Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-40.267
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rover (SAS)
Défendeur :
Brosset
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Rovinski
Avocat général :
M. Allix
Avocats :
Me Blanc, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 novembre 2008), que M. Brosset a été engagé le 18 février 1985 par la société Rover en qualité de VRP sur les départements de Vaucluse, du Gard et de l'Hérault ; qu'il a été licencié pour faute grave le 11 mai 2005 ; que contestant la légitimité de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur : - Attendu que la société Rover fait grief à l'arrêt de décider que le licenciement de M. Brosset ne reposait ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen : 1°) qu'en ayant énoncé que la lettre de licenciement invoquait trois griefs dont un "retard" de transmission des rapports d'activité, la cour d'appel a dénaturé cette lettre lui reprochant le fait que "vous ne nous adressiez plus vos rapports d'activité" et dénonçant donc, sans la moindre ambiguïté, non un simple retard mais une absence totale de transmission des rapports d'activité, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 2°) que constitue une faute grave, en dépit d'une mise en demeure puis d'une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, le refus persistant de fournir les rapports d'activité demandés par l'employeur; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles elle avait, par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception, 1°) le 11 avril 2005, demandé à M. Brosset ses rapports d'activité du 1er janvier au 31 mars avant le 18 avril 2005, lettre qui lui rappelait de surcroît que "depuis le 1er janvier 2005, nous ne recevons plus ces documents", 2°) le 25 avril 2005, convoqué le salarié à un entretien préalable au licenciement qui s'était déroulé le 4 mai suivant, au cours duquel lui avait été reproché l'absence de transmission des rapports d'activités, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du Code du travail ; 3°) que l'insuffisance de résultats qui résulte d'une faute du salarié ou d'une insuffisance professionnelle justifie son licenciement, même en l'absence d'objectifs contractuellement fixés ; qu'en ayant, en l'absence de "clause relative aux objectifs" jugé infondé le licenciement dont "les motifs... procèdent de considérations statistiques mais non d'objectifs contractuellement définis dont la non-réalisation impliquerait nécessairement une insuffisance d'activité", la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du Code du travail ; 4°) que l'insuffisance de résultats résultant d'une faute du salarié ou d'une insuffisance professionnelle et qui justifie son licenciement est établie objectivement par comparaison avec les résultats des autres salariés de l'entreprise ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles M. Brosset avait prospecté 25 nouveaux clients en 2004 et 3 au premier trimestre 2005, tandis que sur les 27 commerciaux de la société, 4 avaient enregistré moins de 25 nouveaux clients en 2004 et, en 2005, 4 avaient réalisé 4 nouvelles ouvertures de comptes et un, le même chiffre que M. Brosset, ce dont il résultait qu'après avoir été classé 22e sur 26 en 2004, M. Brosset était, au premier trimestre 2005, dernier à égalité avec un autre commercial, ce qu'elle avait d'ailleurs rappelé dans ses conclusions, l'insuffisance de résultats était donc établie sur une période de 15 mois, la cour d'appel a violé les articles L. 232-1 et L. 234-1 du Code du travail ; 5°) que l'insuffisance de résultats susceptible de justifier le licenciement est établie objectivement par rapport aux résultats antérieurement obtenus par le salarié ; qu'en ayant infirmé le jugement qui avait relevé que les résultats de M. Brosset étaient, au 1er trimestre 2005, en baisse de 48 % par rapport à la même période en 2004, et après avoir effectivement constaté cette baisse, sans se prononcer sur l'incidence de celle-ci, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du Code du travail ; 6°) qu'après avoir constaté qu'elle produisait un état des chiffres d'affaires et marges réalisés par 7 commerciaux de l'entreprise sur l'année 2004 et le premier trimestre 2005, la cour d'appel qui s'est bornée à énoncer que seuls les chiffres de 7 VRP pour la période étaient communiqués, certains ayant un secteur d'activité beaucoup plus étendu que M. Brosset, ce qui ne permettait pas d'exercer une comparaison complète et objective, sans rechercher si la circonstance que sur ces 7 VRP, M. Brosset était en terme de chiffre d'affaires et marges réalisés, tant en 2004 qu'au 1er trimestre 2005, classé dernier très loin derrière les autres, y compris les deux VRP qui comme lui bénéficiaient d'un secteur de trois départements, ne traduisait pas une insuffisance de résultats persistante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ; 7°) que le juge n'a pas le pouvoir d'apprécier si la sanction est disproportionnée à la faute commise lorsqu'il s'agit d'un licenciement ; qu'en ayant estimé qu'en toute hypothèse la sanction était disproportionnée aux faits, la cour d'appel a violé les articles L. 1333-2 et L. 1333-3 du Code du travail ; 8°) qu'en n'ayant pas précisé en quoi la sanction était disproportionnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1333-2 du Code du travail ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de dénaturation, violation de la loi et manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur : - Attendu que la société Rover fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de M. Brosset à lui payer la somme de 50 000 euro pour concurrence déloyale alors, selon le moyen : 1°) que commet des actes de concurrence déloyale le salarié qui, pendant plusieurs mois après son licenciement, alors qu'il travaille pour un concurrent, refuse de résilier la ligne téléphonique-fax qui était mise à disposition depuis de très nombreuses années par son ex-employeur, que les clients utilisaient pour le joindre, utilise ce fax, les mêmes codes clients et produits pour établir des devis, créant ainsi une confusion auprès de la clientèle, le préjudice de l'ancien employeur s'inférant nécessairement de tels actes et surabondamment de la baisse de chiffre d'affaires réalisé sur le secteur de l'ancien salarié après son départ ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles M. Brosset avait continué à utiliser la ligne téléphonique à laquelle il avait été abonné aux frais de la société, durant environ 5 mois après la rupture du contrat de travail, le chiffre d'affaires de celle-ci sur le secteur d'activité de l'ancien salarié ayant chuté, et avait établi par télécopies des devis adressés à un client de la société, ce qui caractérisait des manœuvres positives de concurrence déloyale ayant nécessairement causé un préjudice à l'ancien employeur, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'au lieu de se fonder sur la circonstance que le secteur d'activité de M. Brosset avait déjà chuté de 48 % fin mars 2005, la cour d'appel, qui n'a pas recherché ainsi qu'elle y était invitée si la circonstance que ce secteur avait encore chuté de plus de 50 % en 2005 après le départ du salarié, n'établissait pas, avec les faits dont elle constatait l'existence, des actes de concurrence déloyale et détournement de clientèle de M. Brosset, la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté l'absence de preuve d'actes positifs de concurrence déloyale du salarié ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la première branche du moyen unique du pourvoi incident du salarié : - Attendu que M. Brosset fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle alors, selon le moyen qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué selon lesquelles la société Rover, par lettre du 11 avril 2005, lui avait reproché une insuffisance notable des ouvertures de compte clients, qu'il avait prospecté 25 nouveaux clients avec un chiffre d'affaires de 531 000 euro en 2004 et trois nouveaux clients avec un chiffre d'affaires de 92 000 euro au cours du premier trimestre 2005 et créé ou développé une clientèle au profit de la société Rover ; qu'en estimant néanmoins que sa demande d'indemnité de clientèle était totalement injustifiée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 751-9, alinéa 1er devenu L. 7313-13 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que M. Brosset ne rapportait pas la preuve qu'il avait apportée, créé ou développé une clientèle ; que par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le moyen pris en sa seconde branche : - Vu l'article L. 7313-13 du Code du travail, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile ; - Attendu qu'après avoir débouté M. Brosset de sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle, la cour d'appel devait alors statuer sur son droit à une indemnité de licenciement après avoir recueilli les observations des parties ; qu'en s'abstenant ainsi, sans en donner de motifs, d'allouer à M. Brosset l'indemnité légale de licenciement qui constituait le minimum auquel il avait droit et dont le montant était nécessairement inclus dans la demande d'indemnité de clientèle plus élevée dont elle avait été saisie, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il n'a pas statué sur le droit de M. Brosset à une indemnité de licenciement, l'arrêt rendu, entre les parties, le 25 novembre 2008, par la Cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Nîmes, autrement composée.