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Décisions

ADLC, 29 juillet 2010, n° 10-A-17

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à une demande d'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en application de l'article L. 37-1 du Code des postes et communications électroniques, portant sur l'analyse des marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en métropole et en Outre-mer

ADLC n° 10-A-17

29 juillet 2010

L'Autorité de la concurrence (commission permanente) ;

Vu la lettre enregistrée le 25 juin 2010 sous le numéro 10/0061 A, par laquelle l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence dans le cadre de la procédure d'analyse des marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en métropole et en Outre-mer ; Vu les lignes directrices de la Commission européenne du 11 juillet 2002 sur l'analyse des marchés et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques ; Vu la recommandation de la Commission européenne du 17 décembre 2007 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive 2002-21-CE ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code des postes et des communications électroniques ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants de l'ARCEP entendus lors de la séance du 20 juillet 2010 ; Les représentants de la société France Télécom entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

1. Par lettre enregistrée le 25 juin 2010 sous le numéro 10/0061 A, l'ARCEP a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la définition des marchés pertinents et la désignation des opérateurs exerçant une influence significative sur les marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en métropole et en Outre-mer.

2. Cette demande d'avis s'inscrit dans le cadre de la procédure définie à l'article L. 37-1 du Code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE) qui prévoit que l'ARCEP détermine, après avis de l'Autorité de la concurrence, les marchés de produits et de services du secteur des communications électroniques pour lesquels elle souhaite imposer ex ante des obligations particulières aux opérateurs exerçant une influence significative.

3. Le présent avis concerne l'analyse des marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en métropole et en outre-mer. Il est rendu dans le cadre du troisième cycle d'analyse de marché, qui concerne la période 2011-2013, et fait suite aux avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004, n° 07-A-01 du 1er février 2007 et n° 07-A-05 du 19 juin 2007.

4. Dans le document transmis pour avis à l'Autorité de la concurrence, l'ARCEP propose de qualifier de pertinents pour la régulation ex ante les marchés de la terminaison d'appel vocal sur chacun des réseaux individuels des opérateurs de réseaux métropolitains et ultramarins, et de désigner chacun d'eux comme opérateur puissant sur le marché de la terminaison d'appel voix sur son réseau respectif.

5. Au titre des obligations imposées aux opérateurs exerçant une influence significative sur les marchés de gros considérés, l'ARCEP propose notamment de reconduire un encadrement tarifaire de la terminaison d'appel vocal des opérateurs concernés, sous la forme d'une orientation vers les coûts.

6. Après avoir fait le bilan du précédent cycle de régulation des marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles en métropole et en Outre-mer (I), l'Autorité limitera ses remarques, concernant le nouveau cycle de régulation, à la question de la délimitation géographique des marchés pertinents dans la zone Réunion - Mayotte, de la régulation des terminaisons d'appel vocal des opérateurs susceptibles d'entrer sur le marché avant la fin du nouveau cycle d'analyse, et à celle du rythme de baisse des prix de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles (II).

I. Sur le bilan du deuxième cycle de régulation

7. Après avoir effectué quelques rappels sur la terminaison d'appel vocal mobile (A), l'Autorité reviendra sur la régulation mise en place par l'ARCEP au cours du deuxième cycle de régulation couvrant la période 2008-2010 (B) avant d'examiner quel en a été l'impact sur le marché (C).

A. LA TERMINAISON D'APPEL VOCAL MOBILE

8. Le Conseil de la concurrence a rappelé dans ses précédents avis la notion de terminaison d'appel en précisant que " lorsqu'un abonné téléphonique veut en appeler un autre, la communication part du combiné de l'appelant pour traverser la boucle locale de son opérateur, puis elle transite par différents éléments du réseau pour se terminer sur la boucle locale de l'opérateur de l'appelé. La communication emprunte donc une boucle locale de départ et une boucle locale de terminaison ". Le présent avis concerne la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles.

9. Lorsque l'appelé est sur le même réseau que l'appelant (appel on net), par exemple l'appel d'un abonné Orange vers un autre abonné Orange, le même opérateur effectue le départ et la terminaison d'appel. Lorsque l'appelé n'est pas sur le même réseau que l'appelant (appel off net), par exemple l'appel d'un abonné Orange vers un abonné SFR, l'opérateur de l'appelant va acheminer l'appel jusqu'au réseau de l'opérateur de l'appelé qui sera ensuite chargé de délivrer l'appel jusqu'au terminal de l'appelé.

10. Les flux financiers associés se situent à deux niveaux. Sur le marché de détail, l'appelant paie à son opérateur de boucle locale un tarif de détail pour joindre l'appelé mobile : c'est le principe du Calling Party Pays (l'appelé ne paie rien). Sur le marché de gros, l'opérateur de l'appelant paie l'opérateur de l'appelé pour l'utilisation de la partie terminale de son réseau : la terminaison d'appel vocal mobile.

B. LA RÉGULATION MISE EN PLACE PAR L'ARCEP LORS DU DEUXIÈME CYCLE

11. L'ARCEP a qualifié de pertinents pour la régulation ex ante les marchés de la terminaison d'appel vocal sur chacun des réseaux individuels des opérateurs de réseaux métropolitains et ultramarins, à l'occasion du précédent cycle d'analyse couvrant la période 2008-2010, et a désigné chacun d'eux comme opérateur puissant sur le marché de la terminaison d'appel voix sur son réseau respectif. A ce titre, elle a notamment imposé aux opérateurs une réduction significative des prix des terminaisons d'appel, cette obligation d'orientation vers les coûts se traduisant par la fixation de plafonds tarifaires.

12. Le Conseil de la concurrence a rendu, à l'occasion de ce deuxième cycle d'analyse, un avis n° 07-A-05 du 19 juin 2007 validant l'analyse de l'ARCEP tout en invitant cette dernière à faire le bilan de la mise en œuvre des mesures de régulation adoptées au cours des cycles précédents, et à évaluer leur efficacité. Un document dressant le bilan du deuxième cycle de la régulation de la terminaison d'appel vocal mobile accompagne ainsi l'analyse de marché transmise pour avis à l'Autorité dans le cadre du nouveau cycle.

C. L'IMPACT DU PRÉCÉDENT CYCLE DE RÉGULATION

13. La baisse de la terminaison d'appel vocal sur les marchés de gros de la téléphonie mobile, a plusieurs effets sur les marchés de détail qui y sont associés, s'agissant du marché de la téléphonie mobile, des communications fixe vers mobile ainsi que dans la perspective d'une convergence entre marchés fixe et mobile.

14. Le Conseil de la concurrence a rappelé, dans son avis n° 07-A-05, qu'une terminaison d'appel élevée peut inciter les opérateurs à privilégier les appels à destination de leur réseau (on net) au détriment des appels vers les réseaux de leurs concurrents (off net). C'est ainsi que les " offres d'abondance " (appels illimités, par exemple vers quelques numéros pré-désignés) lancées par les opérateurs, qui correspondent à une forte demande des abonnés dans le prolongement des offres illimitées sur le fixe, étaient dans un premier temps exclusivement on net. Or la différenciation tarifaire entre appels on net et off net peut produire ou accentuer des " effets de clubs ". Lorsque les positions des opérateurs sur le marché sont hétérogènes, ce phénomène joue au détriment des petits opérateurs, dont les offres deviennent moins attractives du fait de leurs parts de marché et donc les parcs d'abonnés plus petits. Pour maintenir leur compétitivité, les petits opérateurs peuvent alors être amenés à répliquer avec des offres présentant des tarifs attractifs sans distinction du réseau appelé (dans le cas d'offres d'abondance, on parle d'offres all net). Mais ceci rend substantiellement déficitaire leur solde d'interconnexion (leur réseau est moins appelé par les autres réseaux que l'inverse), entraînant d'importants transferts financiers des petits opérateurs vers les plus gros.

15. S'agissant des communications fixes vers mobiles, le Conseil de la concurrence, dans son avis n° 04-A-17, a noté que le développement de la téléphonie mobile a été favorisé, lors de la phase de déploiement des réseaux, par le déséquilibre entre le prix des appels sortants mobile vers fixe et ceux des appels entrants fixe vers mobile. Cette différence de prix tenait notamment à la fixation de terminaisons d'appel vocal sur les réseaux mobiles beaucoup plus élevées que celles sur les réseaux fixes. Pour le consommateur, cette asymétrie entre terminaisons d'appel vocal fixe et mobile se traduit par des tarifs de détail pour les communications fixe vers mobile plus élevées. La convergence de ces terminaisons d'appel est donc nécessaire pour amener les opérateurs de téléphonie fixe à proposer des prix de détail modérés, comme c'est le cas pour les appels vers les fixes.

16. Comme le souligne l'ARCEP dans son projet, ce rapprochement entre les charges de terminaisons d'appel vocal pratiquées sur les réseaux mobiles et fixes est également souhaitable pour permettre le développement d'offres de convergence fixe-mobile dans des conditions de concurrence loyale entre les différents types d'acteurs.

17. En pratique, le bilan tracé par l'ARCEP s'agissant du marché de la téléphonie mobile est positif pour la métropole, puisqu'il fait apparaître le développement d'offres d'abondance all net sur le marché de détail. Sur les marchés ultramarins, en revanche, la régulation de la terminaison d'appel vocal est, selon l'ARCEP, à un stade moins avancé qu'en métropole. Les paliers tarifaires de la terminaison d'appel vocal, encore élevés, ainsi que les parts de marché très asymétriques des opérateurs présents dans chacune des zones, expliqueraient en partie, selon l'ARCEP, que la dynamique concurrentielle observée sur le marché métropolitain soit moins visible dans les DOM. La baisse de la terminaison d'appel vocal a cependant permis une réduction des écarts entre tarifs on net et off net pratiqués par les opérateurs mobiles sur les marchés de détail ultramarins, et amène ces derniers à lancer des offres d'abondance all net du type de celles commercialisées en métropole.

18. S'agissant des appels fixes vers mobiles et de la convergence, l'ARCEP note que l'apparition de forfaits de communications fixe vers mobile dans les offres triple play des fournisseurs d'accès à Internet, si elle constitue une avancée, reste en deçà des offres de téléphonie illimitée à destination des réseaux fixes. La société Bouygues Télécom et les associations de consommateurs telles que l'UFC-Que Choisir indiquent que le prix des communications fixes vers mobiles n'a pas beaucoup évolué sur le marché de détail, en dépit des baisses des tarifs de gros sous-jacents de la terminaison d'appel vocal. L'écart entre les prix de détail de la téléphonie fixe suivant que les appels sont à destination des réseaux fixes ou mobiles demeure, selon le commissaire du gouvernement, un motif d'incompréhension pour les consommateurs. Au-delà des asymétries entre les charges de terminaison d'appels fixes et mobiles, cet écart pourrait résulter d'une élasticité de la demande plus faible pour les appels vers les mobiles.

19. Le bilan effectué par l'ARCEP souligne enfin le caractère très limité à ce jour des offres de convergence fixe-mobile.

II. Sur le nouveau cycle de régulation

20. L'Autorité de la concurrence souscrit aux développements de l'ARCEP conduisant à conclure qu'aucun autre service n'est substituable aux prestations de terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles. Elle considère que chaque opérateur dispose d'un monopole sur son propre réseau et qu'aucun contre-pouvoir d'acheteur ne vient contrebalancer ce pouvoir de marché. En l'absence d'éléments nouveaux, elle renvoie aux analyses qu'elle a développées dans ses précédents avis relatifs aux analyses des marchés de terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles.

21. L'Autorité est par conséquent d'avis que la persistance d'obstacles à la concurrence nécessite la reconduction de la régulation ex ante de la terminaison d'appel vocal, en métropole comme dans les DOM, et limitera par conséquent ses remarques à la question de la délimitation géographique des marchés pertinents dans la zone Réunion - Mayotte (A), de la régulation des terminaisons d'appel vocal des opérateurs susceptibles d'entrer sur le marché avant la fin du nouveau cycle d'analyse (B), et à celle de l'orientation vers les coûts et au rythme de baisse des tarifs de terminaison d'appel (C). Les autres éléments n'appellent pas de commentaires de la part de l'Autorité.

A. LA ZONE RÉUNION-MAYOTTE

22. Les représentants de la société France Télécom estiment que l'ARCEP, dans le document transmis pour avis à l'Autorité, ne prend pas en compte les différences tant économiques que concurrentielles existantes entre La Réunion et Mayotte. Ces différences justifieraient selon France Télécom de distinguer deux marchés géographiques ou, à tout le moins, que les obligations imposées aux opérateurs actifs sur la zone (SRR, Outremer Télécom et Orange Réunion) puissent être différenciées sur ces deux territoires.

23. Un marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Des zones géographiques, même voisines, peuvent constituer des marchés distincts dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable. Le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de souligner les singularités des marchés ultramarins de services de téléphonie mobile par rapport à ceux de la métropole (avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004, décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004) : " Les DOM, Mayotte et Saint Pierre et Miquelon (collectivités territoriales) possèdent de nombreuses particularités faisant d'eux des marchés distincts de la métropole:

- l'éloignement géographique et l'isolement des îles ;

- les caractéristiques météorologiques et environnementales particulières (risques climatiques, séismes, paysages accidentés) ;

- les caractéristiques socio-économiques différentes ;

- une pénétration des mobiles spécifiques ;

- un démarrage de l'activité mobile plus tardif ".

24. Parmi les départements d'Outre-mer, le Conseil de la concurrence a déjà isolé, au terme d'une analyse prima facie, les marchés de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane en constatant notamment que les autorisations d'utilisation des fréquences délivrées par le régulateur sectoriel étaient attribuées pour une zone regroupant les départements de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane (décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004). Ces autorisations d'utilisation de fréquences conditionnent l'entrée sur le marché sur la zone concernée, ce qui faisait dire à l'ARCEP dans une décision relative à la définition des marchés de gros sur les réseaux mobiles dans les départements d'Outre-mer, que " la structuration des marchés de détail de téléphonie mobile, et des marchés de gros de terminaison d'appel vocal mobile correspondant, suit donc la géographie des attributions de fréquences " (décision n° 2007-0811 du 16 octobre 2007). En l'espèce, les trois opérateurs mobiles présents sur la zone de l'océan indien disposent d'autorisations d'utilisation des fréquences mobiles à la fois pour les territoires de La Réunion et de Mayotte. Par ailleurs, dans l'avis que l'ARCEP a rendu à l'Autorité dans le cadre de la décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009, l'ARCEP attirait l'attention de l'Autorité sur " les différences structurelles entre le marché de détail mobile de La Réunion et le marché de détail mobile à Mayotte : les caractéristiques sociodémographiques, les taux de pénétration mobile et par conséquent la maturité du marché mobile, les modes de consommation, la structure du parc mobile et les dynamiques concurrentielles diffèrent fortement d'une île à l'autre. Les stratégies marketing des opérateurs peuvent également différer […] ".

25. Dès lors, si un certain nombre d'éléments (notamment la proximité géographique des deux îles et l'identité des opérateurs qui y sont présents) pourraient inviter à retenir un marché géographique pertinent unique pour la zone Réunion-Mayotte, les éléments d'hétérogénéité précédemment soulignés conduiraient plutôt à considérer que les marchés de détail de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte constituent deux marchés géographiques distincts. Il est délicat de se prononcer sur ce point de manière définitive sans instruction approfondie et l'Autorité de la concurrence estime préférable de laisser ouverte la question de la délimitation du marché de détail, dès lors qu'elle est sans incidence sur la régulation mise en œuvre. En effet, la délimitation d'un marché large dans le cadre de l'exercice d'analyse des marchés n'interdit pas au régulateur sectoriel d'adopter des mesures différenciées en son sein. En d'autres termes, l'inclusion de La Réunion et de Mayotte dans le même marché pertinent de gros n'entraîne pas nécessairement que la terminaison d'appel vocal des opérateurs mobiles présents sur la zone doive être la même pour les deux territoires.

B. L'ENTREE D'OPÉRATEURS AVANT LA FIN DU NOUVEAU CYCLE DE RÉGULATION

26. France Télécom, SFR et Bouygues Télécom ont souligné, lors de l'instruction, leur souhait de voir l'ARCEP inclure la société Free Mobile dans le périmètre de la présente analyse de marché. Free Mobile, qui s'est vu attribuer par l'ARCEP le 12 janvier 2010 la 4ème licence mobile l'autorisant à exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération (3G) ouvert au public, n'a pas encore déployé son réseau et ne fournit donc pas à ce jour de prestation de terminaison d'appel vocal vers des numéros mobiles.

27. La société Orange Caraïbe a formulé les mêmes observations concernant UTS Caraïbe, pour ce qui concerne les marchés antillais et guyanais. De même que pour Free Mobile, UTS Caraïbe, quatrième opérateur de réseau mobile disposant de fréquences en Guadeloupe, Guyane et Martinique, (via ses filiales Guyane Téléphone Mobile, Guadeloupe Téléphone Mobile et Martinique Téléphone Mobile) n'est pour l'instant commercialement actif que dans les îles du nord (Saint-Martin et Saint-Barthélémy), sous la marque Tell Cell, et n'a pas déployé à ce jour son réseau sur les autres territoires de la zone.

28. L'ARCEP ajoute qu'outre les opérateurs mobiles disposant d'autorisations d'utilisation de fréquences, certains opérateurs mobiles virtuels (ou " Mobile Virtual Network Operator " ci-après MVNO), qui ne disposent pas de réseau radio mais sont fournisseurs de services de communications électroniques au publics, pourraient être offreurs de prestations de terminaison d'appel. Jusqu'à ce jour, les MVNO ne fixent pas eux-mêmes le tarif des terminaisons d'appel à destination de leurs clients. La prestation de terminaison d'appel est techniquement assurée par l'opérateur hôte qui perçoit la charge de terminaison, sans préjudice d'un éventuel reversement au MVNO. Néanmoins, il n'est pas exclu que, pendant la période appréhendée par l'analyse de l'ARCEP, certains MVNO soient en mesure de facturer eux-mêmes les prestations de terminaison d'appel à destination des numéros de leurs clients. Ainsi, dans plusieurs pays européens (Pays-Bas, Autriche, notamment) certains full MVNO (1) facturent eux-mêmes les prestations de terminaison d'appel vocal.

29. Si aucun full MVNO n'est actuellement actif sur le marché français, l'opérateur Omer Télécom (2), indique dans sa réponse à la consultation publique " avoir fait le choix de quitter le modèle "MVNO classique" pour devenir opérateur dégroupé c'est-à-dire "full MVNO" " afin de " gagner en autonomie et en réactivité, de mieux maîtriser la qualité des services fournis à ses abonnés, de lancer des offres de services plus innovantes et d'optimiser sa structure de coûts ".

30. L'ARCEP considère qu'elle ne peut délimiter un marché pertinent ou encore conclure à la puissance d'un acteur qui ne serait pas encore présent sur le marché. C'est pourquoi elle ne prévoit pas à ce stade de réguler la terminaison d'appel vocal sur les réseaux des opérateurs Free Mobile, en métropole, et UTS Caraïbe, aux Antilles et en Guyane, qui ne sont pas actifs commercialement.

31. En matière de régulation ex ante des marchés des communications électroniques, les remèdes qui doivent être imposés, le cas échéant, sur le marché de gros, visent in fine à développer la concurrence sur les marchés situés en aval au bénéfice des consommateurs, ce qui implique d'examiner l'état de la concurrence sur ces derniers. L'analyse des obstacles au développement d'une concurrence effective sur les marchés de gros des opérateurs Free Mobile et UTS Caraïbe doit donc être effectuée, non seulement sur les marchés de gros en cause, mais aussi au regard des marchés de détail.

32. Néanmoins, la présence d'opérateurs non régulés sur le marché de la terminaison d'appel vocal est susceptible, ainsi que le relève l'ARCEP dans le document transmis pour avis à l'Autorité, de créer des distorsions de concurrence. En l'absence de contre-pouvoir d'acheteur, un opérateur serait en effet susceptible de fixer sa propre terminaison d'appel à un niveau plus élevé que celui de ses concurrents régulés, et ce faisant percevrait auprès d'eux d'importants revenus d'interconnexions grâce auxquels il pratiquerait des prix plus faibles au détail, lui permettant de conquérir des clients. Les représentants de l'ARCEP ont ainsi confirmé en séance que la société Outremer Télécom avait, à l'ouverture de son réseau en Guyane en janvier 2005, fixé une terminaison d'appel élevée par rapport à ses concurrents et l'avait maintenue à ce niveau en dépit des baisses successives des terminaisons d'appels d'Orange Caraïbe et de Digicell, amenant l'ARCEP à intervenir dans le cadre d'un règlement de différend.

33. Ainsi que l'a souligné le Conseil de la concurrence dans son avis n° 07-A-01, un avantage important de la régulation ex ante des charges de terminaison d'appel réside dans sa capacité à offrir aux opérateurs une prévisibilité suffisante, notamment sur l'évolution de leurs ressources ou de leurs dépenses. Ce besoin de prévisibilité est d'ailleurs reconnu par l'ARCEP dans son analyse de marché. L'Autorité considère par conséquent que dans un souci de prévisibilité des acteurs déjà régulés, mais également des futurs entrants sur le marché, il serait souhaitable que l'ARCEP se livre à l'analyse des nouveaux marchés de gros de la terminaison d'appel de Free Mobile, d'UTS Caraïbe ou d'éventuels full MVNO dès que possible après leur entrée sur le marché, sans nécessairement attendre le prochain cycle d'analyse de marché si le temps nécessaire à la collecte des informations utiles ne le justifie pas. Durant la période nécessaire à la réalisation de l'exercice d'analyse de marché, l'ARCEP pourrait intervenir le cas échéant dans le cadre des pouvoirs de règlement de différends qui lui sont conférés par l'article L. 36-8 du Code des postes et communications électroniques.

C. LE RYTHME DE DIMINUTION DES PALIERS TARIFAIRES DE LA TERMINAISON D'APPEL VOCAL

34. L'ARCEP, conformément à la recommandation du 7 mai 2009 de la Commission européenne (3), préconise un encadrement tarifaire de la terminaison d'appel vocal, en référence aux coûts incrémentaux de long terme (ci-après CILT) d'un opérateur générique efficace, ce qui tend à minorer le niveau auquel les charges de terminaison d'appels devraient être plafonnées. Cette référence aux CILT a été validée par le Conseil d'État dans sa décision du 24 juillet 2009.

35. Les opérateurs ont cependant attiré l'attention de l'Autorité, lors de l'instruction, sur les risques qu'une baisse trop rapide de la terminaison d'appel vocal est susceptible de faire peser sur l'équilibre de certaines des offres qu'ils commercialisent sur le marché de détail. Le Conseil avait déjà, dans son avis n° 07-A-05, attiré l'attention de l'ARCEP sur le rôle joué par les terminaisons d'appel dans l'équilibre économique d'un marché biface comme celui de la téléphonie mobile et notamment sur les liens entre, d'une part, le niveau des terminaisons d'appel et d'autre part le prix des abonnements et celui des communications. Les représentants de la société France Télécom ont ainsi, en séance, expliqué qu'une diminution trop rapide de la terminaison d'appel vocal, et donc des revenus qu'elle génère pour les opérateurs mobiles, serait de nature à compenser les gains de productivité attendus par ces derniers et donc à empêcher des baisses de prix futures sur le marché de détail. Selon France Télécom, ce phénomène concernerait particulièrement les offres d'entrée de gamme, destinées aux consommateurs à faible dépense (prépayé et forfait bloqué), dont la rentabilité économique est basée sur le fait que ces clients, étant davantage appelés qu'ils n'appellent, génèrent des revenus complémentaires sur le marché de gros de nature à financer des tarifs attractifs sur le marché de détail. La société SFR décrit quant à elle le principe du " waterbed effect ", ou " effet de vases communiquants " qui veut que la baisse des revenus de terminaison d'appel pour un opérateur amènera ce dernier, pour compenser, à augmenter ses revenus de détail. Si, comme indiqué plus haut, l'impact de la baisse des terminaisons d'appel vocal sur le marché de détail apparaît positif pour les clients qui consomment moyennement ou beaucoup, notamment au travers d'offres d'abondance, cet impact serait donc moins évident sur les petits consommateurs.

36. L'Autorité de la concurrence relève néanmoins que les conditions dans lesquelles un accroissement des coûts ou, comme ce qui est allégué en l'espèce, une diminution de l'une des sources de revenus sur un marché biface, se traduisent au niveau des prix pratiqués dépend de nombreux facteurs, au premier rang desquels figure l'intensité concurrentielle qui s'exerce sur le marché concerné. Ainsi, dans un marché où la concurrence est intense, les offreurs ne sont pas nécessairement en mesure de répercuter des hausses de coûts dans leurs prix de détail. En l'espèce, l'Autorité de la concurrence relève que, si les trois opérateurs de réseaux paraissent pratiquer des prix peu attractifs en entrée de gamme, traduisant une intensité concurrentielle a priori limitée sur ce segment, ce n'est pas le cas de plusieurs MVNO, pour lesquels les petits consommateurs constituent le coeur de cible. On peut également penser que Free souhaitera développer ce segment de marché, ce qui rend peu crédible un scénario d'accroissement des prix correspondants.

37. Comme l'Autorité l'a précisé supra, la baisse de la terminaison d'appel vocal et son orientation vers les coûts sont par ailleurs nécessaires, compte tenu des parts de marché hétérogènes entre acteurs et de l'entrée prochaine de nouveaux opérateurs, pour limiter les effets de club et permettre la généralisation sur le marché de détail d'offres d'abondance all net, c'est-à-dire sans distinction en fonction du réseau de destination des appels. S'agissant des communications fixes vers mobiles, seul un rapprochement entre les terminaisons d'appel fixe et mobile paraît de nature à inciter les opérateurs à inclure ce type d'appel en illimité au sein des offres haut débit multi-services et à transmettre ainsi aux consommateurs les baisses des tarifs de gros. Le mouvement de convergence entre activités fixe et mobile, à l'œuvre au sein du secteur des communications électroniques, appelle également un tel rapprochement.

38. L'Autorité de la concurrence est par conséquent d'avis qu'il importe de maintenir le rythme de diminution des charges terminaison d'appels sur les réseaux mobiles au titre de la régulation ex ante.

III. Conclusion

39. Plusieurs évolutions positives du marché de détail de la téléphonie mobile, en métropole (développement des offres d'abondance all net, apparition de forfaits de communications fixes vers mobiles dans les offres triple play des fournisseurs d'accès à Internet) comme dans les DOM (réduction des écarts entre tarifs on net et off net, lancement d'offres d'abondance all net), découlent en grande partie de la régulation ex ante appliquée par l'ARCEP sur les marchés de gros de la terminaison d'appel vocal. Pour autant, l'écart qui demeure entre les charges de terminaison d'appel pratiquées par les opérateurs et les coûts sous-jacents reste un obstacle au développement de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile, à la modération des prix des communications fixes vers mobiles et à l'apparition d'offres de convergence innovantes.

40. Dans ces conditions, l'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à la proposition de l'ARCEP de maintenir une régulation sur ces marchés et appelle de ses voeux le maintien du rythme de baisse de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles. En ce qui concerne Free Mobile et UTS Caraïbe, l'Autorité estime que l'absence d'ouverture de leurs services commerciaux justifie qu'une régulation ex ante ne soit pas mise en place immédiatement les concernant, mais estime nécessaire que l'ARCEP se livre dès que possible à l'analyse des nouveaux marchés de gros de la terminaison d'appel de Free Mobile et UTS Caraïbe après l'entrée de ces acteurs sur le marché, sans attendre la mise en place du futur cycle de régulation.

41. Afin que la régulation sur les marchés de gros bénéficie bien à l'ensemble des consommateurs, l'Autorité de la concurrence invite parallèlement l'ARCEP à continuer de porter ses efforts sur le développement de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile, que ce soit en agissant sur la fluidité du marché comme elle a pu le faire pour la portabilité des numéros mobiles, ou en favorisant l'entrée de nouveaux opérateurs, qu'il s'agisse d'opérateurs de réseaux comme Free Mobile ou UTS Caraïbe, mais aussi d'opérateurs virtuels.

42. Comme l'Autorité de la concurrence l'a souligné dans son avis n° 08-A-16 (4), les MVNO peuvent jouer un rôle déterminant dans l'animation concurrentielle du marché, à la condition qu'ils disposent d'une autonomie suffisante vis-à-vis de leurs opérateurs hôtes, à la fois sur les plans contractuel, technique et économique. Le modèle full MVNO permet aux opérateurs virtuels de gagner en autonomie vis-à-vis de leur clientèle, en réactivité, en maîtrise de la qualité de leurs services et des coûts. Mais, contrairement à la plupart des autres pays européens, ce modèle peine à s'imposer en France. L'Autorité de la concurrence souhaite donc que soient mises en œuvre toutes les incitations de nature à convaincre les opérateurs ayant leur réseau propre à prendre l'engagement d'accueillir des full MVNO sur leur réseau.

Délibéré sur le rapport oral de M. Laurent Binet et l'intervention de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mmes Françoise Aubert, Anne Perrot, Elisabeth Flüry-Hérard et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.

Notes :

1 Les full MVNO sont des MVNO qui disposent de nombreux éléments de réseaux comme les HLR (Home Location Register) et des éléments de coeur de réseau et s'apparentent à des " dégroupeurs " de la boucle locale radio.

2 Omer Télécom exploite les marques des MVNO Virgin Mobile, Breizh Mobile, Tele2 Mobile et Casino Mobile.

3 Recommandation 2009-396-CE du 7 mai 2009 sur le traitement réglementaire des tarifs de terminaison d'appels fixe et mobile dans l'UE

4 Avis du 30 juillet 2008 relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur le marché français de la téléphonie mobile.