CA Nancy, 2e ch. com., 6 janvier 2010, n° 07-01957
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Prodim (Sté)
Défendeur :
Casino France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Cunin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Deltort
Avoués :
SCP Vasseur, SCP Leinster, Wisniewski & Mouton
Avocats :
Mes Demeyere, Trombetta
Exposé du litige:
Monsieur et Madame Alves étaient propriétaires à Montmédy d'un fonds de commerce de vente au détail de produits alimentaires qu'ils ont donné en location-gérance le 25 mars 1995 à la SARL Aux Quatre Saisons.
La société Aux Quatre Saisons a contracté le 1er mars 1995 auprès de la société BRCM un contrat d'affiliation Proxi lui conférant, moyennant paiement d'une redevance, la licence de l'enseigne Proxi pour trois années, renouvelable ensuite chaque année. Elle a également dans ce même contrat consenti à la société BRCM un droit de préférence à prix et conditions égales en cas de vente du fonds de commerce.
Un contrat d'approvisionnement a également été signé le même jour.
La société BRCM a été dissoute par suite de la confusion de son patrimoine avec celui de la société Prodim. La société Prodim a résilié les conventions souscrites le 1er mars 1995 pour leur substituer le 29 août 1996 un contrat d'approvisionnement et une convention de licence d'enseigne. Aucune disposition de ce contrat ne prévoit de droit de préférence au profit de la société Prodim.
Les époux Alves ont notifié à la société Prodim leur intention de vendre le fonds de commerce par lettre du 9 septembre 2002. La société Prodim a alors invoqué le droit de préférence institué par contrat du 1er mars 1995 au profit de la société BRCM.
Par lettres en date des 3 octobre et 4 décembre 2002, les époux Alves ont dénoncé le contrat d'approvisionnement et la licence d'enseigne avec effet à la date anniversaire du 28 août 2003.
La société Prodim a fait connaître par lettre du 7 avril 2003 qu'elle renonçait à acquérir prioritairement le fonds de commerce en vertu du pacte de préférence.
Les époux Alves ont cédé leur fonds de commerce par contrat en date du 1er octobre 2003 à la société Distribution Casino France.
Estimant que la société Distribution Casino France avait incité la société Aux Quatre Saisons à rompre les contrats en cours, la société Prodim a fait assigner, par acte du 20 septembre 2004, la société Distribution Casino France pour la voir condamner, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à lui payer une somme de 443,96 euro au titre de la perte de cotisation jusqu'au terme du contrat d'affiliation, une somme de 19 449 euros au titre de la marge perdue du chef de la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement, une indemnité de 152 500 euro pour trouble commercial résultant de la désorganisation de son réseau et la somme de 70 000 euro compensant l'ouverture d'un commerce semblable dans le même secteur.
Par jugement en date du 20 juillet 2007, le Tribunal de commerce de Verdun a débouté la société Prodim de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Distribution Casino France une indemnité de 10 000 euro pour procédure abusive et une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Prodim a relevé appel de ce jugement, appel limité à la condamnation au paiement d'une indemnité de 10 000 euro pour procédure abusive. Elle demande le rejet des prétentions de la société Distribution Casino France et sa condamnation à lui payer la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle prétend que la société Distribution Casino France a commis une faute dont elle peut se prévaloir en incitant la société Aux Quatre Saisons à mettre fin prématurément aux contrats en cours afin de permettre à la société Casino d'exploiter le fonds cédé le plus rapidement possible.
Elle estime que l'instance qu'elle a introduite n'était pas abusive et déclare qu'elle ne relève pas appel sur le tout en considération de la position claire adoptée par la Cour de cassation dans un litige semblable.
Elle prétend que le contrat d'affiliation signé le 1er mars 1995 n'a pas été résilié par l'effet du contrat du 29 août 1996, notamment le droit de préférence institué par ce contrat. Elle estime que la société Distribution Casino France a participé en connaissance de cause à la rupture anticipée du contrat d'affiliation et a commis une faute de nature délictuelle en incitant le cédant à rompre les contrats en cours, faisant de la cessation de tous liens contractuels une condition déterminante de son acquisition du fonds.
Elle prend acte de la jurisprudence de la Cour de cassation dans l'arrêt Lidl qui exonère le tiers réputé de bonne foi lors de la cession d'un fonds de commerce. Mais elle prétend que l'action qu'elle a introduite n'était pas abusive, en l'absence de faute caractérisée et de préjudice démontré.
La société Distribution Casino France demande à la cour de débouter la société Prodim de ses demandes et de porter à la somme de 100 000 euro le montant de l'indemnité pour procédure abusive. Elle réclame une somme de 27 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle déclare avoir acquis le fonds de commerce des époux Alves et non de la société Aux Quatre Saisons, qui seule était liée par contrat à la société Prodim. Elle fait observer que le contrat de cession est intervenu le 1er octobre 2003, alors que les contrats conclus avec la société Prodim étaient résiliés. Elle conteste le droit de préférence dont se prévaut la société Prodim, mais fait observer que celle-ci avait renoncé à l'exercer.
Elle estime donc que l'introduction de l'instance par la société Prodim, résulte d'une stratégie d'intimidation des franchisés afin de les contraindre à reconduire les conventions qui les lient à cette société, ou à les forcer à lui céder leur fonds de commerce à un prix inférieur au marché. Elle demande la confirmation du jugement déféré qui a retenu une faute à la charge de la société Prodim, mais demande une réévaluation de l'indemnité allouée pour procédure abusive.
Motifs de la décision:
Sur la faute de la société Prodim
Attendu que, par acte d'huissier en date du 20 septembre 2004, la société Prodim a fait assigner la société Distribution Casino France pour voir juger que celle-ci a engagé sa responsabilité dans la rupture des contrats d'enseigne et d'approvisionnement qu'elle a conclus avec la société Aux Quatre Saisons et pour obtenir sa condamnation à lui payer les indemnités suivantes :
- la somme de 443,96 euro au titre de la perte de cotisations subie jusqu'au terme du contrat d'affiliation,
- la somme de 19 449 euro au titre de la marge perdue du chef de la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement,
- la somme de 152 500 euro en réparation du trouble commercial subi du fait de l'atteinte au réseau Proxi en raison des actes de concurrence déloyale commis par la société Casino ayant désorganisé son réseau,
- la somme de 70 000 euro correspondant aux frais nécessaires pour l'ouverture d'un magasin semblable dans le même secteur.
La perte de marge:
Attendu que la réclamation relative à la perte de la marge du fait de la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement est abusive, puisque cet approvisionnement était assuré non par la société Prodim, mais par une société CSF ;
Attendu en outre que le contrat d'approvisionnement n'a pas été rompu de manière anticipée, dans la mesure où, par lettres en date du 3 octobre et du 4 décembre 2002, la société Aux Quatre Saisons a fait connaître à la société Prodim que le contrat d'approvisionnement signé le 29 août 1996 et la licence d'enseigne seront résiliés à la date du 28 août 2003 et donc qu'il n'y aurait pas de tacite reconduction; qu'en conséquence la société Prodim ne pouvait pas de bonne foi demander le paiement d'une indemnité en raison de la rupture anticipée de ce contrat;
La perte de cotisation:
Attendu que la société Prodim prétend que le contrat d'affiliation signé le 1er mars 1995 avec la société BRCM n'a pas été résilié le 29 août 1996, contrairement au contrat d'approvisionnement ; qu'elle prétend donc que le pacte de préférence subsiste, ainsi que les autres clauses non intégrées dans l'annexe 2 du contrat d'approvisionnement du 29 août 1996 signé avec la société Prodim;
Attendu qu'il convient d'observer qu'en cas de résiliation du contrat d'approvisionnement et de la licence d'enseigne en date du 29 août 1996, la portée des clauses subsistantes du contrat d'affiliation signé le 1er mars 1995 est en pratique très faible ; que, dans les faits la licence d'enseigne insérée dans l'annexe 2 du contrat d'approvisionnement succède au contrat d'affiliation, puisque le montant de la redevance est toujours de 250 francs avec indexation par rapport à l'indice de novembre 1994, qui était seul connu au jour de la signature du premier contrat le 1er mars 1995 ;
Attendu qu'il n'est pas prétendu que la société Aux Quatre Saisons payait deux redevances, l'une pour le contrat d'affiliation signé le 1er mars 1995 et l'autre en vertu de la clause insérée au contrat de la licence d'enseigne figurant à l'annexe 2 du contrat d'approvisionnement du 29 août 1996 ; que dans les faits la clause "cotisations" contenue dans le premier contrat avait été remplacée par la clause figurant à l'article 4 du second contrat ; que dès lors, les contrats signés le 29 août 1996 ayant été résiliés à leur date anniversaire, la société Prodim ne pouvait pas de bonne foi réclamer devant le tribunal de commerce le payement des redevances prévues au contrat du 1 mars 1995 ;
Le trouble commercial
Attendu que le pacte de préférence contenu dans le contrat d'affiliation du 1er mars 1995 est ainsi libellé : "L'affilié reconnaît à l'affiliant ou à toute autre personne physique ou morale qu'il lui plaira de se substituer, un droit de préférence à prix et conditions égales dans le cas... vente ou mise en location-gérance du fonds de commerce objet des présentes" ;
Attendu que cette clause, malgré la contestation par la société Casino de sa validité, a été mise en œuvre ; que, par lettre en date du 7 avril 2003, la société Prodim a déclaré renoncer à faire jouer le pacte de préférence;
Attendu que, par lettre du 9 septembre 2002, les époux Alves ont rappelé qu'ils avaient proposé à la société Prodim au cours de l'été 2001 de devenir acquéreur du fonds de commerce et qu'ils n'ont reçu aucune réponse favorable ; qu'ils lui ont donc fait connaître le 29 août 2002 que, devant l'urgence d'un projet professionnel, ils avaient décidé de le vendre à la société Casino;
Attendu que la société Prodim, qui a renoncé à user de la clause de préférence, n'a pas pu de bonne foi réclamer devant le tribunal de commerce une indemnité en vue de voir réparer le trouble commercial qu'elle a subi ; qu'en outre le montant de l'indemnité réclamée, qui ne repose sur aucune argumentation sérieuse, est à ce point démesuré que la démarche de la société Prodim est exclusive de la bonne foi;
Les frais de rétablissement
Attendu en outre que le fait de réclamer une indemnité destinée à faire face aux frais générés par l'ouverture d'un commerce semblable dans le même secteur est à rapprocher de l'offre faite par les époux Alves depuis l'été 2001 de reprise du fonds de commerce par la société Prodim, offre qui a été sans suite pendant une année ;
Attendu que la valeur du fonds de commerce des époux Alves a été fixée à la somme de 60 980 euro lors de sa vente le 1er octobre 2003 à la société Distribution Casino France ; que c'est sur la base de ce prix que la clause de préférence a été mise en œuvre et que la société Prodim a déclaré renoncer ; que celle-ci ne peut donc pas de bonne foi réclamer à titre d'indemnité le prix du fonds augmenté de divers frais;
Attendu qu'il suit de ces considérations que la société Prodim, en saisissant le tribunal de commerce des réclamations contenues dans son assignation a commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et a abusé de ses droits;
Sur le préjudice:
Attendu qu'il ressort de l'analyse des diverses décisions produites par les parties que l'instance engagée par la société Prodim s'inscrit dans une concurrence entre les distributeurs en vue de créer ou de maintenir un réseau de commerces de proximité;
Attendu qu'en l'espèce les agissements de la société Prodim dans le but de freiner la concurrence ont causé un préjudice à la société Distribution Casino France ; qu'en effet les réclamations exorbitantes fondées sur des arguments manquant de sérieux qu'elle a présentées sont de nature à impressionner les commerçants franchisés et à influer sur le prix des cessions des commerces en raison du risque de contentieux que celles-ci génèrent;
Attendu en conséquence qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Prodim au paiement d'une indemnité pour procédure abusive; que, compte tenu des pièces du dossier, il y a lieu de fixer à la somme de 10 000 euro le montant de cette indemnité;
Sur les autres demandes:
Attendu que la société Prodim, qui succombe en son appel, sera déboutée de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle sera condamnée au payement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Vu l'appel limité relevé par la société Prodim; Confirme le jugement du déféré en ce qu'il a fixé à la somme de dix mille euro (10 000 euro) l'indemnité due par la société Prodim pour procédure abusive; Déboute la société Prodim du surplus de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Distribution Casino France du surplus de ses demandes; Condamne la société Prodim à payer à la société Distribution Casino France la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Prodim aux dépens d'appel et autorise la SCP Leinster, Wisniewski et Mouton, avoués associés, à les recouvrer directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.