modalités de détermination du prix de référence sur lequel s'engage l'émetteur de la formule à l'égard de " tout distributeur avec lequel il conclut des contrats de concession des droits de représentation cinématographique ". Le texte envisage une procédure de fixation initiale du prix de référence régulée par le président du CNC lors de la demande d'agrément. Par ailleurs, il précise que les données utiles à cette appréciation sont des " données économiques " et notamment celles que l'émetteur est tenu de transmettre à l'appui de la demande d'agrément.

233. Le texte actuel de l'article L. 212-23 ne prévoit pas l'intervention du CNC et se limite à suggérer la correspondance entre le prix de référence et " le prix moyen réduit pratiqué par chaque exploitant ", sans exclure d'autres méthodes. Cette référence au prix moyen réduit disparaît dans le nouveau texte s'agissant des relations entre l'émetteur de la formule et les distributeurs. Elle ne subsiste que pour le dispositif des exploitants garantis.

234. Le nouveau texte recentre le dispositif des formules d'accès sur les formules donnant droit à " des entrées multiples en nombre non défini à l'avance ", excluant donc les autres formules d'abonnement (pour un nombre de séances fixes), implicitement visées par le texte antérieur.

235. Un certain nombre de précisions sont apportées par rapport au texte actuel :

- l'identité entre le taux de location de la formule et celui relevant des ventes à l'unité ;

- la distinction entre, d'une part le prix de référence servant à la garantie des exploitants et à la rémunération des distributeurs lors de la diffusion dans les salles des exploitants associés, d'autre part le prix de référence sur lequel s'engage l'émetteur à l'égard de ses propres ayants droit ;

- l'engagement identique pris par l'émetteur de la formule et les exploitants associés non garantis en matière de prix de référence et de taux de location ;

- l'adhésion d'un exploitant à la formule n'est plus soumise à l'agrément du CNC.

236. Comme dans le texte actuel, il est renvoyé à un décret pour fixer les modalités pratiques concernant la délivrance des agréments, les engagements des exploitants à l'égard des distributeurs et le régime du contrat d'association.

3. ANALYSE CONCURRENTIELLE

237. La proposition centrale visant à soumettre à l'appréciation du président du CNC le prix de référence d'une formule, en fonction des données économiques fournies par l'émetteur, est conforme à la solution proposée par le Conseil de la concurrence dans son avis 08-A-12 du 30 juin 2008.

238. Le Conseil, saisi pour avis d'un projet d'amendement législatif visant à modifier l'article 27 du Code de l'industrie cinématographique en matière de fixation du prix de référence, a recommandé " de faire reposer (sa) fixation sur des bases économiques objectives et de confier au CNC la vérification du lien entre les prix de références proposés par les émetteurs et la valeur du prix moyen qui pourrait être calculé ". Le Conseil estimait ensuite que " cette valeur de référence pouvait être raisonnablement approchée par le prix moyen notionnel obtenu en divisant simplement la valeur de l'abonnement par le nombre moyen d'entrées auquel il donne lieu durant sa période de validité ". Dès lors que le calcul du prix moyen notionnel pouvait être affiné de différentes manières (par exemple par la prise en compte des frais de gestion du système), il n'était pas préconisé d'identité parfaite et permanente avec le prix de référence. Il suffisait de " garantir aux ayants droits et autres parties prenantes que le prix moyen notionnel est bien le pivot à partir duquel sont déterminés le prix de référence et les conditions de rémunération des exploitants garantis ". Le Conseil faisait observer que dans ces deux cas, " rien ne s'oppose, au plan des principes, à ce que le prix de référence soit identique et égal au prix moyen notionnel " de la formule.

239. Le recours au CNC pour apprécier le niveau du prix de référence à partir de données économiques fournies par l'émetteur (fréquentation réelle, prix moyen calculé ex post) assurait la compatibilité du dispositif avec la protection du secret des affaires et la transparence du mode de fixation. Le Conseil n'excluait pas totalement les opérateurs du contrôle de la détermination du prix de référence, puisqu'il suggérait une concertation avec les professionnels " sur les règles appliquées par le CNC pour vérifier la validité du prix de référence ".

240. Enfin le Conseil suggérait implicitement que la méthode de fixation proposée soit mise en œuvre pour la révision du prix de référence.

241. Le dispositif envisagé par le projet d'ordonnance ne fait qu'une application partielle des préconisations du Conseil. Il semble limiter la prise en compte du processus de fixation du prix de référence à partir de données économiques, à la demande d'agrément préalable. La rédaction actuelle ne permet pas d'inclure la révision du prix de référence en l'absence de précisions quant aux " modifications substantielles " de la formule soumises à agrément préalable (article L. 212-27).

242. Le nouveau dispositif prévoit deux modes de détermination du prix de référence l'un pour les ayants droit de la formule, l'autre pour les exploitants garantis, là où le dispositif actuel se fonde sur un mode de détermination unique, sur une base qui peut être le prix moyen réduit. Dans un souci de simplification et de cohérence, il est recommandé un fondement commun aux deux dispositifs sur la base de données économiques du même type. L'alinéa 1 de l'article L. 212-29 pourrait être modifié dans les conditions suivantes : "…sur la base d'un prix de référence par place convenu avec chacun des exploitants associés à la formule et déterminé en fonction de données économiques semblables à celles nécessaires à l'appréciation du prix de référence visé par l'article L. 212-28 du Code de commerce ". La dernière phrase de l'alinéa serait supprimée.

CONCLUSION

L'Autorité de la concurrence ne peut émettre un avis favorable au projet d'ordonnance que si deux réserves importantes sont levées :

- premièrement, l'article L. 213-7 dans le texte de l'ordonnance, définissant les relations entre le Médiateur du cinéma et l'Autorité de la concurrence, doit être modifié dans le sens des suggestions faites ci-dessus ;

- deuxièmement, la disposition concernant le calendrier prévisionnel de sortie des films en salle, doit être retirée du texte actuel.

L'Autorité de la concurrence est par principe défavorable à toute forme de rémunération minimale garantie comme le prévoit le projet d'ordonnance pour les distributeurs et préconise des solutions négociées au cas par cas. Prenant acte des objectifs spécifiques de la politique culturelle visant à assurer la diversité des formes culturelles dans l'intérêt général, il ne lui appartient pas toutefois d'arbitrer entre politique de la concurrence et politique culturelle en matière de diffusion cinématographique.

L'Autorité recommande également :

- s'agissant des cartes illimitées, une meilleure cohérence entre les données économiques fondant la rémunération garantie des exploitants associés et celles servant à établir le prix de référence, assiette de la rémunération des ayants droit ;

- l'abandon de la notion de rémunération minimale dans le cas de la VoD, qui est prématurée au vu du contexte actuel de marché ;

- un contrat écrit de concession des droits de représentation des œuvres cinématographiques, souple et adapté à la réactivité du marché.

Délibéré sur le rapport oral de M. Gilles Vaury et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Anne Perrot vice-présidente, présidente de séance, Mmes Françoise Aubert et Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes et M. Spilliaert, vice-président.