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Décisions

CA Paris, 18e ch. D, 2 décembre 2008, n° 07-01032

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nai-Im

Défendeur :

SEHPLC (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panthou-Renard

Conseillers :

Mmes Martinez, Oppelt-Reveneau

Avocats :

Mes Boudin, Baloup

Cons. prud'h. Bobigny, sect. encadr., du…

13 janvier 2007

LA COUR,

Statuant sur l'appel par M. Nai-Im du jugement rendu avec exécution provisoire par le juge départiteur du Conseil de prud'hommes de Bobigny le 13 janvier 2007 qui, dans le litige l'opposant à la société d'exploitation d'hôtellerie Paris - la Courneuve - SEHPLC -, a retenu la compétence de la juridiction prud'homale, constaté l'existence d'un contrat de travail à son bénéfice, condamné la société SEHPLC à lui payer la somme de 25 000 euro à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral mais l'a débouté de sa demande de requalification de sa démission et ses demandes subséquentes ainsi que celle en paiement d'heures supplémentaires et de remise de documents sous astreinte, condamné la défenderesse à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les conclusions du 2 septembre 2008 au soutien de ses observations orales à l'audience de M. Nai-Im qui demande à la cour, par réformation partielle du jugement déféré, de:

* constater qu'il a été titulaire à l'égard de la société SEHPLC d'un contrat de travail du 14 octobre 1996 au 31 mai 2000 avec une rémunération mensuelle de base pour 43 heures hebdomadaires de 1 873,61 euro

* fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire dus à 9 954,13 euro

* confirmer la condamnation à paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral,

* condamner la société SEHPLC à lui payer avec intérêts légaux à compter du 3 mai 2001, date de la saisine du conseil de prud'hommes, les sommes suivantes:

- 33 591,60 euro à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires du 14 octobre 1996 au 31 mai 2000

- 20 000 euro à titre de dommages-intérêts pour non-paiement de ces heures,

- 110 764,17 euro à titre d'indemnité de repos compensateurs non pris

- 59 724,78 euro à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

- 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,

- 38 774,91 euro à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 19 908,26 euro à titre d'indemnité de préavis,

- 1 990,83 euro à titre de congés payés incidents,

- 3 981,65 euro à titre d'indemnité de licenciement,

* ordonner la remise par l'intimée sous astreinte de 50 euro de retard à compter de la date de saisine du conseil, soit le 3 mai 2001, des bulletins de paie pour la période contractuelle ainsi qu'un certificat de travail et une attestation pour l'Assedic conformes,

* condamner la SEHPLC à lui payer la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les conclusions du 23 octobre 2007 au soutien de ses observations orales à l'audience de la société SEHPLC qui demande à la cour, par réformation partielle du jugement déféré, de débouter M. Nai-Im de toutes ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les notes en délibéré adressées à la cour, non autorisées et donc irrecevables,

Considérant que le 5 juillet 1996 se constituait une SARL dénommée SGHMN entre M. Nai-Im, Mlle Auzou et M. Mure d'Alexis ayant son siège à l'hôtel Formule 1 d'Evry et pour objet la conception, la promotion, la réalisation et la gestion d'établissements hôteliers;

Que M. Nai-Im était nommé le jour même gérant de la SARL;

Que par acte du 27 septembre 1996 était conclu entre la société d'exploitation hôtelière Paris la Courneuve (SEHPLC) et cette société SGHMN un contrat de gérance-mandat donnant mandat à cette dernière de gérer et assurer sous sa propre responsabilité, la direction du fonds de commerce d'hôtellerie sis 80 rue de la convention à la Courneuve, exploitée selon accord de franchise consenti par la société Etap-Hôtel (groupe Accor) sous l'enseigne Etap Hôtel;

Qu'il était précisé qu'en raison de son caractère intuitu personae, ce contrat de gérance-mandat, exclusif de tout lien de subordination et de dépendance, était conclu en considération du fait que M. Nai-Im était le gérant de la société SGHMN et en était l'associé, ne pouvait être cessible ni transmissible et prendrait fin de plein droit et sans préavis si M. Nai-Im devait perdre ces qualités ou ne plus exercer ses fonctions au sein de SGHMN;

Que le 11 octobre 1996 l'assemblée générale extraordinaire de la société SGHMN transférait le siège social de la SARL à l'Etap hôtel de la Courneuve, M. Nai-Im commençant à gérer l'établissement à compter du 14 octobre 1999;

Que le 19 avril 2000, M. Nai-Im adressait à la société SEHPLC le courrier suivant:

" A l'aube du 3e millénaire, et après avoir passé 4 années à Etap Hôtel de la Courneuve, dans des conditions de travail particulièrement difficiles, je ne souhaite plus continuer et vous présente ma démission.

Dans le souci de ne pas trop perturber l'exploitation de l'hôtel, je désirerais être libéré de mes obligations pour le 31 mai 2000 ";

Que par courrier du 22 avril 2000, la société SEHPLC prenait acte de l'intention de M. Nai-Im de résilier le contrat de gérance-mandat qui les liait et son souhait de raccourcir son préavis de trois mois, lui indiquait que dans la mesure où une société était intéressée et disponible, elle ne s'y opposait pas, lui confirmait que le projet de création d'un Etap Hôtel de 90 chambres environ à Epinay-sur-Seine semblait se concrétiser malgré un retard dû à l'obtention d'autorisations administratives et que dès signature des actes "elle confirmerait son intérêt pour lui confier éventuellement la gérance-mandat de cette unité"

Que par courrier du 11 juin 2000, société SEHPLC informait M. Nai-Im que sa candidature pour gérer cet hôtel n'était pas retenue;

Que le 20 novembre 2000, la société SEHPLC déposait plainte en se constituant partie civile auprès du doyen des juges d'instructions du Tribunal de grande instance de Paris du chef d'abus de confiance contre X;

Que le 3 mai 2001, M. Nai-Im saisissait la juridiction prud'homale aux fins de reconnaissance d'un contrat de travail à son bénéfice à l'égard de la société SEHPLC, paiement par celle-ci d'heures supplémentaires, repos compensateurs, congés payés, indemnité pour travail dissimulé, dommages-intérêts pour préjudice moral et aux fins de requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec conséquences de droit,

Que par jugement rendu le 5 janvier 2006 par la 15e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Bobigny, confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2006, M. Nai-Im était déclaré coupable d'abus de confiance pour détournements d'espèces au cours de l'année 2000, condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et condamné à payer à la société SEHPLC les sommes de 26 354,47 euro à titre de dommages-intérêts et 2 000 euro au titre des frais de procédure;

Qu'une tentative de médiation mise en place par jugement avant dire droit du Conseil de prud'hommes de Bobigny en date du 23 juin 2006 ne devait pas aboutir;

Considérant sur la relation contractuelle entre la société SEHPLC et la société SGHMN que d'abord antérieurement à la création de cette dernière, M. Nai-Im, futur gérant, a dû suivre du 6 mai au 30 juin 1996 une formation du groupe Accor sur la gestion d'hôtels puis en juillet, septembre et octobre 1996, la société étant constituée, effectuer des remplacements de gérant que sa société facturait;

Qu'ensuite, il s'évince des clauses du contrat de gérance-mandat conclu entre les deux sociétés, que l'acte est conditionné par la qualité de gérant de M. Nai-Im de la seconde, la direction effective et personnelle par lui de cette société, sa qualité d'associé, que le contrat ne peut être transmis ni cédé et devait prendre fin de plein droit sans préavis si l'intéressé perdait son mandat de gérant ou sa qualité d'associé ou devait ne plus exercer les fonctions de gérant pour quelque raison que ce soit;

Qu'obligation était faite à M. Nai-Im d'occuper personnellement les locaux mis à sa disposition;

Que par suite la clause selon laquelle la société SGHMN accepte de gérer et d'assurer sous sa propre responsabilité la direction de l'unité hôtelière confiée est liée en réalité à l'implication personnelle et exclusive de M. Nai-Im;

Qu'ensuite les attributions définies par l'article 2 du contrat le sont par référence au "concept nouveau d'hôtellerie [Etap hôtel] faisant largement appel à la contribution active du client"; que si un "statut d'autonomie" est avancé, est précisé "le respect des normes d'exploitation garantes de l'homogénéité du produit Etap Hôtel";

Que la mission donnée est de gérer et administrer l'hôtel, développer la clientèle mais avec engagement d'assurer ou faire assurer une permanence de sécurité, accueillir le client et le guider dans l'utilisation des automatismes, assurer ou faire assurer le ménage et l'entretien technique courant, la réception des livraisons quotidiennes et la préparation du petit déjeuner, l'achat des produits "pour effectuer les prestations incombant à SEHPLC";

Qu'ensuite, le mandataire ne devait disposer d'aucune possibilité de modifier le prix des chambres et petits déjeuners;

Qu'interdiction lui est faite de contracter pour le compte de la mandate pour une somme supérieure à 20 000 F; que lui est imposé de ne contracter que pour la gestion courante de l'hôtel (frais de blanchissage, achat de produits alimentaires, d'entretien, de petit matériel et de dépannage);

Qu'il lui est interdit tout engagement sur des annonces publicitaires ou des insertions dans des guides et revues, de prendre des engagements ou faire des règlements à son profit, sauf accord préalable de la mandante;

Que si est reconnu à la mandataire la faculté de recruter, de fixer les conditions de travail, elle est rendue responsable du respect des lois sociales, des conditions de travail et de l'hygiène et la sécurité;

Que si la mandataire fixe les conditions d'exploitation de l'hôtel, il lui est interdit de modifier les locaux;

Que tout le matériel et meubles lui sont fournis;

Qu'il lui est imposé de respecter les normes "impératives" d'Etap Hôtel selon un livret intégré au contrat que la mandante se réserve de modifier;

Que lui sont imposées les modalités des saisies informatiques des ventes et dépenses;

Qu'encore, sont affirmées l'acceptation du contrôle par le franchiseur des normes de qualité, l'autorisation de consultation par celui-ci des livres de ventes, des statistiques quotidiennes;

Qu'encore, est déterminé le principe d'un commissionnement par référence au nombre de "chambre vendues" au cours de l'année, aux différents chiffres d'affaires;

Que dans l'hypothèse où les commissions versées par la mandante ne suffiraient pas à couvrir les charges du mandat, il est stipulé que celle-ci verserait à la mandataire une commission complémentaire destinée à les équilibrer, "y compris la rémunération du gérant";

Qu'enfin, est reconnu à chacune des parties le droit de mettre un terme au contrat à tout moment moyennant un préavis de trois mois;

Que la société mandante se reconnaît le droit de résilier la convention à tout moment, notamment, en cas de restitution de recettes, de non-enregistrement des sommes lui revenant sur son compte, en cas d'abandon d'exploitation personnelle du gérant;

Que les pièces produites aux débats démontrent que M. Nai-Im n'a eu aucune autonomie lors de l'exécution du contrat; que lui ont été imposés notamment le respect de l'esprit de la chaîne, la démarche à suivre vis-à-vis de la clientèle, l'obligation de calmer les clients "exubérants", "les interpellations bruyantes" pendant le ménage matinal, le changement des joints des robinets, le règlement des fermetures des portes, le respect des règles d'hygiène, avec interdiction "d'improviser", les horaires d'accueil et de présence, le nom des fournisseurs, les modes de préparation du petit-déjeuner, la responsabilité du ménage, du blanchissage du ménage, des espaces verts, la mise en place d'un cahier d'entretien;

Qu'en conséquence de l'ensemble des éléments qui précédent sont avérés tant le caractère fictif de l'intervention de la société SGHMN dans l'exploitation de l'Etap Hôtel de la Courneuve au cours de la période litigieuse, la société SEHPLC n'ayant entendu n'en confier la gestion qu'à M. Nai-Im, que le caractère subordonné du travail de celui-ci au regard de la formation imposée, du cadre, des normes et procédures de gestion dictées, des contrôles opérés et du maintien du pouvoir de sanction, notamment en cas d'abandon de l'exploitation par l'intéressé personnellement;

Que la disposition du jugement ayant qualifié la relation contractuelle entre les parties de contrat de travail ne peut être que confirmée;

Considérant que M. Nai-Im, du fait de la négation de son statut de salarié, des conditions qui lui ont été imposées par le biais d'une société fictive pour être admis à assurer l'exploitation de l'hôtel puis exécuter ses fonctions, a subi un préjudice moral dont la réparation a été justement évaluée par les premiers juges au regard des circonstances;

Que la condamnation prononcée doit être confirmée, les intérêts légaux sur la somme allouée devant courir à compter du jugement conformément à l'article 1153-1 du Code civil;

Considérant sur les heures supplémentaires, que M. Nai-Im se prévaut des dispositions de la convention collective de l'hôtellerie pour la période du 14 octobre 1996 au 8 décembre 1997 et de celle des hôtels-cafés-restaurants du 30 avril 1997 pour la période ultérieure, sa position étant celle de directeur d'établissement, cadre, niveau V, échelon 3 définie par cette dernière convention;

Qu'il se prévaut du seuil conventionnel de 43 heures hebdomadaires, la majoration pour heures supplémentaires intervenant avec la 44e heure et soutient qu'il était en permanence à l'Etap Hôtel de la Courneuve, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, condition impérative imposée par la société SEHPLC et mentionnée à de multiples reprises dans le contrat de gérance-mandat, que sa journée commençait à cinq heures du matin avec la préparation des petits déjeuners et se terminait après 23 heures avec l'arrivée des derniers clients, que de 23 heures à 5 heures, il assurait une permanence de sécurité et s'occupait des clients ayant des problèmes avec le distributeur automatique des chambres, que son temps de travail effectif était de 168 heures par semaine, dont 8 heures devant être majorées de 25 % et 117 heures de 50 %, soit un rappel de 335 910,60 euro sur la base d'un taux horaire de 10,06 euro compte tenu de la rémunération qu'il percevait à hauteur de 1 873,61 euro en moyenne pour 186,33 heures par mois;

Que cependant, M. Nai-Im ne donne aucun descriptif du temps passé pour chacune de ses tâches;

Que la fiche technique produite sur la mise en place des petits déjeuners le matin définit sa durée dans une limite d'une demi-heure de 6 à 6 heures 30;

Que les achats étaient effectués par la société SEHPLC;

Que si M. Nai-Im disposait d'un logement dans l'hôtel, il ne démontre pas avoir dû rester à la disposition de la société SEHPLC jour et nuit, même pour assurer une permanence de sécurité;

Que M. Nai-Im ne précise pas les heures d'ouverture du service d'accueil de l'hôtel;

Que le concept de l'enseigne Etap Hôtel est "la contribution active du client" dont l'accueil se limite à l'encaissement du prix de la chambre retenue le plus souvent à l'avance ou à l'aide d'un distributeur, contre remise d'une carte magnétique pour l'entrée dans celle-ci, l'entrée et la sortie de l'hôtel;

Que M. Nai-Im ne justifie pas de son temps passé à la réception des livraisons quotidiennes, à la mise en place des chambres;

Que la cour en l'absence d'éléments précis, concrets et pertinents n'a pas la conviction au sens de l'article L. 3171-4 du Code du travail que M. Nai-Im ait eu à accomplir des heures au-delà de la durée conventionnelle du travail;

Que les demandes de rappels de salaires pour heures supplémentaires et celles incidentes en paiement de dommages-intérêts, d'indemnités pour absence de repos compensateurs, travail dissimulé, ne sont pas fondées;

Considérant sur la rupture, que M. Nai-Im a démissionné par lettre du 19 avril 2000;

Que dans le même temps, était envisagé de lui confier la gérance d'une nouvelle unité hôtelière à Epinay-sur-Seine;

Que M. Nai-Im se prévaut du fait que sa lettre de démission fait état de conditions de travail particulièrement difficiles; qu'il fonde sa demande d'application du droit du licenciement sur le non-paiement d'heures supplémentaires;

Que la réalité d'un manquement de l'employeur n'étant pas démontré et M. Nai-Im n'articulant aucun argument sur les conditions difficiles qu'il a évoquées, sa démission ne peut être imputée à la société SEHPLC;

Que de même, n'est pas fondé le moyen tiré d'une mutation déguisée;

Qu'à la date de la démission donnée en effet, les propositions d'une nouvelle affectation n'était, selon les correspondances versées, qu'envisagée;

Que la découverte de malversations de M. Nai-Im est par ailleurs postérieure au départ de celui-ci de l'hôtel "Etap Hôtel" de la Courneuve puisque la plainte avec constitution de partie civile de la société SEHPLC est en date du 20 novembre 2000 et se fonde sur des rapprochements bancaires effectués après le départ de M. Nai-Im sur la période de mars à avril 2000;

Que les demandes au titre des effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne sont pas fondées;

Considérant sur la demande de remise de documents, que les parties ayant été liées par un contrat de travail cette demande est fondée, ces documents devant faire référence à un salaire mensuel net de 1 873,61 euro sur la base des revenus moyens effectivement perçus,

Qu'il n'y a pas lieu à astreinte au regard des circonstances;

Par ces motifs, Réformant partiellement le jugement déféré, Rappelle que les intérêts légaux au titre de la condamnation à paiement de dommages-intérêts courent à compter de ce jugement, Ordonne à la société SEHPLC de remettre à M. Nai-Im des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation Assedic conformes au jugement et présent arrêt, Rejette la demande d'astreinte, Confirme les autres dispositions du jugement, Y ajoutant, Condamne la société SEHPLC aux dépens d'appel, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes en cause d'appel à ce titre.