ADLC, 22 novembre 2010, n° 10-DCC-165
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de Axéria Vie et de ses filiales par Crédit Agricole Assurances
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 18 octobre 2010, relatif à la prise de contrôle exclusif par Crédit Agricole Assurances de Axéria Vie et de ses filiales, formalisée par un protocole d'accord signé le 7 septembre 2010 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Crédit Agricole Assurances* (ci-après " CAA "), est une filiale du Groupe Mutualiste Crédit Agricole (ci-après " GCA "). Les activités de GCA se répartissent en plusieurs pôles qui sont : (i) la banque de proximité en France, (ii) les services financiers spécialisés, (iii) la banque de financement et d'investissement, (iv) la gestion d'actifs, l'assurance et la banque privée*, (v) la banque de détail à l'international et (vi) les services immobiliers. CAA, société anonyme, constitue le pôle " assurances " de GCA depuis janvier 2009. CAA est présente dans trois domaines d'activité : (i) l'assurance de personnes, à travers ses filiales qui fournissent des produits d'assurances aux particuliers et aux entreprises (épargne, assurance-vie, retraite, prévoyance, dépendance, gestion patrimoniale, épargne salariale) ; (ii) l'assurance dommages, à travers des filiales qui fournissent des produits d'assurances aux particuliers et aux professionnels (assurance automobile, habitation, protection juridique, etc.), et (iii) l'assurance emprunteur, à travers une filiale qui fournit des garanties de ce type.
2. Axéria Vie, société anonyme (ci-après " Axéria Vie ") est une filiale de April Group Vie Epargne, société anonyme, elle-même contrôlée par April Group, société anonyme, active dans le secteur de l'assurance. Axéria Vie fournit des produits d'assurance vie destinés aux particuliers et des produits d'épargne retraite aux entreprises. Ses produits sont notamment distribués par April Patrimoine, société anonyme (ci-après " April Patrimoine "), qu'elle détient à 100 %. April Patrimoine est un courtier qui propose des produits d'assurance vie, de capitalisation, de retraite individuelle et de gestion de patrimoine à des particuliers ainsi que des produits d'investissement visant à promouvoir l'épargne salariale aux entreprises. April Patrimoine possède également 100 % du capital de April Vie Conseil, société cependant exclue du champ de l'opération car elle sera cédée préalablement à l'opération* au groupe vendeur. Axéria Vie détient par ailleurs 100 % du capital de ISR Courtage, société anonyme (ci-après " ISR Courtage ") qui commercialise des produits d'investissements dits " socialement responsables " sur internet.
3. L'opération consiste en l'acquisition de la totalité du capital de Axéria Vie auprès d'April Group Vie Epargne, par CAA, en vertu d'un protocole d'accord en date du 7 septembre 2010.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (GCA : [...] milliards d'euro pour l'exercice clos au 31 décembre 2009 ; Axéria Vie : [...] millions d'euro pour la même année). Chacune réalise, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euro (GCA : [...] milliards d'euro pour l'exercice clos au 31 décembre 2009 ; Axéria Vie : [...] millions d'euro pour la même année). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les parties à l'opération sont simultanément actives dans le secteur de l'assurance et de la distribution d'assurance. Elles distribuent également des produits d'investissement (épargne hors bilan).
A. DELIMITATION DES MARCHES DE SERVICES CONCERNES
1. LES ACTIVITÉS D'ASSURANCE
6. Au sein du secteur de l'assurance, les autorités de concurrence nationale et communautaire distinguent, de manière constante, les assurances de personnes et les assurances de dommages (biens et responsabilités), chacune pouvant à leur tour être segmentée en autant de marchés qu'il existe d'assurances couvrant les différents types de risques, dans la mesure où, du point de vue de la demande, les assurances couvrant ces risques différents ne sont pas substituables (1). Concernant le marché des assurances de personnes, une segmentation supplémentaire peut être opérée entre les contrats d'assurance collective, conclus entre un assureur et un souscripteur distinct du bénéficiaire, et les contrats d'assurance individuelle pour lesquels le souscripteur est également le bénéficiaire. De la même manière, concernant le marché des assurances de dommages, une segmentation supplémentaire peut être opérée entre les assurances à destination des particuliers et les assurances à destination des professionnels (2).
7. Les parties à l'opération sont simultanément actives, en matière d'assurance de personnes, sur le marché de l'épargne et de l'assurance-vie qui regroupe l'ensemble des produits financiers composés dans le cadre d'assurances facultatives de capital ou de rente et les produits d'assurance-vie (3). La pratique a envisagé de distinguer, au sein de l'assurance-vie, les produits d'assurance-vie individuelle des produits d'assurance-vie collective (4). Néanmoins, en l'espèce, Axéria Vie ne fournit pas d'assurance-vie collective.
8. En tout état de cause, pour les besoins de la présente opération, la question d'une segmentation du marché de l'épargne et de l'assurance-vie peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
2. LES ACTIVITÉS DE DISTRIBUTION D'ASSURANCE
9. D'après la pratique décisionnelle, il est d'abord possible de considérer un marché global de la distribution des produits d'assurance par des intermédiaires indépendants, comprenant tous les canaux de distribution : agents, courtiers, et autres intermédiaires (dont les banques), à l'exception de la distribution directe par les compagnies d'assurance qui ne peut être considérée comme constituant une activité d'intermédiaire de distribution (5).
10. Il est ensuite possible de prendre en compte un marché plus étroit du courtage d'assurance, comprenant ce seul canal de distribution : le courtier est un intermédiaire entre le demandeur et le fournisseur d'assurance dont l'activité consiste à effectuer " des actes d'entremise en plaçant les risques de ses clients auprès des compagnies qui lui semblent les plus aptes à les garantir " (6). En ce sens, le courtier remplit une activité propre du point de vue de sa clientèle, qui consiste à maximiser le profit du client plutôt que celui de l'entreprise d'assurance et à lui fournir des services supplémentaires (7). Des segmentations supplémentaires, en fonction de la clientèle (entreprises ou particuliers) et des grandes catégories de risques assurés, ont par ailleurs été également envisagées, en raison de leur faible substituabilité (8).
11. Au cas d'espèce, les parties sont simultanément actives en matière de distribution intermédiée d'assurance, et seule April Patrimoine* est active en matière de courtage de produits d'assurance.
12. En tout état de cause, pour les besoins de la présente opération, la question de la définition exacte des marchés en matière de distribution d'assurance peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
3. LES ACTIVITÉS DE DISTRIBUTION DE PRODUITS D'ÉPARGNE HORS BILAN
13. Le marché de l'épargne hors-bilan concerne les produits d'épargne financière à destination des particuliers (9). Ces produits prennent la forme d'Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières, qui se décomposent en SICAV et FCP, de fonds de pension ou autres valeurs mobilières (actions et obligations). L'épargne hors bilan se distingue de l'épargne bancaire par le niveau de risque encouru par les épargnants (10). Cependant, ces deux marchés ne sont pas totalement hermétiques : la demande pour les différents produits dépend fortement de leur rémunération comparée. Ainsi, une baisse de la rémunération des comptes sur livret ou des comptes à terme peut se traduire par une demande accrue en produit financier, et inversement. La pratique antérieure a donc envisagé de regrouper ces deux marchés, sans toutefois trancher définitivement cette question. En outre, elle a considéré que la demande des entreprises pour les produits d'épargne traditionnels étant très résiduelle, elle ne permet pas de distinguer un marché de l'épargne bancaire traditionnelle pour cette catégorie de clientèle (11).
14. En tout état de cause, pour les besoins de la présente opération, la question de la définition exacte des marchés en matière de distribution de produits d'épargne hors bilan peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
B. DELIMITATION DES MARCHES GÉOGRAPHIQUES
15. A l'exception de certaines assurances couvrant des risques de grande ampleur, qui ne sont pas concernés par la présente opération, les marchés de l'assurance ont été considérés comme étant de dimension nationale compte tenu des préférences des consommateurs, de l'existence de législations et de contraintes fiscales nationales, de la structure actuelle de ces marchés ou encore des systèmes de régulation.
16. De la même manière, les marchés de la distribution de produits d'assurance ont été considérés comme étant de dimension nationale (12).
17. Enfin, la pratique communautaire et nationale a examiné la situation concurrentielle des marchés de distribution de produits d'épargne hors bilan au niveau national (13).
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
1. LES ACTIVITÉS D'ASSURANCE
18. Sur un marché de l'assurance vie, GCA évalue sa part de marché à [10-20] % et Axéria Vie à [0-5] %, soit un total de [10-20] %. Sur le seul segment de l'assurance vie individuelle, GCA détient une part de marché de [10-20] % et Axéria Vie de [0-5] %, soit un total de [10-20] %.
19. L'incrément de part de marché qui résulte de l'opération est donc faible. De plus, la nouvelle entité restera confrontée à la concurrence d'acteurs majeurs du marché de l'assurance vie tels que CNP ([10-20] %), Axa ([5-10] %), Generali ([5-10] %) et BNP Paribas Assurances ([5-10] %).
20. Par conséquent, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché français de l'assurance.
2. LES ACTIVITÉS DE DISTRIBUTION D'ASSURANCE
21. Sur le marché global de la distribution d'assurance de personnes, GCA évalue sa part de marché à [10-20] % et Axéria Vie à [0-5] %, soit un total de [10-20] %.
22. L'incrément de part de marché qui résulte de l'opération est donc très limité. De plus, la nouvelle entité restera confrontée à l'issue de l'opération à la concurrence d'acteurs majeurs de la distribution tels que BPCE ([10-20] %), BNP Paribas ([5-10] %), La Banque Postale ([5-10] %), Société Générale ([5-10] %), groupes de dimension internationale.
23. Par conséquent, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché français de la distribution d'assurance.
3. LES ACTIVITÉS DE DISTRIBUTION DE PRODUITS D'ÉPARGNE HORS BILAN
24. Sur un marché des produits d'épargne hors bilan, GCA évalue sa part de marché à [10-20] % et April Patrimoine à moins de [0-5] %. L'incrément de part de marché est donc infime, ce qui affectera très peu la situation concurrentielle actuelle. En outre, sur ce secteur, la concurrence reste animée par des grands groupes tels que BNP Paribas, BPCE et Axa (14).
25. Par conséquent, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché français de la distribution de produits d'épargne hors bilan.
B. LES EFFETS VERTICAUX ET CONGLOMERAUX
26. Les parties notifiantes sont actives sur le marché amont des activités d'assurance et sur le marché aval de la distribution d'assurance. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité détiendra une part de marché de [10-20] % sur le marché de l'assurance et de [10-20] % sur le marché de la distribution d'assurance.
27. Or, comme cela a déjà été indiqué, la nouvelle entité restera confrontée, en amont comme en aval, à la concurrence d'acteurs majeurs du secteur. De plus, outre le caractère particulièrement faible de l'incrément de parts de marché auquel conduit l'opération, notamment en aval, les activités d'Axéria Vie sur le segment du courtage, dans lequel le groupe Crédit Agricole n'a actuellement aucune activité, représentent une part de marché très limitée (moins de [0-5] %). L'opération n'est donc pas de nature à entrainer un risque d'exclusion ou de forclusion.
28. Concernant un éventuel effet de nature conglomérale, les parties possèdent des portefeuilles de contrats d'assurance de nature semblable. Leurs principaux concurrents, tels qu'Axa et BNP Paribas Assurances, disposent de gammes de produits tout aussi complètes et de marques également attractives. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence à ce titre.
Décide
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 10-0168 est autorisée.
Notes :
* Erreurs matérielles corrigées.
1 Voir par exemple les décisions de la Commission européenne COMP/M.5083, Groupama/OTP Garancia du 15 avril 2008, COMP/M.3556, Fortis/BCP du 19 janvier 2005, IV/M.862, Axa/UAP du 20 décembre 1996 ainsi que la décision n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire,
2 Décision n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d'une société de Groupe d'Assurance Mutuelle (" SGAM ") par la Macif, la Maïf et la Matmut.
3 Lettre C 2007-49 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 21 août 2007 aux conseils de l'institut de prévoyance AG2R Prévoyance et la société La Mondiale, relative à une concentration dans le secteur de l'assurance prévoyance santé et retraite.
4 Décision n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d'une société de Groupe d'Assurance Mutuelle (" SGAM ") par la Macif, la Maïf et la Matmut.
5 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.4284 Axa/Winterthur du 28 août 2006 ; COMP/M.3394 Sampo/If Skadeförsäkring du 28 avril 2004 ; et IV/M.1307 Marsh & McLennan/Sedgwick du 23 octobre 1998.
6 Avis n° 03-A-19 du Conseil de la concurrence relatif à une demande de la Fédération française des courtiers d'assurances et de réassurances portant sur les conditions de négociation des contrats de coassurance de risques industriels.
7 Décision de la Commission européenne COMP/M.1307, Marsch &McLennan/Sedgwick du 23 octobre 1998.
8 Décision n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d'une société de Groupe d'Assurance Mutuelle (" SGAM ") par la Macif, la Maïf et la Matmut.
9 Lettre C2006-66 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 13 juillet 2006 aux conseils de la Caisse d'épargne, relative à une concentration dans le secteur bancaire ; décision de la Commission européenne COMP/M.5384 BNP Paribas/Fortis du 3 décembre 2008 ; décision de la Commission européenne COMP/M.4844 Fortis/ABN AMRO du 3 octobre 2007 ; décision de la Commission européenne COMP/M.4692, Barclays/ABN AMRO du 6 août 2007.
10 Décision de la Commission COMP/M.3894, Unicredito/HVB du 18 octobre 2005.
11 Décision n° 09-DCC-16 du 16 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire.
* Erreur matérielle corrigée.
12 Décision n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d'une société de Groupe d'Assurance Mutuelle (" SGAM ") par la Macif, la Maïf et la Matmut.
13 Voir notamment : décision de la Commission européenne COMP/M.3894 Unicredito/HVB du 18 octobre 2005 ; décision de la Commission européenne COMP/M.4155 BNP Paribas/BNL du 28 mars 2006, lettre C2006-66 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 13 juillet 2006 aux conseils de la Caisse d'épargne, relative à une concentration dans le secteur bancaire.
14 Décision n° 09-DCC-16 du 16 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Epargne et Banque Populaire.