CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 20 janvier 2011, n° 2010-08165
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Perrigault (SA), Terminal Porte Océane (SA)
Défendeur :
AP Moller-Maersk A/S (Sté), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Autorité de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fossier
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Beaudonnet
Avoués :
Mes Teytaud, Huyghe, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Mes Delplanque, Mazot, de la Laurencie, Calla, de Montalembert, Ancelin
Par lettre enregistrée le 4 janvier 2008, sous les numéros 08/0003 F et 08/0004 M, la société AP Moller-Maersk A/S (ci-après " APMM "), a saisi le Conseil de la concurrence, ci-après le Conseil, devenu l'Autorité de la concurrence, de pratiques mises en œuvre par le groupe Perrigault et la société Terminal Porte Océane, ci-après la société TPO, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires.
Elle dénonçait:
- la mise en œuvre anticoncurrentielle d'une clause de non-concurrence prévue par un accord les liant,
- l'interdiction opposée par la société Perrigault et à laquelle TPO s'est conformée, d'approcher les clients des autre terminaux du Port du Havre;
- la mise en œuvre imposée d'une politique extensive de sous-traitance entre Perrigault et TPO empêchant celle-ci de contracter directement avec de nouveaux clients en lui substituant TN qui sous-traite ensuite les prestations de manutention à TPO;
- l'utilisation de TPO par Perrigault pour contrôler la politique commerciale de TPO et protéger ses propres activités ainsi que celles des autres terminaux du Port du Havre.
Le 25 février 2008, le Conseil s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre. Cette saisine a été enregistrée sous le numéro 08/0023 F.
Par décision du 25 février 2008, le rapporteur général du Conseil a procédé à la jonction des affaires 08/0003 F, 08/0004 M et 08/00023 F, en application des dispositions de l'article R. 463-3 du Code de commerce.
Le 13 mars 2008, des opérations de visites et de saisies ont été diligentées par la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes dans les locaux de plusieurs opérateurs de manutention portuaire situés au port du Havre.
Par décision n° 08-D-19, en date du 31 juillet 2008 (ci-après la "décision de mesures conservatoires"), le Conseil a rejeté la demande de mesures conservatoires d'APMM, mais a considéré que les pratiques dénoncées étaient susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles et que l'instruction au fond de la saisine devait donc être poursuivie.
Cette affaire s'inscrit dans le cadre du projet "Port 2000" lancé par les autorités françaises et par l'établissement exploitant le port du Havre qui sont partis du constat que, s'agissant du trafic en conteneurs, les ports français qui subissaient la concurrence des grands ports européens de " l'arc Nord " qui détenaient des parts de marché beaucoup plus importantes, ne pouvaient valablement rivaliser avec eux.
Ce projet vise ainsi à créer douze nouveaux postes à quai au port du Havre sur un bassin pouvant accueillir les plus grands conteneurs actuellement en service en triplant l'activité du Port du Havre qui devait passer de 2 millions d'EVP (Equivalent Vingt Pieds) à 6 millions d'EVP.
Port 2000 fait l'objet d'une construction progressive. La première phase, achevée en 2007, a consisté en la construction et la mise en exploitation de quatre postes à quai, numérotés de 1 à 4. La deuxième phase, dont l'achèvement était prévu pour la mi-2010, consiste en la construction de six postes supplémentaires, numérotés de 5 à 10. Enfin, la troisième phase, prévue à l'horizon 2010/2013, prévoit la construction de deux derniers postes, numérotés 11 et 12.
Avant le lancement du projet Port 2000, le port du Havre comptait cinq opérateurs de manutention:
- Terminaux de Normandie (ci-après "TN"), filiale du groupe Perrigault ;
- Terminal Normandie MSC (ci -après "TN MSC"), une entreprise commune détenue par Perrigault et la société Terminal Investment Ltd, dédiée aux besoins de l'armateur MSC;
- Générale de Manutention Portuaire (ci-après "GMP"), une entreprise commune détenue par CMACGM et DP World ;
- la Compagnie Nouvelle de Manutention Portuaire (ci-après "CNMP") ;
- et Alpha Terminal.
L'attribution des autorisations d'occupation des postes à quai de Port 2000 s'est échelonnée sur plusieurs années. Ces autorisations s'opèrent par le biais de convention d'exploitation de terminal (ci-après "CET"), dont la notion est précisée aux articles R. 115-7 et R. 115-14 du Code des ports maritimes, issus des dispositions du décret n° 99-782 du 9 septembre 1999.
Dans le cadre du projet Port 2000, le Port Autonome du Havre (PAH) a publié un appel à candidatures le 30 octobre 2001 pour l'octroi de CET portant sur six postes à quai, divisés en trois lots de deux postes chacun. Le PAH a attribué deux CET par voie de consultation et une troisième par le biais d'une négociation de gré à gré.
Les CET présentent quatre caractéristiques : le transfert de l'ensemble du personnel de manutention sous l'autorité hiérarchique du manutentionnaire; la définition de seuils de trafic contractuel dont le non-respect est susceptible d'entraîner la résiliation des CET; la mise à disposition du domaine public portuaire pour une durée de 36 ans et des obligations d'investissement pour les manutentionnaires.
Jusqu'en 2008, la sélection des attributaires de CET n'était pas soumise à une procédure obligatoire d'appels d'offres. Le cadre juridique a cependant été modifié par un décret du 9 octobre 2008, pris en application de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire. L'article R. 150-2 du Code des ports maritimes prévoit ainsi désormais que " les conventions de terminal sont conclues à l'issue d'une procédure ouverte, transparente et non discriminatoire ".
Au mois de juillet 2006, seuls quatre postes à quai avaient été construits. Ces postes, numérotés de 1 à 4 et situés sur la partie Est de Port 2000 étaient exploités par TPO et GMP. A ce stade, trois problématiques étaient alors en suspens pour le développement de Port 2000.
Tout d'abord, l'établissement portuaire devait obtenir l'accord des autorités de tutelle pour poursuivre les constructions. Ensuite, l'établissement portuaire souhaitait compenser la perte par GMP d'une partie du quai n° 5 en raison de l'aménagement d'un quai fluvial sur 200 des 350 mètres de ce poste, initialement inclus dans la CET de l'opérateur. Pour ce faire, il était envisagé d'attribuer à GMP le poste n° 2, alors exploité par TPO. Un tel transfert nécessitait que TP effectue un "ripage" vers l'Ouest, c'est-à-dire se décale afin de libérer le poste n° 2. Dans la mesure où tous les postes à quai ne présentent pas les mêmes caractéristiques, le "ripage" de TPO impliquait que l'établissement portuaire et les opérateurs en déterminent les conditions contractuelles. Enfin, restait encore à déterminer l'attribution des CET pour l'exploitation des postes à quai n° 8, 9, 10, 11 et 12.
Le groupe danois APM Moller-Maersk (la société APMM) opère dans de nombreux secteurs, parmi lesquels le transport maritime de conteneurs, la manutention portuaire, l'exploitation de bateaux-citernes, l'exploration et la production gazière et pétrolière, la construction navale et le commerce de détail. La société-mère du groupe, la société AP Moller-Maersk A/S, est le premier armateur mondial.
L'activité de transport maritime de conteneurs de ce groupe est opérée notamment par ses filiales Maersk Line, Safmarine Container Lines NV et Maersk France SA. Quant à l'activité de manutention portuaire, celle-ci est principalement affectée à la filiale APM Terminals (ci-après "APMT"). Les sociétés Maersk Line, Safmarine Container Lines NV, APMT et Maersk France SA sont des filiales contrôlées à 100 % par AP Moller-Maersk A/S.
Le chiffre d'affaires mondial consolidé du groupe s'est élevé en 2007 à 37,4 milliards d'euro et en 2008 à 41,6 milliards d'euro. Les activités mondiales du groupe dans le secteur de la manutention portuaire représentent une part inférieure à 10 % de son chiffre d'affaires total.
Le groupe Perrigault est spécialisé dans l'activité de manutention portuaire. Les activités du groupe sont organisées autour de deux pôles. Le premier pôle concerne les activités de manutention proprement dites, qui sont gérées par la société-mère du groupe, Perrigault SA (ci-après "Perrigault"). Perrigault contrôle ainsi TN, la société de manutention du groupe, et détient 50 % du capital des sociétés TN MSC et TPO par le biais de deux filiales détenues à 100 %, respectivement Perrigault Participations SAS et Perrigault Estuaire SAS.
Le second pôle regroupe les sociétés d'investissement du groupe, sous le contrôle de la société Normandie Matériel et Manutention SA (ci-après "NMM"). NMM détient 50 % du capital de la Société d'Equipement du Terminal de l'Océan SA (ci-après "SETO") et de la Société d'Equipement du Terminal de la Porte Océane SA (ci-après "SETPO") par le biais de deux filiales détenues à 100 %, respectivement NMM Participations SAS et Matériel Estuaire SAS. SETO et SETPO sont deux sociétés communes d'investissement soutenant, pour la première, l'activité de TN MSC et, pour la seconde, celle de TPO.
En 2007, le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'est élevé à 145 millions d'euro, dont 117,9 millions d'euro au titre de l'activité de Perrigault et 27,1 millions d'euro au titre de l'activité de NMM. En 2008, ces chiffres d'affaires se sont élevés à 152,1 millions d'euro pour le groupe Perrigault, dont 126,2 millions d'euro pour Perrigault et 25,9 millions d'euro pour NMM.
Dans le cadre du projet Port 2000, le groupe Perrigault et le groupe APMM se sont associés pour répondre à l'appel d'offres lancé par les autorités portuaires en vue de l'octroi de conventions d'exploitation de terminaux de manutention portuaire. C'est dans ces conditions qu'à la suite de la publication le 30 octobre 2001 d'un appel à candidatures lancé par le PAH pour l'attribution des terminaux à conteneurs de Port 2000, les propositions émanant de partenariats entre des armateurs et des opérateurs locaux de manutention ont été retenues, à savoir les offres de Perrigault/APMM et de GMP/CMACGM. Les autres propositions, notamment celle de Perrigault présentée en son nom propre, ont été écartées.
A la suite de l'admission de leur offre conjointe, APMM et Perrigault ont signé le 16 novembre 2002 avec le PAH un protocole d'intention relatif à une convention d'exploitation pour la création, la gestion et l'exploitation d'un nouveau terminal à conteneurs dans le port du Havre portant, dans un premier temps, sur deux des 12 postes à quai prévus dans le cadre du projet Port 2000.
Par lettre en date du 5 mai 2004, APMM s'est engagée à garantir au terminal TPO un apport minimum de 235 000 EVP1 sur la base du trafic de Maersk Sealand, Safmarine et VSA. Cette garantie de volume de trafic était portée à 265 000 EVP en cas de mise à disposition de TPO d'un troisième poste à quai.
C'est alors que, le 18 mai 2004, APMM et Perrigault ont signé un Memorandum of Agreement (ci-après le " MOA ") formalisant leur coopération pour l'exploitation du terminal TPO qui prévoyait la constitution de trois sociétés formant une " entreprise commune ", la société Terminal Porte Océane (" TPO "), en charge de l'exploitation et la gestion du terminal, la société d'Equipement du Terminal Porte Océane (" STPO") en charge des investissements et une entreprise de prestation de services, la société Docker Porte Océane ("DPO").
Cet accord comportait une clause dite de "non-concurrence" destinée notamment à protéger Perrigault de la concurrence que TPO pourrait lui faire s'agissant des clients ayant été "opérés" par Perrigault au cours des 12 derniers mois. Cet accord vise également, au titre des garanties de volume, l'engagement pris par APMM dans sa lettre du 5 mai 2004.
La création de l'entreprise commune TPO a été notifiée, au titre du contrôle des concentrations, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie le 7 avril 2006. Dans la notification, il est précisé que l'entreprise commune exercera ses activités de manière autonome et indépendante et ne sera pas exclusivement dédiée aux besoins d'APMM. Les parties ont en effet prévu " la possibilité d'offrir leurs services à des compagnies maritimes tierces ", et ont souligné que les avantages économiques attendus de la création de TPO incluent l'offre d'"un meilleur service pour les clients du port, c'est-à-dire les chargeurs et armateurs". La création de l'entreprise commune TPO a été autorisée par lettre du ministre en date du 10 mai 2006.
Le 13 novembre 2006, Maersk Line a fait état à TPO d'" estimations non contraignantes de volume" pour la période comprise entre 2008 à 2010, inférieures aux objectifs annoncés durant les années antérieures, mais supérieures au volume garanti dans la lettre du 5 mai 2004. Le 20 février 2007, APMM, Perrigault et TPO ont signé un accord définissant la politique commerciale de TPO. Cet accord prévoit que " le terminal à conteneurs de TPO fonctionnera comme un terminal multi-utilisateurs. [...] [c'est] un opérateur de terminal indépendant, et il exécutera sa propre politique, " les signataires s'engageant à ce que TPO soit perçu en tant que tel, c'est-à-dire " comme une option au même titre que les autres terminaux du Havre dans les yeux de ceux qui cherchent des capacités alternatives au Havre".
L'activité de TPO a démarré au dernier trimestre de l'année 2007.
Au vu de l'ensemble des éléments recueillis au cours de l'instruction, un premier grief d'entente de partage de clientèle a été notifié le 15 juin 2009 à la société Perrigault et à la société TPO sur le fondement des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu l'article 101 du TFUE :
" En ce qui concerne l'entente de partage de clientèle :
1- il est fait grief à la société Terminal Porte Océane d'avoir participé à une entente sur le marché de la manutention portuaire de conteneurs consistant en un partage de clientèle au port du Havre. Cette entente, qui a eu pour objet et pour effet d'interdire à Terminal Porte Océane de concurrencer les autres terminaux du port du Havre, constitue une restriction au libre jeu de la concurrence et est prohibée par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE. Cette entente a été mise en œuvre au moins depuis 2006, n'a pas pris fin à ce jour, et est retenue à l'encontre de Terminal Porte Océane pour cette période;
2- il est fait grief à la société Perrigault d'avoir participé à une entente sur le marché de la manutention portuaire de conteneurs consistant en un partage de clientèle au port du Havre. Cette entente, qui a eu pour objet et pour effet d'interdire à Terminal Porte Océane de concurrencer les autres terminaux du port du Havre, constitue une restriction au libre jeu de la concurrence et est prohibée par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE. Cette entente a été mise en œuvre au moins depuis 2006, n'a pas pris fin à ce jour, et est retenue à l'encontre de Perrigault pour cette période " ;
En ce qui concerne le second grief d'entente de partage de capacité, dont la cour n'est toutefois pas saisie, il suffit de rappeler qu'il était fait grief à la société Perrigault et à la société Terminal Porte Océane ainsi qu'à la société Terminal Normandie MSC et à la société Générale de Manutention Portuaire, d'avoir participé à une entente sur le marché de la manutention portuaire de conteneurs consistant en un partage entre concurrents de la capacité de la zone de Port 2000 au port du Havre, cette entente ayant eu pour objet et pour effet de répartir les postes à quai disponibles de Port 2000 entre les terminaux exploités par Terminal Normandie MSC, Générale de Manutention Portuaire et Terminal Porte Océane en substituant au libre jeu de la concurrence une collusion généralisée entre les opérateurs concernés,
Par une décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010, l'Autorité de la concurrence a statué comme suit:
"Article 1er : Pour mémoire
Article 2 : Il est établi que les sociétés Terminal Porte Océane et Perrigault SA ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE, au titre du grief d'entente de partage de clientèle.
Article 3 : Il est établi que les sociétés Terminal Porte Océane, Terminal Normandie MSC et Générale de Manutention Portuaire ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE, au titre du grief d'entente de partage de capacité. Il n y a pas lieu de retenir ce grief à l'encontre des sociétés AP Moller-Moersk A/S, CMACGM et Perrigault SA.
Article 5 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes : à la société Terminal Porte Océane, une sanction de 105 000 euro pour le premier grief et de 30 000 euro pour le second grief; à la société Perrigault SA, une sanction de 370 000 euro; (...)
Article 6 : Il est enjoint aux sociétés Perrigault et TPO de cesser de mettre en œuvre, dès le prononcé de la présente décision, les pratiques condamnées au titre de l'article 2. Les deux sociétés devront appliquer la clause de non-concurrence qu'elles ont signé le 18 mai 2004 de telle manière qu'elle permette à TPO de faire des offres à des lignes qui ne font pas escale sur des terminaux de TN, qu'il s'agisse de clients d'autres opérateurs de manutention du Havre ou de lignes qui, nouvellement créées ou n'ayant pas fait escale au port du Havre au cours des douze derniers mois, ne disposent pas de relations commerciales établies avec un opérateur de manutention au Havre.
Article 7 : Les sociétés mentionnées à l'article 5 feront publier le texte figurant au paragraphe 496 de la présente décision, en respectant la mise enforme, dans les éditions des journaux " Paris-Normandie " et " l'Antenne ". Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les sociétés concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 1er juin 2010. "
LA COUR :
Vu le recours formé par la société Perrigault le 14 mai 2010 et par la société TPO le 27 mai 2010 ;
Vu la déclaration d'intervention volontaire de la société AP Moller Maersk A/S, ci-après APMM, déposée le 17 juin 2010 ;
Vu le mémoire déposé le 18 juin 2010 par la société Perrigault à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 28 octobre 2010 ;
Vu le mémoire déposé le 28 juin 2010 par la société TPO à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 2 novembre 2010 ;
Vu le mémoire en intervention volontaire de la société APMM, déposé le 13 septembre 2010 ;
Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence en date du 11 octobre 2010;
Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie en date du 11 octobre 2010;
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;
Après avoir entendu à l'audience publique du 4 novembre 2010, les conseils des requérantes qui ont été mis en mesure de répliquer ainsi que la représentante du ministre chargé de l'Economie, la représentante de l'Autorité de la concurrence et le Ministère public;
Sur ce :
Sur la nullité du recours formé par TPO
Considérant que ce recours est exercé en vertu de la déclaration de recours déposée au greffe le 27 mai 2010 " au nom de la société TPO représentée par son président, Monsieur Christian de Tinguy " ;
Que l'article 20 des statuts de la société TPO, intitulé "direction générale", stipule que "le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il exerce ces pouvoirs dans la limite de l'objet social, sous réserve des pouvoirs expressément attribués par la loi aux assemblées générales et au conseil d'administration et des opérations suivantes qui devront faire l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration : [ ... ] - l'introduction de toute action en justice autre que celle pour laquelle une contrainte de temps empêcherait l'obtention d'un accord préalable du conseil d'administration (...) " ;
Considérant que APMM demande à la cour de constater la nullité du recours formé par TPO, d'une part, en raison du défaut d'autorisation préalable du conseil d'administration précisément prévue par l'article 20 de ses statuts et d'autre part, du défaut d'urgence propre à justifier que le PDG de TPO pouvait se dispenser d'une telle autorisation; qu'elle soutient, dès lors, que le défaut de pouvoir du dirigeant de TPO entraîne la nullité de fond du recours en application des dispositions de l'article 117 du Code de procédure civile, tout en faisant observer qu'elle était en droit de se prévaloir des limitations statutaires de pouvoir du PDG de TPO;
Mais considérant que l'exercice par le président de TPO d'une voie recours prévue par la loi contre la décision de l'Autorité en ce qu'elle a déclaré que cette entreprise a enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE au titre du grief d'entente de partage de clientèle et lui a infligé, de ce chef, une sanction pécuniaire de 105 000 euro ne constitue pas l'introduction d'une action en justice ;
Que, dès lors le recours exercé selon la déclaration de recours déposée au greffe le 27 mai 2010 au nom de la société TPO représentée par son président, sans l'autorisation expresse du conseil d'administration visée par l'article 20 des statuts n'est entaché d'aucune irrégularité;
Qu'au demeurant, TPO est fondée à objecter que quand bien même cet accord aurait été requis, l'urgence qui s'attachait à interjeter appel de la décision de l'Autorité constituait sans nul doute la "contrainte de temps" envisagée par l'article 20 des statuts;
Que le moyen doit être écarté;
Sur la portée des recours
Considérant que la cour constate, d'une part, que la société TPO, qui a été condamnée par l'Autorité au titre du grief de partage de clientèle et du grief de partage de capacité ne conteste pas la décision de l'Autorité de ce dernier chef, qui est ainsi définitive, en se limitant à une critique du grief de partage de clientèle et, d'autre part, qu'aucun recours n'a été formé par contre la décision de l'Autorité en ce qu'elle a décidé qu'il n'y avait pas lieu de retenir le grief de partage de capacité à l'encontre de la société Perrigault de sorte que, de ce chef également, la décision de l'Autorité est désormais définitive;
Sur la compétence
Considérant que la société Perrigault demande à la cour de juger que l'Autorité de la concurrence n'était pas compétente pour statuer sur un litige contractuel l'opposant à la société APMM, notamment en ce qui concerne les engagements de volume et l'exécution des obligations respectives de chacune des parties alors que, par surcroît, la clause de concurrence qui, par principe, n'est pas illicite, visait en l'espèce à limiter les visées hégémoniques d'une société appartenant à un groupe disposant d'une puissance de marché considérable ; qu'elle précise, en outre, que l'objet de la procédure engagée devant l'Autorité portait moins sur l'interprétation et l'application de la clause de non-concurrence que sur la vérification d'une prétendue entente par suite d'un accord sur les tarifs entre l'ensemble des opérateurs intervenant sur le port du Havre; qu'en tout état de cause, selon la requérante, les effets individuels d'une clause de non-concurrence entre deux opérateurs économiques n'ont pas d'incidence directe sur le fonctionnement d'un marché dont l'accès demeure libre, spécialement quand il est occupé par des professionnels armateurs qui sont eux-mêmes en concurrence avec le groupe APMM, de sorte que le grief dénoncé ne pourrait être retenu que dans la mesure où il avait un effet anticoncurrentiel, étant observé qu'aucune autre entreprise ne prétend avoir été victime d'une infraction aux dispositions relatives à la concurrence;
Mais considérant que l'existence d'un différend opposant la société Perrigault et la société APMM sur l'application de la clause de non-concurrence insérée dans le Memorandum of Agreement qu'elles ont conclu et qui a conduit à l'introduction d'une instance devant le tribunal de commerce ne fait pas obstacle à un examen parallèle par l'Autorité de cette clause qui, si elle n'est, dans son principe, pas illicite en elle-même, peut cependant, comme le dénonce la notification de griefs au titre de l'entente de partage de clientèle, être légalement détournée de son objet pour couvrir des agissements contraires aux règles de la libre concurrence énoncées par les articles 81, paragraphe 1, du traité CE devenu 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce;
Que, dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité de la concurrence, sans se substituer pour autant au juge du contrat qui reste saisi du litige relatif à l'exécution de la clause de non-concurrence insérée dans le MOA, s'est déclarée compétente pour apprécier si les conditions de mise en œuvre de cette clause ont porté atteinte au fonctionnement de la concurrence sur les marchés affectés;
Que le moyen n'est pas fondé;
Sur la procédure
Considérant que la société TPO poursuit l'annulation de la décision déférée en soutenant qu'elle a été victime d'atteintes aux droits de la défense qui ont été constituées, en premier lieu, par un accès entravé au dossier, qui l'a conduite à ne pas pouvoir bénéficier du délai normal de réponse à la notification des griefs;
Que la requérante soutient, tout d'abord, que cette entrave provient de ce que des pièces se sont révélées introuvables ou très difficilement identifiables du fait d'une impossibilité d'accès aux versions confidentielles de documents pour lesquels aucune demande de protection au titre du secret des affaires n'avait été formulée à son encontre, de l'existence de nombreuses cotations erronées dans la notification griefs ne permettant pas d'identification des pièces citées, de fréquents décalages entre les cotations citées dans le corps de la notification de griefs et celles figurant en annexe à celle-ci; qu'elle précise que, contrairement à ce qu'a affirmé l'Autorité de la concurrence, la consultation du dossier sur place n'aurait pas permis de surmonter ces difficultés dans la mesure où le CD-Rom censé contenir l'ensemble des pièces reflétait parfaitement le contenu du dossier " physique " et que la solution suggérée par l'Autorité, consistant à faire des demandes de déclassement - pour des pièces pour lesquels aucune demande de secret des affaires n'avait été formulée à son encontre - n'était pas possible, s'agissant de pièces introuvables ou difficilement identifiables; que c'est dans ces conditions qu'après l'envoi par étapes des pièces manquantes et de cotations erronées, elle a été renvoyée devant le rapporteur, plus d'un mois et demi après lui avoir signalé les difficultés en cause; qu'elle a alors été contrainte d'attendre jusqu'au 13 août pour obtenir le tableau de correspondance entre les cotations figurant dans le corps de la notification griefs et celles figurant dans les annexes, pourtant réclamé dès la semaine ayant suivi la réception de la notification griefs : de tels décalages dans les cotations l'ont ainsi contrainte à un long et incertain travail d'identification des pièces et elle n'a pu ainsi tirer parti du délai de deux mois qui lui était normalement imparti pour préparer sa défense, en consacrant en réalité son temps à réclamer les moyens lui permettant de se défendre utilement;
Que TPO prétend, ensuite, que l'efficacité de l'intervention du conseiller auditeur a été compromise par sa nomination tardive, plus d'un mois après la notification de griefs, de telle sorte qu'il ne lui est resté que quelques jours pour la recevoir et tenter de favoriser l'émergence d'une solution satisfaisante; qu'en l'occurrence, le conseiller auditeur n'a disposé que d'une semaine environ pour résoudre les difficultés d'accès aux pièces, entre le 24 juillet, date de son installation effective et le 31 juillet, date de départ pour les congés, ce qu'il n'a par conséquent pu faire que partiellement, la renvoyant aux services d'instruction pour les problèmes restant en suspens ; que la communication d'un tableau des correspondances n'est finalement intervenue que le 13 août et qu'en tout état de cause, au regard de l'atteinte irrémédiable aux droits de défense, la seule intervention du conseiller auditeur, faute de l'octroi d'un délai supplémentaire, n'a pas permis de résoudre l'atteinte irrémédiable aux droits de la défense dont elle a été victime, faute d'avoir pu disposer pleinement du délai de deux mois prévus pour se défendre; qu'en outre, la violation manifeste du principe du contradictoire que constitue l'atteinte aux droits d'accès au dossier de TPO n'a pas été résolue par l'obtention d'un délai raisonnable pour présenter ses observations en réponse;
Que la requérante précise, enfin, qu'en tout état de cause, le délai de 8 jours qui lui a finalement été accordé en application de l'article L. 463-2 pour présenter ses observations n'était pas d'une durée suffisante du fait des graves dysfonctionnements, de surcroît survenus en pleine période estivale, qui viennent d'être décrits;
Considérant que TPO affirme que l'atteinte aux droits de la défense résulte, en second lieu, d'une atteinte apportée par la notification de griefs au principe d'impartialité qui résulte, tout d'abord, d'une instruction menée uniquement à charge, dès lors que les documents qu'elle a fournis à décharge ont été ignorés, déformés ou systématiquement interprétés dans un sens favorable à l'entreprise saisissante et, ensuite, d'un déséquilibre dans la recherche de la preuve qui provient de ce que les entreprises requérantes ont été l'objet d'une enquête avec perquisition, alors que la société APMM en a été exonérée; qu'en effet, l'Autorité de la concurrence qui s'était saisie de manière générale des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre aurait dû élargir le champ de ses investigations et non les limiter aux accusations formulées par la société APMM en renonçant à enquêter dans cette entreprise; qu'en l'occurrence, cette situation lui est d'autant plus préjudiciable que les documents saisis dans ses locaux constituent l'une des principales sources utilisées par la notification de griefs, ce qui suffit à démontrer que, dès l'origine, l'Autorité avait décidé de prouver par tous moyens, quelle que soit leur légitimité, une entente entre la société Perrigault et la société TPO et, en revanche, de ne pas inquiéter la société APMM;
En ce qui concerne l'accès au dossier, l'intervention du conseiller auditeur et les délais de réponse à la notification de griefs :
Considérant, concernant en premier lieu l'accès au dossier, qu'il convient de se référer à l'article L. 463-2 du Code de commerce qui dispose que " [...] le rapporteur général [...] notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois " ;
Considérant que les difficultés d'accès à certaines pièces du dossier évoquées en l'espèce résultant de la transmission à la société TPO d'un dossier sous forme de CD-Rom, il convient de préciser, à titre liminaire, que la réalisation et l'envoi d'un CD-Rom au stade de la notification de griefs ne constituent qu'une facilité supplémentaire offerte aux entreprises qui conservent, en tout état de cause, la possibilité de venir consulter le dossier dans les locaux de l'Autorité;
Que, s'agissant tout d'abord des pièces qui ont été rendues à tort inaccessibles sur le CD-Rom transmis à TPO, il suffit de constater, comme l'a fait le conseiller auditeur dans son rapport du 11 janvier 2010, que "les pièces [...] qui avaient été à tort rendues inaccessibles sur le CD-Rom ont été communiquées à TPO le 9 juillet [2009] soit dans un délai de 8 jours ouvrables" et, qu'au surplus, " TPO avait déjà connaissance de ces pièces pour en avoir reçu copie dans le cadre de la procédure des mesures conservatoires " ;
Qu'au demeurant, il convient de relever que TPO n'a jamais demandé à venir consulter le dossier au siège de l'Autorité de la concurrence, alors même qu'une telle possibilité lui avait été rappelée par les services d'instruction dans la notification de griefs;
Qu'en ce qui concerne ensuite les pièces qui n'étaient pas accessibles sous les cotes indiquées par le rapporteur dans la notification de griefs, il convient de rappeler que l'article L. 463-4 du Code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, dispose que " sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie mise en cause, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles [...] " ;
Que, s'agissant en l'occurrence de la technique de cotation des pièces dans la notification de griefs, il suffit de se référer aux explications non formellement contredites par la requérante qui ont été données par l'Autorité dans la décision critiquée (paragraphe 168 de la décision), desquelles il résulte qu'il est systématiquement fait référence par le rapporteur à la cotation des pièces dans leur version confidentielle, à charge pour les parties de retrouver dans le dossier les pièces concernées en version non confidentielle, ce que le conseiller auditeur a d'ailleurs confirmé dans son rapport du 11 janvier 2010 : " le parti a été adopté de se référer systématiquement à la codification de la version confidentielle des pièces, à charge pour la partie destinataire du dossier qui n'aurait pas accès à la version confidentielle de rechercher par ses propres moyens dans l'annexe où sont stockées les pièces non confidentielles " ;
Que la rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence avait déjà précisé aux parties dans un courrier en date du 9 juillet 2009 : "Plusieurs entreprises ont transmis des versions confidentielles reprenant l'intégralité du document concerné, même lorsque le secret d'affaires ne portait que sur une partie de ce document. Dans cette éventualité, les portions de pièces non couvertes par le secret d'affaires ont été rétablies dans la version non confidentielle de ces pièces. [...] Lorsque les demandes de traitement confidentiel ont été formulées de cette manière, les éléments qui ne relèvent pas du secret d'affaires sont accessibles dans la version non confidentielle à laquelle vous avez accès. Il convient alors de vous référer à l'intitulé des pièces au dossier listées dans l'appendice n° 1 de la notification de griefs. Les versions non confidentielles reprennent l'intitulé du document classé et sont identifiées par la mention " VNC" ;
Qu'ainsi, comme l'a relevé l'Autorité et au rebours de ce qu'elle maintient devant la cour, TPO a eu accès aux parties de pièces classées en annexe confidentielle, qui ne relevaient pas du secret des affaires dès lors qu'il lui suffisait de se référer aux cotes correspondant aux versions non confidentielles des pièces en cause, à l'aide du tableau figurant en appendice n° 1 de la notification des griefs;
Que, par surcroît, l'Autorité pouvait utilement se référer aux explications, d'ailleurs non contredites par TPO, données par le conseiller auditeur dans son rapport du 11 janvier 2010: "le type de recherche auquel une partie se trouve astreinte du fait de ce décalage ne présente pas un effort ou une difficulté particulière à partir du moment où le rapporteur s'astreint à décrire les documents auxquels il fait référence [...] et que ces indications sont suffisantes pour qu'une personne ayant pris connaissance du dossier puisse identifier de quel document il s'agit et, en tant que de besoin, puisse le retrouver manuellement en feuilletant le CD-Rom" ;
Que, concernant enfin les erreurs invoquées par la requérante dans la cotation des pièces citées dans la notification de griefs, il suffit de constater, comme le fait l'Autorité (points 175 et 176 de la décision):
- que, dans huit cas, ces erreurs portaient uniquement sur l'omission ou l'adjonction erronée des lettres "MC", lesquelles identifient les pièces recueillies dans le cadre de l'instruction de la demande de mesures conservatoires et que, dans deux cas, ces erreurs correspondaient à des numéros de cotes incorrects ;
- que les erreurs matérielles dénoncées ont été rectifiées dans de brefs délais à compter de leur mention par TPO : le 9 juillet 2009 pour les remarques formulées le 30 juin 2009 et le 31 juillet 2009 pour des remarques formulées le 23 juillet 2009 ;
- qu'en tout état de cause, il convient de souligner que le contenu de toutes les pièces sur lesquelles repose la notification de griefs est décrit dans le corps du document;
Qu'il s'ensuit qu'aucune atteinte au droit d'accès au dossier de TPO n'est caractérisée;
Considérant, concernant en deuxième les conditions d'intervention du conseiller auditeur, que l'article R. 461-9-II du Code de commerce, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-335 du 26 mars 2009, dispose que : " Le conseiller auditeur peut intervenir à la demande d'une partie. Il peut également appeler l'attention du rapporteur général sur le bon déroulement de la procédure, s'il estime qu'une affaire soulève une question relative au respect des droits des parties. Les parties mises en cause et saisissantes peuvent présenter des observations au conseiller auditeur sur le déroulement de la procédure d'instruction les concernant dans les affaires donnant lieu à une notification de griefs, pour des faits ou des actes intervenus à compter de la réception de la notification de griefs et jusqu'à la réception de la convocation à la séance de l'Autorité. Le conseiller auditeur recueille, le cas échéant, les observations complémentaires des parties ainsi que celles du rapporteur général sur le déroulement de la procédure. Il peut proposer des mesures destinées à améliorer l'exercice de leurs droits par les parties ";
Considérant qu'en l'espèce, TPO a saisi le conseiller auditeur le 10 juillet 2009 en alléguant, dans sa saisine, que les difficultés rencontrées pour identifier certaines pièces du dossier justifiaient l'octroi d'un délai supplémentaire pour répondre à la notification des griefs, puis a complété ses observations par lettre en date du 23 juillet 2009 avant d'être reçue par le conseiller auditeur le 24 juillet 2009 à qui elle a à nouveau présenté des observations par lettre du 29 juillet 2009 ;
Que, par lettre en date du 31 juillet 2009, le conseiller auditeur a alors communiqué à TPO un tableau corrigeant sept erreurs de référence de cotes dans la notification de griefs et qu'il l'a également invitée à" contacter [le rapporteur] dans les meilleurs délais afin de [l]'aider dans [ses] recherches et que c'est dans ces conditions que le conseiller auditeur a considéré, dans son rapport du 11 janvier 2010, que "compte-tenu des réponses et propositions qui vous sont ainsi faites, il ne me paraît pas nécessaire dans l'état actuel des choses de recommander une extension supplémentaire du délai de réponse à la notification de griefs que vous avez sollicité ";
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, comme l'Autorité l'a relevé dans la décision déférée, TPO a, au rebours de ce qu'elle soutient, été mise en mesure de présenter au conseiller auditeur toutes ses observations sur le déroulement de la procédure d'instruction de la présente affaire et celui-ci y a pleinement répondu, de telle sorte que la nomination du conseiller auditeur le 10 juillet 2009 n'a pas eu pour conséquence de priver la requérante des garanties offertes par l'article R. 461-9-II du Code de commerce;
Considérant, concernant en dernier lieu le délai de réponse à la notification de griefs, qu'il ressort des dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce qu'un délai de deux mois est imparti aux parties pour présenter des observations aux griefs notifiés et que, lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient, le rapporteur général de l'Autorité peut, par décision non susceptible de recours, accorder un délai supplémentaire d'un mois pour la consultation du dossier et la production des observations des parties;
Que l'octroi aux parties d'un délai supplémentaire d'au maximum un mois pour consulter le dossier et produire leurs observations, dépend toutefois de la démonstration par l'entreprise concernée de l'existence de circonstances exceptionnelles le justifiant;
Qu'en l'espèce, conformément à l'article L. 463-2 du Code de commerce, précité, la requérante, qui a disposé initialement d'un délai de deux mois pour consulter le dossier et présenter ses observations à la notification de griefs a en effet sollicité l'octroi d'un délai de réponse supplémentaire au motif que, lors de la période estivale, son personnel était en congé et qu'elle devait gérer les problématiques liées à la crise économique;
Que cependant, contrairement à ce que prétend la société TPO, la rapporteure générale de l'Autorité a pris en considération ces circonstances en prolongeant de huit jours ouvrables, par lettre du 3 juillet 2009, le délai initialement accordé;
Que la société TPO ne démontrant pas un dysfonctionnement de service ayant empêché l'accès au dossier et la présentation de ses observations, la seule coïncidence du délai de réponse à la notification des griefs avec la période estivale ne saurait constituer, en soi, comme l'a décidé l'Autorité, une "circonstance exceptionnelle" justifiant, au sens de l'article L. 463-2, précité un délai supplémentaire et, que, dès lors, l'extension du délai de réponse à la notification de griefs qui lui a ainsi été octroyé apparaît suffisante;
Qu'en conséquence, la société TPO n'est pas fondée à invoquer une violation des droits de la défense résultant de l'insuffisance du délai imparti pour répondre à la notification de griefs;
En ce qui concerne l'impartialité de l'enquête et de l'instruction:
Considérant, en premier lieu, que la société TPO invoque vainement la violation par la notification de griefs du principe d'impartialité du fait d'une instruction menée uniquement à charge en raison de l'ignorance, de la déformation ou de l'interprétation systématique dans le seul sens du plaignant des documents fournis à décharge;
Considérant, en effet, que l'appréciation de la partialité de l'instruction ne saurait résulter de la seule circonstance alléguée au cas d'espèce que le rapporteur n'aurait pas tenu compte, dans sa notification de griefs, d'éléments qui, selon les parties, viendraient au soutien de leur défense;
Que ces dernières ont été mises en mesure d'en faire état dans la discussion sur le bien-fondé des griefs et de répondre aux accusations qui étaient portées contre elles en présentant toutes les observations et toutes les pièces qui leur apparaissaient utiles à leur défense;
Que, sous couvert d'un grief non fondé de partialité fait au rapporteur, la requérante, qui prétend caractériser une telle partialité en renvoyant à ses développements sur le fond, discute, en réalité, la pertinence du raisonnement suivi par l'Autorité pour décider que les pratiques dénoncées étaient caractérisées et lui étaient imputables, ce qui constitue précisément le fond du débat;
Considérant, en second lieu, que l'objection soulevée par la société TPO sur l'absence de visites et saisies dans les locaux d'APMM est également vaine, dès lors qu'elle consiste, en fait, à contester le contenu de l'ordonnance de visites et saisies rendue par le juge des libertés et de la détention en ce qu'elle ne vise pas les locaux d'APMM, alors qu'elle est dépourvue de qualité pour le faire ;
Qu'au surplus, même si APMM n'a pas fait l'objet d'opérations de visites et de saisies, cette entreprise a cependant été entendue par le rapporteur et s'est vu notifier un grief d'entente de partage de capacité, maintenu au stade du rapport, avant d'être mise hors de cause par la décision déférée;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure ne sont pas fondés;
Sur l'application du droit communautaire
Considérant qu'il suffit de constater que ni les requérantes ni l'intervenante volontaire ne contestent la décision entreprise en ce qu'elle a constaté ( points 203 à 218 de la décision) que les pratiques en cause - premier et second grief - sont susceptibles d'avoir affecté de manière sensible le commerce entre Etats membres et qu'elles peuvent donc être qualifiées au regard de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE;
Sur la délimitation du marché pertinent
Considérant que la société Perrigault poursuit également l'annulation de la décision déférée en ce qui concerne la délimitation du marché pertinent;
Qu'elle précise, tout d'abord, en ce qui concerne le marché des produits et des services, que la délimitation retenue par l'Autorité est critiquable en ce qu'elle a ignoré que certaines prestations ne sont pas requises par l'armateur mais par les chargeurs, ce qui conditionne pourtant le choix d'un port par rapport à un autre, et non d'un terminal par rapport à un autre; qu'il s'agit notamment des prestations d'entreposage postérieures aux opérations de chargement et de déchargement proprement dites qui sont définies à l'article 50 de la loi du 18 juin 1966 comme étant les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein et à l'article 51 de cette loi : réception et reconnaissance des marchandises avant embarquement ou après déchargement, gardiennage dans des emplacements réservés, branchement des conteneurs frigorifiques etc. ;
Que la requérante critique ensuite la délimitation du marché géographique retenue dans la décision comme étant l'arc Nord, l'Autorité ayant omis de faire une présentation du contexte concurrentiel de ce marché en se limitant à une vision restreinte et dès lors manifestement erronée de l'économie du marché considéré ; qu'en effet la définition du marché géographique retenu en l'espèce omet l'élément déterminant de la prédominance des ports d'Anvers/Zeebruge et Rotterdam pour l'acheminement du fret non seulement dans le Nord de l'Europe et de la France mais également pour le Sud de la France dû notamment au "contexte syndical" qui éloigne les chargeurs des ports français; que l'omission de cet élément et le peu d'intérêt porté à la question dans la décision aboutissent, d'une part, à restreindre le marché d'une manière totalement inexacte au seul port du Havre et à ignorer la part prépondérante de Maersk dans les ports précités ; qu'en effet, la concurrence est non seulement intra-portuaire mais essentiellement interportuaire et, qu'en outre, le port du Havre ne représente que 7 % du volume de conteneurs manutentionnés de l'arc Nord, et 3 % seulement pour ce qui concerne la société TPO et la société Perrigault, étant observé que la totalité du trafic du port du Havre est inférieure au volume des conteneurs manutentionnés par la seule société APMT sur son terminal de Rotterdam ; qu'en procédant à une définition "glissante" du marché pertinent, l'Autorité a violé le principe du contradictoire et, en tout état de cause, confirme cette imprécision lorsqu'elle conclut de manière laconique : " Dans ces conditions, le marché pertinent peut être défini comme celui de la manutention portuaire de conteneurs dans la zone de l'arc Nord européen ", sans qu'à aucun moment la concurrence entre les ports de l'arc Nord et la prépondérance de Maersk dans ceux-ci ne soient jamais exploitée; que, par ailleurs, cette conclusion et l'insistance de l'Autorité à mettre en avant la gravité de l'atteinte à la concurrence sur le seul port du Havre, qui n'est pas le marché pertinent, sont contradictoires ; qu'il est cependant indéniable, d'une part, que les ports de l'arc Nord du port de Hambourg au Havre sont en concurrence directe avec le port du Havre et, d'autre part, que la société APMM détient dans les ports des parts de marché substantielles qui, en tout état de cause, dépassent l'intégralité du trafic conteneurs du port du Havre; que, s'agissant du trafic avec l'hinterland d'Europe du Nord, la Commission européenne a d'ailleurs considéré que le marché géographique de l'arc Nord comprenait les ports situés entre Hambourg et le Havre et que, concernant le transbordement, la Commission a considéré que la zone géographique devait être examinée de manière plus large encore, en incluant les ports de haute mer entre Götegorg et le Havre, de sorte que la concurrence entre ces ports ne peut être occultée; qu'il en résulte que les ports de l'arc Nord sont en concurrence directe avec le port du Havre en matière de trafic de conteneurs, qu'il s'agisse de trafic vers l'hinterland ou de trafic de transbordement;
Qu'en tout état de cause, la requérante revendique l'application de la règle de minimis en application de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce, dès lors que le marché pertinent intégrant l'ensemble des ports de l'arc Nord représente, pour le port du Havre, une part de marché inférieure à 7 % et d'environ 3 % pour la société Perrigault et la société TPO;
Que, pour sa part, TPO, qui souligne des " ambiguïtés dans la définition du géographique du marché pertinent qui conduisent à déformer la qualification donnée par l'Autorité aux pratiques incriminées ", prétend également que les pratiques doivent bénéficier de l'exception de minimis ;
Mais considérant que c'est par une analyse pertinente (points 219 à 230 de la décision), que la cour approuve, que l'Autorité a défini en l'espèce le marché pertinent comme celui de la manutention portuaire de conteneurs dans la zone de "l'arc Nord" européen après avoir rappelé, sans susciter de critique de principe sur ces points :
- d'une part, que se situent sur un même marché les produits et services dont on peut raisonnablement penser que les acheteurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande;
- d'autre part, que pour définir tant le marché de services que la dimension géographique du marché, il convenait de se référer, comme elle le fait habituellement, à la pratique décisionnelle du ministre de l'Economie et de la Commission européenne en matière de concentrations;
Considérant, concernant en premier lieu le marché des services, qu'il est constant que les pratiques en cause concernent l'activité de la manutention portuaire pour le transport de conteneurs, laquelle regroupe " toutes les opérations qui réalisent la mise à bord et le débarquement des marchandises y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terre-plein, qui en sont le préalable ou la suite nécessaire " (article 50 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et le transport maritime) ;
Que, sans encourir de reproche sur ce point, l'Autorité a tout d'abord rappelé:
- qu'en matière de contrôle des concentrations dans le secteur de la manutention portuaire, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, comme la Commission européenne, a distingué l'activité de manutention portuaire de marchandises en conteneurs de l'activité de manutention portuaire de marchandises non conteneurisées; qu'ainsi, la première activité est caractérisée par l'existence d'opérateurs spécialisés, de tarifs spécifiques et d'exigences particulières en termes de prestations et d'infrastructures;
- que, par ailleurs, la Commission européenne a également distingué les prestations de manutention portuaire selon le type de trafic concerné, à savoir le trafic avec l'arrière-pays (l'hinterland) et le transbordement ; qu'ainsi, l'hinterland correspond à des zones d'influence économique, structurées par des axes de desserte terrestre (transport de conteneurs directement d'un navire vers l'arrière-pays ou inversement) ; qu'en revanche, le transbordement consiste à faire passer des conteneurs d'un navire à un autre (voir décision de la Commission européenne du 5 juin 2008, aff. COMP/M.5066, Eurogate/APMM, paragraphe 13) ;
Considérant qu'au regard de ces données, c'est à juste titre que la décision déférée a défini le marché des services concerné comme celui de la manutention portuaire de conteneurs, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une délimitation plus fine en distinguant les prestations de manutention portuaire selon le type de trafic concerné, dès lors que les pratiques examinées concernent indifféremment l'ensemble des opérations de manutention, qu'il s'agisse de prestations destinées au transbordement ou à l'hinterland, de sorte que l'analyse concurrentielle reste la même quel que soit le type de trafic considéré;
Qu'au surplus, au rebours de ce qu'affirme Perrigault, les opérations annexes aux chargements et déchargements et visées par l'article 50 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 ont été prises en compte dans l'analyse du marché pertinent (paragraphe 205 de la décision) ;
Considérant, concernant en second lieu la délimitation du marché géographique, que l'Autorité, se référant à nouveau à juste titre à la pratique décisionnelle du ministre de l'Economie et de la Commission européenne, a constaté :
- que, concernant les services de manutention portuaire de conteneurs liés à un trafic avec l'hinterland d'Europe du Nord, il a tout d'abord été retenu un marché géographique, appelé "arc Nord", qui comprendrait les ports situés entre Hambourg et Le Havre; qu'en effet, ce territoire géographique se caractériserait par des conditions de concurrence suffisamment homogènes pour être distingué des zones voisines, comme celles des ports des îles britanniques;
- que, dans sa décision du 5 juin 2008, précitée, la Commission européenne a suggéré qu'un marché plus restreint pouvait être distingué; qu'elle a ainsi relevé que l'existence de plusieurs facteurs (coûts et délais de traitement plus faibles) pouvaient contribuer à limiter le marché géographique à une zone partant du port du Havre et comprenant uniquement les ports commerciaux belges, à l'exclusion des ports allemands; que par ailleurs, en ce qui concerne le transbordement, la Commission européenne a souligné que le port du Havre n'était pas substituable à d'autres ports de l'arc Nord en raison de sa distance par rapport à certaines routes maritimes majeures, à certains marchés de transbordement, et à certains ports secondaires scandinaves et baltiques; que la faible substituabilité du port du Havre s'expliquerait également par des capacités de stockage limitées;
Considérant cependant, qu'au vu de ces éléments, observant que dans la mesure où la création de Port 2000 visait précisément à améliorer la capacité d'accueil du port du Havre, la productivité de ses activités de manutention et de manière plus générale, sa compétitivité avec les ports de l'arc Nord, l'Autorité était fondée à retenir le marché géographique pertinent de l'" arc Nord " européen;
Qu'au demeurant, lorsque des pratiques sont, comme dans la présente affaire, recherchées au titre de la prohibition des ententes, il n'est alors pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre;
Considérant, enfin, que Perrigault revendique vainement l'application de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce au motif que la part de marché cumulée détenue par les entreprises parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas un seuil défini par cet article, dès lors que l'article L. 464-6-2 du Code de commerce prévoit que les dispositions de L. 464-6-1 ne s'appliquent pas aux accords et pratiques, tels que visés par la notification de griefs, qui directement ou indirectement, ont pour objet la répartition de marchés ou des clients;
Sur le bien fondé des pratiques
Considérant que la clause de non-concurrence prévue par l'article 4.3 du Memorandum of Agreement (MOA) conclu le 18 mai 2004 entre la société APMM et la société Perrigault est ainsi libellée:
"En dehors du groupe APM Moersk, toute démarche de [devenue TPO] auprès d'une compagnie maritime/consortium devra au préalable être approuvée par le conseil d'administration, sans qu'une notion de conflit d'intérêt ne puisse être invoquée et sans que les parties ne puissent refuser leur accord de manière non justifiée ou abusive. Néanmoins, à tout moment, les parties entendent ne pas s'intéresser à la clientèle des terminaux opérés au Havre par Perrigault référencée sur les douze derniers mois. Il en est de même de la part de Perrigault vis-à-vis de la clientèle de OPS [devenue TPO]
L'objectif est de transférer tous les volumes du groupe APM Maersk exploités à ce jour au Port du Havre sur Port 2000 y inclus le service VSA (vessel sharing agreement) dans lequel participe le groupe APM Maersk " ;
Considérant qu'il est reproché à Perrigault et à TPO, au titre du premier grief tiré de l'existence d'une entente de partage de clientèle, de s'être entendues afin de restreindre l'activité commerciale de TPO au traitement des seuls conteneurs apportés par APMM, à l'exclusion de ceux provenant de clients tiers, cette pratique résultant d'une application extensive de la clause de non-concurrence ainsi que du recours systématique à TPO comme sous-traitant de Perrigault et ayant pour objectif d'interdire à l'entreprise commune de concurrencer les autres terminaux du port du Havre;
Que l'application extensive de la clause de non-concurrence reprochée à Perrigault et à TPO résulte concrètement de ce que, dans trois cas - VSA Grand Alliance représenté par NYK Line (octobre 2007/novembre 2007), l'Orient Overseas Container Line (octobre 2007/novembre 2007), et SAECS (octobre 2007/novembre 2007) - TPO n'a pas donné suite à des demandes commerciales provenant d'armateurs qui n'étaient pas des clients de Perrigault (points 75 à 88 de la décision);
Que, par ailleurs, le recours systématique à TPO comme sous-traitant de Perrigault, qui constitue le second élément du grief d'entente, serait, selon la décision déférée, mis en évidence par l'existence de lignes sous-traitées par TPO pour le compte de TN (points 92 à 101 de avec, en particulier, le transfert à TPO des lignes TA4 (décembre 2007) et de la ligne JEX (décembre 2007) (points 89 à 101 de la décision) ;
Considérant que, concernant les principes applicables à la présente affaire, la prohibition des ententes anticoncurrentielles n'est, comme l'énonce l'Autorité (points 242, 243 et 246 de la décision) dont la décision n'est pas critiquée sur ce point, pas applicable aux accords passés entre des sociétés appartenant à un même groupe, dès lors que celles-ci ne disposent pas d'une réelle autonomie sur le marché;
Qu'en l'absence d'autonomie commerciale et financière, ces sociétés forment en effet une unité économique au sein de laquelle les décisions et accords ne peuvent relever du droit des ententes et que les critères pris en compte pour déterminer si une société-mère forme avec sa filiale une unité économique au sens du droit de la concurrence incluent l'importance de la participation financière de la société-mère dans le capital de la filiale, l'existence d'organes de direction propres à la filiale et la possibilité pour ces organes de déterminer et mettre en œuvre de manière autonome sur le marché une stratégie industrielle, financière et commerciale;
Que, dans ces conditions, l'existence d'une autonomie commerciale et financière réelle d'une entreprise commune à l'égard de ses sociétés-mères doit en effet être démontrée au regard de l'ensemble de ces critères;
Considérant que, pour décider, au cas d'espèce, que le comportement adopté par TPO et Perrigault est soumis aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE, l'Autorité a notamment relevé, d'une part, que TPO et ses sociétés-mères ont présenté l'entreprise commune comme une entité autonome sur le marché, l'ont dotée de moyens suffisants et d'une politique commerciale propre établissant son indépendance, et que TPO elle même s'est comportée de manière autonome sur le marché (point 276 de la décision) et, d'autre part, que Perrigault et TPO ont bien exprimé une volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (point 288 de la décision);
Considérant que, concernant en premier lieu l'autonomie de TPO à l'égard de Perrigault, que l'Autorité retient, tout d'abord, au sujet des modalités de participation des sociétés-mères au capital de TPO et du rôle joué par le conseil d'administration (points 247 à 253 de la décision) :
" (...) Or, selon une pratique décisionnelle constante de la Commission européenne, une telle représentation paritaire implique qu'aucune des sociétés-mères n'est en mesure de contrôler l'activité commerciale de l'entreprise commune au sens du droit de la concurrence (voir décisions de la Commission européenne du 15 mai 1991, aff. IV/32.186). En l'espèce, si le conseil d'administration de TPO est effectivement chargé d'approuver de manière préalable les démarches commerciales de l'entreprise commune, il exerce son pouvoir dans un cadre paritaire.
(...) Il en résulte que, contrairement à ce que soutiennent les parties, dans les faits, aucune des deux sociétés-mères n'est en mesure de contrôler l'activité commerciale de l'entreprise commune. Ainsi, la circonstance qu'il puisse exister un " blocage " au sein du conseil d'administration de l'entreprise commune sur la stratégie à suivre par cette dernière démontre non pas l'absence d'autonomie de celle-ci à l'égard de ses sociétés-mères mais l'incapacité structurelle de chacune de ces sociétés-mères de pouvoir contrôler, seule, l'activité de l'entreprise commune.
(...) Dans sa décision de mesures conservatoires, le Conseil de la concurrence avait d'ailleurs déjà relevé que : " [...] Le constat d'un désaccord patent sur la stratégie commerciale entre un des actionnaires, APMM, et la filiale TPO démontre que cette dernière jouit, en pratique, d'une autonomie suffisante et peut donc coordonner son comportement avec celui de son autre actionnaire, le groupe Perrigault " (voir paragraphe 40 de la décision).
(...) Ainsi, les modalités de fonctionnement du conseil d'administration de TPO démontrent que c'est en toute autonomie que TPO a choisi d'adhérer à la politique commerciale préconisée par Perrigault consistant à s'opposer à l'ouverture de l'entreprise commune aux clients tiers " ;
Que, concernant l'existence d'organes de direction propres et d'une politique commerciale indépendante, l'Autorité relève, ensuite :
"(...) Comme indiqué par Perrigault et APMM au ministre de l'Economie le 7 avril 2006, TPO est dotée d'organes de direction propres, un PDG et un DGD nommés respectivement par Perrigault et APMM, en charge d'une entreprise commune dont le principe de fonctionnement est celui de l'autonomie et de l'indépendance (...).
(...) Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les parties mises en cause, la désignation des dirigeants de TPO par chacun de ses actionnaires n'implique pas qu'ils agissent dans l'intérêt exclusif des sociétés qui les nomment. Au contraire, en tant qu'organes sociaux, ils assurent la défense des intérêts de la société qu'ils représentent, comme le prévoient les statuts de TPO qui disposent, conformément aux dispositions de l'article L. 225-56 du commerce que " le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il exerce ces pouvoirs dans la limite de l'objet social (...). Il représente la société dans ses rapports avec les tiers " et que, de même, " à l'égard des tiers, le directeur général délégué dispose des mêmes pouvoirs que le directeur général ". Les parties ont d'ailleurs confié au PDG et au DGD les mêmes pouvoirs en ce qui concerne l'activité commerciale de TPO et la négociation d'accords avec ses clients.
(...) Le rôle des dirigeants doit dès lors être interprété à la lumière de l'objet de TPO et de l'existence concrète d'une politique commerciale indépendante formalisée.
(...) Comme il a été rappelé plus haut, l'objet de la filiale commune, notifié au ministre de l'Economie et figurant dans plusieurs documents, met en évidence son indépendance par rapport à ses sociétés-mères puisque TPO met en œuvre une politique commerciale propre, expressément ouverte aux clients tiers, de manière autonome.
(...) Cette indépendance s'appuie sur la définition, par TPO, d'une politique tarifaire propre. Il résulte ainsi de l'article 3.7 du MOA que TPO détermine sa propre politique tarifaire puisque " [l]es tarifs en vigueur au Terminal seront négociés par [TPO] en fonction de sa stratégie commerciale et de ses impératifs économiques et sociaux ". (...)
(...) La stratégie commerciale de TPO est donc définie, dès sa fondation, comme concurrente de celle de Perrigault. C'est précisément la capacité de TPO à concurrencer Perrigault qui a nécessité la définition d'une clause de non-concurrence dans le MOA. Ainsi, les stipulations de cette clause, qui empêchent TPO de s'intéresser à la clientèle de Perrigault des douze derniers mois, ne restreignent pas l'activité commerciale de l'entreprise commune au-delà de ce cadre. TPO et Perrigault sont donc concurrentes pour l'acquisition de toute clientèle n'ayant pas contracté avec Perrigault dans la période couverte par la clause (à savoir la clientèle de terminaux concurrents au Havre ou de navires recherchant des escales au Havre). Partant, TPO et Perrigault sont " capables d'entrer en concurrence l'une avec l'autre" et sont donc autonomes au sens des juridictions européennes (voir arrêt du TPICE du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission (T-68-89, T-77-89 et T-78-89, Rec. p. II-1403, point 357) " ;
Que, concernant enfin le comportement adopté par TPO sur le marché, l'Autorité observe:
- " (...) il faut rappeler que le "fonctionnement" de TPO et son articulation avec celui de Perrigault se sont initialement manifestés, en pratique, lors des réponses de ces entreprises à l'appel à candidatures du PAH du 30 octobre 2001. Ainsi, dès l'origine, la candidature du partenariat entre Perrigault et APMM, appelé à devenir TPO, a été présentée en concurrence avec celle présentée à titre individuel par Perrigault. Par ce comportement, Perrigault et l'entreprise commune ont donc manifesté leur autonomie sur le marché," (Point 273 de la décision) ;
- " (...) les éléments au dossier démontrent bien l'existence d'un désaccord entre TPO et l'un de ses actionnaires, APMM, sur la stratégie commerciale de l'entreprise commune. Ainsi, le PDG de TPO s'est personnellement opposé à la recherche de clients tiers par TPO que demandait APMM (...). La capacité de TPO à s'opposer aux demandes d'une de ses sociétés-mères atteste donc de l'autonomie de l'entreprise commune " (point 274 de la décision) ;
- " (...) les éléments au dossier montrent que TPO a, en pratique, revendiqué son autonomie commerciale sur le marché. Ainsi, par lettres du 27 novembre 2007, le PDG de TPO a indiqué à plusieurs clients tiers qui avaient été préalablement contactés par APMM, que toute offre de conditions commerciales ne pourrait qu'être faite par TPO, et que toute offre émanant de représentants du groupe APMM serait nulle " (point 275 de la décision);
Considérant, en second lieu, que sur l'existence d'un concours de volontés entre TPO et Perrigault, l'Autorité observe, notamment :
" (...) L'adhésion d'une entreprise à une entente peut, quant à elle se manifester par l'adoption de comportements extérieurs conformes à l'invitation d'une autre entreprise et à l'objet de l'entente.
(...) En l'espèce, il ressort des éléments du dossier qu'à plusieurs reprises, Perrigault a interdit à TPO de concurrencer les autres terminaux du port du Havre (voir, notamment, paragraphes 59 à 74) et que TPO a adopté le comportement anticoncurrentiel préconisé par Perrigault.
(...) En effet, TPO a appliqué la clause de non-concurrence selon l'interprétation donnée par Perrigault (voir paragraphes 60 à 75). Ainsi, lors d'un conseil d'administration de l'entreprise commune du 5 décembre 2006, le président de TPO indiquait que l'entreprise commune ne pourrait pas développer son offre commerciale vis-à-vis des clients tiers, au motif que " ceci n'est pas possible (d'un point de vue social) : Vous avez assisté aux réunions avec les syndicats où la question vous a été clairement posée: pas de transfert de volumes. [...] Nous ne voulons pas commercer avec des tiers car c'est contraire aux accords, notamment sur le plan social" (voir paragraphe 61). TPO a également accepté la politique de sous-traitance mise en place par Perrigault (voir paragraphes 90 à 102) et, plus généralement, elle a refusé de proposer ses services à des clients tiers (voir paragraphes 76 à 89). TPO confirme d'ailleurs cette position dans ses observations puisqu'elle indique qu'il ne lui appartient pas " d'interpréter la liste des clients transmise par l'une de ses maisons-mères [et qu'] elle n'avait d'autre choix (sous peine de mettre en jeu sa propre responsabilité), que de s'opposer à de telles démarches directes" (cote 13191). Ainsi, TPO a délibérément choisi d'appliquer la clause de non-concurrence telle qu'interprétée par Perrigault " ;
Considérant, cela étant exposé, que l'appréciation, au regard des principes sus-énoncés, du bien fondé des griefs formulés à l'encontre de Perrigault et de TPO, implique de rappeler, tout d'abord, que l'accord (MOA) conclu par Perrigault et APMM sur la création de la société TPO prévoyait que chaque entreprise fondatrice, qui détenait 50 % du capital de cette société, désignait respectivement les deux dirigeants - le président directeur général (PDG) - Perrigault - et le directeur général délégué (DGD) APMM - qui, par surcroît, pouvaient les représenter au sein du conseil d'administration;
Qu'en ce qui concerne le PDG, l'article 2.1.1 du MOA prévoit d'ailleurs que "les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général (PDG) seront dévolues à un membre du conseil d'administration désigné par Perrigault" ;
Que cet accord prévoyait également que ces deux entreprises détenaient l'une et l'autre 50 % des droits de vote au sein du conseil d'administration dont elles désignaient chacune, respectivement, la moitié des membres et dont toutes les décisions sont prises à la majorité des voix, à l'exception des décisions importantes en matière de gestion qui requièrent l'unanimité;
Qu'en outre, aux termes du MOA, s'agissant de l'établissement par TPO de relations commerciales auprès de clients tiers, "toute démarche d'une compagnie maritime/consortium devra au préalable être approuvée par le conseil d'administration ", et que " les tarifs [de TPO] applicables à tout nouveau client seront négociés avec l'accord du conseil d'administration ";
Qu'il est constant, enfin, que TPO, dont la politique commerciale était de la sorte exclusivement entre les mains de son conseil d'administration à composition paritaire, n'était pas non plus dotée d'une force de vente propre, puisqu'elle n'employait, de surcroît à mi-temps, que deux salariés (un directeur technique et un directeur financier) ;
Considérant que l'accord conclu entre Perrigault et APMM prive ainsi en principe TPO, et cela de manière structurelle, de toute autonomie commerciale par rapport à ses deux sociétés-mères;
Que, dès lors, quelles que soient par ailleurs les stipulations de la clause de non-concurrence du MOA envisageant une possible concurrence entre Perrigault et TPO ou les affirmations de principe résultant de certaines clauses du MOA sur l'exercice par TPO de ses activités de manière autonome et indépendante compte tenu d'une politique tarifaire propre ou encore la teneur de l'accord du 20 février 2007 dans lequel les deux entreprises affirment que TPO serait un opérateur de terminal indépendant exécutant sa propre politique, les organes de direction et d'administration de leur filiale commune n'ont, normalement, ni le pouvoir ni les moyens de déterminer et de mettre en œuvre de manière autonome sur le marché une stratégie commerciale ;
Qu'il importe peu, également, que, dans le cadre distinct de la procédure préalable de notification de la création de l'entreprise commune effectuée par les sociétés fondatrices au titre du contrôle des concentrations auprès du ministre de l'Economie le 7 avril 2006 et pour les seuls besoins de cette procédure, les sociétés fondatrices aient déclaré que l'entreprise commune exercera ses activités de manière autonome et indépendante et ne sera pas exclusivement dédiée aux besoins d'APMM;
Considérant cependant, que le constat du défaut structurel d'autonomie de TPO ne saurait dispenser la cour d'une analyse concrète des conditions dans lesquelles cette entreprise a exercé son activité ainsi que de son comportement sur le marché;
Qu'à cet égard, il ressort du dossier (points 62 à 74 de la décision) que les pratiques dénoncées à l'encontre de Perrigault et de TPO sont intervenues dans un contexte marqué par les sérieuses divergences d'interprétation survenues entre Perrigault et APMM sur la portée de leurs accords commerciaux, qui ont donné lieu à un conflit ouvert, suivi d'un blocage du processus de direction et d'administration conjointes de leur filiale commune, qui a interdit la mise en œuvre d'une politique commerciale déterminée en commun;
Que Perrigault et APMM qui, à la fin de l'année 2006 et au début de 2007, avaient entrepris des discussions sur l'ouverture de l'entreprise commune aux clients tiers, ont conclu le 20 février 2007 un accord en ce sens, qui n'a cependant pas dissipé toutes les réserves de Perrigault sur ce point, comme l'atteste une lettre adressée à APMM le 17 avril 2007, ainsi libellée : " L'ensemble de la place portuaire havraise a toujours considéré, et considère toujours, avoir en face d'elle au travers de TPO un partenariat entre un opérateur local apportant les moyens d'exploitation et un armement apportant les volumes. [...] Il est donc important de notre point de vue de ne pas donner à penser que nous sortons de ce schéma et de cette répartition des rôles entre nous. Sur ce plan, l'action commerciale que vous envisagez vis-à-vis de clients traités sur d'autres terminaux du Havre nous paraît pour le moins présenter de sérieux inconvénients comme nous vous l'avons déjà exprimé ";
Que, le 11 octobre 2007, Perrigault a notifié à TPO une liste des " clients Perrigault des 12 derniers mois", comprenant vingt armateurs entrant, selon elle, dans le champ d'application de la clause de non-concurrence prévue dans le MOA, Perrigault estimant que " la clause de non-concurrence [...] ne se limite pas qu'à des clients de Perrigault " et considérant ainsi que cette clause s'applique à tout armateur qui a été facturé par elle durant la période concernée, même pour des lignes faisant escale sur des terminaux concurrents du Port du Havre;
Que, toujours par lettre du 11 octobre 2007 adressée à APMM, M. X ..., l'administrateur de TPO - et également DGD de Perrigault SA - a expliqué au nom de Perrigault que "des raisons sociales autant qu'administratives, longuement évoquées entre nous, interdisent à TPO de s'intéresser en l'état aux clients des autres terminaux du port [...]. Par voie de conséquence, la recherche de clients tiers ne peut donc concerner que des armements n 'escalant pas aujourd'hui au Havre et partant, des volumes marginaux voire négligeables par rapport à la capacité du terminal" ;
Que, c'est dans ces conditions que, dans une note en date du 12 octobre 2007, le PDG de TPO a indiqué au DGD de TPO : " [...] les accords entre les partenaires de notre société prévoient qu'il est interdit à TPO d'avoir des relations commerciales quelles qu'elles soient (rendez-vous, offre de prix, etc ...) avec les clients du groupe Perrigault. Même si elle est de notoriété publique au Havre, ce groupe nous a pour la bonne forme communiqué la liste de ses clients. A toutes fins utiles, je vous rappelle que cette règle est absolue et obligatoire, elle s'impose à nous et, à défaut, celui qui l'enfreint crée un préjudice dont il devra réparation " ;
Que, par courrier du 22 octobre 2007, le vice-président d'APMT, M. B ..., a cependant indiqué au DGD de TPO qu'" APMT n'accepte pas la liste des clients existants présentée par le groupe Perrigault. Elle ne reflète pas ce qui a été antérieurement convenu. Nous avons convenu avec le groupe Perrigault que si ses clients existants et le groupe Perrigault souhaitaient un transfert de TN à TPO, ceci devrait se faire en partant du principe que leur contrat resterait chez TN et TPO exécuterait les services en tant que sous-traitant. Ce droit ne s'étendait qu'à ceux des services faisant actuellement escale à TN et non à d'autres services faisant escale ailleurs au Havre ou à de nouveaux services que ces compagnies pourraient introduire à l'avenir. Concernant d'autres compagnies et d'autres services, ceci indiquait clairement qu'il revenait à TPO de se développer de son côté conformément à la politique commerciale que APM Terminals et le groupe Perrigault s'étaient engagés à soutenir en février. Ceci reflète également la manière selon laquelle nous devrions aborder la nouvelle activité au terminal qui devrait avoir pour fondement les propres mérites de TPO et non au travers d'une quelconque relation avec TN" ;
Que le vice-président d'APMT a par ailleurs précisé ne pouvoir accepter les prétentions de Perrigault que "pour [les services] faisant escale aux terminaux de TN" ;
Que, par lettres du 27 novembre 2007, le vice-président d'APMT, M. B..., a contacté les compagnies maritimes OOCL, APL, NYK, Yang Ming, K Line, Hanjin, et United Arab Shipping Company en les informant de la mise en service imminente de TPO et en précisant également : " nous avons suggéré au management de TPO d'entrer directement en contact avec vous afin de vous communiquer plus d'informations sur les capacités et services offerts par TPO et de faciliter des négociations avec vous en vue d'un potentiel contrat avec TPO. [...] Toute négociation et tout contrat de manutention devra être conclu directement avec TPO ", ces lettres indiquant encore que les personnes à contacter dans ce but sont le PDG et le DGD de TPO ;
Que, par lettre du même jour, un dirigeant de Perrigault a écrit au vice-président d'APMT: "nous vous interdisons formellement de reprendre contact avec notre clientèle pour quelque raison que ce soit, y compris pour leur déclarer qu'elles ne peuvent escaler à TPO";
Que, dans le même temps, le PDG de TPO a informé les armateurs concernés que toute offre de conditions commerciales ne pourrait être faite que par TPO, à la suite d'une approbation par son conseil d'administration et a également précisé que toute offre émanant des représentants d'APMM ou du DGD de TPO serait nulle;
Qu'enfin, le PDG de TPO a indiqué au DGD de TPO : "je m'oppose à toute action de votre part qui consisterait à accorder des conditions d'escale (berth windows, prix) aux armateurs contactés ce jour par APMT Monsieur B ...) par courrier dont vous avez reçu copie. En cas de désaccord de votre part sur cette consigne, j'entends faire valoir mon droit de décision ultime sur le vôtre" ;
Que c'est dans ces conditions que, lors du conseil d'administration de TPO du 12 décembre 2007, les administrateurs de APMM ont constaté l'absence d'action commerciale de la part de l'entreprise commune en expliquant que " le défaut de mise en œuvre par TPO de la politique commerciale résulte du comportement et des actions du groupe Perrigault et en particulier des contrats conclus avec des compagnies maritimes par le biais de TN en sous-contractant les services à TPO de telle sorte que TN serait le bénéficiaire des revenus provenant de ces services, déduction faite seulement du paiement des coûts de manutention dus à TPO" ;
Que les administrateurs de Perrigault considéraient, quant à eux, qu'" [i]l est confondant de voir que le Groupe APMM ose prétendre qu'il n'existe pas de contingence sociale alors qu'il a assisté en tant que partenaire armateur aux négociations paritaires relatives à l'organisation du travail sur Port 2000, lors desquelles il a été clairement pris l'engagement par les opérateurs, et particulièrement leurs armateurs partenaires, de respecter la clientèle intérieure du port du Havre" ;
Considérant qu'un tel conflit des deux sociétés-mères n'a pas pour autant eu pour effet de mettre un terme au défaut structurel d'autonomie commerciale de TPO dans des conditions telles que l'entreprise commune aurait été mise en mesure d'adhérer elle-même, y compris de façon tacite, aux comportements prétendument anticoncurrentiels préconisés par Perrigault ;
Considérant, en effet, que les pratiques d'ententes poursuivies ne peuvent, en réalité, dans le contexte qui a été exposé et quelle que soit par ailleurs l'étendue des pouvoirs conférés aux dirigeants de TPO par les dispositions du Code de commerce, être analysées que comme le résultat de comportements unilatéraux de Perrigault, reposant notamment sur l'intervention du PDG de TPO, qu'elle avait désigné, ainsi que de ses représentants au sein du conseil d'administration qui, comme les clauses du MOA sur la direction et l'administration de la filiale commune l'impliquaient et comme le confirment par surcroît les événements ci-dessus exposés, appliquaient les instructions de cette société-mère ou, à tout le moins, agissaient au soutien de ses intérêts ;
Considérant, enfin, concernant plus particulièrement la conduite de TPO sur le marché, que la candidature "du partenariat entre Perrigault et APMM appelé à devenir TPO" en concurrence avec celle présentée à titre individuel par Perrigault en réponse à l'appel à candidatures du PAH du 30 octobre 2001, effectuée avant la conclusion du MOA et la création de TPO, ne peut, de ce fait, être imputée à celle-ci au titre d'un comportement autonome sur le marché;
Qu'en outre, dans le contexte de conflit et de blocage entre actionnaires étudié plus haut, les autres éléments retenus par l'Autorité qui sont notamment tirés d'une attitude du PDG de TPO, désigné par Perrigault ne peuvent qu'être assimilés à des comportements unilatéraux impliquant en réalité cette société-mère, opposée à la recherche de clients tiers par TPO, et non comme la manifestation d'un comportement autonome de TPO sur le marché considéré, étant par surcroît observé que APMM, tout en revendiquant l'autonomie de TPO fait malgré tout observer dans son mémoire que les lettres évoquées au point 275 de la décision "montrent la volonté du PDG de TPO de protéger les intérêts de Perrigault;
Considérant qu'il en résulte que les pratiques en cause sont l'expression d'un conflit opposant Perrigault et APMM, toutes deux sociétés-mères de la société TPO;
Que, contrairement à ce qu'a retenu l'Autorité de la concurrence, ces pratiques ne peuvent procéder d'une volonté commune des sociétés Perrigault et TPO de se comporter sur le marché de manière concertée;
Que le grief d'entente par répartition de clientèle qui leur est imputé ne peut être retenu, ce qui implique leur mise hors de cause;
Et considérant qu'il n'y pas lieu d'ordonner la publication de la présente décision qui est demandée par la société Perrigault ;
Par ces motifs, Réforme la décision n° 10-D-13 rendue par l'Autorité de la concurrence le 15 avril 2010, Et, statuant à nouveau, dit qu'il n'est pas établi que la société Perrigault et la société TPO ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 du TFUE, au titre du grief d'entente de partage de clientèle, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Perrigault et la société TPO de leur demande de remboursement de frais irrépétibles, Déboute la société Perrigault de sa demande de publication, Laisse à la société APMM la charge des dépens afférents à son intervention volontaire, Déboute la société APMM de sa demande de remboursement de frais irrépétibles, Laisse les dépens exposés par la société Perrigault et la société TPO à la charge du Trésor Public.