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Décisions

Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-69.348

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Borelli (Epoux)

Défendeur :

Thévenin et Ducrot Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Ludet

Avocat général :

M. Allix

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, Me Luc-Thaler

Dijon, ch. soc., du 30 juin 2009

30 juin 2009

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 30 juin 2009), que le 29 mars 1993, la société Borelli a signé avec la société Thévenin et Ducrot Distribution deux conventions : une convention dite de mandat-vente ducroire et un contrat de location-gérance dit Baies Ners, en vue de l'exploitation d'une station-service ; que la station, exploitée à l'origine par la société Borelli, dont les époux Borelli étaient actionnaires minoritaires, l'a été ensuite par une EURL, la société ne pouvant plus subvenir aux charges salariales ; que, pour des raisons économiques, la société Borelli a dû cesser toute activité à compter du 31 mars 2005 ; que les époux Borelli ont alors saisi la juridiction prud'homale pour demander l'application des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail ; que par arrêt du 22 mai 2007, la Cour d'appel de Dijon a jugé que les dispositions du Code du travail étaient applicables et que les demandes de nature salariale des époux Borelli n'étaient, compte tenu de la prescription quinquennale, recevables que pour la période du 11 avril 2000 au 31 mars 2005, et a ordonné avant-dire droit une expertise ; que les pourvois formés contre cet arrêt ont été rejetés par arrêt de cette cour du 7 avril 2009 (n° 07-43.409 et 07-43.414) ; que, par arrêt du 30 juin 2009, la Cour d'appel de Dijon a statué sur les demandes salariales et indemnitaires des époux Borelli ; que ces derniers ont frappé l'arrêt du pourvoi présentement soumis à la cour ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Attendu que les époux Borelli font grief à l'arrêt de limiter à 129 387,20 euro la somme due par la société Thévenin et Ducrot à chacun d'eux à titre de rappel de salaires du 11 avril 2000 au 31 mars 2005, alors, selon le moyen, que l'arrêt du 22 mai 2007 a, dans son dispositif, "dit que pour la période du 11 avril 2000 au 31 mars 2005, il doit être pris en compte 41 heures supplémentaires pour M. et Mme Borelli" ; qu'aux termes de ses motifs éclairant la portée de ce dispositif, la cour d'appel a homologué "le décompte des heures travaillées fourni par les époux Borelli (lequel) n'était pas sérieusement contesté par la société Thévenin et Ducrot (...)", soit "80 heures de travail par semaine" ; qu'il a ainsi été définitivement jugé que chacun des époux Borelli avait accompli 80 heures de travail par semaine, soit 41 heures supplémentaires, durée du travail prises en compte par l'expert pour l'évaluation des rappel de salaires dus ; qu'en décidant cependant qu'il convenait de considérer que ces 41 heures supplémentaires représentaient le total effectué par les deux époux la cour d'appel, qui a méconnu l'autorité attachée à sa précédente décision devenue définitive, a violé l'article 1351 du Code civil ;

Mais attendu que c'est sans se contredire ni méconnaître ce qu'elle avait définitivement jugé le 22 mai 2007 en disant qu'il devait être pris en compte 41 heures supplémentaires pour M. et Mme Borelli que la cour d'appel, constatant que la station n'avait pas besoin d'être tenue simultanément par les deux époux, a partagé entre eux le montant correspondant aux 41 heures supplémentaires effectuées chaque semaine ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen, qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que les époux Borelli font grief à l'arrêt de les débouter de leur action de in rem verso dirigée contre la société Thévenin et Ducrot, alors, selon le moyen : 1°) que toute personne a le droit de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté ; que l'obligation faite aux Etats de garantir ce droit s'oppose à ce qu'une partie soit privée par l'effet d'une loi interne de la rémunération minimale due en exécution du travail réalisé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; 2°) que toute personne a droit au respect de ses biens ; que méconnaît ce principe fondamental de droit communautaire l'arrêt qui, par le jeu d'une disposition de droit interne, prive un salarié des rémunérations de son travail ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1er du 1er Protocole additionnel de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 3°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; qu'en refusant d'examiner l'action de in rem verso intentée par les époux Borelli, motif pris de ce que "cette action ne vise, par un moyen nouveau, qu'à obtenir le paiement de sommes dont cette cour, confirmée par la Haute juridiction, a dit qu'elle étaient prescrites... puisqu'elles ont pour cause une prestation de travail", la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, que les époux Borelli n'ayant pas été dans l'incapacité d'agir en requalification de leurs contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d'une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c'est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les deux premières branches que la cour d'appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ;

Attendu, ensuite, que l'action des époux Borelli visant à obtenir le paiement des sommes de nature salariale en contournant la prescription qui y faisait obstacle, et la cause de leur éventuel appauvrissement tenant à la prescription instituée par la loi, la cour d'appel, qui a constaté, dans le cadre d'un débat judiciaire, que les conditions de l'action pour enrichissement sans cause des intéressés n'étaient pas réunies, n'a pas méconnu leur droit, issu de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à voir leur cause entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 1289 du Code civil et L. 781-1, devenu L. 7321-1 à L. 7321-4 du Code du travail ; - Attendu que pour limiter à 129 387,20 euro la somme due par la société Thévenin et Ducrot à chacun des époux Borelli à titre de rappel de salaires du 11 avril 2000 au 31 mars 2005, la cour d'appel a retenu qu'il convenait de déduire ce que chaque époux avait déjà perçu au travers de la société Borelli grâce aux commissions consenties à celle-ci par la société Thévenin et Ducrot ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la compensation implique l'existence d'obligations réciproques entre les parties et que la société Thévenin et Ducrot n'était titulaire, envers les époux Borelli d'aucune créance susceptible de se compenser avec sa propre dette de salaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2, du Code de procédure civile, la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a déduit des sommes dues aux époux Borelli la somme, pour chacun d'entre eux, de 35 289 euro, l'arrêt rendu le 30 juin 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Dijon ; Dit n'y avoir lieu à renvoi.