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Décisions

ADLC, 18 janvier 2011, n° 11-D-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Jean-René Bourhis, l'intervention orale de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, par Mme Anne Perrot, vice-présidente, présidant la séance, Mme Carole Xueref, M. Yves Brissy, membres.

ADLC n° 11-D-01

18 janvier 2011

L'Autorité de la concurrence,

Vu la décision n° 09-SO-04 du 5 novembre 2009, enregistrée sous le n° 09/0121 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre par des entreprises intervenant dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 5 août 2010 prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 10-DSA-123 (Somacom), 10-DSA-124 (SGM Manutention), 10-DSA-125 (SAMR), 10-DSA-126 (CMA-CGM) du 27 juillet 2010 et 10-DSA-227 (SGM Manutention) et 10-DSA-230 (SAMR) du 29 octobre 2010 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la Société d'Acconage et de Manutention de La Réunion (ci-après SAMR), la société SGM Manutention, la Société de Manutention et de Consignation Maritime (ci-après Somacom), par le Syndicat des Entreprises de Manutention Portuaire de la Réunion (SEMPR) et par le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, la rapporteure générale, le commissaire du Gouvernement, les représentants du Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement ainsi que des sociétés SAMR, SGM Manutention et Somacom et le Syndicat des Entreprises de Manutention Portuaire de La Réunion (SEMPR) entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 23 novembre 2010 ;

I - CONSTATATIONS

La saisine

1. Le 5 novembre 2009, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre par des entreprises intervenant dans le secteur de la manutention portuaire à la Réunion.

Après la présentation du secteur (A) et de ses caractéristiques à la Réunion (B), seront exposées les pratiques en cause (C) et les griefs notifiés (D).

A - LE SECTEUR D'ACTIVITÉ

1- LE PORT DE COMMERCE DE LA RÉUNION (PORT RÉUNION)

2. Hormis la plaisance et la pêche, les activités portuaires du département de La Réunion (commerce et guerre) sont exclusivement exercées dans la ville du Port situé au nord-ouest de l'île sur un site dénommé " Port Réunion ". Il s'agit d'un port d'État concédé à la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR), établissement public qui en assure la gestion. 3. Selon le site www.reunion.cci.fr, les missions assurées en direct par la CCIR à Port Réunion sont les suivantes :

1. Service :

de sécurité-incendie ;

de surveillance portuaire ;

de nettoyage (Collecte de déchets, entretien des voiries et des quais) ;

d'alimentation en eau, électricité et téléphone aux navires ;

de manutention (sucre brut, céréales, bitume et hydrocarbure).

2. Gestion :

des magasins et terre-pleins (hors conteneurs) ;

des portiques à conteneurs ;

des entrepôts frigorifiques, halls de tri réfrigérés ;

du slip-way (mise à sec des navires) ;

des terminaux sucre, céréales, bitume et hydrocarbures, passagers (gare maritime) ;

de la darse de plaisance.

3. Entretien des installations, matériels, outillages et véhicules

4. Les missions non assurées par la CCI Réunion sont les suivantes :

- Pilotage ;

- Remorquage et lamanage ;

- Manutention des marchandises et Conduite des Portiques ;

- 4 manutentionnaires privés : SGM, SAMR, Somacom et COR ;

- Gestion du terminal à conteneurs (TGC, SERMAT) ;

- Service de pesage (CEMR) ;

- Maintenance des portiques (SOMIP).

5. La CCIR, en tant qu'établissement public, fixe les tarifs de mise à disposition des espaces et des outillages dont elle dispose dans l'enceinte portuaire, après approbation par le préfet de La Réunion, lequel exerce la tutelle dans les DOM par délégation du ministre.

6. Les services de l'État sont présents sur les sites de Port Réunion : le Service des Ports et des Bases Aériennes (SPBA) appartenant au ministère de l'Ecologie, du développement durable des transports et du logement y assure en effet différentes missions d'ordre administratif et technique. A ce titre, le SPBA examine notamment, pour le compte du préfet, les tarifs fixés par la CCIR pour la mise à disposition aux manutentionnaires des espaces nécessaires au stockage et des portiques. Jusqu'à fin 2009, le SPBA acceptait également de valider le tarif " commerce " édité par le Syndicat des entreprises de manutention portuaire de La Réunion (SEMPR).

7. Le port de commerce de La Réunion comprend deux parties (port Ouest dénommé " ancien port " et port Est dénommé " nouveau port "), qui sont distantes de 3 kilomètres.

8. Le terminal à conteneurs, situé au port Est, possède une capacité de stockage de 8 000 EVP (Équivalent Vingt Pieds, unité de mesure des conteneurs) et dispose de portiques, d'une grue mobile polyvalente et d'équipements de manutention dont des chariots cavaliers. Les portiques sont loués aux entreprises de manutention par la CCIR. Leur entretien est assuré par la société SOMIP, filiale commune des sociétés Somacom, SGM Manutention et SAMR (Cf. infra).

9. Des travaux d'aménagement de terre-pleins ont été effectués au port Est afin de répondre à l'augmentation du nombre des conteneurs. Par ailleurs, des travaux d'infrastructure récemment réalisés ou en cours d'achèvement (nouveaux quais - nouvelle darse de pêche - nouveau terminal céréalier) devraient contribuer à l'amélioration du dynamisme de Port Réunion.

10. Le trafic global (import-export) a connu une progression constante de 2000 (155 900 équivalent Vingt Pieds (1)) à 2008 (255 371 EVP) avec toutefois des différences selon la nature de la marchandise (baisse des exportations de sucre en 2008 et hausse des importations de voitures la même année).

11. La répartition du trafic à Port Réunion par conditionnement en 2008 était la suivante en tonnes (source : CCIR, rapport annuel concessions portuaires-cote 1162) :

Conditionnement : Entrées/Sorties

Vrac liquide : 780 753/ -

Vrac solide : 1 274 008/98 572

Total vrac : 2 054 761/98 572

Roulier (" Ro-Ro " (2)) : 63 845/208

Conteneurs 20' standard : 836 878/329 682

Conteneurs 40' standard : 470 863/200 161

Conteneurs 20' réfrigéré : 44 534/2 468

Conteneurs 40' réfrigéré : 89 444/11 713

12. Le trafic de conteneurs a marqué une progression constante de 1999 à 2009 et l'essentiel des échanges concernait l'Europe. En 2008, la part de la seule France métropolitaine était de 40 %.

13. A l'export, le nombre de conteneurs vides excède largement celui des conteneurs pleins (92 66/36 109 en 2008). Le retour des conteneurs vides vers la métropole constitue donc un handicap pour l'économie locale. Par ailleurs, le tonnage du trafic " conventionnel " (caisses, palettes et autres) est marginal par rapport à celui des conteneurs, lequel était en augmentation de 12,3 % en 2008 par rapport à 2007. La quasi-totalité de la manutention des conteneurs est assurée par les sociétés SGM Manutention, Somacom et SAMR.

14. Selon la CCIR, en 2008 le trafic en provenance d'Asie a dépassé pour la première fois celui en provenance d'Europe, grâce aux importations d'hydrocarbures, de ciment et de clinker. Le trafic conteneurisé demeure en revanche majoritaire sur les lignes Europe- Réunion (125 825 EVP pour l'Europe/210 485 au total en 2008).

15. Le site de la CCIR publie régulièrement la liste des navires attendus à Port Réunion ainsi que la ligne, le nom de l'agent, les dimensions du navire ainsi que le volume des taxes perçues.

2- LA PROFESSION D'ACCONIER

16. La loi n° 66-420 du 18 juin 1966, relative aux contrats d'affrètement et de transport maritimes précise, en son article 50, que " l'entrepreneur de manutention est chargé de toutes les opérations qui réalisent la mise à bord et le débarquement des marchandises y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein, qui en sont le préalable ou la suite nécessaire ".

17. Le terme " acconier " (ou " aconier "), le plus couramment utilisé aujourd'hui pour les entreprises de manutention, désigne donc une entreprise chargée d'effectuer des opérations de manutention à quai et à bord des navires. Juridiquement, l'acconier est responsable de la marchandise durant les opérations de chargement, de déchargement et de stockage.

18. Le président du Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire de La Réunion (SEMPR) a déclaré (cotes 612 à 614) : " A La Réunion, sur le plan juridique l'entreprise de manutention est responsable de ses opérations vis-à-vis de son donneur d'ordre, c'est-à-dire la compagnie maritime, comme le prévoit la loi de 1966. La responsabilité du manutentionnaire couvre l'ensemble des opérations du " décrochage " des marchandises jusqu'à la livraison au réceptionnaire. A l'export, la prestation couvre de la prise en charge au réceptionnaire jusqu'à l' " accrochage " à bord des navires. En cas d'avarie, le réceptionnaire sait qu'il doit s'adresser uniquement à la compagnie maritime qui aura la charge de rechercher chez ses sous-traitants l'origine du sinistre ".

19. Le Code des ports maritimes prévoit, en son article L. 531-2, que le gouvernement dépose chaque année devant le Parlement un rapport (...) sur " la répercussion sur l'ensemble des acteurs de la filière portuaire et maritime des gains de productivité tarifaires des activités de la manutention et sur l'évolution de l'ensemble de la manutention dans les ports français ". Dans chaque port, un rapport est présenté chaque année par le directeur du port ou le chef de service maritime.

- La manutention portuaire en métropole

20. Le fournisseur (industriel ou autre) appelé le " chargeur " installé en Europe qui souhaite acheminer des marchandises à destination d'un département d'outre mer fait généralement appel à un transitaire, lequel va en général avoir lui même recours à un transporteur terrestre et à un armateur. Dans un premier temps, la marchandise est acheminée par route dans l'enceinte du port par un transporteur.

21. Ensuite, afin d'assurer l'acheminement et le chargement de la marchandise à bord du navire, le transporteur maritime retenu fait appel à un manutentionnaire (ou acconier) qui facture les prestations à l'armateur. Il n'existe donc en général pas de relation directe entre le chargeur et le manutentionnaire.

22. Les prestations concernées sont, s'agissant des conteneurs, (3) de deux types :

- introduction du conteneur sur le terminal et mise sur parc (4) (ou l'inverse selon les cas) ;

- reprise du conteneur sur parc et chargement à bord navire (5) (ou l'inverse selon les cas).

23. Ces prestations, généralement contractualisées, sont facturées à l'armateur par le manutentionnaire. Ensuite, l'armateur facture au chargeur une partie des coûts de ces prestations via le transitaire. Le montant ainsi facturé se dénomme " Terminal handling charge " (THC). Depuis la fin des Conférences maritimes, fin 2008, le montant des THC est fixé librement.

24. De manière schématique, la situation se présente comme suit dans les ports métropolitains:

<emplacement tableau>

25. Dans un rapport intitulé " Terminal handling charges (6) during and after the liner conference area " (disponible sur le site www.ec.europa.eu/competition/sectors/transport/reports), la Commission européenne a fait procéder à une évaluation de l'impact de l'abrogation de l'exemption des conférences maritimes en matière de tarification de manutention portuaire par un cabinet privé, Raven Trading Limited (Ben Hackett). Le but de cette étude, qui porte principalement sur les principaux ports européens, est d'identifier les différents THC appliqués avant et après le 18 octobre 2008, date de la fin des conférences maritimes.

26. Comme le montre le tableau reproduit ci-après, il ressort clairement de cette étude que la fin des conférences s'est traduite par une augmentation des prix de manutention portuaire. A noter que les prix sont identiques en Europe, quelle que soit la taille des conteneurs tandis qu'ils sont différents en Asie et en Amérique, ce qui est également le cas à La Réunion :

<emplacement tableau>

27. Le tableau ci-après, extrait de l'étude, fait apparaître les montants des THC acquittés par les dix compagnies maritimes les plus importantes après octobre 2008, s'agissant du port du Havre :

<emplacement tableau>

28. Le mode opératoire appliqué en France pour les conteneurs, qui a cours dans les principaux ports du monde (Shanghai, Hong-Kong notamment), diffère radicalement de celui actuellement en vigueur dans les départements d'outremer et notamment à La Réunion.

B - LA MANUTENTION PORTUAIRE À LA RÉUNION

1 - LA PROFESSION D'ACCONIER À LA RÉUNION

29. La profession d'acconier à La Réunion diffère peu de celle d'acconier en métropole, les opérations portuaires réalisées étant sensiblement les mêmes dans l'un ou l'autre cas. Selon le président du SEMPR (cote 98), " les contrats de manutention sont précaires, les périodes de préavis de rupture étant en général de trois mois ".

30. Un plan social permettant le financement du départ volontaire de 136 ouvriers dockers a été mis en place en 1994, les 140 autres ouvriers dockers non concernés par ce plan ayant été intégrés par contrat à durée indéterminée dans les entreprises de manutention portuaire de La Réunion, selon un " constat d'accord du 22 juillet 1994 ". Ce dernier document prévoyait également la mise en place d'un " comité de suivi économique et financier de la manutention portuaire " destiné à suivre une " charte d'objectifs " et composé de représentants du préfet, de la DDE, de la DDCCRF et des entreprises de manutention.

31. Le président du SEMPR a déclaré, lors de son audition en date du 17 février 2010 : " Le manutentionnaire est contractuellement lié exclusivement à l'armateur (loi de 1966). L'usage à La Réunion, comme dans d'autres ports du Monde (DOM par exemple ou Italie), veut que ce soit le client final ou son représentant, le transitaire, qui paie directement la prestation " normale " de manutention au manutentionnaire, hors prestations supplémentaires ou exceptionnelles (par exemple embarquement du conteneur vide, heure supplémentaire du dimanche ou de nuit, temps d'attente " technique " comme la pluie....). A La Réunion, la prestation " normale " fait l'objet d'un tarif de référence appelé " commerce " et les prestations supplémentaires font l'objet de tarifs " compagnies ". On peut estimer que la répartition entre les deux types de factures est de l'ordre de 2/3 (" commerce ")- 1/3 (" compagnies "). Dans le contrat de transport qui lie l'armateur à son client chargeur, il est prévu, pour La Réunion, que ce sont des conditions " bord " qui s'appliquent, c'est à dire que la compagnie maritime ne prend pas en charge les coûts liés au déchargement, au chargement et à la livraison des marchandises qu'elle a transportées ".

32. Le directeur général de la société Mediterranean Shipping Company France (MSC France) a confirmé cet usage (cotes 87 et 88) : " (...) il ya uniquement une facturation faite pour le chargement ou déchargement de nos conteneurs vides. La distinction des prestations des manutentionnaires à La Réunion par rapport à celles rendues dans les ports européens est au niveau manutention purement identique. Par contre, en ce qui concerne la facturation de déchargement et chargement des conteneurs pleins à La Réunion comme à Nouméa, les Antilles et dans la plupart des ports d'Afrique de l'Ouest, la marchandise est directement facturée à la clientèle par le manutentionnaire, et dans les pays européens cette facturation est faite à l'agent qui facture ce coût au client ".

33. La société CMA CGM a de son côté indiqué : " les frais de manutention des pleins sont à charge de notre clientèle. La ligne maritime supporte les frais de manutention des vides, heures supplémentaires, shiftings, prestations logistiques particulières... ".

34. Chaque manutentionnaire dispose d'une autorisation temporaire (AOT) d'une durée d'un an établie par la CCIR. En contrepartie de l'utilisation des espaces et de l'outillage (portiques), les manutentionnaires versent des redevances à la CCIR sur la base d'un tarif réévalué annuellement. Chaque manutentionnaire possède son propre personnel salarié.

35. Alors que les trois principaux manutentionnaires avaient, par le passé, renforcé la mutualisation de leurs moyens, ils ont récemment décidé de " démutualiser " certaines activités (parc, gares de zones d'échanges, files de contrôle des " gates ").

a) Les relations entre manutentionnaires, compagnies maritimes et chargeurs à La Réunion

De manière schématique, la situation se présente donc comme suit, à La Réunion :

<emplacement tableau>

36. Ainsi, à La Réunion, comme notamment dans d'autres départements d'outre-mer, le chargeur qui supporte directement la part la plus importante du prix de la manutention sur la base du tarif commun dénommé " commerce " ne peut faire jouer la concurrence qu'indirectement et de manière résiduelle sur la composante manutention " compagnies ", dans la mesure où le contrat de manutention est conclu pour la globalité de la prestation entre la compagnie maritime et le manutentionnaire. En métropole, le prix de la manutention étant incorporé dans le coût total du fret, la concurrence s'exercera sur la prestation globale de transport facturée au chargeur au moment du choix du transporteur.

37. L'étude économique versée au dossier par les parties (7) souligne par ailleurs, au sujet de ce modèle, que " des critiques remontent de quelques gros importateurs de l'île sur le manque de possibilité de négociation des prestations de manutention directement avec les manutentionnaires du fait de cette organisation ".

b) Les entreprises de manutention portuaire à La Réunion

38. Quatre entreprises se partagent de l'activité de manutention à La Réunion dans les conditions suivantes :

- Somacom : entre 35 et 45 % de l'activité conteneurs de La Réunion ;

- SAMR : 5 à 10 % de l'activité RoRo, (transport de véhicules sur remorques), 15 à 40 % de conteneurs ;

- SGM Manutention : 90 à 95 % du RoRo, 15 à 40 % des conteneurs ;

- Coopérative Ouvrière Réunionaise : 100 % du charbon, 100 % du conventionnel (fers et aciers), 100 % du riz en " big bags ", 100 % des céréales en vrac, 100 % du clinker (composant du ciment) et manutention régulière de conteneurs.

LA SOCIÉTÉ DE MANUTENTION ET DE CONSIGNATION MARITIME (SOMACOM)

- Il s'agit d'une société par actions simplifiée au capital de 160 000 euro dont le siège social se trouve 1, bis rue Gustave Eiffel au Port. Le capital de la société est détenu par la Société Maritime de financement (SMF) qui est un fonds de placement. L'effectif de l'entreprise est d'environ cent personnes.

- Le principal armateur client de la société Somacom (tarif compagnies) est la compagnie maritime MSC tandis que les dix premiers clients de l'activité " commerce " sont tous des transitaires.

- Le chiffre d'affaires réalisé en 2009 par la Somacom s'est élevé à 18 millions d'euro (+9 %) et le bénéfice net à 0,68 million d'euro. Le chiffre d'affaires " commerce " représente 78 % du chiffre d'affaires total 2009.

LA SOCIÉTÉ D'ACCONAGE ET DE MANUTENTION DE LA RÉUNION (SAMR)

Sise 21, rue Evariste Parny au Port, elle est constituée dans la forme d'une SAS au capital social de 534 800 euro. Il s'agit d'une filiale à 99,99 % de la Société anonyme de Manutention et de Participation, appartenant elle-même au groupe Bolloré. Les comptes de la société SAMR sont consolidés au niveau de la société holding, la société anonyme Financière de l'Odet dont le siège se trouve à Ergué Gaberic (29500) (8). Ce groupe a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 6 milliards d'euro en 2009.

8 - Siège administratif : 31-32, quai de Dion Bouton- 92811 - Puteaux

Le principal client armateur de la SAMR est le groupe CMA-CGM.

Alors que le chiffre d'affaires de la SAMR marquait une progression constante au cours des exercices 2004 (9,9Meuro) à 2008 (20Meuro), le chiffre d'affaires s'est élevé à 15,5 millions d'euro en 2009, en diminution de 22,5 %. Ce dernier exercice s'est d'ailleurs soldé par une perte nette de 1 million d'euro, alors que l'exercice 2008 s'était achevé sur un bénéfice de 1,5Meuro.

Le chiffre d'affaires de l'activité " commerce " s'est élevé à 12,953 Meuro en 2009 (soit 83 % du chiffre d'affaires total).

LA SOCIÉTÉ SGM MANUTENTION

- Située 83, rue Jules Verne au Port, il s'agit d'une société par actions simplifiée au capital de 500 000 euro, filiale de la société Georges Michel ayant son siège à la même adresse. SGM Manutention est présidée par M. Jean X..., lequel préside par ailleurs le syndicat des Entreprises de Manutention Portuaire à La Réunion.

- SGM Manutention, qui emploie environ 90 personnes, est en relation commerciale avec l'armateur Maersk Line depuis environ 2006.

- Le chiffre d'affaires réalisé en 2009 par SGM Manutention s'est élevé à 10,78 millions d'euro (-20 %) et la perte nette à 66 709 euro (+ 604 527euro en 2008).

c) Les participations communes des sociétés Somacom, SAMR et SGM Manutention

39. Les sociétés SGM Manutention, Somacom et SAMR possèdent chacune des participations à même hauteur dans deux groupements d'intérêt économique (GIE) et une société par actions simplifiée (SAS), ceci notamment dans le but de mutualiser l'outillage technique et informatique :

- le GIE Service, Maintenance et Assistance Technique (SERMAT), dont le but est d' " acquérir et entretenir le matériel de manutention nécessaire aux 3 acconiers pour procéder aux opérations de chargements et déchargements des navires et de réception et livraison des conteneurs destinés à l'export et à l'import " (source Somacom : cote 380). Le chiffre d'affaires annuel (sur la base des exercices 2007-2008) est de l'ordre de 9 Meuro ;

- le GIE Terminal Gestion Conteneurs (TGC), dont l'objet est " la mise en commun des moyens informatiques nécessaires aux opérations ci-dessus ". Ce GIE a notamment vu la mise en place d'un logiciel de gestion du parc à conteneurs et d'un " système de communication par GPS avec les chauffeurs de chariots-cavaliers " (même source que la précédente-cote 384). Jusqu'en mai 2007, le GIE TGC, qui avait pour activité la " manutention des conteneurs pour ses trois membres " (9) avait également en charge la gestion du personnel pour le compte des 3 acconiers. Le personnel est détaché par la société SGM Manutention ;

- la SAS SOMIP, qui assure la maintenance des portiques de la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, exerce également une activité de chantier naval, notamment pour le compte de la marine nationale. Le chiffre d'affaires annuel (sur la base des exercices 2007-2008) est de l'ordre de 3 Meuro.

d) La Coopérative Ouvrière de La Réunion

40. La société Coopérative Ouvrière de La Réunion (COR) est une entreprise de manutention portuaire (Code NAP 5224 A), exploitée sous forme de société anonyme à conseil d'administration, dont le siège social se trouve dans la ville du Port. Le capital social (49 600 euro) est détenu par différentes personnes physiques.

41. La COR possède des participations dans différentes entreprises dont certaines ont également une activité dans la manutention portuaire comme la SARL Smart (manutention à Mayotte) et la SAS Infoport (informatique portuaire). Selon son président (cote 46), la COR n'édite pas de tarif, les prix étant fixés " en grande partie de gré à gré ", sans remises annuelles.

42. Cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 5,9 Meuro en 2008 pour un résultat net de 507 138 euro au cours de ce même exercice. Le président de la COR a déclaré (lettre en date du 28 juin 2010 au dossier) " Pour l'année 2009, nous avons employé trente ouvriers dockers mensualisés (...) : " Il est exact que nous avons manutentionné des conteneurs pour le compte de Goldstar Line de 1992 à 2001, année de conclusion d'un accord entre cette compagnie et la CMA CGM qui a imposé son acconier (Georges Michel). Nous continuons à proposer nos services aux compagnies maritimes pour opérer les porte- conteneurs, malheureusement les ententes qui existent entre les compagnies qui desservent La Réunion ne nous permettent pas de mettre notre savoir-faire au service des importateurs réunionnais. Depuis deux ans, nous sommes devenus l'acconier de l'armée française, pour qui nous débarquons et embarquons des conteneurs. Nous sommes équipés de trois supersteackers pour manipuler les conteneurs, et nous avons un effectif de six portiqueurs depuis 1994, formés comme ceux des autres manutentionnaires au Havre ".

2- LE SEMPR

43. Le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire de La Réunion (SEMPR), dont le siège social se trouve 83, rue Jules Verne au Port (97821), possède trois membres qui sont les sociétés Somacom, SAMR et SGM Manutention.

44. Selon son président, le syndicat ne perçoit pas de cotisations de ses membres. Cette organisation n'aurait pour vocation que " la mise en commun de certaines prestations telles que des cotisations aux groupements MEDEF, UNIM ainsi que le partage d'actions de communication ".

45. Le montant des recettes du SEMPR s'est élevé à 16 000 euro en 2009.

46. Les charges salariales supportées par les sociétés Somacom, SAMR et SGM Manutention sont particulièrement élevées. Les trois sociétés concernées versent au dossier une étude montrant que leurs charges salariales représentent environ 50 % de leurs chiffres d'affaires respectifs contre environ 35 % en moyenne nationale pour l'ensemble du secteur de la manutention. Cet écart s'expliquerait par le niveau des salaires " particulièrement élevé " de certaines catégories de personnel. Par ailleurs, selon la même étude, le salaire brut moyen a progressé de +20 % entre 2005 et 2009, tandis que le nombre de dockers progressait de 13 % durant la même période.

3- LA DEMANDE DE MANUTENTION PORTUAIRE À LA RÉUNION

47. A La Réunion, comme dans d'autres départements d'outremer, il existe deux catégories de demandeurs auxquelles s'appliquent des tarifs de manutention différents.

a) Les demandeurs finals, directement ou via leurs transitaires

48. Cette catégorie de demandeurs, à laquelle s'adresse le tarif " commerce " comprend majoritairement les importateurs (produits finis " importés ", parfois réfrigérés, en provenance principalement de métropole et d'Asie et les industriels (intrants bénéficiant parfois d'aides spécifiques). Le plus souvent, ces demandeurs font appel aux services d'un ou plusieurs transitaires qui peuvent eux-mêmes avoir recours à une ou plusieurs compagnies maritimes. Ce sont donc généralement les transitaires présents à La Réunion qui sont directement facturés à prix identiques par les manutentionnaires concurrents.

b) Les armateurs

49. Trois compagnies maritimes assurent principalement les liaisons entre la métropole et La Réunion. Il s'agit de trois leaders du secteur qui sont respectivement CMA-CGM, Maersk et Mediterranean Shipping Company (MSC). Chaque compagnie dessert l'île avec ses propres navires. Il reste un seul " Vessel shipping agreement " (VSA) liant CMA-CGM et sa filiale Delmas. La société MSC est la seule compagnie à conserver une ligne directe Europe-Océan Indien, les sociétés concurrentes ayant recours au transbordement.

50. Chaque armateur est propriétaire de ses conteneurs ou les loue à un prestataire spécialisé. Il est donc dans l'intérêt de l'armateur d'effectuer le maximum de rotations, afin de rentabiliser ses conteneurs. Ceci explique que l'armateur impose au chargeur un délai de franchise dont le dépassement entraîne un surprix.

51. Dans son avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009, l'Autorité avait relevé, au sujet de la liaison maritime Métropole-Réunion, que (point 57) " la structure du marché offre (...) une situation de concurrence plus classique [que sur les lignes métropole-Antilles et métropole-Guyane] avec une concurrence frontale entre les trois majors du secteur (...) avec comme seule restriction un seul accord de VSA d'ailleurs minoritaire ". Les armateurs mentionnés ci-dessous n'ont d'ailleurs jamais été réunis au sein d'une conférence maritime. Le prix du fret brut pour un conteneur de 20' est de l'ordre de 1 400 euro " avec des variations significatives " (de l'ordre de 400 euro), soit un prix comparable à celui observé sur les lignes métropole-Antilles (point 59). L'Autorité avait cependant observé, dans cet avis, qu'en dépit de baisses de prix sur le fret brut entre 2006 et 2009 (de l'ordre de 15 à 20 %), " les prix du fret brut restent sensiblement plus élevés que les prix sur le marché international des grandes lignes " (ainsi le prix du fret entre l'Europe et l'Australie est de l'ordre de 1 000 euro pour un trajet deux fois plus long).

52. Il est d'usage que les compagnies maritimes desservant La Réunion contractent avec un seul manutentionnaire, le cas échéant après mise en concurrence. La société CMA CGM a ainsi déclaré, au sujet du choix de son prestataire : " il n'y a pas eu à proprement parler d'appel d'offres effectué, mais les différents prestataires ont été contactés :

- Somacom : approché milieu 2007 mais pas intéressé à l'époque/à nouveau rejeté en 2008 ;

- SGM : " approché à 3 reprises avec remise de 2 cotations ".

53. Le contrat signé par cette compagnie maritime avec un manutentionnaire en 1997 ainsi qu'en 2006 révèle l'existence de remises par rapport aux prix figurant au tarif édité par le SEMPR.

54. A la différence des Antilles françaises, à La Réunion, les entreprises de manutention ne sont actuellement pas contrôlées par un ou plusieurs armateurs.

55. Le président de SGM Manutention a ainsi déclaré, au sujet des rapports entre manutentionnaires et compagnies maritimes à La Réunion (lettre du 23 février 2010) : " je voudrais vous redire que l'action en cours, si elle conduit à rendre nos entreprises dépendantes des compagnies maritimes ou des chargeurs globaux, impliquera sans retour en arrière leur intégration dans un modèle " absorbant " où l'opacité est la règle : vous savez comme moi, (...) que ce modèle opaque au plan des prix est un facteur d'inflation, au même titre que ce qui a été observé dans les ports français dont les maux sont connus de tous. Il nous faut donc trouver toute solution pour pérenniser ce modèle " d'exception ", en acceptant une situation favorable au progrès économique de notre région ".

56. Dans son avis n° 09-A-45 (point 61), l'Autorité avait estimé que l'incidence du fret dans les produits de grande consommation représenterait entre 5 et 15 % du prix de vente au consommateur, hors frais de manutention. Sur la base des éléments recueillis dans cet avis, on peut estimer que le coût de la manutention à l'arrivée représente environ 15% du coût du fret à La Réunion, soit 1 à 2 % du prix constaté en rayons pour un produit de grande consommation.

4- LE RÉGIME DES PRIX APPLICABLE À LA RÉUNION

a) Le cadre général

57. Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les prix des produits et prestations de services étaient soumis sur le plan national à des régimes de fixation des prix autoritaires tels que résultant des ordonnances du 30 juin 1945 (10), le plus souvent dans le cadre d'arrêtés préfectoraux pris par délégation de compétence.

58. L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 a instauré le principe de la liberté des prix en son article 1er, en précisant toutefois que " dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison, soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence ". Cet article est entré en vigueur le 1er janvier 1987 (article 62 de l'ordonnance).

59. Par ailleurs, l'article 61 de ladite ordonnance prévoyait qu' " à titre transitoire, demeurent en vigueur les arrêtés réglementant, en application de l'ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945, les prix des secteurs et des zones visés au deuxième alinéa de l'article 1er de la présente ordonnance et énumérés au décret prévu à l'article suivant ".

60. Le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence énumérait, en son annexe I, la liste des arrêtés généraux visés à l'article 61 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, en son annexe II, la liste des arrêtés en vigueur dans les départements d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et- Miquelon, visés à l'article 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986. Parmi les arrêtés concernés figuraient notamment " les arrêtés préfectoraux relatifs aux prix et aux marges des secteurs faisant l'objet d'arrêtés maintenus en vigueur au plan national ".

61. Le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, qui a abrogé le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, précisait, en son article 49, que les arrêtés mentionnés à l'article 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence sont " énumérés " à l'annexe V dudit décret.

62. Le décret n° 2002-689 a été abrogé par le décret n° 2007-431 du 25 mars 2007, à l'exception de son article 49 qui demeure donc en vigueur.

b) La manutention portuaire

63. Sur le plan national, les prestations de manutention portuaire étaient soumises aux dispositions de l'arrêté n° 86-65/A du 18 décembre 1986 " concernant les entreprises de manutention portuaires et les consignataires de navire ", mentionné en annexe I au décret n° 86-1309 susmentionné. Cet arrêté précisait que " sont entérinés par le présent arrêté, d'une part, l'avenant à l'engagement professionnel du 10 mars 1971 souscrit le 9 décembre 1986 par l'Union nationale des industries de la manutention dans les ports français concernant les tarifs de chargement et de déchargement des navires dans les ports maritimes et, d'autre part, l'avenant à l'engagement professionnel du 21 septembre 1972 souscrit le 9 décembre 1986 par la fédération des agents consignataires de navires et agents maritimes de France concernant les opérations complémentaires à l'embarquement et au débarquement des marchandises ". Par la suite, l'arrêté n° 86-65/A sera simplement mentionné dans le décret n° 2002-689, comme faisant partie des arrêtés maintenus à titre provisoire par l'article 61 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Cet arrêté ministériel est donc toujours en vigueur et entérine un engagement de hausse annuelle maximale de 2 % pris par la profession.

64. A La Réunion, antérieurement au 1er janvier 1986, les prix de la manutention portuaire étaient fixés par arrêté préfectoral. Le dernier arrêté signé par le préfet est daté du 30 décembre 1986 (cotes 237 et 238). Cet arrêté, qui porte le numéro 4253 DAE/SRGE, fixe les tarifs maxima des opérations de manutention et de magasinage des marchandises dans le port de la Pointe des Galets. Cet arrêté a été maintenu en vigueur, " à titre transitoire ", ensemble par l'article 61 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et le décret n° 86-1309 (annexe II), dans l'attente d'une éventuelle réglementation des prix par le Gouvernement, après avis du Conseil de la concurrence.

65. C'est le décret n° 88-1045 du 17 novembre 1988 qui, après consultation du Conseil de la concurrence (11), a déterminé le régime des prix de certains produits dans le département de La Réunion (carburants, gaz et riz). Ce décret, qui a fixé des prix maxima pour les produits précités (articles 1, 2, 3, 4 et 5 du décret), prévoyait, en son article 6, que " les prix des produits et services autres que ceux énumérés par le présent décret sont libérés à l'exception des livres, des médicaments, des maisons de retraite non conventionnées, des taxis, des communications téléphoniques passées à partir de postes d'abonnés mis à la disposition du public et des publiphones, des cantines scolaires publiques, de la pension et de la demi-pension dans les établissements publics locaux d'enseignement, des transports publics urbains de voyageurs, du remorquage dans les ports maritimes, des outillages dans les ports maritimes et fluviaux, de la manutention portuaire et des consignataires de navires ". Compte tenu de l'existence de réglementations spécifiques sur le plan national et du caractère générique de cet article, une disposition identique à celle prévue à l'article 6 dudit décret a été introduite dans les décrets de 1988 relatifs aux prix à la Guadeloupe, la Guyane et à la Martinique.

66. Les articles 1er à 5 du décret n° 88-1045 demeurent en vigueur en dépit du fait que les prix de certains produits comme le riz ne font plus l'objet de taxation, à la suite de la disparition de la situation de monopole qui existait en 1988. Dans son avis n° 88-A-04 du 16 mars 1988, relatif à un projet de décret réglementant les prix dans les départements d'outre-mer, le Conseil de la concurrence avait en effet relevé qu' " à La Réunion, le riz de consommation courante (...) est produit en totalité par une seule entreprise ". La modification des conditions de la commercialisation du riz dans le département de La Réunion aurait donc dû conduire le Gouvernement à s'interroger sur la pertinence du maintien de cette disposition dans la mesure où, lorsqu'il examine la légalité d'un texte réglementaire, le Conseil d'Etat vérifie si la situation ayant justifié la mise en place d'un régime de prix exorbitant du droit commun est toujours la même (CE, 18 janvier 2006, Société des Ciments Antillais n° 269406, rec. Lebon).

67. Par ailleurs, s'agissant des produits et services mentionnés à l'article 6 dudit décret, plusieurs situations doivent être distinguées :

- celle des livres pour lesquels la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 (article 10) a aligné le régime de prix dans les départements d'outre-mer sur celui de la métropole à partir du 1er janvier 2002, tel que résultant de la loi n° 81-766 du 10 août 1981, relative au prix du livre, alors qu'auparavant les modalités d'application de ladite loi dans les DOM étaient fixées par décret ;

- celle du pilotage dans les eaux maritimes, qui relève d'un régime de prix spécifique (décret n° 69-515 du 19 mai 1969), compte tenu de la nature particulière de cette activité qui s'apparente à un service public en raison de l'impératif de sécurité attaché à cette mission et de son caractère obligatoire pour les usagers ;

- celle des communications du service téléphonique public (service universel), des médicaments pris en charge par l'assurance maladie et des maisons de retraite non conventionnées qui relèvent respectivement du Code des postes et des communications électroniques, du Code de la sécurité sociale (articles L. 162-17-4 et L. 753-4 pour l'Outre-mer) (12) et du Code de l'action sociale et des familles (article L. 342-3) ;

- celle des taxis (13), des transports publics urbains de voyageurs hors région Ile-de- France et cantines scolaires et de la pension et de la demi-pension pour les élèves de l'enseignement public, qui relevaient au plan national de dispositions réglementaires spécifiques dérogatoires au régime de liberté et auxquels il a été mis fin s'agissant des transports publics urbains de voyageurs hors région Ile-de-France et des cantines scolaires (14). Pour ces différentes prestations, un décret donnait compétence aux préfets, commissaires de la République, pour fixer les prix dans leur département, y compris outre-mer ;

- celle des tarifs publics d'outillage portuaire à Port Réunion fixés par la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR), après approbation du préfet, dans la mesure où cette personne morale est un établissement public économique (15), soumis à la tutelle du préfet, qui exploite le port dans le cadre d'une concession ;

- enfin, celle des services de manutention portuaire, services concurrentiels offerts par des entreprises privées pour lesquels aucun texte réglementaire spécifique n'a donné compétence ni au ministre ni aux préfets pour fixer les prix, postérieurement au décret du 17 novembre 1988. Ainsi, si l'article 6 du décret du 17 novembre 1988 pose une exception à la libéralisation des prix, en ce qui concerne la manutention portuaire à la Réunion, aucun texte n'est ensuite venu donner de base légale à une quelconque intervention publique ni à aucun mode de détermination des prix dans ce secteur.

Il en résulte qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne vient organiser le mode de fixation des prix de la manutention portuaire à La Réunion, ce que les représentants du MEDDTL (Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement) ont d'ailleurs reconnu en séance, et par écrit lors de l'instruction (§ 72). En particulier, l'article 6 du décret de 1988 ne donne aucun droit aux entreprises de fixer le prix des prestations de façon concertée en vue d'un visa ou d'une validation par le préfet.

C - LA PRATIQUE EN CAUSE : LA FIXATION DES PRIX EN COMMUN À LA RÉUNION

68. L'usage à La Réunion veut que le prix de la prestation de manutention rendue par les acconiers se compose de deux éléments :

- un élément principal facturé aux chargeurs, basé sur un tarif dénommé " commerce " ;

- un élément facturé aux compagnies maritimes, basé sur un tarif dénommé " compagnies ".

1- LE TARIF " commerce "

a) Historique

69. Le service des ports et des bases aériennes (SPBA) a apporté les éléments d'information suivants pour ce qui concerne les modalités de fixation des prix de manutention portuaire à La Réunion. S'agissant d'abord du tarif dénommé " commerce " (cotes 233 à 236) :

" Jusqu'en 1986, le Préfet de La Région et du département de La Réunion prenait après consultation, notamment des DDE et DDCCRF et du Comité départemental des prix, un arrêté définissant les tarifs maxima des opérations de manutention et de magasinage des marchandises dans le Port de la pointe des Galets. Le dernier acte de ce type est joint (pièce n° 1) puisque l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a rendu cette pratique sans objet. A compter de 1994, dans le cadre de la réforme de la manutention portuaire, et plus particulièrement de la mise en place de la mensualisation des ouvriers dockers, une charte d'objectifs de baisses tarifaires co-signée par les entreprises de manutention et le Préfet a été conclue (...) et un comité de suivi constitué. A l'issue des réunions de concertation tenues les 15 septembre 2000 (...) et 31 octobre 2000 (...), les objectifs de baisse ayant été atteints, il a été acté la sortie de la charte au 1er juillet 2000. Les manutentionnaires ont alors souhaité proposer " un barème de tarif maxi à l'Administration ". Depuis cette période, les tarifs de référence du SEMPR ont été tamponnés et parfois visés ".

70. La DDE a précisé : " De 1994 jusqu'en 2000, la production du nouveau barème public des tarifs de la manutention sera réalisée en concertation avec le Comité de Suivi Economique et Financier de la Manutention Portuaire selon les termes de la charte d'objectifs signée le 22 juillet 1994 (...). Après 2000, il est manifeste, comme l'attestent différents courriers (...) que la SEMPR s'attachera à informer et convaincre les industriels Réunionnais, la CCIR, les transitaires, la Direction du Port, les armateurs, de la pertinence des modifications du tarif de référence des opérations de manutention. Toutefois, au fil des ans, ces échanges n'ont plus été formalisés et le SPBA se bornait à une vérification arithmétique des augmentations annoncée ".

71. Le président du SEMPR a, de son côté, déclaré (lettre du 9 décembre 2009 en cotes 97 à 99) :

" Le tarif de référence est visé par la direction départementale de l'équipement de La Réunion. Cette pratique date des années 70 pendant lesquelles l'autorité de tutelle contrôlait les prix de manutention. Le tarif correspondait au prix de revient contrôlé auquel on ajoutait un coefficient de marge autorisée (1,2632 pour le conventionnel et les conteneurs ; 1,3231 pour le vrac) (...). Les périodes de réévaluation des tarifs sont variables : jusqu'en 1994 annuellement, entre 1994 et 2002 une charte d'objectif a été signée visant à baisser les prix ou à les geler. Depuis 2002, un tarif de référence est édité et validé par la tutelle du port, la DDE (SPBA) chaque année. Les augmentations de tarifs sont discutées avec les représentants du monde économique local, industriels, importateurs, transitaires, (ADIR, SICR, STR/TLF) après validation du manutentionnaire COR. La pratique du tarif non discriminatoire entre les chargeurs est acceptée par la communauté économique réunionnaise qui a admis que les manutentionnaires étant liés à des compagnies maritimes c'est avec elles qu'ils doivent négocier des ristournes. C'est ensuite aux compagnies de se servir de ces ristournes pour négocier avec leurs clients/chargeurs un tarif de fret qui tienne compte des volumes réalisés. Nous leur rappelons régulièrement que les entreprises de manutention sont des sous-traitants des entreprises de transport maritime, comme le stipule la loi du 18 juin 1966. Un courrier du 16 juillet 2008 émanant de la DDE confirme les usages portuaires (...). L'ensemble de la profession applique le tarif. Les négociations de ristournes avec les armements sont par nature confidentielles et sont inconnues de notre association ".

72. Le courrier adressé, le 7 décembre 1989, par le SEMPR au service des ports et bases aériennes de La Réunion et ayant pour objet les " tarifs de manutention pour 1990 " (annexe 13 aux observations de la SAMR), atteste en effet que l'initiative de la détermination des prix incombe bien aux membres de cette organisation. On lit en effet dans cette correspondance : " nous (...) vous confirmons ci-après notre proposition de tarifs de manutention pour l'année 1990. Conformément à ce dont nous avons débattu, ces tarifs prévoient : 1. Une hausse sensible (...) - 2. Une réduction du tarif (...). De plus, nous nous engageons à réaliser avec vos services une étude sur la mise en application des importations de riz en big bags (...) ".

73. Par ailleurs, l'arrêté préfectoral n° 1953 du 26 juillet 1994 portant création d'une commission économique des transports, après la mise en place d'un plan social et la réorganisation de la manutention dans le port de La Réunion (annexe 14 aux observations de la SAMR) précise en son article I que la mission de cette commission, créée à compter du 1er août 1994 et composée de représentants de l'Administration, de professionnels et de consommateurs, est d'" analyser le coût du transport des marchandises par voie maritime vers et depuis La Réunion ainsi que les coûts d'acheminement terrestre vers leur destinataire final ou vers le Port ", d'examiner " tout particulièrement la répercussion provoquée par la réorganisation associée au plan social de la manutention sur les prix pratiqués " et d'apprécier " l'évolution des prix en fonction de l'évolution du trafic ".

74. En juillet 1994, une " charte d'objectifs " a également été signée par les représentants de l'Administration et des manutentionnaires " dans le cadre de la réforme de la manutention portuaire et plus particulièrement de la mise en place de la mensualisation des ouvriers dockers et de la libre organisation qui en résulte " (cote 239). Cette charte prévoit des objectifs de baisse tarifaire du 1er septembre 1994 au 1er janvier 2000 sur différentes prestations, à l'exception de la manutention des conteneurs pleins.

75. Le compte-rendu de la réunion en date du 15 septembre 2000 consacrée à la charte d'objectifs de 1994 et à laquelle participaient des manutentionnaires et des représentants de la DDE indique (cote 241) que " l'encadrement des prix est très flou pour les DOM (...) et qu'en métropole les prix sont libérés ".

76. Le 16 octobre 2001 se tient une réunion entre les manutentionnaires (Somacom, SAMR et SGM Manutention), le Syndicat de l'importation et du Commerce de La Réunion (SICR), la chambre de commerce (CCIR), la DDE, le syndicat des transitaires et l'ADIR (16), dans le but d' " étudier les tarifs de manutention portuaire qui seront appliqués à La Réunion le 01/01/2002 " (cotes 287 et suivantes). La correspondance signée par le président du SEMPR précise que le tarif a été élaboré sur la base des trois principes suivants : " actualisation, simplification, volonté de favoriser les exportations " et qu'il est laissé aux parties présentes à la réunion un délai de réflexion jusqu'au 15 novembre 2001, date à laquelle il sera possible d'" éditer un tarif définitif qui recevra l'aval de la direction du port ".

77. Le 31 octobre 2001, le Syndicat de l'Importation et du Commerce de La Réunion (SICR) s'adresse en ces termes au président du SEMPR (cote 288) : " au cours de la réunion qui s'est tenue le 16 octobre 2001, vous nous avez exposé les différentes modifications tarifaires devant intervenir à partir du 1er janvier 2002, sur les opérations de chargement et de déchargement. Nous avons retenu que les tarifs de manutention étaient libres et que, dans un souci de transparence, il est d'usage à La Réunion que leur révision se fasse en concertation avec les services de la tutelle, en l'occurrence la DDE, pour une validation commune des prix ". Le 8 novembre 2001, le président du SEMPR remercie le président du SICR pour " la clarté et la franchise " dont il a fait preuve dans le courrier précité.

78. Le 15 novembre 2001, le président du SEMPR transmet à la DDE " les tarifs en euro des opérations de déchargement et de chargement à Port Réunion qui seront applicables à partir du 1er janvier 2002 ", en demandant à cette administration de " bien vouloir nous marquer votre (son) aval sous la forme que vous (qu'elle) aura définie " (cote 247).

79. Le courrier adressé à la DDE par le syndicat de la manutention, le 18 décembre 2006 (annexe 15 aux observations de la SAMR), mentionne, au sujet du tarif " commerce " 2007 : " après avoir obtenu l'accord des importateurs (SICR), des industriels (ADIR) et des transitaires (STR), nous vous serions reconnaissants de bien vouloir valider les tarifs des opérations de déchargement et de chargement qui seraient applicables à partir du 1er mars 2007 ".

80. Le 12 janvier 2009, un courrier adressé au SEMPR émanant de la DDE (cote 159) confirme la poursuite de cet usage dans les termes suivants : " Suite à votre demande, veuillez trouver ci-joint en retour la grille tarifaire visée par mes soins ".

81. Le président du SEMPR a ainsi justifié les écarts de prix entre prestations de manutention à l'import et à l'export (PV des 17 et 19 février 2010) : " A l'époque de la création des tarifs (années 70), il n'y avait pas ou très peu d'export à La Réunion. Progressivement, les exportateurs se sont rapprochés des manutentionnaires pour demander des tarifs adaptés en considérant qu'il s'agissait de volumes nouveaux à traiter en " marginal ". Les manutentionnaires ont répondu favorablement à cette demande pour favoriser l'export de La Réunion, sachant que les opérations sont identiques ".

b) Les conditions d'élaboration du tarif

82. Le président du SEPMPR a déclaré, au sujet de la détermination du tarif " commerce " (PV du 17 février 2010) : " ce tarif n'est pas établi par le SEMPR mais discuté entre les 4 entreprises, y compris la COR, et ensuite négocié avec les représentants du monde économique, puis validé par la DDE. Le tarif est appliqué par les entreprises, y compris la COR, sauf dans le cas de lots complets sur navires uniques. En effet, les entreprises de manutention de La Réunion ne peuvent intervenir, au travers de ce tarif, dans la concurrence que se livrent les transitaires, les industriels, les distributeurs, les compagnies maritimes... Elles se doivent de traiter au même prix l'ensemble des opérateurs, petits comme gros. Par ailleurs, elles ne sont pas responsables de leur désignation auprès des réceptionnaires et n'ont donc aucune autorité sur les volumes déchargés par l'un ou l'autre. En effet, les différents réceptionnaires ou leurs transitaires utilisent pour les mêmes clients des compagnies maritimes différentes en fonction de leurs conditions commerciales certes mais également des conditions d'acheminement ou de port d'origine ou de destination. Chaque client final est donc traité de façon identique, charge à la compagnie maritime, qui signe les contrats de transport, de faire des conditions commerciales différenciées et de traiter avec son manutentionnaire un contrat qui prévoit des conditions commerciales lui permettant de donner satisfaction à son client ".

83. Le président de la COR a cependant nié (lettre en date du 11 mars 2010, cote n° 642) avoir participé à des négociations tarifaires avec les représentants du monde économique local ou avec le SEMPR.

c) L'évolution des prix figurant dans le tarif " commerce "

(1) Conteneurs (prix exprimé en euro à l'unité sauf 6540 et 6550 à la tonne)

- déchargement

<emplacement tableau>

d) L'application du tarif par les manutentionnaires

84. Les factures versées au dossier par la société Somacom établissent que le tarif " commerce " est strictement appliqué, en particulier pour la partie I (déchargement). Les montants unitaires figurant sur ces différentes factures correspondent en effet au tarif établi en commun par les manutentionnaires concurrents, s'agissant des conteneurs, et " validé " par la DDE. Le tableau ci-après récapitule les prix unitaires facturés par les entreprises retenues dans l'échantillon :

<emplacement tableau>

85. Des ristournes exceptionnelles peuvent cependant être consenties par la Somacom à certains clients importants sous forme d'avoirs différés, et ce de manière ponctuelle, sur la partie " magasinage " (III), notamment à l'exportation. Le tarif prévoit en effet des franchises en nombre de jours, au-delà desquelles le tarif est appliqué. A titre d'exemple, une franchise de 5 jours ouvrables à compter de la date de débarquement effective est appliquée au débarquement des conteneurs. Cette franchise est fixée à 21 jours pour l'export. Au-delà de 21 jours, le prix appliqué par conteneur de 20 pieds est de 20,57 euro à l'import et de 5,47 euro à l'export (tarif 2009), en dépit d'une prestation identique (même situation pour le conteneur de 40 pieds : 41,14euro à l'import et 10,93 euro à l'export en 2009).

86. La société SAMR a déclaré, au sujet du tarif " commerce " (lettre du 11 décembre 2009- cotes 313 et ss) : " ce tarif est strictement appliqué à l'ensemble des clients et ne fait l'objet d'aucune ristourne ".

87. Les factures versées au dossier à la demande du rapporteur (lettre du 9 juin 2010) attestent d'ailleurs du respect du tarif " commerce " par cette entreprise (17). Le directeur général de la SAMR a également versé au dossier plusieurs avoirs commerciaux en indiquant (lettre du 9 juin 2010) : " (...) ces avoirs sont effectués dans le cadre de la politique commerciale propre à la SAMR. Ils n'ont donc pas un caractère systématique et peuvent avoir un intitulé volontairement concis car ne se rapportant pas nécessairement à une opération particulière mais à un volume d'opération ". De fait, l'examen de ces avoirs différés dans le temps (parfois plus d'un an) révèle que dans certains cas ils ne permettent pas de savoir à quelle cargaison précise ils se rapportent. De plus, dans plusieurs cas, ces avoirs ont été établis plus de deux ans après les opérations de manutention.

88. Le montant total des avoirs différés accordés par la SAMR au cours des exercices 2005 à 2009 (en pourcentage du chiffre d'affaires - source : annexe confidentielle au mémoire d'observations de la SAMR et pièce 58) figure dans le tableau ci-après (l'année 2010 étant postérieure à l'auto-saisine de l'Autorité) :

<emplacement tableau>

89. La société SGM Manutention a de son côté versé au dossier différentes factures pour des clients transitaires (dont plusieurs sont d'ailleurs les mêmes que ceux de la Somacom (18) et de la SAMR), lesquelles factures attestent de l'application stricte du tarif commun (annexes au courrier daté du 11 juin 2010). Le secrétaire général de l'entreprise a déclaré : " (...) compte tenu du changement de système de gestion informatique de la facturation, nous n'avons pas pu identifier les avoirs de ristournes comme demandé. - Nous vous transmettrons prochainement des avoirs récents pour vous rendre compte de leur existence ".

90. Le président de la société SGM Manutention avait toutefois déclaré (courrier daté du 9 décembre 2009-cotes169 et ss) : " Le tarif " commerce " est un tarif de référence appliqué par toutes les entreprises et négocié chaque année avec les représentants locaux de l'industrie (ADIR), de l'importation (SICR) et du transit (TLF). (...). Nos principaux clients commerce sont les transitaires agissant comme mandataires des réceptionnaires. Pour les conteneurs, les entreprises de manutention appliquent le tarif de référence, quels que soient les volumes de tel ou tel client, sans appliquer de ristourne. C'est également le cas pour le conventionnel, sauf en présence de lots complets pour un seul réceptionnaire. Dans ce cas, des négociations sont engagées avec les clients ou leurs représentants, le tarif final étant fonction de données objectives comme la productivité, le nombre d'équipes, le type de marchandise ou les prévisions d'activité de l'entreprise. Pour les conteneurs, la position est justifiée :

- d'une part juridiquement, les entreprises n'étant liées qu'à leur client armateur avec qui elles ont signé un contrat avec les conditions spéciales qui en découlent ;

- d'autre part, techniquement, chaque entreprise étant indépendante et ayant à traiter sur des navires concurrents les mêmes clients. En effet, un client peut confier quelques dizaines de conteneurs sur telle compagnie et beaucoup plus sur une autre, sans que l'entrepreneur de manutention en soit le donneur d'ordre ".

2.- LE TARIF " compagnies "

91. Le tarif " compagnies ", édité par le syndicat des entrepreneurs de la manutention portuaire depuis 1994 à la différence du tarif commerce, est facturé directement aux compagnies maritimes. Il englobe toutes les prestations supplémentaires ou exceptionnelles qui ne sont pas incluses dans ce tarif commerce comme l'embarquement des conteneurs vides, les heures supplémentaires du dimanche ou de la nuit, les temps d'attente dits " techniques " (pluie)...

Tarif " compagnies " pour les conteneurs (prix à l'unité) :

<emplacement tableau>

D - LES GRIEFS NOTIFIÉS

92. Sur la base des constatations ci-dessus rappelées, les griefs suivants ont été notifiés aux entreprises.

- Un premier grief a été notifié aux sociétés SGM Manutention, SAMR et Somacom pour avoir mis en œuvre une pratique anticoncurrentielle de manière continue, depuis 1987, consistant à fixer un tarif commun des prestations de manutention portuaire à La Réunion. Cette pratique, qui tombe sous le coup des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, fausse le jeu de la concurrence sur les marchés considérés et particulièrement sur le marché de la manutention des conteneurs.

- Un deuxième grief a été notifié au Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire de La Réunion (SEMPR) pour avoir mis en œuvre une pratique anticoncurrentielle de manière continue consistant à éditer un tarif syndical de la manutention depuis 1994. Cette pratique, qui est également réprimée par l'article L. 420-1 du Code de commerce, limite la concurrence entre les entreprises membres de l'organisation syndicale, qui représentent la quasi-totalité des entreprises de manutention des conteneurs à La Réunion.

II- DISCUSSION

Seront successivement examinées la définition du marché pertinent (A) la qualification des pratiques de fixation de tarifs en commun (B) puis la gravité des pratiques et l'importance du dommage causé à l'économie (C).

A - SUR LE(S) MARCHÉ(S) PERTINENT(S)

1.- SUR LE MARCHÉ DE SERVICES

93. Les pratiques en cause portent sur la fixation de prix en commun de prestations de manutention dans les secteurs des conteneurs (y compris réfrigérés) ainsi que de certaines marchandises emballées (en caisses, en cartons, sur palettes ou en sachets), et en vrac (bois, produits en ciment, fibrociment...). A La Réunion, quatre entreprises rendent ce type de prestations commerciales. La CCIR procède directement à certaines opérations de manutention portuaires, prestations non concernées par le tarif fixé en commun par certains manutentionnaires (Cf. infra).

94. Se fondant sur la pratique décisionnelle du ministre en matière de concentrations (19) ainsi que sur celle de la Commission européenne (20), l'Autorité de la concurrence a considéré, dans sa décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010, relative à des pratiques observées dans la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre, qu'en l'espèce, le marché de services pouvait être défini comme " celui de la manutention portuaire de conteneurs, sans qu'il soit nécessaire de distinguer les prestations de manutention portuaire selon le type de trafic concerné ".

95. Il n'existe aucune raison, au cas d'espèce, de suivre un raisonnement différent : la manutention de conteneurs se distingue nettement de celle des autres marchandises, en particulier le vrac, au regard de plusieurs critères (nature de la prestation, outillage et techniques employés, prix...). En revanche, il peut s'avérer utile, dans la présente affaire, de distinguer deux marchés au sein de la manutention de conteneurs en retenant, d'une part, un marché du trafic de conteneurs destinés à l'" hinterland " et, d'autre part, celui du transbordement. On précisera que, selon la CCIR (source : DDE), le transbordement de conteneurs, quoiqu'en forte hausse, demeurait marginal (environ 10 %) par rapport au trafic de conteneurs relatif à la Région Réunion (21).

96. Il n'est en revanche pas utile, dans la présente affaire, de distinguer entre les prestations de manutention de marchandises en vrac.

2.- SUR LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

97. L'Autorité de la concurrence a également rappelé, dans sa décision n° 10-D-13 déjà mentionnée, que, tant la pratique décisionnelle sur le plan national que sur le plan communautaire définissait le territoire géographique pertinent par un espace sur lequel les " conditions de concurrence " sont " suffisamment homogènes pour être distinguées des zones voisines ".

98. Au cas d'espèce, la spécificité des prestations de manutention, liée au caractère insulaire de La Réunion, permet de définir le marché pertinent comme étant celui de la manutention de conteneurs dans le port de La Réunion (trafic " hinterland "), à l'exception de celui du transbordement de conteneurs pour lequel les entreprises de manutention de La Réunion peuvent se trouver en partie soumises à la concurrence d'entreprises situées dans la même zone géographique (Ile Maurice notamment).

B - SUR LA QUALIFICATION DES PRATIQUES CONSISTANT À FIXER DES PRIX EN COMMUN PAR DES ENTREPRISES DE MANUTENTION AU REGARD DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE L. 420-1 DU CODE DE COMMERCE

1.- SUR LE TARIF

99. Les parties considèrent que l'élaboration du tarif " commerce " réunit les conditions posées par l'article L. 420-4 du Code de commerce.

100. L'article L. 420-4 I prévoit que " ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : 1° - Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ".

101. Ce texte est d'interprétation stricte. Le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ont considéré en effet, de manière constante, que, pour bénéficier des dispositions du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce, les pratiques constatées doivent être la " conséquence directe et nécessaire " d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application. (Cf. rapport annuel 2009 - décision n° 94-D-41 relative à des pratiques relevées dans le secteur des volailles sous label).

- Sur l'application du droit de la concurrence à la pratique consistant de la part des entreprises membres du SEMPR à élaborer un tarif commun de manutention portuaire.

102. Il est constant que, postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les arrêtés préfectoraux réglementant les prix dans les départements d'outre-mer ont continué à s'appliquer à titre transitoire, ceci conformément à l'article 61 de l'ordonnance et à son décret d'application. A La Réunion, l'arrêté préfectoral du 30 décembre 1986 fixant des prix maxima de la manutention portuaire était donc applicable en 1987.

103. Il est également avéré qu'en l'absence de délégation de compétence, le préfet, commissaire de la République, n'avait plus, à la différence d'autres secteurs comme les taxis, le pouvoir de réglementer les prix de la manutention portuaire à La Réunion à compter du 17 novembre 1988, en dépit du fait que ce secteur d'activité se trouve mentionné à l'article 6 du décret n° 88-1045. Aucun texte ultérieur n'est venu donner compétence au préfet pour fixer les prix des services de la manutention portuaire. Il sera d'ailleurs observé que, s'agissant d'autres secteurs antérieurement réglementés sur le plan national comme les cantines scolaires et le transport public urbain de voyageurs hors Île-de-France mentionnés à l'article 6 du décret n° 88-045, il a été mis fin au régime de fixation autoritaire des prix par le préfet.

104. L'arrêté ministériel n° 86-65/A du 18 décembre 1986 entérinant un engagement de hausse maximum de 2 % pour les prestations de manutention portuaire sur le plan national n'a par ailleurs pas été reconduit, rendant obsolètes au terme de l'année 1987 les engagements pris par les organisations nationales concernées. Au demeurant, cet arrêté ne fixe aucun prix maximum, laissant place à une certaine concurrence entre les opérateurs, et n'autorise certainement pas les entreprises à fixer les prix de manière concertée.

105. Le Conseil de la concurrence a rappelé (22) qu' " en droit communautaire comme en droit national, sont seuls visés les comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative " et que, si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui, lui-même, élimine toute possibilité de comportement anticoncurrentiel de leur part, le droit de la concurrence ne leur est pas applicable car, dans cette situation, " la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause dans des comportements autonomes des entreprises ". Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) a également estimé que le droit de la concurrence peut trouver à s'appliquer " s'il s'avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises " (23). Dans un tel cas, le tribunal examine donc (24) si le cadre juridique applicable " élimine toute possibilité de comportement concurrentiel " de la part des entreprises.

106. En l'espèce, la pratique mise en œuvre de manière concertée par les trois entreprises de manutention destinataires des griefs ne peut, pour les raisons indiquées plus haut, être regardée comme étant, après le 17 novembre 1988, la conséquence directe et nécessaire d'un prétendu " cadre juridique contraignant du décret n° 88-1045 " ou de l'existence d'arrêtés ministériel et préfectoral, antérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et maintenus à titre transitoire, dans l'attente de la mise en place d'une éventuelle réglementation des prix spécifique à ce secteur d'activité.

- Sur le caractère autonome des initiatives prises par les sociétés Somacom, SGM Manutention et SAMR pour fixer les prix de la manutention.

107. Comme exposé dans la partie I de la présente décision, un tarif dénommé " commerce ", lequel porte sur la partie facturée au client final, est élaboré depuis 1987 par les entreprises de manutention portuaire de La Réunion, cette pratique faisant suite à une période de fixation autoritaire des prix par le préfet de La Réunion, dans le cadre de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945.

108. Les sociétés Somacom et SGM Manutention soutiennent (page 20 du mémoire) que " pour que l'entente illicite puisse être caractérisée au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il doit être établi que la pratique reprochée résulte du comportement libre de son/ses auteurs ". La pratique reprochée n'étant pas " détachable des actes de la DDE ", pour ces entreprises, l'intervention du SPBA de La Réunion dans le mode de fixation des prix est de nature à écarter la qualification d'entente anticoncurrentielle. Elles citent, au soutien de leur affirmation, la décision du Conseil de la concurrence n° 94-D-05 du 18 janvier 1994 dans laquelle le Conseil avait considéré que pour qu'un comportement anticoncurrentiel puisse être imputé à des entreprises, la pratique reprochée doit résulter d'un " comportement autonome " des entreprises, comportement suffisamment établi par rapport aux interventions de l'Administration.

109. Or, différentes pièces du dossier attestent que l'initiative de la détermination des prix en commun incombe bien aux membres du SEMPR. Il en est ainsi du compte rendu de la réunion en date du 22 décembre 1987 mentionné au point 93 de la présente décision et du courrier adressé, le 7 décembre 1989 par le SEMPR au service des ports et bases aériennes de La Réunion ayant pour objet les " tarifs de manutention pour 1990 " (annexe 13 aux observations de la SAMR). On lit en effet dans cette correspondance : " nous (...) vous confirmons ci-après notre proposition de tarifs de manutention pour l'année 1990. Conformément à ce dont nous avons débattu, ces tarifs prévoient : 1. Une hausse sensible (...) - 2. Une réduction du tarif (...). De plus, nous nous engageons à réaliser avec vos services une étude sur la mise en application des importations de riz en big bags (...) ".

110. Par ailleurs, l'objet de l'arrêté préfectoral n° 1953 du 26 juillet 1994 portant création d'une commission économique des transports, à la suite de la mise en place d'un plan social et de la réorganisation de la manutention dans le port de La Réunion (annexe 14 aux observations de la SAMR), reproduit dans la partie I de la présente décision au § 73, établit qu'en aucune manière, cette commission n'avait pour objectif de fixer des prix mais se limitait à un simple rôle d'observation.

111. De la même manière, la " charte d'objectifs ", signée en juillet 1994 par les représentants de l'Administration et des manutentionnaires, se borne à prévoir des objectifs de baisse tarifaire du 1er septembre 1994 au 1er janvier 2000 portant sur différentes prestations, à l'exception de la manutention des conteneurs pleins.

112. Enfin, les différents échanges de correspondance entre le SEMPR, d'une part, et la DDE et le SICR, d'autre part, tels que mentionnés dans la partie I de la présente décision démontrent que les tarifs de la manutention portuaire ont été fixés de manière totalement autonome par les membres de cette organisation, postérieurement à l'année 2000, puis transmis pour validation à la DDE locale.

113. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) a considéré que la participation des pouvoirs publics à une entente anticoncurrentielle n'est pas de nature à faire échapper les entreprises à l'application des dispositions de l'article 81 § 1 du traité CE, même si l'accord litigieux est intervenu à la demande des pouvoirs publics, à l'exception des accords qui résulteraient de pressions irrésistibles exercées sur les entreprises par l'Administration. Le Tribunal avait en effet estimé qu'" en l'absence d'une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d'autonomie dans le chef des opérateurs en cause que s'il apparaît sur la base d'indices objectifs pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles telles que par exemple la menace de l'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes " (TPICE 18/09/1996 aff. T-387-94 Asia Motors/France).

114. En l'espèce, le simple visa donné par l'administration chargée de la tutelle des ports ne saurait justifier la pratique de fixation en commun des prix par les entreprises de manutention de La Réunion, à leur initiative, dans la mesure où il est établi que ce " visa " n'a nullement été imposé par les représentants de l'Etat dans le département concerné, le syndicat professionnel ayant d'ailleurs admis que le tarif est d'abord " discuté " entre les entreprises puis simplement " validé par la DDE " (PV des 17 et 19 février 2010).

- Sur le caractère " maximal " des prix fixés de manière concertée

115. Les sociétés Somacom et SGM Manutention soutiennent (page 23 du mémoire commun) que la pratique reprochée ne peut avoir ni d'objet ni d'effet anticoncurrentiel dans la mesure, d'une part, où les entreprises ne font que " suggérer un niveau de prix maximal " et, d'autre part, que ces prix ne sont pas " systématiquement appliqués par les entreprises de manutention en cause ".

116. Le Conseil de la concurrence distingue la pratique de fixation de prix imposés dans le cadre d'un réseau vertical de celle de prix déterminés de manière concertée par des entreprises concurrentes. Il a en effet estimé, dans un avis n° 01-A-13 du 19 juin 2001 (demande d'avis de l'UFC sur les conditions d'une concertation entre les associations de consommateurs et la profession bancaire), après avoir rappelé que la pratique du prix maximal peut être admise dans le cadre d'une entente "verticale ", que : " rien, dans la jurisprudence ne permet de penser qu'un prix maximal concerté dans le cadre d'une entente " horizontale " serait licite ; une telle pratique limite, en effet, la liberté commerciale des offreurs dans des conditions dont il n'est pas certain que les consommateurs bénéficient. Par exemple, un prix plus élevé que le maximum imposé pourrait soit permettre d'offrir un meilleur service, soit donner à l'entreprise des ressources l'autorisant à proposer un autre produit à un prix plus bas ou de meilleure qualité ". A supposer même que le prix " de référence " fixé de manière concertée par les sociétés SAMR, SGM manutention et Somacom n'ait qu'un caractère " maximal ", ce tarif serait donc susceptible de se trouver prohibé par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

- Sur l'application effective du tarif commun par les trois opérateurs concernés

117. La société SGM Manutention a admis, au vu des factures produites, que le tarif " commerce " était systématiquement appliqué, la concurrence portant, selon elle, sur le tarif " compagnies ".

118. Ce manutentionnaire a précisé que des ristournes pouvaient cependant être accordées à certains clients " sur leur demande ". Il a en effet déclaré, au sujet des clients : " N'ayant pas connaissance du client final, c'est quand ils nous approchent directement ou indirectement que nous voyons si nous pouvons octroyer des ristournes " notamment " de magasinage " (III du tarif) tout en reconnaissant que " rapporté au CA dégagé sur les prestations commerce, ce montant [le montant des remises accordées] est effectivement marginal ". Rapporté au chiffre d'affaires concerné par le tarif " commerce ", le niveau des remises octroyées par cet opérateur était en effet inférieur à 0,3 % en 2007, 2008 et 2009.

119. La société SGM Manutention a également admis (cote 1698) que " l'émission d'avoirs reste marginale " et que ces avoirs, qui donnent lieu à l'émission de factures séparées, portent " en général " sur la prestation " magasinage ".

120. La société SAMR a versé, en annexe à ses observations, une " sélection d'avoirs commerciaux " pour les années 2005 à 2010 (excepté 2007) dont les montants en pourcentage, rapportés au chiffre d'affaires de l'entreprise, s'avèrent extrêmement limités. Ainsi, pour les années 2005, 2006 et 2008, le ratio n'excède pas 0,18 %. Pour l'exercice 2009, il s'élève à 0,0175 %. La nature de ces avoirs qui ne concernent que quelques clients est le plus souvent, soit non identifiable (avoir sur " prestations diverses "), soit se trouve rattachée à la prestation " magasinage ". Enfin le caractère différé de ces avoirs ne permet pas au chargeur de répercuter l'avantage obtenu dans le calcul de ces prix de revient de marchandises.

121. La prestation " magasinage " (partie III du tarif) est, en effet, l'élément sur lequel le manutentionnaire est susceptible de dégager le plus de valeur ajoutée, notamment concernant le stockage des conteneurs sur terre-pleins banalisés. Pour cette prestation, qui ne fait pas appel à de la main d'œuvre spécialisée, le manutentionnaire bénéficie en outre, de tarifs particulièrement avantageux de la part de la CCIR. La Chambre régionale des comptes de La Réunion avait d'ailleurs, dans un rapport de novembre 2007, appelé la CCIR à réfléchir à " des critères plus objectifs de définition de ses tarifs " (25).

122. La pratique continue de fixation d'un tarif commun fixé par les entreprises Somacom, SGM Manutention et SAMR tombe donc, pour la période postérieure au 17 novembre 1988, sous le coup de la prohibition posée par l'article L. 420-1 du Code de commerce qui interdit les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent à : " (...) ; 2°- Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse " ; (...) ".

- Sur la mise en œuvre de l'article L. 420-4 2° du Code de commerce

123. L'article L. 420-4 I du Code de commerce dispose que " ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : (...) ; 2°- Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif économique ".

124. L'Autorité a rappelé (rapport annuel 2008, page 256) que les dispositions du 2° du L. 420-4 sont " d'interprétation stricte " et que " le progrès invoqué doit constituer un progrès pour la collectivité dans son ensemble et non simplement permettre une amélioration conjoncturelle de la situation des entreprises concernées. Il doit, notamment, être établi que le progrès économique allégué est la conséquence directe des pratiques en cause et qu'il n'aurait pu être obtenu par d'autres voies. Enfin, doit également être rapportée la preuve que ce progrès est suffisamment important pour justifier les atteintes à la concurrence relevées ".

125. Il est par ailleurs de jurisprudence constante (26) que c'est aux parties qui souhaitent bénéficier d'une exemption individuelle sur le fondement du 2° du I de l'article L. 420-4 de démontrer l'existence du progrès économique allégué résultant de la pratique en cause, et le caractère indispensable de la restriction de concurrence pour obtenir ces avantages.

126. Les sociétés destinataires des griefs estiment que les conditions fixées par l'article L. 420-4 I 2° du Code de commerce sont en l'espèce réunies. Selon elles, la cessation de la fixation en commun du tarif " commerce " entraînerait inéluctablement la disparition d'entreprises, donc d'emplois, et ce, en contradiction avec les dispositions de l'article L. 420-4 I 2° qui englobe, depuis la loi du 15 mai 2001, " la création ou le maintien d'emplois " parmi les justifications permettant de déroger à l'interdiction de s'entendre sur les prix.

127. Trois types d'arguments sont avancés par les entreprises au sujet de l'application de l'article L. 420-4 I 2°. Ils concernent les investissements et la productivité, l'emploi ainsi que les aides apportées par le secteur de la manutention aux exportations à partir de La Réunion.

128. Au nombre des " effets vertueux " de la tarification commune pour la manutention, les sociétés SAMR, SGM Manutention et Somacom mentionnent en premier lieu les investissements réalisés conjointement au sujet desquels elles font valoir que la mutualisation de certaines tâches a permis d'augmenter les investissements pour une meilleure qualité de service et une meilleure productivité et d'accroître la sécurité sur le port.

129. L'Autorité estime que si cette stratégie peut avoir des effets économiques positifs, elle n'implique pas pour autant nécessairement la fixation de tarifs identiques, chaque entreprise ayant d'ailleurs une productivité différente, notamment des personnels de manutention, comme l'atteste l'étude versée au dossier par les parties en annexe à leurs observations (page 21, " productivité des portiques par manutentionnaire "). Cette circonstance conduirait dans un environnement concurrentiel à une différenciation des prix.

130. En deuxième lieu, comme elle l'a déjà évoqué (27), l'Autorité de la concurrence, pleinement consciente de l'impact que des conflits sociaux font courir sur l'économie insulaire, ne peut cependant prendre à son compte la thèse avancée par les parties selon laquelle le maintien d'un " niveau de salaires (...) particulièrement élevé " d'une catégorie de personnels, afin de " pérenniser la paix sociale ", est compatible avec l'objectif de maintien de l'emploi tel qu'introduit par le législateur dans l'article L. 420-4 I 2° au nombre des exemples des manifestations du progrès économique. L'une des parties admet d'ailleurs dans ses écritures que les entreprises en cause ont des " effectifs excédentaires, bénéficiant de salaires élevés " apportant notamment un " progrès aux salariés concernés ".

131. En troisième lieu, et en réponse à l'argument avancé par les parties au sujet de l'aide apportée aux exportations, l'Autorité estime qu'il n'appartient pas aux entreprises de manutention de La Réunion de se substituer aux pouvoirs publics en abaissant artificiellement les prix de la manutention à l'export ou en faisant supporter par les importateurs, " qui en sont pleinement conscients ", le coût de rechargement des conteneurs vides, et ce, dans le but de renforcer le " tissu économique de l'île qui souffre d'un déficit d'exportations ". Dans son avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009, relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, l'Autorité avait d'ailleurs recommandé, au sujet des aides publiques, qu'il soit procédé à la mise en place d'un mécanisme d'évaluation des différentes aides allouées aux industriels locaux au regard de la compétitivité desdites entreprises.

132. En conséquence, les parties n'apportent pas la preuve d'une part, que la pratique de fixation en commun des tarifs apporte à la collectivité dans son ensemble un progrès économique susceptible de compenser les atteintes à la concurrence qu'elle induit, d'autre part que la restriction de concurrence induite par les pratiques est en tout état de cause, indispensable pour réaliser un tel objectif.

- Sur la mise en place dans le futur d'une éventuelle réglementation des prix dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion

133. Les entreprises destinataires des griefs et le SEMPR font valoir que la disparition du " modèle " économique mis en place à La Réunion dans la manutention conduirait inévitablement à une hausse générale des prix de la manutention, du fait de la constitution d'un monopole et, indirectement, la cause d'une baisse des exportations à La Réunion en raison du rééquilibrage des tarifs de manutention à l'export, actuellement fixé à un niveau artificiellement bas. Par voie de conséquence, ces hausses seraient la source inéluctable de difficultés pour l'activité industrielle de l'île.

134. Selon le président du SEMPR (PV en cotes 612 à 614), " l'équilibre actuel (...) doit absolument être maintenu " étant un " gage de progrès économique évident pour le port de La Réunion, et, plus largement, pour l'économie réunionnaise ". Pour ce responsable, il est " nécessaire de maintenir un tarif public qui serve de socle à l'ensemble du système ".

135. En ce qui concerne le scénario évoqué par les entreprises de manutention parties au dossier d'un risque d'intégration par les compagnies maritimes, l'Autorité observe que le marché de la manutention à La Réunion n'est caractérisé par l'existence d'" aucune barrière à l'entrée " (page 7 du mémoire Somacom), ce qui laisse place à l'entrée d'autres concurrents potentiels, ainsi que tend à le démontrer la présence, même à titre secondaire, de la COR sur le marché de la manutention des conteneurs.

136. En outre, le droit des concentrations applicables dans les départements et régions d'outre-mer trouverait à s'appliquer, en cas de fusion des trois entreprises de manutention membres de l'entente et/ou de leur acquisition par une compagnie maritime, compte tenu des seuils applicables sur ces marchés (28) et de l'appartenance de la société SAMR à un groupe de dimension mondiale.

137. Il n'est enfin nullement établi, contrairement à ce que déclarent les sociétés SGM Manutention et Somacom, que la constitution d'un monopole a " naturellement pour effet d'augmenter les risques d'abus, notamment en termes de fixation de prix ", le droit de la concurrence sanctionnant les abus de position dominante, y compris en cas de prix abusivement élevés ou abusivement bas (29).

138. Les sociétés Somacom et SGM Manutention se déclarent favorables (page 37 des mémoires) à la " mise en place par voie législative ou réglementaire d'un nouveau dispositif de contrôle ", compte tenu des " risques " que ferait peser, selon elles, une libéralisation des prix de la manutention et de l'emploi. Ces sociétés appellent, en conséquence, le retour à un dispositif " de contrôle et de validation par la DDE " ou la mise en place d'un régime analogue à celui en vigueur dans le secteur du pilotage/remorquage, tel que résultant des dispositions du décret du 19 mai 1969, modifié.

139. L'Autorité rappelle que, conformément à l'article L. 410-2 du Code de commerce, les prix peuvent être réglementés dans les secteurs ou les zones dans lesquels la concurrence est limitée en raison, soit de monopoles ou de " difficultés durables d'approvisionnement ", soit de dispositions législatives ou réglementaires et qu'elle doit être consultée préalablement à la mise en place d'une telle réglementation. A ce jour, l'Autorité n'a pas été saisie par le Gouvernement d'un éventuel projet.

140. Consciente des difficultés engendrées par le cadre réglementaire actuel, elle attire l'attention du Gouvernement, sur l'urgence qui s'attache à une clarification des dispositions réglementaires toujours en vigueur, afin de renforcer la sécurité juridique des entreprises. Le représentant du ministre de l'Écologie, du développement durable des transports et du logement a d'ailleurs implicitement admis l'ambiguïté d'un système sans rapport avec les coûts en déclarant en séance que le régime actuellement applicable est " moins formalisé qu'un prix administré " et qu'il avait demandé à ses services locaux de suspendre la validation des prix, dès la découverte de celui-ci par l'administration centrale à l'occasion de l'instruction du présent dossier.

141. L'Autorité constate, par ailleurs, que certains importateurs déplorent de ne pas être en mesure de pouvoir négocier les prix de la manutention, ce qui pose, au-delà même de la question de la tarification commune, la question de la pertinence du maintien du modèle appliqué à La Réunion.

142. Si le prix n'est, en effet, pas le seul critère permettant de faire jouer la concurrence par les demandeurs, il n'en constitue pas moins un élément important du choix, en particulier lorsque ce prix est en grande partie lié à la productivité et à la qualité du service des prestataires comme cela devrait être le cas dans la manutention de conteneurs où le coût de la prestation résulte en partie de la durée de mobilisation des espaces et des portiques loués à la CCIR.

143. Le système en vigueur actuellement à La Réunion conduit à une absence totale de mise en concurrence des manutentionnaires, que ce soit par les chargeurs ou par leurs agents. Le choix de l'armateur emporte celui du manutentionnaire qui lui est lié, mais les tarifs de la manutention sont facturés directement au chargeur sans apparaître aux yeux du transitaire ou du chargeur comme un élément de coût sur lequel pourrait s'exercer un choix.

144. Il n'appartient pas à l'Autorité, dans le cadre du présent dossier, de recommander au Gouvernement de choisir entre un modèle ou un autre mais il lui semble, compte tenu des situations disparates existant entre les ports métropolitains et d'Outre-mer, qu'une réflexion pourrait être utilement menée, par exemple à partir des rapports transmis par le Gouvernement au Parlement sur les " gains de productivité tarifaires " de la manutention portuaire dans les différents ports, sur le régime à retenir, dans le cadre de la future mise en place de la réforme portuaire dans les départements et régions d'outre-mer, au regard de la spécificité reconnue à ces territoires par le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne.

2.- LE TARIF " COMPAGNIES MARITIMES " FIXÉ PAR LES SEMPR

145. Le tarif " compagnie " est fixé depuis 1994 par le syndicat de la manutention de la Réunion. Le président de cette organisation a déclaré (PV du 17 février 2010-cotes 612 à 614) : " Le tarif " compagnie " est édité par le SEMPR. A la différence du tarif " commerce ", qui est un tarif public, dont les prix étaient encadrés jusqu'en 2001, le tarif " compagnie " est un tarif confidentiel destiné uniquement aux compagnies de navigation qui desservent La Réunion. Ce tarif sert de référence dans les âpres négociations qui précèdent la signature des contrats avec leurs sous-traitants de manutention au port ".

146. Les éléments versés au dossier attestent toutefois que le tarif syndical " compagnie " n'est, à la différence du tarif " commerce ", pas appliqué par les manutentionnaires membres de cette organisation, laissant ainsi place au jeu de la concurrence vis-à-vis des compagnies maritimes.

147. Ce tarif, qui comme il a été rappelé au § 91, couvre les prestations autres que les services de manutention, peut être analysé comme un tarif de référence. Il n'a pas été mis en œuvre (30). Toutefois son objet peut être analysé au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Le SEMPR ne peut en effet utilement tirer argument de la décision n° 93-D-13 du 18 mai 1993 (31), dans laquelle le Conseil de la concurrence avait considéré que la fixation de prix maxima n'avait pas pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre entreprises de manutention, dès lors que les prix maxima en cause étaient fixés, non pas par les manutentionnaires mais par l'organisateur du salon.

148. Comme rappelé ci-dessus, la fixation de tarifs de manière concertée par des concurrents, même s'il s'agit de tarifs maxima, ne peut être admise en droit de la concurrence, dès lors qu'ils sont susceptibles d'avoir un effet sur le marché. Dans ces conditions, le SEMPR, en fixant les prix des prestations couvertes par le tarif " compagnies ", a enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce.

149. Le SEMPR a déclaré, dans son mémoire en réponse (IV-Engagements): " bien qu'il estime n'avoir enfreint aucune règle de concurrence en éditant un tarif maximal indicatif des prestations " compagnie ", le SEMPR est naturellement disposé, si l'Autorité de la concurrence le sollicite en ce sens, à ne plus éditer de barèmes à l'avenir ".

150. Toutefois, s'il peut être donné acte de cette déclaration, l'Autorité de la concurrence rappelle que la simple promesse de respecter la loi pour l'avenir n'a pas de valeur d'engagement au sens de la procédure prévue par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et décrite notamment, par le communiqué de procédure du 2 mars 2009. En tout état de cause, les engagements pris par les entreprises doivent faire l'objet d'une procédure formelle et n'ont pas généralement vocation à s'appliquer à des cas d'entente sur les prix (point 11 du communiqué).

C - SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

151. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit (I) que l'Autorité de la concurrence peut " ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières (...). Elle peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'il a acceptés. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

152. Le montant maximum de la sanction pour une entreprise est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise ont été consolidés ou combinés, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro.

153. Par ailleurs, l'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 (32), prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 ci-dessus rappelées. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs de la pratique.

1 - SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES

154. Les ententes horizontales affectant la totalité d'un marché oligopolistique peu ouvert à la concurrence appartiennent généralement aux pratiques qualifiées de graves par les autorités de concurrence.

a) Sur l'étendue de la pratique

155. La première pratique, visée par le premier grief, a été commise sans discontinuer à partir de 1987, soit pendant vingt-trois ans. C'est la quasi totalité des activités de manutention à Port Réunion qui a été concernée. Le tarif " compagnies " est édité par le syndicat depuis 1994.

b) Sur l'existence de circonstances atténuantes

156. Comme il a été noté, le régime juridique s'appliquant à la manutention portuaire à la réunion est particulièrement flou. Les autorités publiques elles-mêmes, interrogées en séance, n'ont pas été capables d'identifier le régime de prix applicable. Durant l'instruction de la présente affaire, elles ont déclaré avoir suspendu l'application du tarif commerce. L'ambiguïté de l'Administration a créé un contexte propice à la poursuite, au delà de l'ordonnance de 1986 et des décrets aménageant les régimes transitoires vers la libéralisation complète des prix, de pratiques de prix administrés.

2 - SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

157. Il doit être tenu compte, au cas d'espèce, de la dimension limitée du marché concerné par les pratiques, à savoir celui de la manutention de conteneurs à La Réunion, de la taille modeste (33) des entreprises, à l'exception de la société SAMR qui appartient au groupe Bolloré, d'envergure internationale, mais également de la part de marché affectée et de la durée des pratiques. Il sera également relevé que Port Réunion se situe au 4ème rang des ports français pour ce qui concerne les conteneurs (cote 1176).

158. Même si le coût de la manutention des conteneurs peut n'avoir qu'une incidence relativement limitée sur le prix de vente aux consommateurs des produits de grande consommation, celle-ci pouvant être estimée à moins de 1 à 2 % du prix final en rayons, la pratique en cause n'est cependant pas neutre, en particulier pour des produits de première nécessité pour lesquels la manutention s'ajoute à une série de frais d'approche liés à l'éloignement et à l'insularité.

3 - SUR LES SANCTIONS

159. La société SAMR a participé à l'entente continue notifiée, de 1987 à 2009. Le chiffre d'affaires hors taxes consolidé le plus élevé de la société Bolloré, société consolidante de la société SAMR, s'est élevé à 7 325 578 Keuro euro au cours de l'exercice 2008 et le résultat net consolidé du groupe à 50 millions d'euro. Au cours du dernier exercice clos connu, le chiffre d'affaires de la SAMR s'est élevé à 15,54 millions d'euro et la perte à 1 million d'euro. Le chiffre d'affaires réalisé dans la commercialisation des prestations " commerce " s'est élevé à 12,953 millions d'euro. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure simplifiée, le plafond de la sanction applicable s'élève donc à 750 000 euro pour cette entreprise.

160. Compte tenu de ce qui précède, de la taille modeste du marché concerné, de l'existence de circonstances fortement atténuantes, il sera infligé, dans les circonstances très particulières de l'affaire, une sanction de principe de vingt-cinq mille euro à la société SAMR.

161. La société SGM Manutention a participé à l'entente continue notifiée, de 1987 à 2009. Le chiffre d'affaires hors taxes le plus élevé de cette société s'est élevé à 14,854 millions d'euro au cours de l'exercice 2003. Au cours du dernier exercice clos connu, le chiffre d'affaires de SGM Manutention s'est élevé à 10,783 millions d'euro et la perte nette à 66 709 euro. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure simplifiée, le plafond de la sanction applicable s'élève donc à 750 000 euro pour cette entreprise.

162. La société SGM Manutention a participé au même titre que les sociétés Somacom et SGM Manutention à la mise en œuvre de l'entente concernée par le premier grief (tarif " commerce ").

163. Compte tenu de ce qui précède, de la taille modeste du marché concerné, de l'existence de circonstances fortement atténuantes, il sera infligé, dans les circonstances très particulières de l'affaire, une sanction de principe de vingt mille euro à la société SGM Manutention.

164. La société Somacom a participé à l'entente continue notifiée, de 1987 à 2009. Le chiffre d'affaires hors taxes consolidé le plus élevé de cette société s'est élevé à 18,09 millions d'euro au cours de l'exercice 2009, dernier exercice connu, et le bénéfice net à 677 574 euro. Le chiffre d'affaires réalisé dans la commercialisation des prestations " commerce " s'est élevé à 14,068 millions d'euro au cours de ce même exercice. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure simplifiée, le plafond de la sanction applicable s'élève donc à 750 000 euro pour cette entreprise.

165. La société Somacom a participé au même titre que les sociétés Somacom et SGM Manutention à la mise en œuvre de l'entente concernée par le premier grief (tarif " commerce ").

166. Compte tenu de ce qui précède, de la taille modeste du marché concerné, de l'existence de circonstances fortement atténuantes, il sera infligé, dans les circonstances très particulières de l'affaire, une sanction de principe de vingt-cinq mille euro à la société Somacom.

167. Les ressources les plus élevées du SEMPR, organisation concernée par le deuxième grief (tarif " compagnies "), se sont élevées à 19 978 euro en 2008.

168. Il ne sera pas prononcé de sanction pécuniaire à l'égard du SEMPR, auquel il est enjoint de cesser d'établir et de diffuser un tarif concerté de manutention à destination des compagnies maritimes desservant La Réunion.

Décision

Article 1er : Il est établi que les sociétés SAMR, SGM Manutention et Somacom ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que le SEMPR a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à partir de 1994.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la Société d'Acconage et de Manutention de La Réunion (SAMR), une sanction de 25 000 euro ;

- à la société SGM Manutention, une sanction de 20 000 euro ;

- à la Société de Manutention et de Consignation Maritime (Somacom), une sanction de 25 000 euro.

Article 4 : Il est enjoint à SEMPR de cesser, dès la notification de la présente décision, d'établir et de diffuser un tarif de manutention portuaire à destination des compagnies maritimes desservant La Réunion.

Notes :

1 EVP = équivalent vingt pieds, unité de mesure des conteneurs.

2 Ro-Ro= transport de véhicules sur remorques.

3 Il existe des conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds.

4 Opération dénommée " receiving/delivery " en langue anglaise.

5 Opération dénommée " Lift on/lift off ".

6 THC.

7 Ernst & Young, page 33.

8 Siège administratif : 31-32, quai de Dion Bouton 92811 Puteaux.

9 Rapport de gestion annuel 2007 Somacom.

10 Ordonnances 45-1483 et 45-1484.

11 Avis n° 88-A-04 du 16 mars 1988.

12 Un arrêté interministériel du 7 février 2008, pris en application de l'article L. 753-4 du Code de la sécurité sociale prévoit l'application de coefficients de majoration aux prix des médicaments remboursables dans les DOM. Se prononçant sur la validité de l'arrêté préfectoral n° 3896 du 30 novembre 1988, le Conseil d'Etat avait estimé (décision du 6 octobre 1995) que le préfet de La Réunion ne disposait d'aucune délégation de compétence pour fixer le prix des spécialités pharmaceutiques remboursables.

13 Concernant les taxis, le décret n° 87-238 du 6 avril 1987, modifié par le décret n° 2005-313 du 1er avril 2005, prévoit que les préfets, commissaires de la République, fixent les prix maxima dans chaque département, y compris dans les départements d'outre-mer. A La Réunion, les prix ont été fixés, en dernier lieu, par l'arrêté préfectoral n° 136 du 22 janvier 2010.

14 Concernant les prix des transports publics urbains de voyageurs hors région Île-de-France, le décret n° 87-538 du 16 juillet 1987, pris après avis du Conseil de la concurrence, prévoyait que les prix étaient fixés par les préfets. Ce décret a été abrogé par le décret 2005-917 du 29 juillet 2005. De la même manière, il a été mis fin au régime de prix des cantines scolaires et de la pension et de la demi-pension pour les élèves de l'enseignement public, instauré par le décret n° 87-654 du 11 août 1987, lequel prévoyait la fixation de hausses maximales par les préfets.

15 Loi du 8 août 1994.

16 ADIR : Association pour le Développement Industriel de La Réunion, qui regroupe nombre d'industriels et de prestataires de services présents à La Réunion.

17 des factures concernant les transitaires SNT, Holdtrans, Société Nouvelle Legarnisson, Soretrans et SARL Youfa figurent au dossier.

18 Holdtrans, Soretrans, SNT.

19 Cf. notamment lettre en date du 10 mai 2006, aux conseils de la société Moller Maersk, relative à une concentration dans le secteur de la manutention de conteneurs).

20 Cf. décision du 5 juin 2008, aff. COMP/M.5066, Eurogate/APMM, paragraphe 13.

21 Port Réunion - Trafics 2008 - cotes 1165 et 1166.

22 Rapport annuel 2006, page 91, Études thématiques.

23 CJCE, 20 mars 1985, Italie/Commission, 41-83, points 18 à 20 ; 19 mars 1991, France/Commission, C-202-88, point 55.

24 TPICE, 30 mars 2000, CNSD c/Commission.

25 Rapport disponible sur www.ccomptes.fr.

26 Cf. par exemple décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à la manutention de conteneurs au port du Havre.

27 Avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009.

28 Article L. 430-2 du Code de commerce : seuil supérieur à 75 millions d'euro (chiffre d'affaires mondial des entreprises parties à l'accord) et supérieur à 15 millions d'euro (par au moins deux entreprises dans un département).

29 Cf. voir notamment en ce sens, CJCE, General Motors, 13 novembre 1975 et CJCE, British Leyland, 11 novembre 1986.

30 Le tarif syndical est présenté comme un " tarif de référence ".

31 Décision relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention des matériels exposés dans les salons de biens d'équipement professionnel.

32 L'article L. 463-3 du Code de commerce prévoit que le Rapporteur général de l'Autorité peut, après la notification de griefs aux parties, décider que l'affaire sera examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport. Cette décision est alors notifiée aux parties.

33 Chiffres d'affaires annuels de l'ordre de 13 à 20 millions d'euro (Cf. supra I-2).