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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 27 janvier 2011, n° 2010-04297

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cemex Bétons Sud-Est (SAS), Cemex France Gestion (SAS), Unibéton (SAS)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

Mmes Tardif, Hornecker

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Donnedieu de Vabre-Tranie, Lazarus

CA Paris n° 2010-04297

27 janvier 2011

Faits, circonstances et procédure

Le produit et les entreprises en présence

Le béton prêt-à-l'emploi est fabriqué dans des centrales fixes ou mobiles à partir de ciment, de granulats, de sable et, éventuellement, d'autres adjuvants.

Le plus coûteux de ces matériaux étant le ciment, les principaux producteurs de ciment sont présents dans le secteur de la production du béton prêt-à-l'emploi, qui constitue pour eux un débouché essentiel, et ce, tant au plan national que dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (ci-après Paca), concernée par la présente affaire. Ainsi, au moment des faits, opéraient la société Lafarge Ciments, au travers de sa filiale Lafarge Béton Granulats, la société Calcia, au travers de sa filiale Unibéton (anciennement Unimix), et la société Vicat au travers de sa filiale Béton Travaux, ainsi qu'un autre producteur d'importance nationale, la société Béton de France, filiale de la société Ready Mix Concrete (RMC) basée au Royaume-Uni.

Les granulats représentant, en valeur, le second constituant du béton prêt-à-l'emploi, des producteurs de granulats sont également actifs dans l'industrie du béton, ainsi, dans la zone géographique concernée, le groupe Garrassin, qui avait pris des participations dans le capital de sociétés productrices de béton prêt-à-l'emploi exploitées par des filiales de groupe d'importance nationale, et la société Redland, filiale du groupe du même nom basé au Royaume-Uni, fortement implanté dans le secteur des granulats, qui intervenait dans la région Paca par l'intermédiaire de sa filiale Redland Granulats Sud.

Ces groupes se trouvent par ailleurs concurrencés par des entreprises locales à capitaux familiaux, à l'instar de la société nouvelle des bétons techniques (ci-après la SNBT) qui exploitait une centrale à béton à La Ciotat et une autre à Ollioules, et de la société Bonifay, négociant en matériaux, dans la région de Toulouse.

En outre, l'activité du béton prêt-à-l'emploi se caractérise par sa forte dépendance aux variations de l'activité du BTP.

La dénonciation et l'enquête

Le 5 juillet 1993, M. Mas, actionnaire pour moitié de la SNBT et ancien directeur commercial pour la Paca de la société Unimix, s'est présenté à la brigade interrégionale d'enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après la DCCCRF), à Marseille, pour y dénoncer une entente entre producteurs de béton prêt-à-l'emploi en Paca et se plaindre de pratiques mises en œuvre par ces producteurs en vue d'évincer la SNBT, récemment entrée sur le marché à Ollioules.

Une enquête de la DGCCRF a débuté en septembre 1993. Le 28 janvier 1994, une autorisation de visite a été sollicitée du TGI de Marseille (pourvoi rejeté le 3 octobre 1995) ; et la visite a eu lieu le 7 février 1994. Il a notamment pu être démontré que des représentants des sociétés Redland, Superbéton, Unimix, Béton de France ont réservé des salles de réunion dans les départements du Var, du Vaucluse, et des Bouches-du-Rhône, aux dates que M. Mas, susnommé, avait indiqué. Le ministre de l'Economie et des Finances a, par lettre du 5 juillet 1994, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du béton prêt-à-l'emploi dans la région Paca. Le ministre a notamment dénoncé des ententes de répartition de marchés et une entente visant à l'exclusion du marché de la société SNBT.

Le ministre a demandé le prononcé de mesures conservatoires. Par décision n° 94-MC-10, en date du 14 septembre 1994, le Conseil de la concurrence a enjoint, à titre de mesures conservatoires, à quatre sociétés parmi lesquelles la société Béton de France, de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 km de la ville de Toulon, du béton prêt-à-l'emploi à un prix unitaire inférieur au coût moyen variable de production tel qu'il résultait de leur comptabilité analytique établie mensuellement pour leurs centrales respectives.

Le 17 juin 1997, le Conseil de la concurrence, statuant au fond, a rendu une décision n° 97-D-39 par laquelle:

1 - il sanctionnait, 13 entreprises parmi lesquelles la SA Unibéton (40 MF), la SA Béton de France, aux droits de laquelle est venue la SAS RMC France puis dernièrement la SAS Cemex France Gestion (30 MF), la SARL Brignolaise de béton et d'agglomérés, aux droits de laquelle est venue la SAS Cemex Bétons Sud-Est (300 000 F) pour des pratiques:

- d'ententes par fixations concertées de prix et de quotas sur six marchés géographiques locaux,

- d'ententes visant à la répartition des marchés à l'échelle régionale,

- de pratiques collectives de prix prédateurs visant à l'éviction d'une entreprise concurrente.

2 - il ordonnait la publication d'une partie de la décision dans les quotidiens "La Tribune" et "Les Echos", aux frais des entreprises sanctionnées.

Par un arrêt du 20 octobre 1998, rectifié le 24 novembre 1998, la Cour d'appel de Paris, a rejeté les recours formés contre cette décision par dix des entreprises sanctionnées, parmi lesquelles SA Unibéton, SAS Cemex France Gestion et la SAS Cemex Bétons Sud-Est.

Le 9 octobre 2001, sur les pourvois de ces trois entreprises, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions, pour violation de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 464-1 du Code de commerce, en ce que la cour avait refusé de retenir le manquement au principe d'impartialité résultant du fait que la décision du Conseil avait été rendue par une formation comportant des membres qui avaient statué sur la demande de mesures conservatoires.

L'affaire a été renvoyée devant la même cour, autrement composée.

Par arrêt du 22 juin 2004, saisie par ces trois mêmes entreprises, la Cour d'appel de Paris a annulé la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence et renvoyé l'affaire devant le Conseil de la concurrence pour qu'il soit à nouveau statué.

Cet arrêt a été cassé, le 27 septembre 2005, par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, pour violation des articles L. 464-8 du Code de commerce, 561 et 562 du (nouveau) Code de procédure civile au motif que, saisie de recours en annulation ou en réformation d'une décision du Conseil de la concurrence, la cour d'appel était tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties tendant à l'annulation de l'enquête et de l'instruction ayant conduit à la décision qu'elle annulait, et, le cas échéant, sur les griefs notifiés, peu important que le ministre de l'Economie, n'ayant pas formé un recours à l'encontre de la décision, ne fût pas partie à l'instance.

L'affaire a été renvoyée devant la même cour autrement composée.

Dans un arrêt du 25 mars 2008 et à la demande des sociétés Cemex Bétons Sud-Est, Cemex France Gestion et Unibéton, la Cour d'appel de Paris a:

- déclaré irrecevables les moyens nouveaux présentés par les parties (relatifs à la présence du rapporteur au délibéré et à la partialité du rapporteur),

- annulé la décision du Conseil, au motif pris de la participation de membres du Conseil au délibéré sur la demande de mesures conservatoires, et

- statuant en fait et en droit sur les demandes des parties, écarté l'ensemble des moyens soulevés, relatifs à l'irrégularité prétendue de l'enquête administrative, confirmé que les pratiques d'entente étaient établies à l'encontre des requérantes et prononcé des sanctions pécuniaires identiques à celle prononcées par le Conseil en 1997.

Cet arrêt de la Cour d'appel de Paris a été cassé et annulé en toutes ses dispositions par un arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 2009 en ce qu'il avait déclaré irrecevables les moyens nouveaux soulevés par les requérantes, la cour d'appel ayant méconnu les dispositions des textes susvisés alors que la procédure de renvoi après cassation est régie par le titre XVI du livre premier du Code de procédure civile et non par celles du titre VI, de son livre II. La Chambre commerciale énonce " que les dispositions du Code de procédure civile ne cèdent que devant les dispositions expressément contraires du Code de commerce ou aménageant des modalités propres aux recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ; qu'aux termes du deuxième de ces textes, il n'est expressément dérogé qu'au titre VI du livre II du Code de procédure civile (...); que (la cour d'appel ne pouvait) déclarer irrecevables les demandes nouvelles des sociétés Cemex France, Cemex Béton Sud-Est et Unibéton, (en retenant,) que parmi les dispositions du (nouveau) Code de procédure civile, seules sont applicables en la cause celles auxquelles il n'est pas expressément dérogé par des textes spéciaux et qui sont compatibles avec celles aménageant des modalités propres à l'exercice des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence ; (et en énonçant ensuite) que la procédure suivie devant la cour d'appel sur les recours contre les décisions du Conseil de la concurrence est gouvernée par la règle essentielle, prévue par l'article R. 464-1 du Code de commerce, selon laquelle les parties requérantes doivent déposer l'exposé des moyens qu'elles invoquent dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision et en conclut que les moyens invoqués après ce délai sont irrecevables, à moins qu'ils ne soient relatifs à des éléments révélés postérieurement ou qu'ils ne répondent à des moyens invoqués devant la cour ".

En outre, la Cour de cassation a renvoyé à la cour d'appel l'examen du recours en contestation de l'autorisation de visite et saisie (à la suite de l'ordonnance prise par le Président du Tribunal de grande instance de Marseille le 28 janvier 1994) ayant autorisé les visites domiciliaires et les saisies que les sociétés Cemex France Gestion et Cemex Bétons Sud-Est et Unibéton avaient indiqué entendre foi-mer. Sur ce point, la Cour de cassation énonce dans son arrêt les motivations suivantes : " que, lorsqu'est pendant devant la Cour de cassation un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, les parties ont la faculté de demander le renvoi a la Cour d'appel de Paris pour l'examen d'un recours en contestation de l'autorisation de visite et saisie délivrée par le juge des libertés et de la détention ; Attendu que par des observations déposées le 23 décembre 2008, les sociétés Cemex France et Cemex Béton Sud-Est ont, en application de cette disposition, demandé le renvoi devant la Cour d'appel afin qu'il soit statué sur la contestation qu'elles entendent former contre l'ordonnance rendue par le Président du tribunal de grande instance, alors compétent, le 28 janvier 1994 et autorisant les visites et saisies ".

LA COUR,

Débats jusqu'à l'audience du 18 novembre 2010

Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre CFE) en date du 3 mars 2009;

Vu la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997 ;

Vu les conclusions de la société Cemex Bétons Sud-Est en date du 26 octobre 2010 demandant à la cour de:

A titre principal:

- Prononcer l'annulation de la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997 (i) en application des dispositions des arrêts de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, du 27 septembre 2005, du 3 mars 2009 ; (ii) du manquement par le Conseil au principe d'impartialité issu de l'article 6-1 de la CEDH;

- Constater ou prononcer la nullité de la procédure d'instruction avant décision;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex BSE des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre subsidiaire:

- Constater l'impossibilité d'user de son pouvoir d'évocation, en raison de la nullité de la procédure ayant précédé la décision attaquée et les documents sur lesquels s'appuie la décision ayant été obtenus irrégulièrement;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex BSE des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre très subsidiaire

- Réformer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle ne rapporte pas la preuve de la participation de la société poursuivie à une entente de répartition de marchés ; en ce que la sanction pécuniaire et l'injonction de publication sont disproportionnées;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex Bétons Sud-Est des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

A titre très très subsidiaire :

- Réformer la décision attaquée en raison de l'absence d'éléments probants concernant les pratiques alléguées;

- Réformer les sanctions pécuniaire et de publication car disproportionnées compte tenu de l'absence de gravité des faits, de l'existence d'une concurrence sur les marchés locaux du béton prêt-à-l'emploi et de l'absence de dommage causé à l'économie des marchés locaux concernes.

- Ordonner (i) le remboursement immédiat du trop perçu assorti des intérêts au taux légal des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire et de la publication et (ii) la capitalisation des intérêts.

- Condamner le ministre chargé de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à payer à Cemex Bétons Sud-Est la somme de 8 000 euro et aux entiers dépens;

Vu les conclusions de la société Cemex France Gestion (aux droits de Béton de France) en date du 26 octobre 2010 demandant à la cour de:

A titre principal:

- Prononcer l'annulation de la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997 (i) en application des dispositions des arrêts de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, du 27 septembre 2005, du 3 mars 2009 ; (ii) du manquement par le Conseil au principe d'impartialité issu de l'article 6-1 de la CEDH;

- Constater ou prononcer la nullité de la procédure d'instruction avant décision;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex France Gestion des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune" et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre subsidiaire:

- Constater l'impossibilité d'user de son pouvoir d'évocation, en raison de la nullité de la procédure ayant précédé la décision attaquée et les documents sur lesquels s'appuie la décision ayant été obtenus irrégulièrement ou ont une origine douteuse;

A titre très subsidiaire:

- annuler la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle prend appui sur une ordonnance d'autorisation de visite et saisie entachée de nullité ;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex France Gestion des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune" et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre très très subsidiaire

- Réformer la décision du Conseil de la concurrence en ce qu'elle ne rapporte pas la preuve de la participation de la société poursuivie à une entente de répartition de marchés ; en ce que la sanction pécuniaire et l'injonction de publication sont disproportionnées;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Cemex France Gestion des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- Réformer les sanctions pécuniaire et de publication car disproportionnées compte tenu de l'absence de gravité des faits, de l'existence d'une concurrence sur les marchés locaux du béton prêt-à-l'emploi et de l'absence de dommage causé à l'économie des marchés locaux concernés.

- Ordonner (i) le remboursement immédiat du trop perçu assorti des intérêts au taux légal des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire et de la publication et (ii) la capitalisation des intérêts.

- Condamner le ministre chargé de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à payer à Cemex France Gestion la somme de 8 000 euro et aux entiers dépens;

Vu les conclusions de la société Cemex France Gestion en date du 16 novembre 2010, prises en réponse à Monsieur le Procureur général et aux mêmes fins que les conclusions du 26 octobre 2010;

Vu les conclusions de la société Unibéton en date du 26 octobre 2010, demandant à la cour de,

A titre principal:

- Prononcer l'annulation de la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997 (i) en application des dispositions des arrêts de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, du 27 septembre 2005, du 3 mars 2009 ; (ii) du manquement par le Conseil au principe d'impartialité issu de l'article 6-1 de la CEDH en raison de la présence du rapporteur général et du rapporteur au délibéré de cette décision et en raison de la présence dans la formation de jugement au fond de membres du Conseil ayant déjà statué dans le cadre de la procédure portant sur la demande de mesures conservatoires;

- Constater l'impossibilité d'évoquer en raison de la nullité de la procédure d'instruction avant décision, du fait de l'irrégularité des actes à l'origine de l'ensemble de la procédure, de la nullité de l'ordonnance du " 14 " (28) janvier 1994 et en toute hypothèse du défaut d'impartialité du rapporteur chargé de l'instruction au fond;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Unibéton des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire (6 098 709,84 euro), assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre subsidiaire:

- Constater qu'aucun des griefs n'est fondé;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Unibéton des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire (6 098 709,84 euro), assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

A titre infiniment subsidiaire:

- Réformer la décision du Conseil de la concurrence en ce que la sanction pécuniaire est disproportionnée;

- Ordonner le remboursement immédiat à la société Unibéton des sommes versées au titre (i) de la sanction pécuniaire (6 098 709,84 euro), ou de partie de celles-ci, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et (ii) de la publication dans les quotidiens " La Tribune " et " Les Echos ", assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir;

- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;

- Condamner le ministre chargé de l'Economie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à payer à Unibéton la somme de 30 000 euro et aux entiers dépens;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence en date du 5 juillet 2010 [déposées le 19 juillet 2010]

Vu les observations de Madame la ministre chargée de l'Economie en date du 6 juillet 2010 et celles de Monsieur le Procureur général en date du 5 novembre 2010; Ayant entendu les parties et les représentants de l'Autorité, de la ministre et du Ministère public, à l'audience du 18 novembre 2010, les parties requérantes ayant pu répliquer;

Réouverture

L'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence énonce "si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'appel de Paris saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de publication de la présente ordonnance ".

L'article 5 IV alinéa 3 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence énonce : "lorsqu'est pendant devant la Cour de cassation un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de commerce, les parties ont la faculté de demander le renvoi à la Cour d'appel de Paris pour l'examen d'un recours en contestation de l'autorisation de visite et saisie délivrée par le juge des libertés et de la détention ".

La Cour d'appel de Paris a examiné la présente affaire lors de son audience du 18 novembre 2010.

Postérieurement à cette audience, dans des arrêts en date du 21 décembre 2010 (" affaire société Canal Plus et autres c. France ", requête n° 29408-08 ; " affaire Compagnie des Gaz de Pétrole Primagaz c. France ", requête n° 29613-08), la Cour européenne des Droits de l'Homme:

- a confirmé que les principes énoncés dans l'arrêt " Rayon " en date du 21 février 2008 à propos de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales s'appliquaient en matière de concurrence;

- a confirmé la non-conformité à l'article 6 § 1 de la CESDH des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure au 13 novembre 2008;

- et a jugé que les dispositions transitoires de l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence ne garantissaient pas aux entreprises un contrôle juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH.

La Cour européenne des Droits de l'Homme estime que n'ayant disposé que d'un pourvoi en cassation, les sociétés requérantes n'ont pas bénéficié d'un contrôle juridictionnel effectif pour contester la régularité et le bien fondé de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé les visites et saisies et, partant, que l'exception d'irrecevabilité jointe au fond doit être rejetée.

La cour estime que le recours en contestation prévu par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne répond pas aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention, car cette action ne pourra être exercée que si un recours au fond est formé contre la décision de l'Autorité de la concurrence, ce qui rend nécessairement l'accessibilité de cette voie de recours incertaine. Or, la cour rappelle qu'en plus d'un contrôle en fait et en droit de la régularité et du bien fondé de la décision ayant prescrit la visite, le recours doit également fournir un redressement approprié, ce qui implique nécessairement la certitude, en pratique, d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse et ce, dans un délai raisonnable.

Par ailleurs, la cour constate que la voie de recours prévue à l'alinéa 12 de l'article L. 450-4 du Code de commerce, alors applicable, qui permettait à la requérante de faire contrôler la régularité du déroulement des opérations de visite et de saisie par le juge qui les avait lui même autorisées, ne garantissait pas à la requérante un contrôle juridictionnel effectif répondant aux exigences d'indépendance d'un tribunal posées par l'article 6 § 1 de la Convention. En effet, un contrôle des opérations effectué par le juge ayant autorisé les visites et saisies ne permettait pas un contrôle indépendant de la régularité de l'autorisation elle même.

Compte tenu de ces arrêts, le Président de la chambre régulation économique de la Cour d'appel de Paris a, le 3 janvier 2011, informé les entreprises parties à l'instance, le parquet général, l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'Economie que la cour se tenait prête à recevoir d'éventuelles notes en délibéré ou, si cela lui était demandé, à rouvrir les débats.

Les sociétés Cemex France Gestion et Unibéton ont fait part de leur souhait de pouvoir adresser à la cour une note en délibéré.

A la suite des demandes du Parquet général, du ministre chargé de l'Economie et de l'Autorité de la concurrence, la cour a décidé, dans un arrêt du 13 janvier 2011, la réouverture des débats et a fixé une audience au 20 janvier 2011.

Dans les délais prescrits par la cour en vue de cette audience, les parties ont repris leurs écritures et se sont expliquées à l'audience du 20 janvier 2011.

La société Cemex demande à la cour de:

- A titre principal, prononcer l'annulation de la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence en date du 17 juin 1997, en ce que:

* l'absence d'un redressement approprié, ce qui implique nécessairement la certitude, en pratique, d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies du premier vice Président du Tribunal de grande instance de Marseille, en date du 28 janvier 1994, et ce, dans un délai raisonnable, porte une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux droits de la défense de la société Cemex France Gestion;

* le Conseil de la concurrence a manqué objectivement au principe d'impartialité édicté par l'article 6-1 de la CEDH en ce que certains de ses membres ont participé à la décision ordonnant des mesures conservatoires dans des conditions telles que le dossier était préjugé sur le fond;

* le Conseil de la concurrence a manqué objectivement au principe d'impartialité édicté par l'article 6-1 de la CEDH en ce que le rapporteur et le rapporteur général étaient présents lors du délibéré de la décision n° 97-D-39;

Prononcer en conséquence la nullité de l'instruction menée devant le Conseil de la concurrence;

Constater que dès lors il ne reste plus rien à juger;

Dire que dans ces conditions, la cour ne peut qu'annuler sans renvoi la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence;

Constater que d'ailleurs toute nouvelle instruction et toute nouvelle décision par l'Autorité de la concurrence dans la présente affaire est légalement impossible en ce que :

* Il y aurait violation du principe d'impartialité par l'Autorité de la concurrence;

* Les faits du dossier sont couverts par la prescription;

* Le délai raisonnable exigé par l'article 6 § 1 de la CESDH ne serait pas respecté.

La société Unibéton demande à la cour de:

Annuler la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence:

- en application des dispositions des arrêts de la Cour de cassation du 9 octobre 2001, du 27 septembre 2005, du 3 mars 2009;

- en raison de la présence du rapporteur général et du rapporteur au délibéré de cette décision;

- en raison dans la présence dans la formation de jugement au fond de membres du Conseil ayant déjà statué dans le cadre de la procédure portant sur la demande de mesures conservatoires.

Constater la nullité de la décision et l'impossibilité d'user de son pouvoir d'évocation, en raison de la nullité de la procédure ayant précédé la décision n° 97-D-39 du Conseil de la concurrence, du fait:

- de l'irrégularité des actes à l'origine de l'ensemble de la procédure;

- de la nullité de l'ordonnance du 14 janvier 1994, en considération notamment de l'article 5-IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 et de l'article 6 § 1 de la CESDH tel qu'interprété par la CESDH dans ses arrêts " Canal Plus " et " Primagaz " du 21 décembre 2010;

- et, en toute hypothèse, du défaut d'impartialité du rapporteur chargé de l'instruction au fond.

Sur quoi

I - Procédure

1A - Sur la recevabilité des conclusions de la société Cemex France Gestion en date du 16 novembre 2010

Considérant que ces conclusions ont été déposées à la cour en dehors des délais prescrits par l'ordonnance du Premier président;

Mais considérant qu'Unibéton, la société Cemex BSE, l'Autorité de la concurrence, la ministre chargée de l'Economie et le Ministère public ont expressément accepté que ces conclusions soient à la cause;

Qu'il leur en sera donné acte;

1B - Sur la présence du rapporteur et du rapporteur général lors du délibéré sur la décision déférée

Considérant que la participation du rapporteur au délibéré, serait-ce sans voix délibérative, dès lors que celui-ci a procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil était saisi, est contraire au principe du procès équitable ; qu'il en est de même pour la présence au délibéré du rapporteur général;

Que la cour annulera de ce chef;

1C - Sur la participation des mêmes membres à la délibération sur les mesures conservatoires et à la délibération sur les pratiques et les sanctions

Considérant qu'il est constant que la décision attaquée a été rendue par le collège du Conseil de la concurrence dans une formation comportant des membres qui avaient participé au délibéré de la décision n° 94-MC-10 du 14 septembre 1994, laquelle, statuant dans la même affaire au titre des mesures conservatoires, s'était prononcée sur le caractère prohibé d'une partie des faits dénoncés ; que le principe d'impartialité posé par l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ayant ainsi été méconnu, la décision doit être annulée;

1D - Sur l'évocation

Considérant qu'à titre principal ou subsidiaire, les trois sociétés requérantes entendent que la cour n'évoque pas, motif pris de ce que des causes de nullité affecteraient les éléments du dossier sur lesquels s'est fondé le Conseil pour prononcer les sanctions critiquées;

Mais considérant qu'en conséquence de l'annulation prononcée sur le fondement de l'article 6-1 de la Convention ESDH, la cour est tenue, par application des dispositions des articles L. 464-8 du Code de commerce, 561 et 562 du Code de procédure civile, de statuer, en fait et en droit, sur les demandes des parties tendant à l'annulation de l'enquête et de l'instruction ayant conduit à la décision annulée, puis, le cas échéant, sur les griefs notifiés ;

1E - Sur l'impartialité du rapporteur

Considérant que la société Cemex France Gestion expose que la cour d'appel ne pourrait trouver au dossier des éléments de nature à fonder sa décision car la procédure d'instruction antérieure à la décision est irrégulière, le principe d'impartialité édicté par l'article 6 § 1 de la CESDH n'ayant pas été respecté par le rapporteur du Conseil de la concurrence ; qu'en effet (1), le rapporteur qui a instruit la procédure au fond devant le Conseil de la concurrence avait auparavant instruit, dans la même affaire, la procédure ayant conduit à la décision n° 94-MC-10 du Conseil de la concurrence, dont la Cour de cassation a jugé qu'elle était constitutive d'un pré-jugement ; que (2) le principe de la séparation des fonctions d'instruction et de jugement n'a pas été respecté et la procédure contentieuse ne s'est pas déroulée dans le respect du contradictoire et des droits de la défense, car avant d'instruire l'affaire au fond, le rapporteur avait auparavant assisté aux délibérés de la décision de mesures conservatoires n° 94-MC-10 en date du 14 septembre 1994 et de la décision de vérification du respect de l'injonction n° 95-D-82 en date du 12 décembre 1995;

Considérant que la société Unibéton expose que le rapporteur doit être impartial;

Que tout rapporteur doit avoir à l'esprit que le rapport pèsera de manière décisive dans la délibération finale, comme l'énonce la première Chambre civile de la Cour de cassation en matière de procédures ordinales;

Qu'il en est d'autant plus ainsi lorsque le rapporteur a, comme il était vrai à l'époque et il a été vrai en l'espèce, vocation à assister au délibéré;

Mais considérant si l'impartialité du rapporteur repose sur les actes et l'attitude de ce dernier et pas seulement sur les initiatives des parties, l'appréciation de cette vertu ne saurait se faire que concrètement, en contemplation du respect effectif des droits de la défense;

Que s'il ne suffit pas que les parties aient pu, à partir de la notification des griefs, consulter le dossier, demander l'audition de témoins à décharge, présenter des observations sur les griefs puis sur le rapport et s'exprimer oralement au cours des débats en séance, comme l'impose l'article L. 463-1 du Code de commerce, cependant, et en l'espèce, il résulte des explications données dans la décision et devant la cour d'appel que le rapporteur avait assisté au délibéré sur les mesures conservatoires mais n'avait ensuite fait qu'user des prérogatives qu'il tient de l'article devenu L. 450-6 du Code de commerce, en définissant les orientations de l'enquête, accomplie concrètement et pour l'essentiel par l'administration sous le contrôle désintéressé du rapporteur, en se tenant informé du déroulement de cette enquête, en appréciant lui-même et objectivement l'utilité d'actes supplémentaires, en examinant souverainement mais objectivement les propositions formulées par les entreprises mises en cause, lesquelles sont hors d'état d'invoquer précisément un refus significatif d'acte d'instruction ou toute autre manœuvre tendant à évincer les droits desdites entreprises;

Que de même, si le rapporteur doit donner à voir son impartialité, se donner les moyens de clore éventuellement son instruction sans suite et ne prendre parti que lorsque la loi l'exige de lui à la fin de son instruction, cependant, et en l'espèce, les parties se contentent de déplorer un risque de confusion entre instruction et jugement préalables sur des mesures de contrôle ou conservatoires, et instruction au fond; qu'il n'est apporté à la cour d'appel aucune démonstration que les parties aient eu des raisons de s'inquiéter de l'attitude du rapporteur et qu'il n'est pas davantage invoqué devant ladite cour que les entreprises poursuivies aient manifesté une crainte à ce sujet jusqu'au renvoi de cassation décidé le 3 mars 2009;

Considérant qu'en somme, le grief manque en fait et la nullité de la décision n'est pas encourue de ce troisième chef;

II - Sur la validité des preuves utilisées dans la décision

2a - Sur la saisine de la DGCCRF

Considérant que s'agissant des procès-verbaux et de leurs annexes, les sociétés Unibéton et RMC font valoir que l'enquête a débuté par une dénonciation de M. Mas, ancien salarié de la société Unimix -devenue par la suite Unibéton - qui s'est présenté spontanément aux services de la DGCCRF, le 5 juillet 1993, pour y effectuer une déclaration et remettre aux enquêteurs 44 documents, et que le 16 août 1993, les enquêteurs ont restitué à M. Mas 17 feuillets sur les 44 communiqués en " raison de leur appartenance présumée à la société Unimix" ; qu'elles estiment que la détention irrégulière de ces documents par les services d'enquête, qui ont pu les exploiter pendant plus d'un mois, a vicié la procédure;

Qu'elles ajoutent que, parmi les documents remis aux enquêteurs, figurait un document photocopié intitulé "Réunion de Table Paca", qui était un faux en écriture puisque M. Mas lui-même a reconnu dans un courrier au rapporteur, le 10 octobre 1996, que ce document, présenté comme des notes manuscrites prises au cours des réunions de répartition de marchés entre les 7 janvier 1993 et le 15 avril 1993, avait en réalité été reconstitué par lui-même, d'après son agenda personnel, le 5 juillet 1993, dans les locaux de la DGCCRF ; que la société Unibéton souligne aussi que les quatre cahiers à spirale qui ont été remis le même jour en photocopies, présentés comme des notes manuscrites personnelles prises par M. Mas en temps réel, constituent plus vraisemblablement des documents rédigés après coup, en représailles au licenciement dont il venait de faire l'objet, et qu'en tout état de cause, l'ensemble de ces documents, s'ils ont été établis sur la base d'informations appartenant à la société Unimix, sont le résultat d'un vol ou d'un abus de confiance de sorte que leur remise à un tiers à l'insu de l'employeur caractérise ces délits;

Que les trois requérantes invoquent enfin la nullité des procès-verbaux dressés le 5 juillet 1993 par les enquêteurs pour recueillir les déclarations de M. Mas au motif que ces deux procès-verbaux, l'un manuscrit, l'autre dactylographié, ne sont pas rigoureusement identiques et sont donc dénués de valeur probante ; que la société Cemex en déduit que la communication des documents remis à cette occasion est nulle, en particulier s'agissant d'un cahier bleu intitulé "Le Muy-Saint Raphael-Fréjus" communiqué en photocopie;

Qu'elles estiment en conséquence que ces irrégularités ont vicié l'ensemble de la procédure qui doit être entièrement annulée ;

Mais considérant, en premier lieu, que la détention temporaire, par les services de la DGCCRF, des documents irrégulièrement produits n'a pu vicier la procédure dès lors que ces pièces n'ont pas été versées au dossier et qu'il n'est pas démontré qu'elles aient été utilisées, étant observé au demeurant que les enquêteurs étaient bien obligés d'en prendre connaissance pour en apprécier l'origine;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte du procès-verbal du 5 juillet 1993, qui mentionne la remise de documents qualifiés de "copie de mes notes manuscrites prises au cours des réunions de répartition de marché entre le 7 janvier 1993 et le 15 avril 1993" que M. Mas n'a pas prétendu qu'il remettait l'original de ses notes, une telle déclaration n excluant pas au contraire que les documents ainsi remis fussent la compilation de notes éparses prises sur une longue période ; qu'au demeurant, la force probatoire de tels documents, dont M. Mas précisait être l'auteur, étant par principe sujette à discussion et à vérifications, ce qui a d'ailleurs été le cas en octobre 1996 puis tout au long de la procédure y compris devant la cour, l'infraction de faux ne pouvait être constituée ; que, de même, le fait pour M. Mas d'avoir utilisé et recopié des notes personnelles prises au cours de son activité professionnelle ne relève pas des autres qualifications pénales invoquées par la société Unibéton dès lors qu'une telle transcription ne caractérise pas l'appropriation d'informations qui auraient été la propriété exclusive de l'employeur, ce qu'a d'ailleurs admis la société Unibéton elle-même en précisant devant le Conseil de la concurrence qu'elle avait déposé une plainte pour vol et abus de confiance pour ces faits le 19 juillet 1994 mais uniquement à propos des documents restitués le 16 août 1993;

Considérant, enfin, que chacun des deux procès-verbaux du 5 juillet 1993 est régulièrement signé des enquêteurs et des déclarants cependant que les différences qui les affectent, minimes, ne révèlent aucune divergence dans les déclarations qui y sont rapportées, s'agissant de l'inventaire des documents communiqués et de l'indication des lieux où d'autres documents pourraient être utilement cherchés, qui ne figurent que dans la version dactylographiée, ou encore de la précision, dans la marge du procès-verbal manuscrit, du nombre de mots et lignes rayés, qui du reste en atteste de plus fort l'authenticité ; qu'ainsi, chacun de ces procès-verbaux est valable;

Que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n'importe que l'un plutôt que l'autre ait été utilisé au soutien de la demande d'autorisation de visites domiciliaires dès lors que l'administration est libre de choisir les éléments qu'elle estime devoir présenter au soutien de sa demande d'autorisation, sous réserve que ce choix n'ait pas pour effet de tromper le Président du tribunal, et qu'il n'est pas démontré que tel ait été le cas en l'espèce ; qu'en effet, la liste des documents annexés à la demande d'autorisation révèle que, contrairement à ce que soutient la société Cemex, le Président du Tribunal de grande instance de Marseille, non seulement a eu connaissance de certains procès-verbaux de l'enquête effectuée sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, mais encore disposait d'éléments de nature à justifier des investigations coercitives dans les locaux des entreprises suspectées de pratiques anticoncurrentielles, sans que la liste des lieux susceptibles d'abriter des éléments de preuve, fournie par M. Mas, fût de nature à modifier son appréciation, ce qui au demeurant n'est pas soutenu;

2b - Sur la régularité des actes de l'enquête

Considérant que la société Cemex critique les conditions de l'appréhension, par les enquêteurs, d'un agenda appartenant à M. Tallon, agent commercial de la société Express Béton, au motif que, dès lors qu'il contenait des annotations personnelles, cet agenda constituait un document mixte insusceptible de communication sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-3 du Code de commerce;

Mais considérant que le procès-verbal du 20 septembre 1993 relate que les enquêteurs ont demandé à M. Talion de présenter son agenda professionnel ; que la communication de cette pièce, dont le caractère professionnel n'est pas contesté, n'est pas irrégulière du seul fait qu'elle contenait quelques annotations d'ordre privé de M. Tallon, d'autant qu'il n'est pas allégué que ces annotations, dont seule la société Cemex révèle la teneur, auraient été exploitées par les enquêteurs;

Considérant que, se fondant sur les attestations des intéressés établies postérieurement, la société RMC conteste la validité des opérations d'enquête menées le 20 septembre 1993 dans les locaux de la société Béton de France (RMC) à Marseille, en faisant valoir que:

- les procès-verbaux d'audition, comme ceux de M. Vincent Roche, agent commercial, de M. Louis Lidestri, directeur de région, de M. Pierre Daver, chef de secteur commercial, mentionnent par une phrase pré-imprimée que l'objet de l'enquête a été indiqué aux intéressés, alors que ces derniers ont attesté du contraire,

- les enquêteurs n'ont pas demandé communication de documents précisément désignés mais ont procédé à une véritable fouille en demandant communication systématique de tous les documents (procès-verbaux concernant M. Roche et M. René Bicchi, M Lidestri et M. Pierre Daver, chef de secteur commercial),

- les enquêteurs ont exigé l'ouverture de véhicules personnels à usage mixte dont ils se sont fait remettre le contenu (procès-verbal concernant M. Roche, M. René Bicchi et M. Jean Régnier, chef de secteur),

- les enquêteurs ont retenu abusivement pendant plusieurs heures les personnes interrogées en leur interdisant de répondre au téléphone, même aux clients, et de sortir du bureau, en interdisant à leur supérieur hiérarchique d'assister aux vérifications, en les obligeant à annuler tous leurs rendez-vous professionnels,

- ils n'ont pas respecté les droits de la défense qui interdisent d'obliger une personne a s'auto-accuser d'une infraction et l'enquête s'est déroulée sous la menace constante de poursuites correctionnelles pour opposition à fonctions,

- certaines vérifications se sont déroulées en dehors des heures normales d'ouverture de l'entreprise,

- si certains salariés ont signé les procès-verbaux sans émettre de réserve, c'est parce que les enquêteurs leur avaient signifié que le fait de signer ou non n'avait pas d'importance,

- certains procès-verbaux ont fait l'objet d'une rédaction tendancieuse, déloyale où incomplète (procès-verbal concernant M. Roche, M. Bicchi le 3 octobre 1993, M. Fevre le 22 novembre 1993),

- le procès-verbal d'audition de M. Deverne, chef de secteur commercial, en date du 20 septembre 1993, est manifestement irrégulier, pour tous les motifs sus-énoncés;

Mais considérant que l'article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-2 du Code de commerce, dispose que les procès-verbaux d'enquête administrative valent jusqu'à preuve contraire; qu'il s'ensuit que les seules allégations, émises postérieurement, des personnes concernées par les investigations relatées dans ces procès-verbaux ne suffisent pas à contredire les énonciations claires qui y sont portées, alors au surplus qu'elles les ont signés sans réserve ; que, contrairement à ce que soutient la société RMC, la déposition de M. Garnier, enquêteur à la DGCCRF, qui, à la demande du rapporteur, a fourni des explications sur les conditions de son intervention, ne saurait être considérée comme accréditant ces allégations du seul fait qu'elle ne les contredit pas formellement ; qu'il suit de là que doivent être écartés le moyen tiré du défaut d'information effectif de l'objet de l'enquête, celui tiré de fouilles systématiques - les procès-verbaux, qui n'en font nullement état, précisant au contraire que les intéressés ont remis les pièces qui leur avaient été demandées - ainsi que celui tiré d'une rédaction déloyale, incomplète ou tendancieuse, comme celui tiré des conditions prétendument contraignantes des auditions, les signataires n'ayant pas émis de réserves précises à cet égard, ce qu'en dépit des déclarations prétendues des enquêteurs quant à la portée d'un défaut de signature, au reste exactes, il leur était loisible de faire à la rubrique spécialement prévue au pied de ces procès-verbaux ; que, de même, le fait que les investigations, commencées à 10 heures le matin, se soient poursuivies sans interruption jusqu'aux environs de 15 heures, incluant l'heure du déjeuner pendant laquelle l'entreprise est fermée au public, ne traduit aucun excès de pouvoir dès lors qu'aucun texte ne l'interdit et que l'ampleur des investigations en cause le justifiait; qu'enfin, les enquêteurs, qui ont le pouvoir d'accéder à tout moyen de transport à usage professionnel, n'ont pas commis d'irrégularité en se faisant ouvrir les véhicules, dont le caractère professionnel, fût-ce pour partie, n'est pas contesté, dès lors qu'il ne résulte pas du dossier qu'ils se soient fait communiquer à cette occasion des documents autres que professionnels ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'irrégularité de l'enquête ne sont pas fondés et que celui pris de la prescription, qui en était la conséquence, ne l'est pas davantage;

2c - Sur l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie

Considérant que les sociétés Cemex estiment que les documents communiqués au Président du TGI de Marseille l'ont été de façon irrégulière et ont une origine douteuse ; que le Conseil a présenté au juge des documents tronqués, des pièces " reconstituées " et un dossier incomplet ; que la violation du principe du contradictoire et l'irrégularité des conditions d'obtention des documents lors de l'enquête administrative préalable aux opérations de visites et saisie ont eu pour conséquence la " contamination " de ces opérations de visites et saisies effectuées le 7 février 1994 dans les locaux des sociétés poursuivies;

Mais considérant que la nullité de l'enquête préalable aux visites ayant été écartée pour les motifs précédemment exposés, la thèse des sociétés requérantes ne peut qu'être écartée;

2d - Sur les visites et saisies

Considérant que les sociétés Cemex avancent que les actes accomplis, notamment les visites domiciliaires et les saisies, sont irréguliers comme procédant d'une ordonnance les autorisant entachée de nullité ; qu'en effet, les entreprises n'ont pas disposé au moment où l'ordonnance d'autorisation a été rendue d'un recours effectif au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH et que la voie de recours nouvelle ouverte par l'article 5 IV al.2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 ne permet pas de satisfaire non plus à cette exigence;

Que la société Cemex France Gestion comme la société Unibéton soutiennent que:

1) L'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence ne satisfait pas aux exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, à savoir un recours effectif au moment de l'autorisation de visites et saisies et devant un juge impartial:

a) La non-conformité du texte de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans sa version antérieure à celle de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH;

b) La non-conformité de l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH;

2) L'Administration a fait preuve de déloyauté en présentant au juge, à l'appui de sa demande d'autorisation de visites et saisies, des documents tronqués, des pièces " reconstituées " et un dossier incomplet:

a) L'Administration a fait preuve de déloyauté en présentant au juge, à l'appui de sa demande d'autorisation de visites et saisies du 27 janvier 1994 (Annexe 4 à la requête de l'Administration) une version tronquée du procès-verbal de déclaration et d'inventaire de documents communiqués de MM. Mas et Engel en date du 5 juillet 1993 qui a été établi en deux versions différentes;

b) L'Administration a fait preuve de déloyauté en présentant au juge, à l'appui de sa demande d'autorisation de visites et saisies du 27 janvier 1994, un document présenté comme original intitulé " réunions de tables Paca " annexé au procès-verbal de déclaration et d'inventaire de documents communiqués de MM. Mas et Engel en date du 5 juillet 1993 (feuillets 1, 2 et 3), et que Monsieur Mas a reconnu le 10 octobre 1996 avoir " reconstitué ";

c) L'Administration a fait preuve de déloyauté en dissimulant au juge une grande partie de l'enquête préliminaire qu'elle avait réalisée, ce qui a eu pour effet de tromper le Président du tribunal;

3) L'ordonnance d'autorisation de visites et saisies en date du 28 janvier 1994 s'appuie sur des actes irréguliers;

Considérant qu'il est exact que les sociétés requérantes agissent au visa exprès de l'alinéa 2 de l'article 5, IV, de l'ordonnance du 13 novembre 2008, selon une requête distincte du renvoi opéré par la Cour de cassation et antérieur à lui;

Mais considérant (i) sur l'existence d'un recours approprié, que celle-ci s'apprécie de manière concrète et spéciale ; qu'en l'occurrence, elle est avérée dès lors que l'accessibilité de la voie de recours a été certaine, et qu'en plus d'un contrôle en fait et en droit de la régularité et du bien-fondé de la décision ayant prescrit la visite, le recours a fourni un redressement approprié, lequel implique la certitude d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse, dans un délai raisonnable;

Que, s'agissant de la certitude de la voie de recours, les entreprises requérantes ne peuvent affirmer qu'elles ont dû, pour obtenir un contrôle effectif de l'autorisation de visite et saisie par un juge du fond, attendre leur condamnation par le Conseil de la concurrence puis exercer un recours contre cette condamnation ; que l'incertitude du recours, au sens de l'arrêt de la cour EDH du 21 décembre 2010, s'entend de la situation dans laquelle seraient mises les entreprises requérantes du fait du régime transitoire résultant de l'ordonnance du 13 novembre 2008, si elles n'avaient pas exercé de recours au fond, ce qui ne correspond évidemment pas aux circonstances de la présente affaire;

Que s'agissant du redressement approprié, même si la seule voie de recours permise à l'époque par l'article L. 450-4 du Code de commerce, à savoir le pourvoi en cassation, pouvait être regardée comme insuffisante pour assurer aux personnes concernées par de telles mesures un accès à un tribunal répondant aux exigences du procès équitable posées par l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, et cela nonobstant la possibilité de contester le déroulement des opérations devant le juge les ayant autorisées, la situation a changé depuis la réforme opérée par l'ordonnance; qu'en effet, la Cour d'appel de Paris ou son premier Président, selon le cas, saisis du recours en contestation de l'autorisation de visite et de saisie prévu par l'article 5 paragraphe IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 sont tenues d'apprécier en fait et en droit la régularité de la décision du juge des libertés et de la détention - ou, en l'occurrence, du Président du TGI - au vu des éléments du dossier, ce qui constitue un contrôle juridictionnel effectif; qu'au rebours de ce qu'avancent l'une des entreprises requérantes ainsi que l'Autorité de la concurrence, partie défenderesse devant la cour, il n'est plus exact (Com. 23 nov. 2010, n° 09-72.031) que la violation d'une formalité ou d'un délai puisse n'ouvrir droit qu'à des dommages et intérêts, ce qui renforce le caractère réel et approprié du " redressement " au sens de la jurisprudence européenne ; que le recours a pour suite, s'il aboutit à l'infirmation de la décision qui a autorisé la visite domiciliaire, de conduire à l'anéantissement des actes d'enquête réalisés en application de celle-ci, avec toutes les conséquences que cela pourra, en outre, comporter sur l'examen des griefs par le collège de l'Autorité;

Que s'agissant du contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse, outre que la cour d'appel est tenue d'examiner en fait et en droit la régularité de la décision du Président du TGI au vu des éléments du dossier, avec toutes les conséquences possibles qui viennent d'être évoquées, ce contrôle n'implique pas de la part de cette cour d'appel une quelconque appréciation sur le bienfondé des griefs qui seraient plus tard articulés contre les entreprises visitées, et pas davantage un préjugé sur les sanctions qui seraient fulminées contre les mêmes;

Quant au délai raisonnable, il s'agit d'une exigence qui protège directement et exclusivement les droits de l'entreprise qui a subi la visite domiciliaire ; que dès lors, ce délai court sur la période qui débute le jour où est ouvert la voie de droit, en l'espèce le jour de la perquisition (7 février 1994), et le jour où le juge compétent est saisi pour statuer sur les mérites de la décision critiquée, c'est-à-dire et en l'espèce la date de la requête visant le texte applicable et de la saisine sur renvoi de la Cour de cassation (mars 2009), soit quinze années ; que cependant, et conformément à la finalité sus-décrite de l'exigence du respect d'un délai raisonnable, l'autorité d'enquête ne saurait voir ses prérogatives mises en péril par la survenance d'événements dont elle n'aurait pas maîtrisé le cours ; qu'à cet égard, le temps de la procédure proprement judiciaire jusqu'à l'ouverture d'un nouveau recours par l'ordonnance susvisée, soit de 1995 à 2008, doit être déduit du total de quinze années ; que du tout, il faut conclure que le délai imposé aux requérantes pour obtenir un exercice effectif du recours de fait et de droit, a été de trois ans, ce que la cour ne saurait estimer déraisonnable au vu de la difficulté du dossier;

Considérant qu'en somme, les sociétés requérantes ont disposé d'un recours conforme aux exigences de la Convention ESDH, en l'occurrence d'un recours juridictionnel effectif dans un délai raisonnable; qu'aucune annulation de l'autorisation des opérations de visite et saisie ne saurait donc être prononcée à ce titre;

Considérant (ii) sur la déloyauté de la requête présentée au Président du TGI de Marseille, que le requérant n'était nullement tenu de produire à ce magistrat l'ensemble des éléments dont elle disposait, ou dont les sociétés Cemex et Unibéton croient qu'elle disposait, mais seulement ceux de nature à justifier les opérations de visite et saisie;

Qu'il revient donc au juge saisi de la demande d'effectuer de telles opérations, de vérifier non contradictoirement, selon le choix qu'a fait le législateur pour favoriser l'effet de surprise propre à la procédure sur requête, l'existence de présomptions d'une pratique anticoncurrentielle;

Qu'en l'espèce, le Président du TGI de Marseille a vérifié la qualité juridique des requérants, a examiné les pièces produites et a motivé sa décision d'autoriser les visites et saisies; en quoi, il a pleinement satisfait aux seules exigences de la loi;

Qu'il n'en serait autrement jugé que si les pièces présentées au Président du TGI de Marseille s'avéraient avoir été obtenues illicitement, ou avoir été falsifiées ou tronquées; qu'il a été jugé dans le présent arrêt que tel n'était pas le cas;

Considérant par conséquent, que les griefs avancés par les sociétés Cemex et Unibéton contre l'autorisation judiciaire de visite et saisie sont infondés;

III - Qualification des pratiques anticoncurrentielles

3a - Sur l'imputation à la société Unibéton de pratiques commises par la société Méditerranéenne de Béton (ci-après la " SMB ")

Considérant qu'invoquant l'autonomie de sa filiale, la SMB, la société Unibéton s'oppose à ce que lui soient imputées des pratiques reprochées à cette dernière; qu'elle fait valoir à ce titre :

- que la SMB, entreprise commune constituée à parts égales avec la société Garrassin, a fait l'objet d'une cogérance organisée de telle manière que chacun des gérants, proposé par les associés et nommé par l'assemblée, n'ait pas plus de pouvoirs sur la société et dans la définition de sa politique commerciale, financière ou d'investissement que l'autre gérant n'en possédait lui-même, de sorte que la société SMB - dissoute le 17 février 1997 - constituait à l'époque des faits une entité juridique autonome définissant librement sa politique sur les marchés, indépendamment des politiques menées par les associés sur leurs marchés respectifs,

- que les décisions stratégiques, qu'elles concernent la politique commerciale, financière, technique ou d'exploitation, étaient arrêtées en comité de direction réunissant les associés de SMB, ce dont a attesté M. Hugues Délavai, qui a assuré l'intérim du gérant représentant Unibéton du 3 juillet 1993 au 28 juin 1994, soit au cours de la période sous examen;

- que la politique commerciale de la SMB échappait aux procédures internes de contrôle applicables au sein de la société Unibéton notamment en matière d'investissement ou de marchés;

- que n'est pas déterminante l'absence de personnel propre à la SMB qui conduisait cette dernière à lui confier un certain nombre de tâches, dès lors qu'elle-même les exécutait, contre rémunération, selon les directives reçues des gérants de SMB,

- que ne peut être retenu le témoignage de M. Bordeaux, directeur financier de la société Sotem (Garrassin), reçu le 21 février 1996, dans un contexte conflictuel entre les deux associées lié à la dissolution de la société;

Mais considérant que M. Bordeaux, directeur financier à la Sotem, venant aux droits de la société Garrassin, a, dans une lettre reçue par le Conseil de la concurrence le 21 février 1996, précisément décrit le fonctionnement de l'entreprise commune, en indiquant que la participation de son groupe avait été prise dans le cadre d'une stratégie d'intégration verticale, le groupe Garrassin étant producteur de granulats sur le département du Var, cependant que la société Unibéton avait pour activité l'exploitation de centrales à béton, que de ce fait, l'administration de la SMB dès sa création avait été "entièrement confiée à Unibéton" qui assurait "l'intégralité des fonctions de gestion, tant commerciales, administratives, techniques que comptables ou juridiques" le groupe Garrassin n'intervenant pas "bien entendu dans la formation et la fixation des prix" , que la sincérité de cette déclaration circonstanciée ne saurait être mise en doute, ni du fait de l'attestation de M. Delaval, qui se borne à faire état, en termes généraux, d'une répartition équitable des pouvoirs par le biais de comités de direction se réunissant "régulièrement", ni au motif que les partenaires étaient entrain de se séparer, alors au contraire qu'il résulte du procès-verbal de transaction du 7 mai 1997, produit par la société Unibéton, qu'à la date à laquelle M. Bordeaux a adressé sa déposition, soit en février 1996, les associés étaient parvenus à un accord signé le 26 octobre 1995, et que ce n'est qu'ultérieurement qu'a surgi le conflit, en raison de l'inexécution de cet accord précisément, qui s'est noué par une assignation à bref délai délivrée en juin 1996;

Qu'en outre, M. Beuzelin, co-gérant de la SMB, a déclaré au rapporteur que les services commerciaux de la SMB se trouvaient à Lambesc (13) dans des locaux appartenant à Unimix, où était effectuée la facturation, objet du reste d'une convention de facturation, et que la SMB, propriétaire des centrales de production, ne disposait pas de personnel en propre;

Qu'enfin, la société Unibéton ne produit aucune preuve des directives de la SMB qu'elle aurait prétendument respectées dans l'accomplissement des tâches qu'elles facturait à cette dernière, ni de ses affirmations quant au périmètre de ses contrôles internes ;

Considérant qu'en l'état de ces éléments, d'où il résulte que la SMB ne disposait pas du pouvoir de définir sa propre stratégie industrielle et commerciale, c'est à juste titre que les agissements de cette société sont imputés à la société Unibéton, dont, pour les commodités de compréhension évoquées ci-avant, le nom sera mentionné entre parenthèses lorsque celui de la SMB sera cité;

3b - Sur les pratiques

Considérant que le béton prêt-à-l'emploi est un produit pondéreux qui nécessite d'être livré dans le délai d'une heure et demie au maximum ; qu'il s'ensuit que les premiers marchés concernés, au plan géographique, sont constitués de zones d'un rayon de 25 à 30 km autour des unités de fabrication, lesquelles en l'espèce se trouvaient pour l'essentiel en zone urbaine dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, soit à Toulon, Fréjus-Saint Raphaël, Cavaillon, Avignon, Aix-en-Provence et Nice;

3b1 - Les pratiques concertées de répartition de marché par fixation de prix et quotas

- Sur le marché de Toulon, de janvier à mai 1993

Considérant qu'il résulte du dossier soumis au débat contradictoire que M. Mas en dénonçant une entente généralisée de quotas sur le marché de Toulon entre la société Unimix (Unibéton) qui l'employait jusqu'en mai 1993 et les sociétés Béton de France (RMC), Béton Chantiers du Var, Super Béton et SMB (Unibéton), avait signalé qu'au titre de ce qu'il dénommait "Réunions de table Paca" s'étaient tenues des réunions entre représentants de sociétés concurrentes, notamment les 2 et 5 février 1993 à "l'Orée du bois" au Muy et à l'hôtel "Climat de France" à La Farlède, puis le 8 février 1993 à l'hôtel "Campanile" à La Seyne-sur-Mer, dont la réalité a été confirmée par l'enquête effectuée auprès des établissements indiqués (c'est la société Béton de France (RMC) qui avait réservé la salle pour le 5 février) et par la société Super Béton elle-même qui a admis que c'était elle qui avait effectué la réservation à La Seyne-sur-Mer;

Que M. Mas avait également remis une pièce comportant les pourcentages attribués à des sigles correspondant à ces entreprises "29 (BF)" pour Béton de France (RMC), "27(BCV)" pour Béton Chantiers du Var, "27 (B83) ancienne dénomination de Super Béton, "17 (Unimix)" soit Unibéton, attestant selon lui d'une répartition de marché avec "suivi des parts de marché" et "écarts par rapport aux objectifs" ;

Or considérant qu'a été découvert dans les locaux de la société Super Béton à La Seyne-sur-mer, le 7 février 1994, un document relatif à l'attribution du marché de la station d'épuration du cap Sicié, à la fin de l'année 1993 et au début de 1994, rédigé de la main du directeur de la société, M. Arrieta, qui fait apparaître au regard des sigles "BF", "BCV", "B83" et "SMB", divers chiffres qui, rapportés au total de 7 200, restituent les pourcentages respectifs de 29,2 %, 26,4%, 26,4 %, et 16,7 %, similaires donc à ceux avancés par M. Mas, et qui sont assortis d'un cumul, négatif ou positif, au regard de chacun des sigles (-2600 pour " BF " par exemple), révélateurs d'un système d'avance-retard au regard de quotas préalablement arrêtés, excluant l'explication fournie par M. Arrieta aux enquêteurs selon lesquels ces chiffres ne constituaient que des évaluations des parts de marché respectives des concurrents;

Que les mêmes similitudes ont été relevées entre les données figurant sur les documents remis par M. Mas, qui notait le 2 février 1993 "SPIE Citra M. Marteau Déviation du Las 2 800 m3: "475 (SMB) ", "474 (BF), "485 (B 83)" et "485 (BC) ", et celles relatives aux offres remises à l'occasion de cette consultation pour la fourniture de béton dosé à 350 kg CPA, communiquées par M. Marteau le 23 mai 1995 aux enquêteurs dans les locaux de la société SPIE Citra 475 F pour SMB, 474 F pour Béton de France (RMC) et 485 F pour Super Béton, étant précisé qu'après négociation, c'est la société Béton Chantiers du Var qui a été retenue après avoir ramené son prix à 470 F le 23 mars 1993, ayant proposé initialement 490 F;

Qu'à la date du 5 février 1993, M. Mas avait noté au sujet du chantier "Queyras La Coudoulière" les chiffres suivants "450 (5MB) ", "440 (B 83)", "445 (DC) ", le signe "BF" se voyant attribuer une forme rectangulaire non chiffrée, dont M. Mas a expliqué par la suite qu'elle signifiait que l'entreprise concernée était attributaire du marché ; que le responsable de la société Queyras a déclaré en effet qu'il avait retenu la société Béton de France (RMC), avec laquelle il travaillait auparavant, sans consulter les autres entreprises qui d'ailleurs ne s'étaient "pas manifestées";

Que l'ensemble de ces éléments, qui confirment les déclarations circonstanciées de M. Mas, caractérisent une concertation portant sur une répartition de marché du béton prêt-à-l'emploi entre les sociétés Béton de France (RMC), SMB (Unibéton), Béton Chantiers du Var et Super Béton dans la zone de Toulon, de janvier 1993 à mai 1993, de nature à fausser le jeu de la concurrence et comme telle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- Sur le marché de Toulon, jusqu'en début d'année 1994

Considérant que, pour la réalisation de travaux relatifs à la traversée souterraine de Toulon, ont été organisées des consultations, du mois de décembre 1992 jusqu'en début d'année 1994, pour la partie Ouest d'abord, en deux tranches, puis pour la trémie Est;

Que, pour la partie Ouest, organisée par la société GTM pour la tranche "génie civil" et par la société Bachy pour la tranche "parois moulées", la société Béton de France (RMC) et la SMB (Unibéton) ont soumissionné séparément au prix de 490 F pour du béton de type 25 le 12 décembre 1992 ; que les sociétés GTM et Bachy ont lancé de nouvelles consultations auxquelles la société Béton de France (RMC) n'a pas répondu, à la différence de la SMB (Unibéton) qui a déposé deux nouvelles propositions les 16 et 19 mars 1993; que c'est finalement la société Béton Chantiers du Var, qui avait offert 410 F pour ces deux chantiers, qui a emporté la tranche "parois moulées" le 20 avril 1993 tandis que la tranche "génie civil" était attribuée au même prix à la société Super Béton (Béton 83) le 12 juillet 1993;

Que, pour la trémie Est la consultation organisée par la société Nicoletti à l'intention des sociétés Béton de France (RMC), Super Béton (Béton 83), Béton Chantiers du Var, SMB (Unibéton) et Redland, n'a reçu les offres, en août 1993, que des sociétés Béton de France (RMC) et Béton Chantier du Var ; que la société Nicoletti a provoqué une deuxième consultation, incluant cette fois la SNBT, qui avait ouvert une centrale à Ollioules en octobre 1993 ; qu'à partir de décembre 1993, des offres distinctes ont été présentées par les sociétés Béton de France (RMC), Super Béton, Béton Chantiers du Var, Redland et SNBT ; qu'après un mois et demi de compétition entre la société Béton de France (RMC) et la SNBT, c'est la société Béton de France (RMC) qui l'a emporté, la SNBT ne pouvant plus baisser ses prix;

Considérant que MM. Gaillot et Giraudo, respectivement directeur et directeur commercial de la société Béton Chantiers du Var, ont reconnu avoir participé à des réunions

- notamment les 9 avril et le 10 mai 1993, mais aussi les 16 et 19 mars 1993, jours où la SMB (Unibéton) a adressé ses nouvelles propositions pour Toulon Ouest - avec les "confrères locaux", représentant les sociétés Super Béton (Béton 83), SMB (Unibéton) et Béton de France (RMC), qui avaient pour "objet principal la préparation du futur chantier de la traversée de Toulon-logistique et prix proposés";

Qu'interrogé sur un document coté 131 sur le cahier vert qu'il avait remis aux enquêteurs, M. Mas a expliqué que cette pièce se référait à une réunion organisée à l'hôtel "Baladin", le 9 avril 1993 - faisant suite à plusieurs réunions préparatoires, en particulier du 16 mars 1993 à La Seyne-sur-mer portée sur son agenda - qui avait pour objet, notamment, le partage des marchés de l'accès Ouest et Est du tunnel de Toulon ; qu'il a précisé que les différentes annotations qu'il y avait portées, visant notamment "DC" (soit Béton Chantiers du Var), correspondaient aux partage des "parois moulées" réalisés pour la société Bachy, soit 12 000 m3 à raison de 6 000 pour Béton Chantiers du Var et 6 000 pour Béton de France (RMC) ; que le même document mentionne "Bachy 12 000 BC BF -> pilote BC SMB-SMB BCS 350" et "GTM et C Moderne 41 000 Cuoghi Pilote DC" étant précisé que M. Cuoghi était le responsable des approvisionnements au sein de la société GTM; que ces annotations, seraient-elles inexactes en ce qui concerne les quantités livrées comme le fait valoir la société RMC, révèlent néanmoins qu'à la date du 9 avril 1993, avant la fin des opérations de mise en concurrence auxquelles certaines d'entre elles avaient soumissionné séparément, les sociétés Béton de France (RMC), Super Béton, Béton Chantiers du Var et SMB (Unibéton) étaient convenues de confier à la société Béton Chantiers du Var le pilotage des opérations dans le cadre des chantiers "génie civil" et "parois moulées";

Qu'en outre, un tableau intitulé "prévisions volumes trimestrielles" de la SMB (Unibéton), adressé le 22 décembre 1993 à la société Unimix (Unibéton), comportait, dans la rubrique "chantiers à traiter" en janvier-février-mars 1994, la "traversée de Toulon trémie" pour des volumes de 1 500 m3 en janvier et février 1994 et la "Paroi moulée" de "Bachy" pour un volume de 500 m3 en mars 1994, alors qu'à cette date, la SMB (Unibéton), qui n'avait d'ailleurs pas présenté d'offre individuelle pour le chantier de la trémie Est dont la consultation n'était pas terminée, n'était attributaire d'aucun marché et n'était pas désignée comme sous-traitante pour ces marchés;

Que M. Arrieta, directeur de la société Super Béton, a d'ailleurs déclaré aux enquêteurs que, bien que son offre pour le chantier de Bachy "parois moulées" n'eût pas été retenue, il avait "cependant fourni du béton en quantité importante pour ce chantier", alors que, même après l'attribution du marché à la société Béton Chantiers du Var, la société Super Béton n'a pas été admise en groupement par la société Bachy pour ce chantier;

Que le rapprochement de ces éléments révèle que les sociétés Béton Chantiers du Var, Béton de France (RMC), Super Béton et SMB (Unibéton), ont poursuivi leurs pratiques au-delà du mois de mai 1993, soit après le départ de M. Mas de la société Unibéton, en se concertant dans le but de se répartir les marchés dans la zone de Toulon alors qu'elles présentaient des offres prétendument concurrentes; qu'il est sans effet à cet égard que les entreprises chargées d'organiser la consultation aient, en considération de l'ampleur des fournitures exigées, accepté ultérieurement qu'elles opèrent en groupements, ainsi qu'il résulte des documents produits par la société RMC, tous postérieurs aux attributions des marchés considérés ; que cette entente, qui avait pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence est prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- Sur le marché de Nice

Considérant que la perquisition effectuée le 7 février 1994 dans les locaux de la société Super Béton a permis de d'appréhender une série de documents manuscrits;

Que le premier document vise trois chantiers, dont celui de "Roatta Gagnes sur mer" pour 800, placé sur la même ligne que le sigle "BCCA" (correspondant à la société Béton Contrôlé de la Côte d'Azur, une filiale du groupe Vicat alors gérée par M. Arrieta), précise pour le troisième chantier dit "Balcon bleu" : "Villefranche, pas tout de suite, ne pas le compter" et se conclut par la prise en compte du chiffre 42 600 affecté des pourcentages de 38,5, 36,5 et 25 permettant de dégager trois postes, respectivement de 16 400, 15 550 et 10 650;

Qu'un deuxième document, traitant d'un volume de 37 700 m2 indique tout d'abord:

1) 14 514

2) 13 760

3) 9 425

(ces montants représentant respectivement 38,5 %, 36,5% et 25 % du volume en cause) puis affecte des chantiers en trois colonnes intitulées respectivement 1, 2, 3 qui se terminent chacune par le total des volumes des chantiers affectés, soit 2 700, 3 800 et 3 200, cependant qu'est indiqué sous ce total qu'il reste 7 814 pour le 1, 9 950 pour le 2, 3 200 pour le 3, soit la différence entre le total et le montant indiqué en préliminaire;

Que, dans la colonne 1 figure pour un montant de 800 le chantier "Roatta" qui, sur le premier document, est attribué à la "BCCA" ; que dans la colonne 2 figure un chantier "EDB" pour 1 000 qui, sur un troisième document manuscrit portant la mention "à faire" est, sous la dénomination "EDB-Chantereine-Cannes affecté à "BCN" soit la société Béton Chantiers de Nice ; que dans la colonne 3 figure un chantier "MGE" pour 1 800 qui se retrouve dans ce troisième document, sous le nom "MGE- Ventraben-jardin Bleu" comme attribué à "BF", soit la société Béton de France (RMC);

Qu'un quatrième document, intitulé "chantiers", précise, en dessous du sigle "BF", à propos d'un premier chantier: "rendu BCN à BF 4 000 m3 Miraglia", puis, à propos d'un second chantier : "BCN rend 2 200 m3 PCAB Menton", étant précisé que BCN correspond à Béton Chantiers de Nice et BF à Béton de France (RMC);

Qu'enfin, une série de tableaux dactylographiés, datés de septembre 1993 à janvier 1994, reprennent une partie des informations rappelées ci-dessus, visant notamment le chantier de "Roatta" pour une quantité de 800, attribué à "BCCA ", et différents chantiers dans leur globalité, soit : 64 100, attribué à "BCCA "pour 12 200, à "BCN" pour 15 100 et a "BF" pour 10 400, et 37 700, attribué à "BCCA" pour 14 515, à "BCN" pour 13 761 et à "BF" pour 9 425 (à l'instar de ce qui apparaît dans le deuxième document);

Considérant que ces documents ne sauraient s'analyser en des tableaux de suivi de parts de marché dès lors qu'ils affectent à chaque entreprise un pourcentage constant quels que soient les chantiers et les volumes de production considérés et qu'il est résulté des déclarations des entreprises poursuivies devant le Conseil de la concurrence que les informations qui y sont portées, tant en termes de volumes que d'attributions, ne sont pas toutes exactes, ce qui exclut qu'ils aient été mis à jour en temps réel ; que le fait qu'ils aient tous été saisis dans les locaux de la même entreprise n'affecte pas leur valeur probante ; que leur rapprochement révèle en conséquence l'existence, en 1993, d'un accord de répartition du marché du béton prêt-à-l'emploi dans la zone de Nice entre la société Béton de France (RMC) et les sociétés BCCA et Béton Chantiers Nice, avec attribution de quotas et système d'avances-retards, de nature à fausser le jeu de la concurrence et comme tel prohibé par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- Sur les marchés d'Avignon et de cavaillon

Considérant que, lors de sa déposition, le 5 juillet 1993, M. Mas a signalé une entente dans la région Vaucluse en particulier dans la zone d'Avignon, et dans celle de Cavaillon où n'intervenait pas la société Béton de France (RMC) mais la société Béton Granulats Sylvestre;

Qu'il a indiqué que des réunions entre sociétés concurrentes s'étaient tenues le 3 février 1993 à l'hôtel Araxe à l'Isle-sur-la-Sorgue et le 22 mars 1993 à l'hôtel Mercure à Lançon-de-Provence; que la réalité de ces "réunions de table" a été confirmée tant par l'enquête effectuée auprès des établissements hôteliers concernés, qui a établi que la réservation du 3 février 1993 avait été faite par la société Béton de France (RMC) et celle du 22 mars 1993 par la société Redland, que par les déclarations de M. Patrick Deverne chef de secteur commercial de la société Béton de France (RMC), qui a reconnu avoir rencontré MM. Mas et Ridolfi, responsables respectifs des sociétés Unimix (Unibéton) et Béton Chantiers Prêt, le 22 mars 1993 au lieu indiqué, et de M. Ridolfi qui a également confirmé sa participation aux deux réunions mentionnées, où se trouvaient MM Mas et Deverne (procès-verbal du 20 septembre 1993);

Que, parmi les notes remises par M. Mas, prises au cours de son activité chez Unimix (Unibéton), figure un tableau daté du 5 février 1993 récapitulant la situation sur les marchés de Cavaillon et d'Avignon et intitulé "m3 janvier 1993"; que ce tableau attribue un pourcentage à chacune des sociétés recensées - ainsi pour Cavaillon : 29 % à la société Sylvestre, 29 % à la société Béton Chantiers Prêt, 13% à la société Redland, 29 % à la société Unimix (Unibéton), et pour Avignon : 33,6 % à la société Béton de France (RMC), 33,6 % à la société Redland, 16,4 % à la société Béton Chantiers Prêt, 16,4 % à la société Unimix (Unibéton)- puis totalise les chantiers obtenus par chacune de ces entreprises pendant le mois, et calcule les écarts, positifs ou négatifs, entre ce montant effectif et le montant théorique résultant des quotas préalablement indiqués ; qu'il importe peu que l'auteur de ce tableau soit ou non un collaborateur de M. Mas, M. Fernandez - lequel l'a du reste admis - dès lors que la valeur probante de ce document est confortée par une autre pièce du dossier;

Qu'a été saisi en effet dans les locaux de la société Unimix (Unibéton) un autre tableau, daté du 21 décembre 1993, intitulé "Rapport concurrence Vaucluse" qui recense les tonnages de béton par entreprise sur les zones de Cavaillon et d'Avignon de janvier à septembre 1993, étant observé que, pour ce qui est de la zone de Cavaillon au mois de janvier, ce sont exactement les mêmes tonnages que ceux du premier document qui y sont portés pour les sociétés Redland et Sylvestre, celui concernant la société Unibéton ayant été augmenté, vraisemblablement en raison d'une correction ultérieure comme l'a expliqué M. Mas ; qu'à la différence des tonnages mentionnés sans réserve pour les sociétés Unimix, Redland et Sylvestre, ceux des entreprises locales indépendantes, soit les sociétés GMB, Béton Sud 84, Béton Provence et PCTG, sont seulement "estimés", de même que leurs parts de marché respectives, de sorte qu'il faut considérer que, si les premiers sont considérés comme certains, c'est qu'ils ont été communiqués par les entreprises concernées;

Considérant qu'il ressort de ces éléments qu'au cours du premier semestre 1993, d'une part, les entreprises Unibéton et Béton de France (RMC) se sont concertées avec les entreprises Redland Granulats Sud et Béton Chantiers Prêt dans la zone d'Avignon et, d'autre part, la société Unibéton s'est concertée avec les sociétés Redland Granulats Sud, Béton Chantiers Prêt et Béton Granulats Sylvestre dans la zone de Cavaillon, en vue de se répartir des quotas de béton, ces ententes, qui visaient à fausser le jeu de la concurrence, étant prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- Sur le marché d'Aix-en-Provence

Considérant qu'en déposant plainte, M. Mas a dénoncé une entente sur les prix et les quotas entre producteurs de béton dans la zone d'Aix-en-Provence, entre le GIE Bétons Granulats Phocéens (BGP), la société Béton de France (RMC) et la SMB (Unibéton) notamment ; qu'il a précisé que les parts de marché attribuées au membres de l'entente s'élevaient à 58,5 % pour la société Béton de France (RMC), 24 % pour le GIE BGP, 9,5% pour la société Midimix, société absorbée par la société Redland Granulats Sud, et 8 % pour la SMB (Unibéton), et que la répartition était mise en œuvre par le jeu d'un système d'avances-retards ; qu'il résulte de ses notes dites "réunion de Table Paca" qu'il a participé à des réunions avec ses concurrents le 7 janvier 1993 à l'hôtel "Campanile" de La Penne-sur-Huveaune, avec M. Mari du GIE BGP et M. Bicchi de la société Béton de France (RMC), et le 18 janvier 1993, à l'hôtel "Les Relais Bleus" à Aix-en-Provence;

Considérant que, même si M. Mari, du GIE BGP l'a nié lors de son audition, le responsable du "Campanile" à La Penne-sur-Huveaune l'a identifié, à partir d'un extrait du planning de l'hôtel, comme ayant retenu une salle de réunion pour le 7 janvier 1993, précisant même que le "séminaire de M. Mari" avait dû se tenir dans la chambre n° 1, la salle de réunion n'étant pas libre ; que t'enquête effectuée auprès de l'établissement "Les Relais Bleus", à Aix-en-Provence, a révélé que c'était la société Redland qui avait réservé et loué une salle de réunion le 18 janvier 1993 ;

Considérant que M. Mas a remis lors du dépôt de sa plainte une note datée du 7 janvier 1993 dans laquelle il avait mentionné, à propos du chantier "Quillery, pôle d'échange Parking de la Rotonde" les chiffres 380, 385, 390, 387 dans les colonnes respectivement intitulées "BF", "BGP", "MID" et "SMB" ;

Que le responsable de la société Quillery a remis aux enquêteurs un document daté du 11 janvier 1993 sur lequel est porté la mention "BPE 380", sans que soit mentionné le nom de l'entreprise attributaire du marché ; qu'il a toutefois précisé qu'en règle générale, il consultait la société Béton de France (RMC) "à ce stade des études";

Considérant que M. Mas a également remis aux enquêteurs un tableau daté du 18 janvier 1993 relatif au chantier "Brune Rostand centre des impôts" affectant les chiffres de 390 et 392 respectivement aux sigles "MID" et "SMB" et, en face des sigles "BF" et "BGP", respectivement un rectangle et un rectangle suivi d'un point d'interrogation; qu'il a précisé ultérieurement que le rectangle signifiait que l'entreprise concernée était attributaire du marché;

Que l'enquête effectuée auprès de la société Bruno Rostand a révélé que les prix offerts le 15 février 1993 pour cette consultation, soit après la réunion au cours de laquelle le tableau a été établi, correspondaient aux offres de "MID" (pour la société Midimix) - ce que la société Redland Granulats Sud a elle-même confirmé - et "SMB" (Unibéton), que la société Béton de France (RMC) s'était abstenue et que, finalement, c'est le GIE BGP qui avait été retenu comme moins-disant;

Considérant qu'il résulte de ces déclarations et documents que les entreprises en cause se sont réunies pour arrêter une stratégie commune en vue de conduire à l'attribution des marchés à celle d'entre elles qu'elles avaient choisie, et qu'elles l'ont effectivement obtenue ; qu'ainsi, il est établi qu'au cours du premier semestre 1993, les sociétés Béton de France (RMC) et SMB (Unibéton) se sont concertées avec la société Midimix (absorbée par la société Redland Granulats Sud) et le GIE BGP, dissous par la suite, pour se répartir des quotas de béton et fixer des prix en commun sur le marché d'Aix-en-Provence, cette pratique, qui avait pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence, étant prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- Sur le marché de l'est du département du Var

Considérant qu'à propos de la zone "Le Muy-Saint Raphaël-Fréjus", M. Mas a précisé que l'entente concernait les sociétés Unimix (Unibéton), Express Béton, filiale commune des groupes Lafarge et Vicat, et Béton de France (RMC), laquelle opérait alors par l'intermédiaire de la SARL société Brignolaise de Béton et d'Agglomérés, sa filiale à 50 % ; que, si M. Mas n'a pas alors mentionné la société Redland Granulats Sud, les annotations qu'il a portées dans le cahier intitulé "Le Muy-Saint Raphaël-Fréjus", remis aux enquêteurs, font apparaître cette entreprise à compter du mois de janvier 1993;

Considérant que l'agenda de M. Tallon, agent commercial de la société Express Béton, mentionne des réunions aux dates des 20 janvier, 2 février, 2 mars, 15 avril et 27 avril 1993, qui concordent toutes avec celles indiquées par M. Mas ; qu'ainsi, au 2 mars, M. Mas signale une réunion à la "Maison des vins" avec les sociétés Express Béton, Béton de France (RMC) et Unimix (Unibéton), que l'on retrouve sur l'agenda de M. Talion sous la mention "Maison des vins", que, de même, au 15 avril 1993, M. Mas note une réunion à Lorgues avec les mêmes entreprises qui apparaît sur l'agenda de M. Talion sous la mention "Lorgues" que ces concordances démontrent l'organisation des réunions entre ces entreprises concurrentes, peu important que l'enquête n'ait pu établir que celle de Lorgues s'y était effectivement tenue;

Que dans les notes communiquées aux enquêteurs, M. Mas avait indiqué à la date du 1er mars 1993:

Unimix ; SBBA ; EB ; Red

9150 ; 5300 ; 4150 ; 6000

32,5% ; 28,1% ; 27,9% ; 11,5%

Que sur le même document, en regard d'une liste de chantiers apparaissent des chiffres dans chacune des colonnes intitulées "Uni", "EB", "BF" et "Red", par exemple, en regard du chantier "Gagnereau-Lycée de Roquebrune":

Uni ; EB ; BF ; Red

397 ; 399 ; 398 ; 410

Qu'en outre, une pièce manuscrite saisie dans les locaux de la société Unimix (Unibéton) comporte la phrase suivante, raturée: "Place faite à Redland sur Fréjus. Partie à récupérer ailleurs", dont le sens est éclairé par un autre document saisi dans les mêmes conditions, qui mentionne : "1 Pt de perte sur Var (Red) il faut récupérer 6 000 mètres cubes sur St Raphaël sans réponse sous 8 jours (...) plutôt sur Bouches-du-Rhône";

Considérant que l'ensemble de ces éléments, rapprochés de la circonstance que la société Redland Granulats Sud avait ouvert une centrale à Fréjus en mars 1992 et que la société Unibéton a fermé la sienne en janvier 1993, devenue obsolète (p. 27 de l'exposé des moyens de la société Unibéton), établissent l'entrée, à partir de janvier 1993 de la société Redland Granulats Sud dans l'entente qui comptait jusque là les seules sociétés Unibéton, Express Béton et SBBA (Cemex);

Qu'au demeurant, cette analyse est confortée par les niveaux de prix moyens du béton pratiqués par la SBBA (Cemex) dans cette zone au cours de la période considérée, qui, après avoir fortement chuté au cours de 1992, période au cours de laquelle la société Redland Granulats Sud exerçait une concurrence effective, sont remontés dès janvier 1993 lorsque cette entreprise a intégré l'entente, cette variation à la hausse étant encore confirmée par un document saisi dans les locaux de la société Unimix (Unibéton) qui mentionne "augmentation des prix sur Var Est aux alentours de 400 à 440 F/m3 (supérieur à 92) + 46 F/m3 depuis janvier 1993"; que la conjonction de ces éléments exclut que cette remontée soudaine des prix en janvier 1993 s'explique simplement, comme le prétend la société Cemex, par l'alternance naturelle de périodes de guerre des prix et d'accalmie;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'est établie l'existence d'une concertation portant sur une répartition de marché dans la partie Est du département du Var entre les sociétés Unibéton, SBBA (Cemex), Redland Granulats Sud et Express Béton, de janvier 1993 à mai 1993, de nature à fausser le jeu de la concurrence et, comme telle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

3b2 : Sur l'entente dans la région Paca

Considérant qu'en déposant plainte le 5 juillet 1993, M. Mas a expressément dénoncé une entente ayant pour objet d'organiser la répartition du marché du béton prêt-à-l'emploi dans la région Paca, indiquant qu'alors qu'il était directeur commercial de la société Unimix (Unibéton), il avait reçu l'ordre de son supérieur hiérarchique, M. Auzas, "d'organiser la répartition du marché du béton prêt-à-l'emploi dans la Région Paca"; qu'il a précisé ultérieurement que l'entente - à laquelle participait notamment la société Béton de France (RMC) - était mise en œuvre sur cinq secteurs géographiques, soit le secteur d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône Nord), les secteur d'Avignon et de Cavaillon, et les secteurs de Var Ouest (Toulon) et de Var-Est (Le Muy-Saint Raphaël-Fréjus), ajoutant, au sujet des parts de marché attribuées aux différents membres de l'entente : "'Les parts indiquées pour chacune de ces zones et pour chaque société concernée (...) étaient fixes. Elles pouvaient varier lors de la fermeture de centrales (exemple lors de la fermeture de la centrale de Fos par la société Unimix, cette entreprise a bénéficié d'une augmentation départ de marché de 2 % à Toulon en compensation, dans la mesure où à Toulon se pratiquaient les prix les plus élevés du secteur)" ;

Considérant qu'il a été constaté ci-avant que les déclarations de M. Mas quant aux ententes sur les zones indiquées ont été entièrement confortées par les éléments recueillis au cours de l'enquête, laquelle a également confirmé que la centrale de Fos de la société Unimix avait cessé son activité au cours de l'année 1993;

Qu'il suffît de rappeler que M. Mas avait indiqué avoir participé, fin 1992 et début 1993, à des réunions avec des responsables de différentes sociétés faisant partie d'ententes locales, à l'exception de celle mise en œuvre sur le marché de Nice, révélée lors des opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société Super Béton; que l'ensemble de ses déclarations quant à ces réunions a été confirmé tant par M. Deverne, chef de secteur commercial de la société Béton de France (RMC) pour le secteur du Vaucluse, qui a reconnu l'avoir rencontré ainsi que M. Ridolfi, agent commercial de la société Béton Chantier Prêt, filiale du groupe Lafarge, à Lançon de Provence dans le département des Bouches-du-Rhône, pour faire, selon lui, "le point des différentes actions menées par chacun d'entre nous pour le développement du béton prêt-à-l'emploi", et dans le département du Vaucluse à L'Isle-sur-la-Sorgue et à Cavaillon ; que M. Ridolfi lui-même a confirmé plusieurs de ces réunions, de même que MM Gaillot et Giraudo, directeur et directeur commercial de la société Béton Chantiers du Var, membre de l'entente sur le marché de Toulon, qui ont précisé avoir rencontré des représentants des sociétés Béton de France (RMC), SMB (Unibéton) et Super Béton (filiale commune des groupes Lafarge et Vicat) ; que M. Sylvain Lucas, "directeur du bassin méditerranéen" de la société Redland Granulats Sud, membre de plusieurs ententes locales, a également reconnu la tenue de plusieurs réunions, en 1993, dans la région Paca, entre sociétés concurrentes, pour définir de nouvelles normes dans le béton prêt-à-l'emploi, réunions auxquelles participait parfois M. Nervi, pour sa société ; que M. Arrieta, directeur des sociétés Super Béton et BCCA, chacune membre de l'entente sur les marchés respectifs de Toulon et de Nice, a reconnu avoir participé à des réunions avec les représentants des sociétés Béton de France (RMC) et SMB (Unibéton) ; qu'enfin M. Talion, agent commercial de la société Express Béton, filiale commune des groupes Lafarge et Vicat et membre de l'entente sur le marché du Var Est, a confirmé avoir participé à des réunions dans des établissements hôteliers du Var, comme M. Mas l'avait indiqué;

Qu'en outre, des documents saisis confirment que ces répartitions, qui étaient organisées à l'échelon régional, donnaient lieu à compensation entre différents marchés locaux de cette région ainsi :

- trois pièces saisies chez Unimix (Unibéton), qui mentionnent respectivement : le 19 octobre 1993; "1 pt de perte sur Var (Red) il faut récupérer 6 000 mères cubes sur St Raphaël sans réponse sous 8 jours (...) plutôt sur Bouches-du-Rhône (Lambesc, Miramas, pas Venelle car 50/50) "

Sans date : "place faite à Redland sur Fréjus. Partie à récupérer ailleurs" le 6 septembre 1993, à propos de la zone de Brignole où la société Unimix (Unibéton) exploitait une centrale à béton : "prévision de cession à Lafarge 06.94" étant précisé que la centrale de Venelle, située dans le département des Bouches-du-Rhône appartenait à la SMB (Unibéton), dont le capital était détenu à égalité par la société Unibéton et par le groupe Garrassin, et que la société Redland Granulats Sud venait d'ouvrir une centrale à Fréjus en mars 1992;

- des notes personnelles de M. Alain de Philip, directeur des filiales du groupe Lafarge Ciments, division granulats, pour la région Sud-Est, alors administrateur de la société Super Béton, saisies à Marseille et datées du 17 septembre 1992, qui indiquent "AR suite réunion BPE + Lucas / - Fréjus à Granulats Cantarel / - Veut 3000 à Fréjus - Pancin dit 15/- 28 09 CF + Redland", étant précisé que M. Lucas était le directeur régional de la société Redland Granulats Sud et M. Pancin, directeur délégué de la société Béton de France (RMC);

Qu'il est constant enfin que les sociétés Lafarge Béton Granulats et la société Vicat avaient noué des lieus capitalistiques et administratifs au sein d'entreprises communes ainsi les sociétés Express Béton et Super Béton, détenues pour moitié par chacune d'elles et dirigées soit par l'une soit par l'autre, cependant que la société Béton Chantiers du Var, la société Béton Chantiers Prêt et la société Béton Chantiers de Nice étaient des filiales du groupe Lafarge, et que la société Vicat, pour sa part, avait pour filiale la société BCCA, qui a l'époque des faits, était dirigée par M. Arrieta, lequel était également à la tête de la société Super Béton;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sociétés Béton de France (RMC) et Unibéton se sont entendues, au plan régional, avec les sociétés Redland Granulats Sud et les groupes Lafarge et Vicat, pour se répartir différents marchés géographiques locaux du béton prêt-à-l'emploi dans la région Paca au cours de l'année 1993, cette pratique, qui avait pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence, étant prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

3b3 : Sur la pratique d'éviction de la SNBT après son installation à Ollioules

Considérant qu'il est reproché aux sociétés Béton de France (RMC) et SMB (Unibéton) d'avoir mis en œuvre, avec les sociétés Super Béton, Béton Chantiers du Var, Lafarge Ciments et Vicat, une pratique collective de prix d'éviction à l'encontre de la SNBT après l'installation de cette dernière entreprise sur le site d'Ollioules dans le département du Var, en fin d'année 1993 ; que ces agissements ont donné lieu à la notification à ces entreprises d'un grief d'entente anticoncurrentielle, prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce et d'un grief pris de l'exploitation abusive, par un groupe d'entreprises, d'une situation dominante sur une partie substantielle du marché intérieur, prohibée par l'article 8, 1, de la même ordonnance, devenu l'article L. 420-2, alinéa 1er, du Code de commerce;

Considérant qu'aucun élément du dossier n'ayant permis d'établir la position dominante collective des entreprises en cause, c'est à juste titre que le rapporteur a proposé l'abandon du second grief;

Considérant en revanche, qu'en ce qui concerne le grief d'entente en vue d'appliquer une politique d'éviction de la société SNBT, il résulte des éléments du dossier qu'à partir du moment où la centrale d'Ollioules a démarré son activité, soit à partir de fin octobre 1993, le niveau des prix dans la zone de Toulon - sur laquelle il a été démontré qu'une entente de répartition de marché était mise en œuvre par les sociétés Béton de France (RMC), 5MB (Unibéton), Béton Chantiers du Var et Super Béton - a brutalement chuté;

Qu'ainsi, il a été relevé, au titre des prix les plus bas pratiqués, que la société Super Béton avait facturé du béton courant en septembre 1993 à 370 F/m3, en octobre à 345 F/m3 et en novembre à 275-280 F/m3;

Qu'il en va de même pour la SMB qui, en septembre a pratiqué un prix unitaire de 360 F/m3 en octobre de 295-340 F/m3 et en novembre de 270-290 F/m3;

Que les relevés effectués auprès de la société Béton de France (RMC) ont établi qu'elle avait facturé, au plus, un prix de 360 P/m3 en septembre, de 345 F/m3 en octobre et de 250 F/m3 en novembre;

Que, pour sa part, la société Béton Chantiers du Var, qui avait livré du béton courant en septembre au prix de 555 F/m3 ne le facturait plus que 240-300 F/m3 en octobre ;

Que l'enquête a montré que le prix unitaire moyen, qui avoisinait 360 F/m3 jusqu'en octobre 1993, est descendu en-dessous de 300 F/m3 à partir de novembre, certains relevés figurant au dossier révélant même des facturations à 250 F;

Considérant que les investigations menées, notamment auprès du commissaire aux comptes de la société Béton de France (RMC), ont établi que cette entreprise avait pratiqué des prix de vente unitaires inférieurs à ses coûts moyens variables (ceux qui varient en fonction des quantités produites) en fin d'année 1993 et en début d'année 1994, ainsi qu'au cours du dernier trimestre 1994 dans la zone de Toulon, ce que cette entreprise ne conteste pas, et que, de son côté, la SMB (Unibéton) avait également pratiqué des prix de vente unitaires inférieurs aux coûts variables dans la zone de Toulon au cours du dernier trimestre 1994 ;

Qu'il a également été constaté qu'après l'installation de la centrale d'Ollioules, les sociétés Super Béton et Béton Chantiers du Var avaient fixé des prix unitaires de vente ne tenant pas compte de la totalité de leurs frais fixes, donc inférieurs à leurs coûts totaux, se maintenant juste au-dessus de leurs coûts moyens variables de fabrication du béton, ce que du reste ces entreprises n'ont pas contesté;

Considérant que ces agissements concomitants, qui ont occasionné des pertes importantes pour les entreprises concernées - surtout en cas de prix inférieurs aux coûts moyens variables où chaque vente entraîne pour l'entreprise la perte, par unité produite, de ses coûts fixes et d'une partie de ses coûts variables - ne peuvent s'expliquer par un simple parallélisme de comportement en légitime réaction à la pression concurrentielle exercée par l'arrivée d'un nouvel entrant sur le marché de Toulon ; qu'en effet, d'une part, les baisses de prix consenties excèdent considérablement ce que nécessitait l'alignement sur les prix pratiqués au même moment par la SNBT, qui avait facturé le 29 octobre 1993 son prix le plus bas pour le mois à 365 F et, pour le mois de novembre, à 350 F et, d'autre part, ces entreprises s'entendaient préalablement pour se répartir le marché en cause et maintenir des prix artificiellement élevés de sorte que la conjoncture, n'eût été l'entrée de la SNBT, était particulièrement favorable, ce dont atteste au demeurant un document interne saisi chez Unimix (Unibéton) qui faisait état, à la fin du mois de septembre 1993 d'un "effet conjoncturel avec prise de gros chantiers (4 000 + 3 000 m3) ", d'une "augmentation des prix sur Var Est aux alentours de 400 à 440 F m3", ainsi que d'une stabilité des prix" et d'une "stabilité des volumes avec prévision intéressante de fin d'année pour la zone de Toulon" qu'ainsi, les baisses constatées qui excèdent, par leur ampleur et les conséquences qu'elles ont entraînées sur les résultats des entreprises concernées, l'alignement sur les prix pratiqués par le nouvel entrant, ne peuvent s'expliquer que par la mise en œuvre d'une entente en vue d'éliminer la SNBT par le biais de prix prédateurs;

Qu'au demeurant, de telles pratiques étaient évoquées explicitement par M. Engel, coassocié de M. Mas, lorsque ces derniers ont déposé plainte auprès de la DGCCRF, et décrites comme habituelles en cas de survenue d'un concurrent indésirable; que M. Mas lui-même a précisé, le 30 mars 1993, à propos d'Unimix (Unibéton) "En général, lors de l'implantation d'un indépendant, nous baissions les prix (...) pour le couler"; que l'enquête a permis de recueillir d'autres témoignages en ce sens, ainsi :

- celui du gérant de la société Béton Provence, mettant en cause M. Poncin, directeur régional de la société Béton de France (RMC), comme l'ayant "menacé de (les) faire disparaître" s'ils s'installaient, et qui relatait que les camions de sa société étaient l'objet de filatures de la part des employés de la société Béton de France (RMC), dans le but d'identifier les nouveaux clients et de "proposer ensuite des prix de dumping", ce qu'un document saisi, émanant de M. Poncin et faisant état de surveillance discrète du niveau d'activité et des chantiers servis par la société Béton de Provence, a confirmé;

- celui de M. Galibert, dirigeant de la société GM Béton, entreprise indépendante active sur les marchés de Cavaillon et d'Avignon, qui disait avoir été victime de mesures d'intimidation suivies de "matraquage sur les prix" de la part de ses concurrents BCP, Béton de France (RMC), Unimix (Unibéton) et Redland, le prix par mètre cube ayant atteint le niveau de 300 F ou moins après son installation, ce qu'a confirmé un document saisi chez Unimix qui, à propos du secteur du Vaucluse, évoquait "l'accentuation de la dégradation à 300 F m3 à partir d'octobre" et fixait comme "objectif du secteur" le "maintien de la part de marché au prix du marché" et un autre de la même origine qui prévoyait au sujet du "démarrage concurrent Galibert. "Baisse du PMV/ + marge/prévoir encore - 20 F sur 2 mois à venir ;

- de M. Bonifay, autre producteur de béton indépendant sur le marché de Toulon, qui a confirmé l'effondrement brutal des prix constaté à partir d'octobre 1993, ajoutant même:

"Nous avons le sentiment que par la même occasion ils ont décidé de nous éliminer également puisque nos 4 concurrents ont démarché certains de nos clients à ces prix de 250-280 F;

Considérant qu'une telle pratique étant répréhensible indépendamment de son résultat, c'est de façon inopérante que la société RMC objecte que la SNBT a connu un développement satisfaisant au cours de la période considérée;

Considérant enfin que le dossier ne contient aucun élément établissant que les sociétés Lafarge Ciments et Vicat, fournisseurs de ciments, aient été associées à cette pratique d'éviction;

Qu'il résulte de ce qui précède qu'est établie une entente entre les sociétés Béton de France (RMC), SMB (Unibéton), Super Béton et Béton Chantiers du Var pour pratiquer des prix prédateurs en vue de limiter l'accès au marché de leur concurrente, la SNBT, entente prohibée par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce;

IV - Sur les sanctions

4a - Sur la durée de la procédure

Considérant que la société Unibéton invoque la nécessité de tenir compte de la durée de la procédure dans la détermination de la sanction réalisée par la cour; qu'elle fait valoir à ce titre que les pratiques reprochées datent de plus de 15 ans, alors que la situation des marchés est aujourd'hui différente de ce qu'elle pouvait être en 1993.

Mais considérant que s'il est admis que la durée de la procédure est un facteur d'atténuation de la sanction, cette dernière s'apprécie au jour de la décision et non au jour de la saisine de la cour ; qu'en l'espèce, saisie en 1994 de faits remontant à 1993, le Conseil a tranché en 1997, ce qui ne peut être considéré comme une durée longue dans le cas d'une pratique anticoncurrentielle assez complexe, dont l'instruction a nécessité le recours à des visites domiciliaires;

4b - Sur la gravité des pratiques

Considérant que, selon l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicable en la cause, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné, elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction, et le montant de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos;

Que les sociétés Cemex France Gestion, Cemex Sud-Est Béton et Unibéton contestent la sanction pécuniaire infligée à chacune d'elles car disproportionnées au regard de l'absence de gravité des faits, de l'absence de dommage causé à l'économie et enfin de l'absence de prise en considération de leur situation individuelle;

Mais considérant que si la loi, qui ignore les classifications de ce type, n'autorise pas la cour à classer les pratiques comme " particulièrement " ou " très " ou " parmi les plus " graves, il n'en demeure pas moins et que les arguments développés par les sociétés Cemex France Gestion, Cemex Sud-Est Béton et Unibéton, censées constituer des circonstances atténuantes ne sont pas de nature à remettre en cause l'analyse du Conseil de la concurrence (dorénavant l'Autorité de la concurrence);

Qu'ainsi, les pratiques en cause ont eu une emprise significative sur les marchés du béton prêt-à-l'emploi concernés notamment en raison de l'appartenance de certaines entreprises en cause à des groupes multinationaux;

Que ces groupes étaient fournisseurs de ciments et de granulats pour l'activité du béton prêt-à-l'emploi, laquelle se caractérise par sa forte dépendance aux variations de l'activité du bâtiment et les travaux publics;

Que la gravité des pratiques s'apprécie, en outre, au regard de la particularité des pratiques consistant ici d'abord à se concerter afin de se répartir à l'avance les marchés du béton prêt-à-l'emploi sur une aire géographique étendue;

Qu'il s'est agi de maintenir des prix artificiellement élevés;

Que les opérateurs fautifs n'ont pas hésité à fausser les consultations préalablement organisées par les entreprises en demande;

Que ces mêmes comportements ont conduit à interdire ou à limiter l'accès du marché à un concurrent nouvellement entré, lequel menaçait la pérennité de l'entente, en pratiquant des prix de prédation;

Que ces pratiques sont en somme caractérisées, quant à leur principe et leur gravité, par la tromperie mise en œuvre à l'égard des maîtres d'œuvre publics et privés sur la réalité et l'étendue de la concurrence en altérant ainsi l'indépendance des offres et éliminant la concurrence par les prix sur les marchés concernés ; par la malignité des mécanismes d'éviction mis en place par leurs auteurs ; par le caractère dissuasif pouvant revêtir de telles pratiques vis-à-vis d'autres entreprises extérieures à l'entente qui seraient tentées de s'implanter sur le marché ou sur des marchés géographiquement voisins;

Considérant qu'en outre, si la durée brève d'une pratique est un critère à prendre en compte pour atténuer la gravité du manquement, la durée pertinente n'est toutefois pas la durée du déroulement des appels d'offres eux-mêmes mais la durée de leur exécution pendant laquelle sont ressentis les effets sur le marché ; qu'en l'espèce, les pratiques anticoncurrentielles ont donc duré deux années;

Que la gravité des pratiques anticoncurrentielles en cause est encore accrue eu égard à leur valeur d'exemple, de telles pratiques étant ressenties comme banales et régulières par les acteurs du secteur;

Que de ce qui précède, il ressort que la gravité des pratiques ayant définitivement faussé le jeu de la concurrence sur les marchés concernés a, à juste titre, été caractérisée par le Conseil;

4c - Sur le dommage à l'économie

Considérant que la société Cemex France Gestion avance que le Conseil, dans la décision critiquée, a procédé par pures affirmations, alors que le béton prêt-à-l'emploi entre pour une faible part dans le coût des ouvrages d'art ou des bâtiments et qu'il a une faible incidence sur le coût total ; qu'en outre, le marché concerné est fortement concurrentiel, l'entrée et la sortie en sont faciles, il n'y a pas d'économies d'échelle et l'information sur les prix est largement diffusée;

Qu'en somme, et conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, dès à présent appliqué par la cour d'appel en diverses espèces, le dommage causé par ces pratiques à l'économie ne saurait être présumé comme l'a fait la décision critiquée;

Considérant que la société Cemex Béton Sud-Est ajoute que le seul marché concerné pour elle est celui de l'Est du Var, en sorte que le dommage à l'économie n'a pas été démontré par le Conseil ;

Considérant que la société Unibéton estime que les marchés concernés étaient purement locaux, ne concernaient d'ailleurs pas tous Unibéton, que beaucoup d'opérateurs indépendants subsistaient sur lesdits marchés, qu'une forte récession a marqué la période d'imputation des pratiques, au point que la baisse des prix a été notable;

Mais considérant que le dommage à l'économie s'apprécie en fonction de la perturbation générale apportée au fonctionnement normal des marchés par les pratiques en cause et notamment en fonction de l'étendue des marchés affectés par les pratiques anticoncurrentielles, de la durée et des effets conjoncturels et structurels de ces pratiques;

Que le dommage à l'économie est d'une indéniable importance en l'espèce, contrairement aux assertions des entreprises condamnées, en raison des spécificités du marché puisque les pratiques portaient sur un matériau indispensable dans le bâtiment et les travaux publics pour lequel il n'existait, à l'époque, ni substitut ni fournisseurs alternatifs en raison des contraintes de proximité, et qu'elles ont lésé les entreprises de gros œuvre qui n'étaient pas en mesure de faire fonctionner des centrales de chantier dans des conditions d'efficacité et de coût comparable;

Qu'en outre, ces pratiques de concertations, qui ont permis le maintien des prix à un niveau globalement élevé, en dépit de la baisse générale, entre 1990 et 1993, de la production accompagnée du maintien des capacités de production, soulignée par la société Unibéton, ont affecté six marchés géographiques dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, du Vaucluse et Alpes Maritimes;

Que ces pratiques anticoncurrentielles ont affecté de manière directe les prix, par le maintien, pendant toute la durée de leur exécution, de prix artificiellement élevés et par la suite (et afin d'évincer la concurrence qui menaçait la pérennité de l'entente) de prix de prédation dont les maîtres d'ouvrage publics ou privés et les entreprises de gros œuvre, qui ont eu recours à ces entreprises, ont été victimes;

Que la SNBT a souffert des pratiques de prix prédateurs qui la visaient puisque les résultats d'exploitation de cette société d'octobre 1993 à juillet 1994 traduisent une perte de plus de 100 000 F alors qu'était constatée au même moment une augmentation de la demande dans le Var; qu'en outre, l'Autorité de la concurrence (auparavant le Conseil de la concurrence) objecte à juste titre dans ses observations que les chiffres avancés par les requérantes, révélateurs selon elles d'une entreprise en pleine expansion qui aurait été cédée dans d'excellentes conditions en avril 1997, ne sont pas pertinents car la SNBT produisait également des éléments préfabriqués et exploitait une autre centrale à La Ciotat, et qu'en tout état de cause, les pratiques avaient cessé dès la fin de l'année 1994, lorsque les mesures conservatoires ont été appliquées;

Qu'il ressort, par ailleurs, des déclarations convergentes de plusieurs exploitants de sociétés de béton prêt-à-l'emploi intervenant sur différents marchés géographiques que ces entreprises dont il est établi qu'elles se trouvaient en entente de répartition de marché en début d'année 1993 ont adopté, à partir du mois d'octobre 1993, une stratégie de prix bas visant à limiter systématiquement l'accès aux marchés des nouveaux entrants ; que la menace d'éviction et la réalité de cette éviction a incontestablement affaibli la capacité concurrentielle de ces derniers ; ces barrières construites contre les nouveaux concurrents caractérisent un trouble persistant à la concurrence;

Qu'en somme, le Conseil a effectué une analyse adéquate de l'importance du dommage à l'économie, a répondu aux arguments des entreprises sur ce point et a adopté, ainsi qu'il sera dit, des sanctions modérées, en corrélation avec son appréciation tempérée du dommage;

4d - Sur l'individualisation des sanctions

Considérant que la société Cemex France Gestion conteste le mode de calcul de la sanction pécuniaire au motif qu'il aurait donné lieu à une inégalité de traitement au détriment de la société Béton de France de part la référence à son chiffre d'affaires global, incluant ses activités non liées à la production de béton prêt-à-l'emploi dans le Sud-Est, alors que les autres sociétés sanctionnées, pour la plupart filiales locales de grands groupes, ont été sanctionnées par rapport à leur chiffre d'affaires propre et non celui de leur groupe;

Mais considérant que comme celles prononcées à l'encontre de chacune des entreprises mises en cause, la sanction infligée à Béton de France a été déterminée conformément aux dispositions de l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors applicable;

Qu'ainsi, la société Béton de France (société Cemex France Gestion), qui était, à l'époque des faits, présente sur le marché national, a participé à des concertations de répartition de marchés sur les marchés locaux de Toulon - et plus spécifiquement à l'occasion des consultations organisées pour la construction de la traversée souterraine - de Nice, d'Avignon et d'Aix-en-Provence, comme sur l'ensemble du marché régional, le tout au cours de l'année 1993 ; qu'elle a également activement contribué aux pratiques d'éviction de la SNBT du marché local de Toulon; qu'elle a réalisé en France, au cours de l'exercice 1996, un chiffre d'affaires hors taxes de 1 023 378 987 F ; qu'eu égard à ces éléments, la sanction de 4 500 000 euro apparaît clémente;

Que la société Unibéton, également présente dans le secteur du béton prêt-à-l'emploi sur le plan national, s'est livrée à des pratiques de répartition de marchés au cours de l'année 1993 sur les marchés locaux de Toulon - et plus spécifiquement à l'occasion des consultations organisées pour la construction de la traversée souterraine d'Avignon, de Cavaillon, d'Aix-en-Provence et de l'Est du département du Var ; qu'elle a contribué activement aux pratiques de prédation visant la SNBT ; qu'elle a réalisé en France au cours de l'exercice 1996, un chiffre d'affaires hors taxes de 1 506 720 138 F ; qu'eu égard à ces éléments, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte de la durée de la procédure, la sanction pécuniaire de 6 000 000 euro apparaît clémente;

Que la société Brignolaise de béton et d'agglomérés (société Cemex Béton Sud-Est), qui appartenait pour moitié à la société Béton de France, s'est livrée à des pratiques de concertation au cours de l'année 1993 sur le marché local du béton prêt-à-l'emploi de l'Est du département du Var (zone Le Muy-Saint Raphael-Fréjus) ; qu'elle a réalisé, au cours de l'exercice 1996, un chiffre d'affaires hors taxes de 20 445 028 F; qu'en tenant compte de ces éléments, il convient de lui infliger une sanction pécuniaire de 45 000 euro apparaît clémente et, puisqu'elle ne dépasse pas en pourcentage la moitié des sanctions de Béton de France et Unibéton, parfaitement proportionnée;

V - Demandes accessoires

Considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision attaquée, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande des parties requérantes tendant à cette restitution;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Sur les recours de la société Unibéton, de la société RMC France et de la société Cemex Béton Sud-Est, annule la décision n° 97-D-39 rendue par le Conseil de la concurrence le 17 juin 1997; Et statuant à nouveau : Dit que la société Unibéton, la société Béton de France devenue la société RMC France puis la société Cemex France Gestion, et la société Brignolaise de béton et d'agglomérés, devenue la société Cemex Béton Sud-Est ont enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu L. 420-1 du Code de commerce; Prononce en conséquence les sanctions pécuniaires de : - 6 000 000 euro contre la société Unibéton, - 4 500 000 euro contre la société Cemex France Gestion, - 45 000 euro contre la société Cemex Béton Sud-Est; Rejette les demandes présentées par ces sociétés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne ces sociétés aux dépens en ce qui les concerne, tant de la présente instance que de celles précédemment annulées.