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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 27 janvier 2011, n° 2011-00008

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Nocibé France (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tardif

Avoué :

SCP Nonin d'Auriac de Brons

Avocat :

Me Jalabert Doury

T. com. Salon-de-Provence, du 28 juill. …

28 juillet 1995

Par une décision 06-D-04 bis, le Conseil de la concurrence a sanctionné treize sociétés exploitant des marques de parfums et de cosmétiques de luxe et trois de leurs distributeurs pour s'être entendus sur les prix de vente aux consommateurs entre les années 1997 et 2000.

Par un arrêt de la cour d'appel du 26 juin 2007, cette décision a été, d'une part, partiellement annulée en ce qu'elle concernait le marché des cosmétiques et sanctionnait l'un des fournisseurs poursuivis, lequel a été mis hors de cause et, d'autre part, réformée, la cour ayant considéré que le grief n'était pas établi dans son intégralité et, en conséquence, réduit les sanctions. En ce qui concerne la société Nocibé, la cour a ainsi estimé que l'entente sur les prix n'était établie à son encontre qu'à l'égard d'un seul fournisseur (Shiseido) et pour la seule année 1999 et a réduit sa sanction de 5,4 millions à 405 000 euro.

Par un arrêt du 10 juillet 2008, la Cour de cassation, sur un pourvoi du ministre chargé de l'Economie, a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives à la prescription et aux principes d'impartialité et du contradictoire. Alors que la cour d'appel avait estimé que le Conseil, en retenant le marché des cosmétiques, avait outrepassé le champ de sa saisine d'office, laquelle ne visait expressément que le seul secteur des parfums, dès lors que, selon elle, parfums et cosmétiques n'étaient pas substituables entre eux et constituaient donc des marchés distincts, la Cour de cassation a censuré cette analyse en relevant plusieurs circonstances montrant que, pour les entreprises, cette substituabilité existait bien (identité des pratiques, source unique des révélations, identité des contrats).

Sur renvoi, la cour d'appel, par un arrêt du 10 novembre 2009, a annulé la décision du Conseil et l'instruction qui l'avait précédée, motif pris de la durée excessive de la phase d'enquête administrative qui aurait privé les entreprises de la possibilité de réunir les informations nécessaires à leur défense et ainsi porté atteinte aux exigences du procès équitable prévues à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Cet arrêt a été censuré par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 23 novembre 2010, la cour a ainsi jugé que la cour d'appel n'avait pas démontré en quoi la durée de la phase d'enquête administrative n'avait pas été raisonnable et ne pouvait être justifiée par la complexité de l'affaire et les diligences rendues nécessaires; (...) Pour dire que le délai de la phase d'instruction non contradictoire devant le Conseil avait dépassé les limites d'un délai raisonnable et pour annuler en conséquence la décision du Conseil ainsi que l'instruction qui l'a précédée, l'arrêt, après avoir qualifié d'excessive la " procédure d'enquête ; (...) qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir en quoi la durée de la première phase non contradictoire de la procédure du Conseil n'était pas raisonnable et ne pouvait pas être justifiée par la complexité de l'affaire et les diligences menées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ".

La cour a jugé ensuite que la cour d'appel n'avait pas démontré concrètement que la durée prétendument déraisonnable de la phase d'enquête administrative avait porté atteinte aux droits de la défense des entreprises : " (...) en se déterminant (...) par une motivation générale, sans rechercher en quoi le délai écoulé durant la phase d'instruction devant le Conseil avait causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre, la cour d'appel a privé sa décision de hase légale ". La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 10 novembre 2009 en toutes ses dispositions, remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et a renvoyé les parties devant la cour d'appel autrement composée.

C'est dans ce contexte que la société Nocibé a saisi de nouveau la cour d'appel d'un recours contre la décision du Conseil et qu'elle a formé une demande de sursis à l'exécution de la décision du Conseil sur le fondement de l'article L. 464-8 du Code de commerce, alinéa 2, soutenant que le paiement de l'amende entrainerait pour elle des conséquences manifestement excessives.

A l'appui de sa requête, elle expose, en substance, que les deux arrêts rendus par la cour d'appel selon elle, non remis en question, en ce qui la concerne, par la Cour de cassation, révèlent que des violations flagrantes des règles de droit applicables menacent sérieusement d'annulation la décision du Conseil, de sorte que son exécution, en vertu de la jurisprudence de la cour (ordonnances Chevron Products Company du 4 mars 2009 et Eiffage Construction du 23 janvier 2007), serait de nature à engendrer les conséquences manifestement excessives prévues par l'article L. 464-8. En outre, comme le montrerait le premier arrêt de la cour d'appel, sa condamnation ne serait étayée par aucune preuve. La requérante ajoute que le paiement immédiat de l'amende de 5,4 millions d'euro, soit 200 % de son résultat courant avant impôt pour l'année 2009, emporterait des conséquences difficilement réversibles (Cour d'appel de Paris, ordonnance Pierre Fabre du 18 février 2009) en ce qu'il l'amènerait à renoncer, au moins pour les deux prochaines années, " compte tenu des conditions qui prévalent actuellement sur le marché bancaire ", à des opérations d'investissement (acquisitions, ouvertures et rénovation) de la plus extrême importance pour continuer à assurer la croissance du réseau et " pour assurer le maintien des agréments des marques, qui reposent, pour une part non négligeable sur un relooking très régulier de ses points de vente ".

Considérant qu'aux termes de l'article L. 464-8, alinéa 2, du Code de commerce, la demande de sursis à exécution de la décision rendue par le Conseil ne saurait prospérer que si son auteur démontre que l'exécution de la décision, en l'occurrence le paiement de la sanction pécuniaire, " est susceptible d'entrainer des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ".

Considérant que la société Nocibé reconnaît que sa situation financière est solide (page 11 de son assignation) ;

Qu'elle ne peut sérieusement soutenir que le paiement de cette amende, compromettrait, de manière " non réversible ", son développement en retardant des opérations d'achat ou de " relooking " de points de vente ;

Par ces motifs, LA COUR, Déboute la société Nocibé de sa demande de sursis au recouvrement de l'amende prononcée à son encontre par le Conseil de la concurrence le 13 mars 2006 ; La déboute de sa demande tendant à la condamnation de l'Autorité de la concurrence aux dépens de l'instance de sursis.