Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 3 janvier 2011, n° 09-02652

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCE (SARL)

Défendeur :

Vannet Paul (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Maunand

Conseillers :

M. Ciret, Mme Jarry

Avoués :

SCP Thoma-Delaveau-Gaudeaux, SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard

Avocats :

Selarl Aiguier-Brief-Patte, Associes, SCP Pruvot Antony Dupuis Lacourt

T. com. Charleville-Mézières, du 4 déc. …

4 décembre 2008

La SA Vannet Paul et la SARL SCE, qui entretenaient des relations commerciales depuis juin 2006, ont conclu le 6 octobre 2006 un contrat aux termes duquel la première mettait gratuitement à la disposition de la seconde du matériel de tirage de bière, des enseignes, une machine à café et un moulin à café. En contrepartie, la SARL SCE s'engageait à s'approvisionner exclusivement auprès de la SA Vannet Paul pendant une durée de sept ans. Le contrat prévoyait une clause pénale d'un montant de 5 000 euro dans le cas où l'utilisateur s'approvisionnerait, en cours de contrat, auprès d'un autre distributeur.

La SARL SCE a très rapidement cessé de s'approvisionner auprès de la SA Vannet Paul qui lui a adressé deux mises en demeure les 31 octobre et 8 novembre 2006 et lui a fait délivrer une sommation interpellative le 15 mai 2007.

Par acte du 27 juin 2007, la SA Vannet Paul a fait assigner la SARL SCE devant le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières afin de la voir condamner au paiement de la somme de 10 394,60 euro et d'obtenir la restitution du matériel sous astreinte.

La SARL SCE a soulevé la nullité de la convention du 6 octobre 2006 et a demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle tenait le matériel à la disposition de la SA Vannet Paul. Elle a également sollicité le remboursement de la somme de 2 812,10 euro indûment perçue.

Par jugement prononcé le 4 décembre 2008, le Tribunal de commerce de Charleville-Mézières a :

- condamné la SARL SCE à payer à la SA Vannet Paul les sommes de 3 568,33 euro en principal, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, de 5 000 euro au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- donné acte à la SARL SCE de ce qu'elle tenait à disposition de la demanderesse son matériel ;

- condamné la SARL SCE à restituer le matériel mis à sa disposition à l'exclusion de la machine à café, au plus tard le huitième jour suivant la signification du jugement et sous astreinte de 200 euro par jour de retard, astreinte que le tribunal réserve à son président le soin de liquider conformément à l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la SARL SCE aux dépens ;

- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

La SARL SCE a relevé appel de ce jugement le 2 mars 2009.

L'instance a été radiée le 6 octobre 2009 en application de l'article 526 du Code de procédure civile et rétablie le 22 octobre 2009 après justification du paiement des causes du jugement.

Par dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2010, la SARL SCE poursuit l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour :

- à titre principal, au visa des articles 1108 et suivants, 1227 et 1591 du Code civil, constater que la convention de mise à disposition du matériel du 6 octobre 2009 est nulle ;

- subsidiairement, au visa de l'article 1184 du Code civil, prononcer la résiliation de cette convention pour inexécution imputable à la SA Vannet Paul ;

- en conséquence, débouter cette dernière de toutes ses demandes en paiement ;

- condamner la SA Vannet Paul à lui payer la somme de 2 812,10 euro avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2006 ;

- lui donner acte de ce qu'elle tient à la disposition de la SA Vannet Paul la machine à café pour restitution ;

- à titre infiniment subsidiaire, constater que toutes les factures émises par la SA Vannet Paul à son ordre ont été payées ;

- par conséquent, débouter la SA Vannet Paul de sa demande en paiement de la somme de 5 394,60 euro TTC ;

- réduire à de plus juste proportion le montant de la clause pénale, soit à la somme de 1 euro ;

- condamner la SA Vannet Paul au paiement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 26 août 2010, la SA Vannet Paul demande à la cour de débouter la SARL SCE de son appel, de faire droit à son appel incident, d'infirmer le jugement du quantum des condamnations et de :

- condamner la SARL SCE à lui payer la somme de 10 394,60 euro avec intérêts au taux légal à compter de la demande ;

- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

- débouter la SARL SCE de ses demandes plus amples ou contraires et la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que le contrat signé le 6 octobre 2006 par les parties, intitulé " contrat de mise à disposition de matériel ", prévoyait, d'une part, que la SARL SCE, dénommée l'utilisateur, s'engageait " pour l'avenir et pour une durée de sept ans à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Vannet Paul pour les produits que celle-ci commercialise à l'exclusion de tout autre fournisseur " et, d'autre part, que la SA Vannet Paul, dénommée le fournisseur, mettait en contrepartie à la disposition de la première un matériel de tirage de bière, des enseignes, une machine à café et un moulin à café ;

Attendu que la SARL SCE poursuit la nullité du contrat de mise à disposition du 6 octobre 2006 motif pris, tout d'abord, de l'indétermination de la chose objet du contrat ; qu'elle se prévaut des dispositions de l'article 1108 du Code civil aux termes duquel quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement, une cause licite dans l'obligation ; qu'elle soutient qu'en l'espèce, l'objet certain fait défaut alors qu'il n'y a pas un volume minimum de boissons imposé avec la qualité de ces boissons et qu'aucun prix n'est fixé ; que la SARL SCE excipe de l'article 1129 du Code civil en vertu duquel il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce et que la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée ; qu'elle fait observer qu'en l'espèce, la boisson n'est pas indiquée, encore moins les marques ou la quantité, que le volume imposé par le fournisseur ne peut pas être contrôlé et qu'elle est à la merci de celui-ci ;

Mais attendu que les prétentions de la SARL SCE ne peuvent pas prospérer sur ce fondement dans la mesure où la nature des marchandises susceptibles d'entrer dans le champ contractuel est déterminable dès lors qu'il s'agit des produits commercialisés par la SA Vannet Paul au jour de la signature du contrat ; que la circonstance selon laquelle ni le volume ni la qualité des boissons ne sont imposés est inopérante, la SA Vannet Paul faisant pertinemment observer qu'il suffit que la SARL SCE commande les marchandises nécessaires à son exploitation alors qu'aucun objectif de commercialisation ne lui a été fixé et que le contrat ne lui impose qu'une obligation de ne pas faire, à savoir s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs ;

Attendu que la SARL SCE poursuit également la nullité du contrat du 6 octobre 2006 au motif de l'indétermination du prix en faisant valoir, au visa des articles 1589 et 1591 du Code civil, que le contrat, qui doit s'analyser en un contrat de ventes successives, ne fixe pas le prix des marchandises mais fait seulement référence au prix fixé par le fournisseur au jour de l'enregistrement de la commande ;

Mais attendu que, comme en l'espèce, une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas la validité de celle-ci, l'abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu'à réalisation ou indemnisation ; qu'il s'ensuit que la demande de la SARL SCE tendant à la nullité du contrat du 6 octobre 2006 sur ce fondement ne peut pas prospérer ;

Attendu, en revanche, que la SARL SCE est bien fondée à poursuivre l'annulation de la clause d'approvisionnement exclusif au motif de l'absence de cause ;

Attendu, en effet, qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil, l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ;

Attendu que la cause d'une obligation s'apprécie à la date à laquelle elle a été souscrite ;

Qu'en l'espèce, l'obligation d'exclusivité imposée par le contrat à la SARL SCE a pour contrepartie la mise à disposition du matériel par la SA Vannet Paul ;

Que l'appelante est bien fondée à se prévaloir du caractère dérisoire de la contrepartie à l'obligation d'exclusivité qu'elle a souscrite pour une durée de sept années ; qu'en effet, la contre-prestation offerte par la SA Vannet Paul à la SARL SCE, qui se privait de la possibilité de mettre en concurrence son fournisseur pendant toute la durée du contrat, était limitée à la fourniture d'un matériel de tirage de bière, d'enseignes, d'une machine à café et d'un moulin à café ; que, dans le contrat, seuls le matériel de tirage et les enseignes étaient valorisés, le premier pour 920 euro hors taxes, les secondes pour 1 522,64 euro hors taxes ; que la machine à café a été facturée le 14 décembre 2006 pour un montant de 1 000 euro hors taxes, outre des frais d'installation d'un montant de 1 350 euro hors taxes ; que la valeur du moulin à café est inconnue ; qu'il s'ensuit qu'en contrepartie d'une somme de l'ordre de 4 000 euro hors taxes, la SARL SCE s'est obligée à se fournir exclusivement auprès de la SA Vannet Paul pendant sept ans, et ce, pour toutes les marchandises commercialisées par cette dernière au jour de la signature du contrat, ce qui, au vu des factures versées aux débats, représente, si ce n'est la totalité, à tout le moins la quasi-totalité des boissons débitées par l'appelante ; que la contrepartie, qui correspond à un avantage financier équivalent à moins de 50 euro par mois, est dérisoire de sorte que la clause d'exclusivité souscrite par la SARL SCE dans l'article 2 du contrat n'est pas causée et doit être annulée ;

Attendu qu'en application de l'article 6 du contrat signé le 6 octobre 2006, si l'une quelconque de ses dispositions est annulée en tout ou en partie, la validité des dispositions restantes n'en est pas affectée ; que, dans ce cas, les parties devront si possible remplacer cette disposition annulée par une disposition valable correspondant à l'esprit et à l'objet du contrat ;

Attendu que, s'il résulte de cette stipulation que la nullité de la clause d'exclusivité n'entraîne pas l'anéantissement de la totalité de la convention et ne peut pas, en toute hypothèse, priver la SA Vannet Paul du paiement des livraisons de marchandises qu'elle a effectuées, il n'est pas imposé aux parties, contrairement à ce que soutient l'intimée, " une obligation de négocier avant de prononcer la rupture du contrat " ; qu'en effet, ce dernier ne prévoit pas un préalable obligatoire de négociation, mais dispose seulement que les parties devront " si possible " remplacer la disposition annulée par une disposition valable ;

Attendu que l'annulation de la clause d'exclusivité a pour corollaire l'impossibilité pour la SA Vannet Paul de poursuivre à l'encontre de la SARL SCE le paiement de la clause pénale d'un montant de 5 000 euro, prévue à l'article 3 du contrat, dans la mesure où elle a uniquement pour objet de sanctionner une violation de l'obligation d'exclusivité ;

Que le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il a condamné la SARL SCE au paiement de cette somme ;

Attendu que, la clause d'exclusivité ayant été annulée en raison du caractère dérisoire de sa contrepartie consistant en la mise à disposition des matériels susmentionnés, le jugement sera confirmé en ce qu'il a, faisant droit à la demande de la SA Vannet Paul, condamné la SARL SCE à lui restituer le matériel de tirage de bière, les enseignes et le moulin à café ;

Attendu que le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a exclu de la restitution la machine à café au motif qu'elle aurait été vendue à la SARL SCE ; qu'en effet, cette machine, qui avait été mise gratuitement à la disposition de l'appelante en exécution du contrat à titre de contrepartie de la clause d'exclusivité, lui a été facturée le 14 décembre 2006 quand les relations des parties se sont irrémédiablement dégradées ; que la SA Vannet Paul ne justifie pas des motifs pour lesquels elle pourrait facturer ce matériel alors qu'en toute hypothèse, la sanction contractuellement prévue en cas d'inexécution de ses obligations par l'utilisateur est la restitution à première demande du matériel mis à disposition ;

Qu'il s'ensuit que la SARL SCE est bien fondée à voir condamner la SA Vannet Paul à lui payer la somme de 2 812,10 euro, qu'elle a réglée en exécution d'une ordonnance d'injonction de payer, et à se voir donner acte de ce qu'elle tient à la disposition de la SA Vannet Paul la machine à café pour restitution ;

Que la somme de 2 812,10 euro portera intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2008, date de l'audience du tribunal de commerce au cours de laquelle la demande en paiement a été soutenue pour la première fois ;

Attendu que la SA Vannet Paul poursuit à l'encontre de la SARL SCE le paiement de la somme de 5 394,60 euro sans cependant prendre la peine d'indiquer précisément à quoi correspond cette somme ; qu'il semble cependant ressortir des conclusions de l'intimée que la somme réclamée serait constituée de la valeur du matériel de tirage et des enseignes (2 921,39 euro TTC) et " du solde des marchandises consommées mais non payées " ; qu'en ce qui concerne le premier poste, la SA Vannet Paul, qui a sollicité en première instance et obtenu du premier juge la restitution sous astreinte du matériel de tirage et des enseignes, ne peut pas poursuivre la condamnation de la SARL SCE à lui payer une somme correspondant à la valeur de ces matériels qu'elle a au demeurant récupérés en exécution du jugement déféré ; que l'intimée, qui sollicite expressément la confirmation de la disposition du jugement ayant condamné la SARL SCE à restituer le matériel mis à sa disposition à l'exclusion de la machine à café, au plus tard le huitième jour suivant sa signification sous astreinte de 200 euro par jour de retard, ne peut pas, en effet, valablement prétendre à la fois à la restitution forcée du matériel mis à disposition de la SARL SCE, et notamment des enseignes, et se prévaloir de l'article 3 du contrat qui prévoit la restitution du matériel à l'exception des enseignes qui seront alors facturées valeur à neuf ;

Que la SA Vannet Paul ne justifie pas du bien-fondé du surplus de la demande, soit de toute évidence la somme de 2 473,21 euro (5 394,60 - 2 921,39), dès lors qu'il ressort des relevés de compte client qu'elle a elle-même établis et des factures qui y sont annexées que la SARL SCE s'est approvisionnée auprès d'elle du 23 juin au 15 décembre 2006 et que le dernier relevé émis au titre de la période allant du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 fait apparaître un solde créditeur en faveur de la SARL SCE ; que la réclamation de la SA Vannet Paul ne prend pas en compte tous les versements qui ont été effectués par la SARL SCE et qui apparaissent néanmoins sur le dernier relevé de compte client ; qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la SARL SCE à payer à la SA Vannet Paul la somme de 3 568,33 euro, les premiers juges n'ayant pris en compte que le premier des trois relevés de compte client établis par l'intimée lequel était arrêté au 8 août 2006 ; que les deux autres relevés et les factures qui y sont annexées font en effet apparaître que d'autres livraisons ont été effectuées et que les versements qui ont été faits par l'appelante ont eu pour effet de solder sa dette ;

Attendu que, succombant dans ses prétentions, la SA Vannet Paul sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; qu'elle ne peut donc pas prétendre à l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais non compris dans les dépens ;

Attendu que l'équité commande sa condamnation au paiement de la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné sous astreinte la SARL SCE à restituer à la SA Vannet Paul le matériel de tirage de bière, les enseignes et le moulin à café ; Statuant à nouveau des autres chefs ; Prononce la nullité de la clause d'approvisionnement exclusif pour absence de cause ; Déboute la SA Vannet Paul de sa demande en paiement de la clause pénale et de la somme de 5 394,60 euro ; Condamne la SA Vannet Paul à payer à la SARL SCE la somme de 2 812,10 euro (deux mille huit cent douze euro et dix centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2008 ; Donne acte à la SARL SCE de ce qu'elle tient à la disposition de la SA Vannet Paul la machine à café pour restitution ; Condamne la SA Vannet Paul à payer à la SARL SCE la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par la SA Vannet Paul et la condamne aux dépens de première instance et d'appel ; admet, pour ces derniers, la SCP Thoma Delaveau Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.