Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 24 juin 2009, n° 07-02065

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Comminges Import Automobiles (SARL), Ducasse et Cie (SA), Dream Car Services (SARL)

Défendeur :

Garage Dambax et Fils (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albert

Conseillers :

M. Belières, Mme Salmeron

Avoués :

SCP Nidecker Prieu-Philippot Jeusset, SCP Boyer Lescat Merle, SCP Dessart-Sorel-Dessart, SCP Rives-Podesta

Avocats :

Mes Abadie, Portolano, Butin

T. com. Saint Gaudens, du 23 févr. 2007

23 février 2007

Exposé des faits:

Par déclaration en date du 5 avril 2007, la SARL Comminges Import Automobiles a relevé appel du jugement du 23 février 2007 du Tribunal de commerce de Saint-Gaudens qui, après avoir joint les instances, homologué le rapport d'expertise de M. Serfati, l'a déboutée ainsi que les sociétés SA Ducasse et Cie et SARL Dream Car Service de leurs demandes, l'a condamnée solidairement avec la SARL Dream Car Service et la SA Ducasse et Cie à verser à la SA Garage Dambax et Fils:

- des indemnités pour 14 véhicules à hauteur de 24 000 euro,

- des dommages-intérêts à hauteur de 24 000 euro pour inexécution par dol de l'obligation de ne pas livrer des véhicules neufs à des membres non agréés du réseau,

- 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Comminges Import Automobiles, la SA Ducasse et Cie et la SARL Dream Car Service ont été condamnées solidairement à régler les dépens en ce y compris les frais de constat et d'expertise. Le tribunal n'a pas ordonné l'exécution provisoire. Enfin, le tribunal a débouté la SA Dambax et Fils de ses demandes à l'encontre du groupe Volkswagen France et l'a condamnée à lui verser 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à verser les dépens relatifs au litige l'opposant au groupe Volkswagen France.

La SA Garage Dambax et Fils, concessionnaire officiel de la marque Audi Volkswagen sur le territoire de Lannemezan et d'Estancarbon, constate qu'elle subit la concurrence de revendeurs indépendants, non agréés, telle que celle de la SARL Comminges Import Automobiles qui distribue des véhicules de marque Audi et Volkswagen fournis par la SARL Dream Car Service, qui s'approvisionne auprès d'une société espagnole, elle-même fournie par un membre du réseau agréé, qui ne respecte pas ses obligations contractuelles, la SA Ducasse et Cie, concessionnaire Audi Volkswagen sur le territoire de Narosse.

Par ordonnance de référé du 27 juillet 2004 le Président du Tribunal de commerce de Saint-Gaudens a ordonné une expertise, confiée à M. Tudela puis à M. Serfati, notamment pour déterminer le circuit de distribution des véhicules objets du litige et déterminer s'il y avait eu vente à perte. Le rapport a été déposé le 15 décembre 2005.

Une seconde expertise a été ordonnée le 27 juillet 2005 confiée à M. Serfati pour déterminer la liste des véhicules entre 1 000 et 2 000 km vendus par la société Ducasse, expertiser la nature des véhicules et donner son avis sur l'enrichissement éventuel de la société Ducasse du fait de ventes à des tiers.

Par exploit d'huissier de justice des 6 et 7 avril 2006, la SA Garage Dambax et Fils a fait assigner les sociétés SARL Comminges Import Automobiles, la SA Ducasse et Cie, la SARL Dream Car Service et le groupe Volkswagen France en concurrence déloyale.

Le 20 août 2007, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures.

Moyens des parties:

Par conclusions notifiées le 7 avril 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Comminges Import Automobiles demande de réformer le jugement attaqué, de débouter la SA Garage Dambax et Fils de ses demandes et 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que, par application de l'article L. 442-6 6° du Code de commerce, engage sa responsabilité tout producteur, commerçant industriel ou artisan immatriculé au répertoire des métiers par le fait "de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite aux distributeurs liés par un accord de distribution sélective ou exclusive exemptée au titre des règles applicables du droit de la concurrence" ce qui suppose une responsabilité quasi-délictuelle de droit commun basée sur la faute prouvée. La SA Dambax et Fils doit rapporter la preuve qu'elle-même a commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil. Elle a acquis les véhicules de la SARL Dream Car Service qu'elle n'avait aucune raison de suspecter. Elle n'avait aucune connaissance des contrats de distribution exclusive du groupe Volkswagen France et les clauses de ces contrats ne peuvent lui être opposées. Par ailleurs, les conditions de la vente des véhicules litigieux n'avaient rien d'exceptionnel notamment sur le niveau des prix pratiqués, en l'espèce, des remises de 17 % en moyenne. Elle a de plus réglé la TVA à 19,6 % et n'a pas acquis dans des conditions douteuses comme le prétend la SA Dambax et Fils.

A titre subsidiaire sur le préjudice, elle fait valoir qu'elle n'a vendu que 12 véhicules or, la SA Dambax ne peut rapporter la preuve qu'elle aurait vendu ses 12 véhicules. En outre, les 14 véhicules litigieux ont été vendus non pas localement mais dans toute la France.

Par conclusions notifiées le 23 juillet 2008 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SA Ducasse demande de réformer le jugement attaqué, de prononcer la nullité du rapport de M. Serfati déposé le 15 décembre 2005 et le pré-rapport déposé en juin 2005, de débouter la société Dambax de ses demandes. A titre infiniment subsidiaire, si la cour s'estimait suffisamment éclairée en dépit de la nullité de l'expertise, elle demande de juger que la société Dambax ne rapporte pas la preuve de son préjudice, de la débouter de ses demandes et de la condamner à 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle sollicite la nullité du rapport d'expertise et du pré-rapport du 15 décembre 2005 pour avoir violé le principe du contradictoire et les règles de convocation. L'expert n'a pas répondu à ses observations notamment sur la destination des 114 véhicules relevés en page 10 du pré-rapport. Lors des investigations en octobre et novembre 2005 dans ses locaux, l'expert n'a pas convoqué les parties conformément à l'article 160 du Code de procédure civile. Il a ainsi ajouté des factures à la liste pour des ventes qui étaient déjà comptabilisées. L'expert n'a pas convoqué les parties à toutes les réunions d'expertise, ne leur a pas fourni tous les éléments de la discussion et n'a pas répondu aux observations de la société Ducasse ce qui aurait permis de lever certaines incohérences mises en exergue.

Ainsi, l'expert affirme que la société Ducasse fournissait les véhicules à la société Dream Car Service ce qui est faux car elle les vendait à la société Patangel, société espagnole.

Sur le prétendu préjudice subi par la société Dambax, s'agissant d'une action en concurrence déloyale, il faut démontrer la faute de la société Ducasse mais, de plus, la cour retiendra les erreurs commises par l'expert dans la valorisation du prétendu enrichissement de la société Ducasse : l'expert ne fournit aucun élément sérieux sur les prétendus faux véhicules d'occasion. Enfin, il convient de relever l'absence de démonstration par la société Dambax de son préjudice.

L'expert n'a pas tenu compte des factures émises à l'ordre de la société Patangel relatives à des véhicules livrés et impayés à hauteur de 322 132,29 euro ce qui limite l'enrichissement prétendu à 219 500 euro au lieu de 239 000 euro. Par ailleurs, il ne peut être tenu compte des 68 véhicules avec un kilométrage de 1 000 Km prétendu sans que la société Ducasse ait pu faire des observations sur ce point. De même, la société Dambax ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait vendu les véhicules cédés par la SARL Comminges Import Automobiles.

Enfin, elle critique le jugement sur le double fondement des condamnations prononcées, fondement contractuel et fondement quasi délictuel.

Par conclusions notifiées le 21 avril 2009 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SA Garage Dambax et Fils demande la confirmation dans son principe du jugement et, faisant droit à son appel incident, la condamnation solidaire des sociétés SARL Comminges Import Automobiles, SA Ducasse et SARL Dream Car Service à lui verser 239 000 euro au titre du préjudice subi, 239 000 euro au titre des dommages-intérêts pour dol, et 20 000 euro supplémentaires au titre des frais en cause d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle retient la validité du rapport d'expertise et écarte les critiques de la société Ducasse.

Sur la faute, elle évoque la vente organisée hors réseau des véhicules de marque Audi et Volkswagen et se fonde sur les constats dressés par la SCP Fos Terrin Angla dans les locaux de la société Central Auto fournie par la société Dream Car Service qui s'approvisionne dans la société espagnole Patangel, elle-même approvisionnée par la société Ducasse qui doit respecter ses obligations de distributeur agréé. Ce circuit de distribution constitue une concurrence déloyale pour la société Dambax et Fils. La société espagnole est domiciliée aux Canaries et, d'après la vente effectuée et les CMR (lettres de voiture internationale), le transporteur espagnol est la société C Fernandez. Or, les justificatifs de transport n'ont pu être obtenus après assignation par la société Dambax car la société de transports Fernandez n'existe pas et aucun transport international de Narosse via Ténériffe n'a ainsi pu être établi. En réalité, les véhicules n'ont jamais quitté la France. De faux CMR sont fabriqués et les véhicules sont directement livrés à ceux qui les avaient commandés à la société Patangel, c'est-à-dire la société Dream Car Service, sans passer par Ténériffe.

L'équilibre économique des concessionnaires officiels est mis à mal par ce type de réseau parallèle car les investissements des concessionnaires officiels sont importants.

Elle se fonde ensuite sur les constatations de l'expertise judiciaire pour démontrer que la fraude portait sur plus de 70 véhicules découverts et sur 135 véhicules dont la destination n'a pu être déterminée. Il souligne avoir découvert 15 factures mentionnant un kilométrage de zéro annulées puis émises à nouveau avec un kilométrage de 1001 km et cette pratique a porté sur 140 factures de véhicules. Il note également que la société Patangel bénéficiait d'une remise de 5 à 6 % seulement alors qu'il commandait sur la période plus de 140 véhicules et alors qu'un simple particulier obtient des remises bien plus importantes.

Sur le préjudice subi, elle demande à la cour de retenir l'évaluation de l'expert à deux titres d'une part, sur le préjudice subi du fait de l'enrichissement frauduleux de la société Ducasse et d'autre part, pour le dol lié à l'inexécution de l'obligation de ne pas livrer des véhicules à des membres non agréés du réseau.

Sur le lien de causalité entre faute et préjudice, elle se fonde sur l'article 1134 du Code civil dans ses rapports avec la société Ducasse, sur les dispositions de l'article L. 442-6 6° du Code de commerce et les règlements européens s'agissant "d'accords verticaux" dans ses rapports avec les revendeurs non agréés, sociétés Dream Car Service et SARL Comminges Import Automobiles.

La SARL Dream Car Service qui a été assignée régulièrement à domicile les 14 novembre 2007 et le 4 février 2008 a constitué avoué mais n'a pas conclu.

Motifs de la décision

Sur l'exception de nullité de l'expertise soulevée par la SA Ducasse et Cie:

La SA Ducasse et Cie sollicite l'annulation de l'expertise pour ne pas avoir répondu aux observations qu'elle a effectuées après réception du pré-rapport de la première mission d'expertise, pour ne pas avoir été convoquée aux investigations de la 2e mission d'expertise et pour partialité de l'expert judiciaire qui a poursuivi son analyse dans la 2e mission sans tenir compte des observations faites après le pré-rapport de la 1re mission d'expertise.

La cour constate, concernant la première mission d'expertise, que le principe du contradictoire a été respecté par l'expert judiciaire puisque les parties ont été régulièrement avisées, dès le 27 août 2004, des opérations d'expertise avec réclamation de l'ensemble des documents nécessaires à la mission puis régulièrement convoquées à la réunion du 16 mars 2005 au cours de laquelle les parties ont pris connaissance du pré-rapport et de son contenu que l'expert a préalablement commenté.

Enfin, si le rapport de la 1re mission d'expertise n'en fait pas état, la SA Ducasse et Cie produit le courrier de l'expert du 7 juin 2005 communiquant un exemplaire du pré-rapport et donnant un délai de 15 jours aux parties pour présenter leurs observations. Le fait que la SA Ducasse et Cie ait sollicité, dès le 16 juin, un délai supplémentaire pour présenter ses observations et qu'il n'ait pas été accordé par l'expert, n'est pas de nature à porter atteinte au principe du contradictoire, aucune disposition légale n'imposant à l'expert judiciaire d'accorder un délai supplémentaire. La cour constate donc que le principe du contradictoire a été respecté au cours des opérations d'expertise de la première mission confiée à M. Serfati et rejette l'exception de nullité soulevée concernant le rapport de la première mission.

S'agissant de la deuxième mission d'expertise, la cour ne peut, en revanche, que constater que, si les mesures d'investigation demandées portaient sur des opérations matérielles de collecte de documents et de consultation sur place de la comptabilité pour retracer le circuit des véhicules litigieux et leur historique notamment au niveau du kilométrage, mesures qui ne nécessitaient pas de convocation préalable des parties, en revanche, l'expert ne mentionne pas dans son rapport avoir porté à la connaissance des parties le résultat de ses investigations pour leur permettre de présenter leurs observations. Par conséquent, le principe du contradictoire a été violé au cours des opérations d'expertise de la deuxième mission et le rapport correspondant à cette dernière mission doit être annulé.

Enfin, la cour constate que les critiques relatives à la prétendue impartialité de l'expert judiciaire ne portent que sur l'analyse effectuée lors de la 2e mission d'expertise qui, en tout état de cause, doit être annulée. La cour s'appuiera donc sur les éléments recueillis lors de la première mission d'expertise dont le rapport n'est pas annulé et en tenant compte notamment des observations tardives de la SA Ducasse et Cie dès lors qu'elles seraient pertinentes.

Sur le fond:

L'action poursuivie par la SA Dambax et Fils est fondée sur la concurrence déloyale qui découle du non-respect par un distributeur agréé au sein d'un réseau de distribution sélective (concernant des véhicules de marque Audi et Volkswagen) de ses obligations contractuelles et sur le principe de responsabilité de tous ceux qui participent au non-respect de cette distribution sélective en vertu des dispositions de l'article L. 442-6 6° du Code de commerce. Pour établir la mauvaise foi des revendeurs non agréés poursuivis, elle se fonde, pour l'essentiel, sur l'existence de fraude à la TVA intracommunautaire via un revendeur espagnol et sur le niveau anormalement bas des prix de vente pratiqués auprès des particuliers.

Il appartient à la SA Dambax et Fils de rapporter la preuve, sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, de la licéité du réseau de distribution sélective dont elle se prévaut et du caractère frauduleux des conditions d'acquisition des véhicules par les revendeurs non agréés, en l'espèce les sociétés poursuivies, la SARL Dream Car Service et la SARL Comminges Import Automobiles et des conditions illicites de vente des distributeurs agréés du réseau, en l'espèce, la SA Ducasse et Cie.

Le caractère licite du réseau de distribution sélective dont se prévaut la SA Dambax et Fils pour les véhicules de marque Audi et Volkswagen est attesté par les contrats de distribution qu'elle produit et ne fait pas l'objet d'une quelconque contestation des parties.

Elle doit, en revanche, établir la faute respective des sociétés SA Ducasse et Cie, Dream Car Service et SARL Comminges Import Automobiles ainsi que la réalité du préjudice qu'elle a subi.

Concernant la faute contractuelle reprochée à la SA Ducasse et Cie, distributeur agréé de la marque, la SA Dambax et Cie doit rapporter la preuve qu'elle a vendu des véhicules en infraction à ses obligations contractuelles et qu'elle lui a ainsi porté un réel préjudice. En revanche, elle n'a pas de lien contractuel direct avec la SA Ducasse et Cie et ne peut solliciter une indemnisation que pour son préjudice découlant de la concurrence déloyale dont elle est victime et non pour inexécution par dol comme elle l'invoque par ailleurs en page 10 de ses conclusions.

A l'examen du rapport de la première mission d'expertise de M. Serfati et des pièces produites par la société Ducasse et Cie, pour en contester le bien-fondé des conclusions et notamment justifier des destinations des véhicules non suffisamment déterminées selon l'expert, la cour ne peut que constater que la SA Ducasse et Cie, au-delà de toutes ses mentions manuscrites sur les listes de véhicules repris par l'expert précisant les destinations des véhicules qu'elle a achetés au fabriquant, n'en justifie que quelques unes par factures, certificats d'immatriculation et duplicata de versement de la TVA correspondants.

En effet, concernant les véhicules de marque Audi pour 2003, elle justifie 3 destinations parmi les 6 sociétés destinataires mentionnées mais ne justifie pas les destinations inconnues ou mentionnées "Ducasse" pour 2004, de même, elle ne justifie que deux ventes à des sociétés déjà mentionnées comme destinataires sur les 4 relevées par l'expert mais ne justifie pas les destinations relevées par l'expert comme non déterminées ou mentionnées "Ducasse". Concernant les véhicules de marque Volkswagen, la SA Ducasse et Cie justifie, pour 2003, 6 ventes à des sociétés sur les 34 ventes à des sociétés relevées par l'expert dont une vente pour la société espagnole Patangel et ne justifie pas les 58 ventes à des destinataires restés inconnus et 64 ventes mentionnées "Ducasse" en 2004, elle ne justifie que 10 ventes à des sociétés sur les 32 ventes à des sociétés relevées par l'expert mais ne justifie pas des 39 ventes mentionnées sans destinataire ni des 20 ventes avec la mention "Ducasse".

Par ailleurs, pour les véhicules mentionnés "Ducasse", la SA Ducasse et Cie affirme dans ses observations, et sans en justifier, que 7 véhicules de marque Audi seraient toujours en stock en 2004, qu'un véhicule de marque Volkswagen serait en stock en 2003 et 9 en 2004.

Il convient donc de constater que les critiques portées au rapport de la première expertise concernant le nombre de destinations des véhicules non clairement déterminées sont peu significatives dans la mesure où d'une part, il appartenait à la SA Ducasse et Cie d'apporter d'emblée à l'expert tous les documents permettant de justifier de la destination de chaque véhicule reçu du fabriquant mais les justificatifs qui ont été apportés tardivement ne corroborent les affirmations de la SA Ducasse et Cie que pour une infime part des ventes critiquées.

Il convient de rappeler que, dans le cadre de son contrat de distributeur agréé au sein d'un réseau sélectif, la SA Ducasse et Cie devait "ne pas vendre des produits neufs sortant de l'usine et/ou non utilisés à des revendeurs qui n'appartiennent pas au réseau de distribution de la marque et qui ne sont pas agréés pour la distribution des produits contractuels. Les véhicules automobiles sont réputés non utilisés au sens de la 1re phrase dès lors qu'ils affichent un kilométrage inférieur à 1 000 km... le distributeur n'est autorisé à vendre des véhicules neufs... à un utilisateur final utilisant les services d'un intermédiaire que si cet intermédiaire a été préalablement mandaté par écrit pour acheter un véhicule automobile déterminé".

La cour constate que, la société Dambax et Fils établit son préjudice uniquement en se fondant sur le chiffre d'affaires de la société espagnole Patangel réalisée avec la SA Ducasse et Cie et non à partir d'autres revendeurs; elle établit donc un lien direct entre la faute de la SA Ducasse et le circuit utilisé via la société espagnole. La cour constate par ailleurs que, comme le relève l'expert et ce que ne conteste pas la SA Ducasse et Cie, cette dernière a vendu directement des véhicules neufs à des revendeurs non agréés et, de surcroît, a agi par fraude en revendant notamment à la société espagnole Patangel qui n'est pas un revendeur agréé mais un revendeur de véhicules neufs, puisque 70 véhicules sur les 414 véhicules mentionnés par la SA Ducasse et Cie comme destinés à des particuliers, étaient en réalité vendus préalablement à la dite société espagnole sans qu'il soit fourni un quelconque mandat de l'acheteur final à la société espagnole. En outre, l'expert comptable de la SA Ducasse et Cie atteste qu'elle détient une créance douteuse sur la société Patangel au 31 décembre 2004 de 322 132,29 euro.

Ce circuit est d'autant plus frauduleux, qu'il n'est pas sérieusement contesté par les parties que les véhicules cédés par la SA Ducasse à la société Patangel devaient être transportés, comme cela ressort des CMR produits par la SA Dambax et Fils, par la société de transport "C. Fernandez Martin Juan De Velasco -8- 2° Izda Vitoria Gasteiz-Transportiu LDA Cerveira n° 479 PT" or, la SA Dambax et Fils établit que cette société de transports n'existe pas auprès des registres commerciaux espagnols et la SA Ducasse n'apporte aucun élément concernant l'existence réelle de cette société de transport qu'elle ne conteste pas avoir sollicitée pour transporter les véhicules vendus à la société Patangel.

Le tableau de l'expert judiciaire concernant les seules reventes par Dream Car Service (cf. dossier 5 de la première expertise) montrent que les prix de revente à des particuliers des véhicules qui ont transité par le circuit de la société Patangel étaient systématiquement et de façon significative plus bas que le prix de vente initial par la SA Ducasse et Cie.

La faute contractuelle de la société Ducasse et Cie à l'égard de ses obligations de distributeur agréé est établie ainsi que l'exécution de mauvaise foi du contrat puisque ces ventes étaient mentionnées effectuées au profit d'un particulier auprès du fabricant et qu'elles suivaient un circuit de livraison intracommunautaire sans livraison effective. Dès lors que des véhicules sont revendus en France après avoir suivi ce circuit frauduleux à des prix beaucoup plus bas que le prix de vente initiale, la SA Dambax et Fils subit nécessairement un préjudice puisqu'elle est victime d'une concurrence déloyale par le biais d'une réduction irrégulière et systématique du prix de revente aux particuliers par le jeu du mécanisme de la TVA intracommunautaire sans supporter les coûts inhérents aux transports internationaux que ce mécanisme suppose et cela au-delà de la faculté, simplement occasionnelle, de tout revendeur d'accorder ou non des remises de prix à son client.

Par ailleurs, par le biais des moyens modernes de commercialisation, la société Dambax et Fils peut vendre sur tout le territoire, comme le fait d'ailleurs la SA Ducasse et Cie elle-même puisqu'elle produit notamment des factures de vente à des particuliers résidant dans des zones très éloignées de son siège social comme en région parisienne.

Concernant son préjudice, la société Dambax et Fils s'appuie sur le chiffre d'affaires hors taxe net de la société Patangel pour calculer la marge nette de la SA Ducasse et les remises arrière correspondantes et les additionner et fixer l'enrichissement sans cause de la SA Ducasse et Cie mais en réalité, son préjudice personnel correspond à une perte de chance de réaliser une marge nette sur les ventes potentielles auprès des clients finaux qui ont acquis des véhicules ayant suivi le circuit litigieux (SA Ducasse et Cie, société Patangel, retour sur le territoire national avec un prix de départ faussé par le jeu de la réduction abusive de la TVA intracommunautaire). D'après le premier rapport d'expertise, ces ventes irrégulières faussement déclarées comme destinées à des particuliers alors qu'elles étaient destinées à la société espagnole sont au nombre de 70 et les observations de la SA Ducasse et Cie ne critiquent pas sérieusement ces éléments.

A défaut de précisions sur la marge nette moyenne réalisée par la société Dambax et Fils par vente de véhicule de marque Audi et Volkswagen en fonction de la concurrence normale (et donc non déloyale) des autres distributeurs agréés du réseau de distribution sélective et en fonction du type de véhicules concernés et de leur prix d'achat auprès du fabricant, la cour évalue le préjudice subi à 56 000 euro toute cause de préjudice confondu au titre de la concurrence déloyale de la SA Ducasse et Cie par non-respect de ses obligations de distributeur agréé du réseau auquel elle-même appartient.

Concernant la faute des revendeurs non agréés, Dream Car Service et SARL Comminges Import Automobiles, elle doit rapporter la preuve qu'ils ont agi de mauvaise foi en acquérant et en revendant des véhicules en connaissant leur origine irrégulière et qu'ils lui ont ainsi porté un préjudice réel.

Eu égard aux conclusions du rapport d'expertise de la première mission de M. Serfati, la cour retient qu'il est établi que, parmi 8 véhicules provenant de la SA Ducasse et Fils, 6 ont été acquis auprès de la société Dream Car Service dont 5 avaient été initialement vendus par la SA Ducasse et Cie à la société espagnole Patangel et que le 6e véhicule (Golf châssis n° WVWZZZ 1KZ4B049320 acquis en 2004), alors qu'il a été déclaré vendu à un particulier le 18 mars 2004 par la SA Ducasse et Cie, a été vendu directement par la société Dream Car Service à la société Central Auto le 3 mars 2004.

Concernant ce dernier véhicule, l'incohérence des différentes dates d'achat par des particuliers établit à elle seule l'irrégularité de l'acquisition du véhicule Golf par la SARL Dream Car Service. En effet, elle ne peut avoir cédé le 3 mars 2004 à la société Central Auto, un véhicule neuf acquis par la société Ducasse et Cie auprès du fabricant le 26 février 2004 alors qu'elle n'est pas un revendeur agréé et alors que la SA Ducasse a déclaré ce véhicule vendu à un particulier le 18 mars 2004.

Concernant les véhicules vendus par la société Patangel à la SARL Dream Car Service, cette dernière ne peut ignorer leur acquisition irrégulière en fraude de la TVA intracommunautaire puisque les véhicules vendus par le biais de la société espagnole Patangel ne sont pas en provenance de l'Espagne à défaut de transport des dits véhicules de la SA Ducasse et Cie vers les établissements espagnols de la société Patangel.

Par ailleurs, la SA Dambax et Fils produit une convention entre la société espagnole Patangel et la SARL Dream Car Service en date du 2 décembre 2002, intitulée contrat de collaboration, avec pour objet le fait pour la seconde société d'être la plateforme de paiement, de facturation et de défiscalisation des dossiers clients de la première selon ses consignes et en contrepartie du versement d'une commission par dossier. Par ailleurs, elle produit également copie du procès-verbal du 27 avril 2004 de la Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Gironde dans lequel le gérant de la SARL Dream Car Service a déclaré "tous mes véhicules sont achetés en Espagne auprès de deux sociétés SL Patangel Alquie Auto et Patangel Negocio SL" sises à la même adresse à Madrid.

Il ressort de ces pièces que la SARL Dream Service est bien un revendeur de véhicules Volkswagen et Audi non agréé de mauvaise foi dès lors qu'il ne peut ignorer le circuit litigieux mis en place par la SA Ducasse et Cie et la société espagnole Patangel et qu'elle a acquis directement un véhicule Golf neuf auprès de la SA Ducasse et Cie sans établir la régularité de cette acquisition. La faute de la SARL Dream Car Service est donc établie.

La société Dambax et Fils a nécessairement subi un préjudice lié à la revente par la société Dream Car Service des 6 véhicules, il s'agit également d'une perte de chance de pouvoir revendre des véhicules auprès des clients finaux qui ont acheté les véhicules litigieux et de réaliser une marge moyenne correspondante. La cour évalue ce préjudice à 4 800 euro toute cause de préjudice confondu au titre de la concurrence déloyale dont elle a été victime.

En revanche, concernant la SARL Comminges Import Automobiles, la cour relève que la SA Dambax et Fils ne rapporte pas la preuve que ce revendeur non agréé a acquis de mauvaise foi des véhicules identifiés comme provenant de la SA Ducasse et Cie (cf. dossier 6 du rapport de la première expertise) et ne peut se voir opposer la responsabilité définie par l'article L. 442-6 6° du Code de commerce.

Sur les 14 véhicules identifiés par l'expert comme provenant de la SA Ducasse et Cie et revendus par la SARL Comminges Import Automobiles, 4 sont passés par le circuit litigieux de la société espagnole avant d'être cédés à la SARL Dream Car Service qui les a fournis ensuite à la SARL Comminges Import Automobiles et les 10 autres ont été acquis auprès des sociétés Central Auto ou Dream Car Service qui ne sont pas des revendeurs agréés. Aucune élément ne permet d'affirmer que la SARL Comminges Import Automobiles a eu connaissance du circuit frauduleux organisé par le biais de la société espagnole Patangel ni qu'elle a acquis les dits véhicules de mauvaise foi en se fondant sur le seul critère du prix de revente par les sociétés Central Auto et Dream Car Service. En effet, ce dernier critère n'est pas suffisant pour établir la faute de la SARL Comminges Import Automobiles qui a acquis les véhicules litigieux avec des remises de 16 à 17 % dès lors que les remises pratiquées sur les prix par les revendeurs automobiles peuvent être bien plus importantes dépassant parfois les 30 % du prix et que la société Dambax et Fils elle-même en tant que revendeur agréé du réseau de distribution sélective propose occasionnellement des véhicules avec des remises sur les prix de plus de 19 %. Le seul critère du prix, dont les remises pratiquées en l'espèce ne sont pas exceptionnelles, ne peut donc établir la mauvaise foi de la SARL Comminges Import Automobiles.

La demande de la SA Dambax et Fils sera donc rejetée à l'égard de cette dernière société.

Sur les demandes annexes:

La SA Ducasse et Cie et la SARL Dream Car Service qui succombent supporteront la charge des dépens, en ce y compris les frais de constat et d'expertise, dans la proportion respective de 4/5e et 1/5e; elles ne peuvent de ce fait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît inéquitable eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties de laisser à la charge de la société Dambax et Fils les frais occasionnés par la procédure en première instance et en appel et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer la somme de 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile qui sera à la charge des SA Ducasse et Cie et SARL Dream Car Service dans les mêmes proportions que pour les dépens.

Il apparaît inéquitable eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties de laisser à la charge de la SARL Comminges Import Automobiles les frais occasionnés par la procédure de première instance et d'appel et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile qui sera à la charge de la SA Dambax et Fils.

Par ces motifs, LA COUR, - Infirme le jugement attaqué à l'exception des éléments du dispositif relatifs : - au rejet de la nullité concernant le rapport de la 1re mission d'expertise de M. Serfati en date du 31 mai 2005, - au principe de la condamnation des sociétés SA Ducasse et Cie et Dream Car Service à verser des dommages-intérêts à la SA Garage Dambax et Fils, - et aux mentions concernant le groupe Volkswagen France. Et, statuant à nouveau, - Annule le rapport de la 2e mission d'expertise de M. Serfati en date du 15 décembre 2005. - Condamne la SA Ducasse et Cie à verser à la SA Garage Dambax et Fils la somme de 56 000 euro à titre de dommages-intérêts. - Condamne la SARL Dream Car Service à verser à la SA Garage Dambax et Fils la somme de 4 800 euro à titre de dommages-intérêts. - Déboute la SA Garage Dambax et Fils de ses demandes à l'égard de la SARL Comminges Import Automobiles. - Condamne in solidum la SA Ducasse et Cie et la SARL Dream Car Service et ce dans la proportion respective de 4/5e et 1/5e, à payer à la SA Garage Dambax et Fils la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel. - Rejette la demande formée par la SA Ducasse et Cie de ce chef. - Condamne la SA Garage Dambax et Fils à payer à la SARL Comminges Import Automobiles la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel. - Condamne in solidum la SA Ducasse et Cie et la SARL Dream Car Service, et ce dans la proportion respective de 4/5e et 1/5e, aux dépens de première instance et d'appel, en ce y compris les frais de constat et d'expertise. - Autorise les SCP Boyer-Lescat-Merle et Nidecker-Prieu-Philippot-Jeusset, avoués, à recouvrer directement les dépens dont elles auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.