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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 janvier 2011, n° 09-06503

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mercedes Benz France (SA)

Défendeur :

Garage H Froment (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

MM. Roche, Vert

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Selas Vogel, Vogel, Me Bourgeon

CA Paris n° 09-06503

26 janvier 2011

LA COUR,

Vu le jugement du 15 octobre 2004 par lequel le Tribunal de commerce de Versailles, saisi par la société Garage H Froment d'une action dirigée à l'encontre de la société Daimler Chrysler France à laquelle elle reprochait une résiliation abusive des contrats de concession les liant, a condamné cette dernière à lui payer de ce chef la somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Vu l'arrêt du 18 mai 2006 par lequel la Cour d'appel de Versailles a, sur l'appel interjeté par la société Daimler Chrysler France, confirmé le jugement de première instance en ce qu'il avait admis la recevabilité à agir de la société Garage H Froment, et sursis à statuer pour le surplus jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur deux questions préjudicielles introduites respectivement par l'Ostre Landsret danois (affaire C-125-05) et par la Cour Fédérale de justice allemande (affaires C-376-05 et C-377-05);

Vu l'arrêt du 25 septembre 2007 par lequel, au regard des arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes en date des 7 septembre 2006 et 30 novembre 2006, la Cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Versailles en ce qu'il avait écarté la responsabilité de la société Daimler Chrysler France dans la conduite des négociations de cession et leur échec et a retenu la responsabilité de cette dernière du fait de la résiliation à effet du 16 septembre 2003 avec préavis réduit à un an des contrats de concession qui liaient les parties depuis le 1er octobre 1996 ;

Vu, à la suite du pourvoi formé par la société Daimler Chrysler France, l'arrêt du 10 février 2009 par lequel la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt susvisé du 25 septembre 2007 mais "seulement en ce qu'il a dit que la société Daimler Chrysler France avait engagé sa responsabilité en résiliant le contrat de concession en accordant un préavis d'une année et l'avait condamnée à payer à la société Garage H Froment la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts et la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ", a remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour de céans;

Vu l'arrêt rectificatif du 5 mai 2009 par lequel la Cour de cassation dit que dans le dispositif de sa précédente décision au lieu de "condamnée à payer à la société Garage H Froment la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts" il faut lire "condamnée à payer à la société Garage H Froment la somme de 1 000 000 euro à titre de dommages et intérêts" ;

Vu les conclusions du 29 novembre 2010 de la société Mercedes Benz France tendant à faire :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Versailles, en date du 15 octobre 2004 en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Garage H Froment la somme de 300 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre les dépens et 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- confirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société Garage H Froment de ses autres demandes ;

- dire qu'elle-même n'a commis aucune faute dans la résiliation des contrats de concession considérés en accordant un préavis d'une année ;

- subsidiairement, dire, que les dommages et intérêts alloués par le Tribunal de commerce de Versailles à la société Garage H Froment sont disproportionnés et qu'en réalité cette dernière n'a subi aucun préjudice lié à l'octroi d'un préavis d'une année au lieu de deux années ;

- débouter la société Garage H Froment de l'ensemble de ses demandes et la condamner à payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euro ;

Vu les conclusions présentées par la société Garage H Froment le 30 novembre 2010 et tendant à faire :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Versailles en ce qu'il a dit qu'à la date du 16 septembre 2002, la société Mercedes Benz France ne pouvait résilier les contrats de concession conclus à compter du 1er octobre 1996 pour la distribution des véhicules industriels et véhicules utilitaires de marque Mercedes avec préavis réduit à un an sur le fondement des articles 15.5 des contrats et 5.3 du règlement CE 1475-95 ;

- le réformer sur le montant des dommages et intérêts alloués ;

- condamner la société Mercedes Benz France à lui payer à ce titre la somme de 1 313 500 euro en compensation de la perte d'une année de la marge semi-brute qu'elle retirait de son activité de vente de véhicules industriels et véhicules utilitaires de marque Mercedes et de l'activité de vente de véhicules d'occasion induite, outre celle de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants : la société "Garage H Froment" était concessionnaire des véhicules industriels et véhicules utilitaires Mercedes à Nîmes depuis 1973.

En dernier lieu, elle était liée à la société Mercedes Benz France par deux contrats de concession exclusive à durée indéterminée qui avaient pris effet le 1er octobre 1996 et s'inscrivaient dans le cadre du règlement CE 1475-95, règlement d'exemption relatif aux accords de distribution automobile applicable du 1er octobre 1995 au 30 septembre 2002.

Toutefois par deux courriers du 16 septembre 2002 la société Mercedes Benz France a notifié à la société le Garage H Froment la résiliation de ses deux contrats de concession, avec préavis réduit à un an en vertu de leur article 15.5 au lieu du préavis ordinaire de deux ans prévu à leur article 15.1, au motif d'une nécessité de restructuration globale du réseau Mercedes Benz, compte tenu de l'entrée en application définitive au 1er octobre 2003 du nouveau règlement d'exemption applicable à la distribution automobile n° 1400-2002 publié le 1er juillet 2002.

Ces décisions de résiliation se sont certes accompagnées de l'offre de nouveaux contrats prenant effet au 1er octobre 2003, mais limités au seul statut de réparateur agréé, à l'exclusion donc de la distribution des véhicules neufs également couvert jusqu'alors par les contrats de concession dénoncés.

La société Garage H Froment n'a pas accepté ces décisions et a, par acte du 3 juillet 2003, assigné la société Mercedes devant le Tribunal de commerce de Versailles lui reprochant d'avoir résilié les contrats de concession conclus à effet du 1er octobre 1996 de façon abusive, d'une part, et illicite, d'autre part, et d'avoir en outre refusé de façon illicite de l'agréer à nouveau pour la distribution des véhicules industriels et utilitaires Mercedes Benz à compter du 1er octobre 2003. Ce dernier grief a toutefois été abandonné par conclusions du 7 mai 2004.

C'est dans ces conditions de fait et de droit que sont intervenus les jugements et arrêts susvisés.

Considérant que si la société Garage H Froment reproche à la société Mercedes Benz France de ne lui avoir accordé qu'un préavis d'une année au lieu de celui de droit commun de deux ans et si l'article 15-1 des contrats de concession dont s'agit stipulait effectivement que ceux-ci étaient "conclus pour une durée indéterminée. Les parties contractantes peuvent le dénoncer sans indemnité, moyennant un préavis de deux ans à échéance de la fin d'un trimestre", il convient, toutefois, de relever que l'article 15-5 desdites conventions précisait que le concédant "peut résilier le contrat moyennant un préavis d'un an, à l'échéance de la fin d'un trimestre, en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle de son réseau";

Considérant qu'il sera rappelé qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (arrêts du 7 septembre 2006, Vulcan Silkeborg, C-125-05, point 37; du 30 novembre 2006, Brünsteiner e.a., C-376-05 et C-377-05, point 36 ; ordonnance du 26 janvier 2007, Auto Peter Petschenig, C-273-06, point 26) que la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau de distribution de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un délai de préavis d'un an, en application de l'article 5, paragraphe 3, 1er alinéa - 1er tiret du règlement CE 1475-95 implique que cette résiliation se justifie d'une manière plausible, par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, seraient susceptibles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; qu'en effet s'il n'appartient pas aux juridictions nationales ni aux instances arbitrales de remettre en cause les considérations économiques et commerciales au regard desquelles un fournisseur a pris la décision de réorganiser son réseau de distribution, il n'en demeure pas moins que la nécessité d'une telle réorganisation ne saurait, sous peine de priver les distributeurs de toute protection juridictionnelle effective sur ce point, relever de l'appréciation discrétionnaire du fournisseur dès lors que, selon l'article 5, susmentionné c'est cette nécessité qui permet au fournisseur, tout en conservant le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ce règlement en application de l'article 81, paragraphe 3, CE, de procéder à la résiliation d'un accord sans être tenu de respecter le délai ordinaire de préavis de deux ans prévu au paragraphe 2, point 2 dudit article 5 ";

Considérant qu'il résulte également de cette jurisprudence (arrêt précité, Vulcan Silkeborg, point 38, et Brünsteiner, point 37 ; ordonnance précitée, Auto Peter Petschenig, point 27) que, pour apprécier la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau, il est pertinent de tenir compte des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où ce dernier procéderait à une résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans, au lieu d'un préavis abrégé d'un an ; qu'il appartient ainsi au juge national saisi d'apprécier en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige et en particulier des preuves apportées à cette fin par le fournisseur si l'entrée en vigueur du règlement CE 1400-2002 a pu, en fonction de l'organisation spécifique du réseau de distribution considéré, rendre nécessaires des changements d'une importance telle qu'ils constituent une véritable réorganisation dudit réseau ou d'une partie substantielle de celui-ci ;

Considérant, en l'espèce, qu'il ressort de l'examen des pièces du dossier ainsi que des écritures des parties que depuis 2000 la société Mercedes Benz France avait lancé une politique de création de "plaques territoriales" constituées par des concessions plus importantes susceptibles de représenter non pas une seule marque en un seul produit mais l'ensemble des gammes de véhicules commercialisés par ses soins, de développement de synergies du fait de la réduction du nombre d'opérateurs ainsi que de filialisation et de succursalisation dans les grandes villes lui permettant de distribuer directement ses véhicules ; que la réorganisation des structures de distribution ainsi initiée par la société Mercedes Benz France s'est ultérieurement conjuguée avec l'obligation pour cette dernière de mettre concomitamment en œuvre avant le 1er octobre 2003 les nouveaux contrats de distribution sélective quantitative et qualitative tant pour la vente de véhicules neufs que pour le service après-vente prévus par le nouveau règlement d'exemption du 31 juillet 2002 et retenus désormais comme seule modalité organisationnelle du réseau ; qu'ainsi il est constant qu'à compter du 1er octobre 2003, le réseau de concessionnaires exclusifs Mercedes Benz qui assurait à la fois la vente et l'après-vente et le réseau d'agents qui assurait également l'après-vente ont été supprimés pour être remplacés par deux réseaux primaires de distribution sélective :

- l'un (réseau de distributeurs) concernant la vente de véhicules neufs de la marque Mercedes Benz (véhicules utilitaires légers et camions) ;

- l'autre (réseau de réparateurs agréés) concernant le service après-vente Mercedes Benz (véhicules utilitaires légers et camions) ;

Considérant, par suite, que si les résiliations litigieuses étaient intervenues alors que le processus de restructuration était déjà engagé depuis plusieurs années, elles s'inscrivaient néanmoins directement dans le cadre de celui-ci et révélaient, outre la volonté ancienne de rationaliser économiquement le mode de distribution, d'assurer, conformément à la possibilité offerte par le règlement sus-rappelé, une séparation entre les activités de vente et d'après-vente de véhicules neufs et celle de réparation et de supprimer le modèle de contrat unique antérieur comportant une exclusivité de vente sur un territoire déterminé; que l'ensemble des éléments ainsi énumérés ne constitue aucunement une simple adaptation technique des accords régissant les relations entre un fournisseur et ses distributeurs mais une modification substantielle de son réseau du fait même de la transformation concrète et pratique du mode de distribution retenu tant sur le plan juridique que géographique, l'ensemble du réseau étant concerné sans aucune exception ;

Considérant qu'il échet de souligner à ce propos que le fournisseur qui choisit de conserver le mode de distribution autorisé par le précédent règlement d'exemption n'est désormais plus en droit d'interdire à son concessionnaire exclusif de revendre des véhicules neufs à des revendeurs non membres du réseau, ce qui a, en ce cas, pour effet obligé la perte d'étanchéité de celui-ci et justifie la célérité apportée par la société Mercedes France à organiser son réseau uniquement selon le système de la distribution sélective et à procéder aux modifications litigieuses dans un délai rapproché, condition même de l'efficacité de la modification entreprise ; qu'ainsi des motifs d'efficacité économique rendaient nécessaires la finalisation rapide et complète du processus engagé et, par la même, le choix d'un délai de préavis abrégé ;

Considérant, enfin, que si la société Garage H Froment soutient que le concédant "avait l'obligation de négocier l'adaptation des contrats en cours aux nouvelles conditions d'exemption" et qu'il "incombe à toute partie à un contrat de négocier de bonne foi les adaptations indispensables pour en assurer la survie, il sera relevé que la prestation caractéristique d'un contrat de distribution exclusive n'étant pas seulement la fourniture du produit mais aussi l'obligation d'assurer l'exclusivité de distribution au cocontractant, la modification proposée eût porté sur l'objet même de la convention et eût nécessairement généré la conclusion d'un nouveau contrat, laquelle supposait l'acceptation préalable par le concessionnaire de ces nouvelles conditions ainsi qu'une durée d'engagement d'au moins cinq ans dès lors que le règlement communautaire n'accorde l'exemption qu'à des contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée minimale de cinq ans, ce qui exclut, en tout état de cause, toute possibilité légale d' "adaptation" pour seulement une année ; qu'un tel contrat eût privé pendant cinq ans le concédant du bénéfice de l'étanchéité ; qu'en outre le maintien du contrat de concession litigieux pendant une année supplémentaire eût interdit la prospection personnalisée et nominative hors du territoire exclusif concédé et eût également interdit aux autres membres du réseau de vendre activement - fût-ce conformément aux restrictions imposées jusqu'au 30 septembre 2005 - sur ledit territoire, ce qui n'aurait pu que créer une distorsion dans le jeu de la concurrence et porter atteinte à la cohérence et à l'efficacité de la réorganisation engagée;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Mercedes Benz France doit en l'occurrence être regardée comme justifiant de la nécessité de la réorganisation de son réseau de distribution de manière plausible par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives externes à son entreprise qui, a défaut d'une réorganisation rapide du réseau de distribution considéré, seraient susceptibles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel elle opère, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes dudit réseau ; qu'elle rapporte également la preuve du caractère substantiel de la transformation intervenue tant sur le plan matériel, juridique que géographique ; qu'il s'ensuit que le concédant était, dès lors, fondé à procéder à la résiliation opérée moyennant un préavis d'un an ; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Versailles le 15 octobre 2004 en ce qu'il avait dit la société Garage H Froment recevable en son action, et avait donné acte à cette dernière de sa renonciation à certaines demandes initialement formulées dans son acte introductif d'instance, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de débouter la société Garage H Froment de l'ensemble de ses prétentions ;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de ne pas faire droit aux demandes formées par les parties sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris. Déboute la société Garage H Froment de l'ensemble de ses prétentions. La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.