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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 18 janvier 2011, n° 09-03840

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

CG Courses (SARL)

Défendeur :

Ziegler France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Olivier

Conseillers :

Mmes Cagnard, Neve de Mevergnies

Avoués :

Selarl Laforce, SCP Congos-Vandendaele

Avocats :

Mes Schrameck, Solin

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 14 mai 200…

14 mai 2009

La SA Ziegler France a pour activité le transport routier de marchandises pour le compte d'autrui.

La SARL CG Courses a une double activité de transport express et depuis 2005 de commissionnaire de transport.

Dans le cadre de ses relations contractuelles avec la société Alcatel, la société Ziegler a été amenée à utiliser les services de la société CG Courses pour des transports express en sous-traitance, par l'intermédiaire de deux entités Ziegler : Ziegler Blanc Mesnil et Ziegler Loc, toutes deux situées à la même adresse : Blanc Mesnil (93). Le chiffre d'affaires a cru régulièrement de 2004 à 2007 ; fin 2007, la société Ziegler obtenait une remise de 3 % sur l'ensemble du chiffre d'affaires. L'activité décroissait en 2008 pour s'interrompre en avril 2008 pour Ziegler Loc et en juillet 2008 pour Ziegler Blanc Mesnil.

La société CG Courses, se considérant victime d'une rupture brutale des relations susceptible de relever de l'article L. 442-6 du Code de commerce, faisait assigner en référé la société Ziegler France, par acte du 14 décembre 2008, devant le président du Tribunal de commerce de Bobigny, lequel se déclarait incompétent par ordonnance du 30 décembre 2008 et renvoyait les parties à mieux se pourvoir.

Autorisée par ordonnance présidentielle, la société CG Courses faisait assigner à jour fixe la société Ziegler par acte du 26 janvier 2009 devant le Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing.

Par jugement en date du 14 mai 2009, le tribunal de commerce a :

- rejeté les prétentions de la société CG Courses sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

- déclaré nulle la remise consentie par la société CG Courses à la société Ziegler au titre de l'année 2007 ;

- condamné la société Ziegler France à payer à la société CG Courses la somme de 19 539,55 euro HT en remboursement de la remise nulle ;

- condamné la société CG Courses à payer à la société Ziegler France la somme de 1 357,77 euro HT au titre du solde de remise de juillet 2008 à décembre 2008 ;

- ordonné la compensation entre ces sommes ;

- rejeté les demandes des parties en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société CG Courses aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 29 mai 2009 par la société CG Courses ;

Dans ses dernières conclusions en date du 24 février 2010, la société CG Courses demande à la cour de constater que les deux établissements de la société Ziegler France ont rompu brutalement, en l'absence de tout préavis, les relations commerciales qui les liaient à elle, de la condamner à lui payer la somme de 31 259,50 euro, de constater que la durée du préavis à elle adressé par la société Ziegler pour la rupture du trafic " navette " entre Marly et Roissy était insuffisant, de la condamner à lui payer la somme de 832 euro, de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé la remise rétroactive nulle et condamné la société Ziegler au paiement de la somme de 19 539,55 euro, de l'infirmer pour le surplus, de constater que la remise de 3 % concédée sous condition était devenue sans contrepartie à partir de juillet 2008, de rejeter la demande reconventionnelle de la société Ziegler tendant à sa condamnation au paiement de la somme de 1 357,77 euro au titre de la remise pour la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2009 (en réalité 2008), enfin de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Elle fait valoir à titre liminaire que sa demande d'indemnité relative à la rupture sans préavis suffisant du service du trafic dit " navette " est recevable, comme étant virtuellement comprise dans les demandes soumises au premier juge. Sur le fond, elle soutient que les relations commerciales entre les parties étaient régulières, stables et significatives et constituaient une relation commerciale établie, qu'il y a bien eu une rupture brutale de cette relation. Elle estime qu'il y avait bien deux trafics distincts, l'un avec Ziegler Location, l'autre avec Ziegler Blanc Mesnil, que si ces entités faisaient partie de la même société, elles n'avaient pas la même dénomination, ni les mêmes animateurs, avec une facturation distincte pour chacune d'elles, l'interruption du trafic s'étant effectuée de façon indépendante avec plusieurs mois d'intervalle, qu'elles devaient lui délivrer chacune un préavis avant de cesser leur trafic respectif, ce qu'elles ont omis de faire. Sur le préjudice, elle fait état de l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait vis-à-vis de la société Ziegler, qui représentait 52,74 % de son chiffre d'affaires en 2007, des licenciements économiques intervenus ainsi que de la charge représentée par 3 véhicules mis en vente en décembre 2008 et vendus seulement en mars 2009.

Dans ses conclusions en date du 5 mai 2010, la société Ziegler France demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de la société CG Courses en ce qu'elle porte sur le préavis de la navette, comme étant nouvelle, sur le fond, de la débouter de toutes ses prétentions, de réformer le jugement sur la remise, à titre subsidiaire, de dire que la perte de marge ne peut être supérieure à 16 954 euro pour 3 mois, dans tous les cas, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CG Courses à lui payer la somme de 1 357,77 euro HT soit 1 623,89 euro TTC au titre de la remise pour la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008, en cas de condamnation, d'ordonner la compensation des sommes dues par les parties, de la condamner au paiement de la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Elle fait valoir en substance que la société CG Courses ne peut invoquer l'existence d'une relation commerciale établie mais uniquement une juxtaposition de contrats indépendants, qu'aucun contrat-cadre n'a été passé, qu'elle n'a pas garanti le moindre chiffre d'affaires ni accordé la moindre exclusivité à la société CG Courses, qu'il n'y a pas eu rupture brutale mais diminution progressive du chiffre d'affaires sur une période de 18 mois, que la distinction opérée par la société CG Courses entre Ziegler Location et Ziegler Blanc Mesnil est artificielle puisqu'il ne s'agit que de services internes n'ayant aucune autonomie propre ou personnalité morale propre, subsidiairement, sur la demande d'indemnisation, que l'article L. 442-6-I-5° est inapplicable pour le calcul de la durée du préavis, que le calcul de la marge brute tel que présenté par la société CG Courses est contestable ;

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 2010.

Motivation :

- Sur la recevabilité de la demande d'indemnité relative à la rupture du trafic de la navette :

En première instance, la société CG Courses sollicitait la réparation du préjudice à elle causé par la rupture brutale sans préavis de la relation commerciale existante entre elle et la société Ziegler ; la présente demande, à hauteur d'appel, d'une indemnisation spécifique de la rupture du trafic de la navette pour préavis insuffisant était nécessairement comprise dans la demande originaire et doit être déclarée recevable.

- Sur la relation contractuelle liant les parties :

Il est constant que la société Ziegler a fait appel durant plusieurs années à la société CG Courses pour des transports express en sous-traitance sans qu'aucun contrat écrit définissant leurs obligations respectives n'ait été établi. Ainsi, les éléments versés aux débats démontrent que le chiffre d'affaires réalisé par la société CG Courses pour le compte de la société Ziegler France a cru régulièrement de 2004 (30 255 euro), 2005 (196 172 euro), 2006 (309 160 euro) pour atteindre la somme de 675 752 euro en 2007 ; la relation qui s'est ainsi instaurée dépasse, de par sa permanence et son ampleur, le cadre de contrats indépendants et autonomes comme le soutient à hauteur d'appel la société Ziegler, sachant par ailleurs que la société CG Courses ne saurait davantage être suivie en son argumentation relative à l'existence de relations distinctes avec d'une part, Ziegler Location et Ziegler Blanc Mesnil d'autre part, dans la mesure où il s'agit de services internes à la société Ziegler France n'ayant pas de personnalité morale propre.

Les dispositions du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, portant approbation du contrat-type applicable aux transports routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants ont dès lors vocation à s'appliquer.

- Sur la rupture :

Aux termes de l'article 12.2 du décret, le contrat de sous-traitance à durée indéterminée peut être résilié par l'une ou l'autre des parties par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début d'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois ; le délai est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à 6 mois et inférieur à un an ; le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus.

En l'espèce, il convient de constater que la seule manifestation de la société Ziegler France tendant à informer son cocontractant de son intention de rompre sa relation avec lui résulte d'un courriel adressé le 4 décembre 2008 libellé comme suit : " En raison de la réorganisation de notre service, nous tenons à vous informer qu'à compter du 19 janvier 2009, le trafic sus mentionné (la navette) sera géré par notre propre véhicule ". La relation contractuelle ayant incontestablement perduré plus d'une année entre les parties, le préavis à donner par courrier recommandé devait être de trois mois, ce qui n'a pas été respecté, sachant au surplus que depuis le début de l'année 2008, la société Ziegler France avait pris la décision de diminuer progressivement les transports confiés à la société CG Courses sans l'informer de son intention de rompre la relation.

La discussion instaurée par les parties sur le caractère brutal ou non de la rupture n'a pas lieu d'être, les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce étant inapplicables en l'espèce. Le jugement sera réformé sur ce point.

- Sur le préjudice :

Pour apprécier le préjudice subi par suite de la rupture sans préavis suffisant, il convient de prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par la société CG Courses pendant l'année 2007, le chiffre d'affaires réalisé en 2008, en ce y compris le trafic navette, afin de tenir compte de la diminution progressive des transports, en retenant une marge bénéficiaire de 25 % qui n'est pas utilement contestée par la société Ziegler France, soit : 675 752 euro - 303 001 euro = 372 751 euro : 12 = 31 062,58 euro x 25 % x 3 = 23 296,93 euro, montant auquel il convient d'arbitrer les dommages et intérêts à allouer à la société CG Courses du chef de la rupture. Ces dommages et intérêts réparant l'entier préjudice subi, il n'y a lieu d'examiner distinctement le trafic navette mis en place courant 2008 entre les parties, qui n'a pas fait l'objet d'un contrat spécifique et indépendant de la relation de sous-traitance déjà en place.

- Sur la remise :

Aux termes de l'article L. 442-6-II-a du Code de commerce, sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers la possibilité de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale.

En l'espèce et contrairement à ce que soutient la société Ziegler, la remise négociée en fin d'année 2007 au titre de l'exercice 2007 s'apparente bien à une diminution du prix des prestations à effet rétroactif puisqu'elle a été convenue le 11 décembre 2007 pour l'exercice 2007 et qu'en l'absence de tout contrat écrit réglant les obligations respectives des parties, elle n'avait aucunement été prévue antérieurement. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déclaré nulle et a condamné la société Ziegler France à la rembourser.

Pour ce qui concerne la remise pour la période postérieure et en particulier celle prévue pour la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008, il convient de relever qu'elle n'est pas concernée par la nullité sus-relatée. La société CG Courses soutient qu'elle ne serait pas due dans la mesure où elle serait dépourvue de cause. La société Ziegler France réplique que l'accord du 11 décembre 2007 n'était pas conditionné par la réalisation d'un chiffre d'affaires minimal. Si ce fait est exact, il demeure que le représentant de la société Ziegler, dans ce message du 11 décembre 2007, remercie la société CG Courses de son approche constructive et l'assure de la volonté de son entreprise de continuer à développer ses affaires avec elle en tant que fournisseur privilégié ; or, il est constant qu'à partir du mois de juillet 2008, le chiffre d'affaires mensuel avait considérablement chuté et la remise consentie en décembre 2007 se trouvait dépourvue de contrepartie et donc privée de cause au sens de l'article 1131 du Code civil. La société Ziegler France sera déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement à ce titre, le jugement étant réformé sur ce point.

- Sur les demandes accessoires :

La société Ziegler France qui succombe sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés par la société CG Courses au cours de l'entière procédure.

Elle sera déboutée de sa propre demande sur le même fondement.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Déclare la demande relative au préavis de la navette recevable ; Infirme partiellement le jugement entrepris ; Statuant à nouveau Condamne la société Ziegler France à payer à la société CG Courses la somme de 23 296,93 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture sans préavis de la relation contractuelle de sous-traitance en matière de transport ; Déboute la société Ziegler France de sa demande reconventionnelle en paiement de la remise 2008 ; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Ziegler France à payer à la société CG Courses la somme de 19 539,55 euro HT en remboursement de la remise nulle ; Condamne la société Ziegler France à payer à la société CG Courses la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs plus amples demandes ; Condamne la société Ziegler France aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl Laforce, avoué, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.