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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 18 janvier 2011, n° 09-02212

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fenoy

Défendeur :

Horemis Rhône-Alpes Auvergne (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Landoz

Conseillers :

Mme Kueny, M. Vignal

Avoués :

Selarl Dauphin & Mihajlovic, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Benhamou, Boussour

TGI Grenoble, du 27 avr. 2009

27 avril 2009

Denis Fenoy a conclu le 1er septembre 2005 avec la société Homme & Mobilité qui exerçait une activité de conseil aux entreprises dans la gestion des relations sociales un contrat dit " contrat de partenariat ", les deux parties s'engageant à :

- coopérer dans la prospection, la gestion, le traitement et l'administration des dossiers de leur activité professionnelle,

- offrir à la clientèle un service unifié,

- se constituer un réseau d'activité,

- échanger les informations qu'elles pourraient détenir sur le marché,

- effectuer des opérations de promotion en commun.

Il était convenu que la convention s'appliquerait jusqu'au 31 janvier 2006 et qu'elle pourrait être renouvelée pour l'année 2006 par accord des parties.

Par mail du 29 mai 2006 faisant référence à une réunion du 24 mai 2006 et à des entretiens avec Guy Déchelette et Richard Bèque, Marc Feschet, responsable de la société Homme & Mobilité a indiqué à Denis Fenoy :

" nous avons décidé qu'il valait mieux pour toi comme pour nous de cesser notre collaboration "... en PS il lui précisait " bien entendu, je te dispense de la réunion du vendredi 2 juin et je reviendrai vers toi pour les aspects matériels de ton départ ".

Denis Fenoy dans un mail du 31 mai 2006 répondait à Marc Feschet :

" Oui je partage également le fait qu'il vaut mieux cesser notre collaboration telle que nous l'avions conçue en septembre dernier... je suis à Lyon jeudi 1er juin. Peux-tu me recevoir ... Je pourrai te présenter mes dernières factures d'honoraires et de déplacements. Et voir ensemble les conditions matérielles de mon départ et terminer le cycle ".

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juillet 2006, Denis Fenoy faisait part à Marc Feschet de ce qu'il n'était pas d'accord avec les raisons du choix exprimé le 24 mai 2006, mais qu'ayant jugé malsain de poursuivre une collaboration dégradée depuis un mois par l'omission volontaire et le dénigrement pratiqués par lui et par M. Sartoretti, il a compté sur une sortie honorable tant par le respect des enseignes respectives que par une indemnisation du préjudice subi qu'il s'était engagé à honorer par le courrier électronique du 29 mai... il l'invitait une dernière fois à considérer, par le préjudice moral, professionnel et financier qu'il subissait, une sortie honorable à l'amiable.

Par acte du 7 septembre 2006 Denis Fenoy a fait assigner la société Homme & Mobilité devant le Tribunal de grande instance de Grenoble pour voir juger que la rupture du contrat de partenariat avait un caractère abusif, qu'elle n'avait pas exécuté son obligation de bonne foi, et qu'en cela, elle l'avait privé de la réalisation, en sus du chiffre d'affaires pour les contrats conclus en 2006, d'un chiffre d'affaires potentiel de 300 000 euro jusqu'à la fin de l'année 2006.

Il demandait au tribunal de condamner la société Homme & Mobilité à lui payer la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts et 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 27 avril 2009 le tribunal a retenu que Denis Fenoy ne pouvait se prévaloir du caractère unilatéral et abusif de la rupture, que la société Homme & Mobilité considérait à bon droit que la rupture était intervenue d'un commun accord et que s'agissant du préjudice allégué, le contrat indiquait expressément l'absence de toute indemnité en cas de rupture.

Denis Fenoy a interjeté appel de cette décision le 26 mai 2009.

Il rappelle les dispositions de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce qui sanctionnent la rupture des relations commerciales sans préavis écrit sauf en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Il prétend que la rupture a été brutale dès lors qu'elle est intervenue sans mise en demeure préalable, sans préavis ni les formes convenues par le contrat ; qu'elle n'était pas prévisible : d'une part il avait un agenda et des relances de prospect qui ne pouvaient laisser craindre une prochaine rupture des relations commerciales et d'autre part la société Homme & Mobilité n'a jamais émis le moindre reproche ou la moindre remontrance à son égard.

Il ajoute que le courriel qu'il a adressé le 31 mai 2006 ne contient en aucun cas une acceptation expresse ou tacite, mais non équivoque, d'une résiliation amiable anticipée de son contrat, ni une renonciation conventionnelle au délai de préavis, ni une renonciation à toute indemnisation de cette rupture.

Il fait encore valoir que la rupture sans préavis était nécessairement brutale et qu'elle est abusive car intervenue de mauvaise foi alors qu'aucun grief n'était avancé.

Il rappelle qu'il avait largement dépassé ses objectifs, lesquels étaient tous dossiers confondus et non pas en terme de dossiers individuels.

Il soutient que la société Homme & Mobilité ne peut ajouter a posteriori des conditions d'exécution du contrat pour justifier la rupture.

Il prétend qu'il a été privé des commissions, pour un taux moyen de 50 % sur un chiffre d'affaires de 309 500 euro hors taxes, d'un montant de 154 000 euro HT, qu'il ne percevra pas de commissions sur les dossiers qui ont dû aboutir, et qu'il subit, outre un préjudice financier, un préjudice moral ; il fait valoir en effet qu'il a été évincé sans ménagement et sans indemnité alors qu'on lui avait promis une embauche en qualité de chef d'agence et que l'indemnisation de la rupture n'est jamais intervenue ; il ajoute qu'il ne perçoit aucune allocation chômage et que le fait qu'il ait eu une activité libérale rend plus difficile la recherche de nouveaux partenaires ; il se prétend fondé à solliciter la somme totale de 192 000 euro.

Il demande la condamnation de la société Homme & Mobilité à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Horemis Rhône-Alpes Auvergne, nouvelle dénomination de la société Homme & Mobilité, répond qu'il résulte du contenu des mails échangés que la rupture est intervenue d'un commun accord entre les parties, qu'en envoyant ses factures conformément aux dispositions du contrat, c'est Denis Fenoy qui a pris l'initiative de la date de la rupture, puis que " cette décision de rompre les relations d'affaires s'est ensuite concrétisée à la seule initiative de Denis Fenoy à la société Homme & Mobilité ".

Elle prétend que la rupture ayant été décidée d'un commun accord et matérialisée par l'envoi de factures, elle n'a pas été soudaine, ni imprévisible ni violente.

Elle indique que c'est parce que le chiffre d'affaires de Denis Fenoy était quasi inexistant, que Monsieur Feschet s'est vu dans l'obligation de se rapprocher de Monsieur Sartoretti qui est un professionnel du métier, qu'en dépit des efforts déployés par Monsieur Feschet, le chiffre d'affaires de Denis Fenoy n'augmentait toujours pas.

À titre subsidiaire, la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne prétend, au cas où la cour retiendrait que la rupture a été faite de façon unilatérale, que les conditions d'application de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ne sont pas remplies puisque l'intention de rompre non équivoque a été évoquée le 24 mai 2006 puis s'est concrétisée à travers différents mails, le dernier le 31 mai 2006.

Elle prétend que le délai du préavis est suffisant compte tenu de la courte durée des relations d'affaires, du chiffre d'affaires quasi inexistant réalisé par Denis Fenoy : 5 820 euro pour les prestations individuelles et complètement inexistant pour les prestations collectives et également de l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties.

Elle ajoute que la rupture par consentement mutuel est intervenue pour justes motifs, Denis Fenoy dans l'incapacité d'atteindre le chiffre d'affaires requis ne pouvant nier l'évidence.

Elle fait état des chiffres d'affaires dégagés par Denis Fenoy qui traduisent l'insuffisance manifeste du volume des prestations de ce dernier, du fait qu'en décembre 2006 la convention de cellule de reclassement des Papeteries de la Gorge à Domène n'était pas réglée alors que Denis Fenoy par mail du 26 mai 2006 avait promis un paiement sous dix jours, et, de manière générale, des pertes qu'elle a subies sur les dossiers gérés par Denis Fenoy.

Enfin elle fait état de l'absence de préjudice de Denis Fenoy puisque la rupture a été décidée d'un commun accord ; à titre subsidiaire, elle fait valoir que Denis Fenoy confond prise de rendez-vous et affaires conclues et qu'au mieux, la marge dégagée sur les deux dossiers relatifs aux missions collectives étant de 4 368,75 euro, le préjudice est nul.

Elle conclut au rejet des prétentions de Denis Fenoy et demande à la cour de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la brusque rupture,

Il est constant qu'en application du principe de prohibition des engagements perpétuels, les engagements à durée indéterminée peuvent être rompus unilatéralement à tout moment, que la rupture n'a pas à être motivée, mais doit simplement avoir été annoncée à l'avance à l'autre partie au contrat, par le respect d'un délai de préavis.

L'article L. 442-6-5° du Code de commerce dispose que " le fait " de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale... engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparation.

Il résulte de ces dispositions, que la rupture totale ou partielle de la relation est qualifiée de brutale soit en l'absence de tout préavis écrit, soit en présence d'un préavis jugé trop court et hormis le cas de force majeure, elle est sanctionnée par des dommages-intérêts au profit du partenaire évincé, étant admis qu'il s'agit de réparer la brutalité de la rupture, et non la rupture elle-même.

En l'espèce, la teneur du mail du 29 mai 2006 par lequel Marc Feschet, responsable de la société Homme & Mobilité a indiqué à Denis Fenoy " nous avons décidé qu'il valait mieux pour toi comme pour nous de cesser notre collaboration "... confirme la cessation de la relation commerciale entre les parties, à l'initiative de ladite société et ce, sans aucun préavis.

Dans ces conditions, alors que le préavis prévu au contrat était fixé à un mois, la rupture est nécessairement brutale, même si Denis Fenoy a répondu quelques jours plus tard qu'il valait mieux cesser la collaboration telle qu'ils l'avaient conçue en septembre dernier ; en effet, à cette date du 29 mai 2006, la rupture était acquise de sorte que la réponse de Denis Fenoy ne lui faisait pas perdre son caractère brutal, n'avait pas pour conséquence de rendre ladite rupture " d'un commun accord entre les parties " et ne faisait pas perdre à l'agent évincé son droit à indemnisation.

Sur l'indemnisation de la rupture,

L'article L. 134-12, alinéa 1er du Code de commerce prévoit qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; l'article L. 134-13 du même Code précise que toutefois l'agent commercial ne peut pas prétendre au versement d'une indemnité de fin de contrat de la part du mandant en cas de faute grave, de cessation du contrat à son initiative, sauf si cette cessation est justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée, ou en cas de cession des droits et obligations qu'il détient.

L'article L. 134-16 du Code de commerce prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention contraire aux dispositions de l'article L. 134-12, alinéa 1er et la Cour de cassation confirme le principe selon lequel l'indemnisation de l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant étant d'ordre public, les parties ne peuvent valablement stipuler par contrat une clause limitant le montant de l'indemnité due à l'agent commercial, a fortiori la supprimant.

De jurisprudence constante, le non-respect des objectifs ou l'absence de croissance de chiffre d'affaires ne peut en aucun cas justifier la rupture du contrat de l'agent commercial sans versement d'indemnités, sauf si l'entreprise peut effectivement démontrer qu'il n'a pas exercé sa fonction dans les termes prévus par le contrat ; il convient de relever que la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne se contente d'invoquer a posteriori l'insuffisance du chiffre d'affaires de Denis Fenoy.

Il résulte de ces éléments que la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne ne peut contester le droit de Denis Fenoy à une indemnité à la suite de la rupture de son contrat.

Sur le montant des indemnités dues,

Il est admis que les dommages-intérêts réparant le préjudice causé par le caractère brutal de la rupture représentent généralement la marge brute qui aurait été réalisée sur la période de préavis qui devait être accordée ; cependant Denis Fenoy n'a pas présenté de réclamation précise de ce chef.

Quant à l'indemnité de rupture due à un agent commercial, elle correspond à la compensation du préjudice causé, c'est-à-dire à la perte d'un chiffre d'affaires qu'il apportait à son mandant grâce à ses prospects ; elle s'évalue en fonction de plusieurs éléments, dont la perte des commissions auxquelles l'intéressé pouvait raisonnablement prétendre dans la poursuite de son mandat.

Denis Fenoy a produit aux débats et régulièrement communiqué à la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne un tableau qui récapitule les entreprises qu'il a visitées pour le compte de cette dernière ainsi que son agenda pour justifier des contacts qu'il avait eus.

Ce tableau distingue, selon les termes du contrat conclu le 1er septembre 2005, les prestations en individuel et les prestations en collectif avec les pourcentages de commissions correspondants ; la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne, n'a fait aucun commentaire sur les noms des contacts pris par Denis Fenoy, ni, plus de quatre ans après la rupture, donné d'indication sur la suite qui avait été donnée à ces contacts.

Compte tenu du caractère brutal de la rupture, des commissions que Denis Fenoy pouvait espérer, au regard des chances raisonnables de succès des différents contacts qu'il avait eus et de l'importance du réseau d'activité qu'il avait constitué, la somme de 120 000 euro constitue une juste indemnisation du préjudice matériel et du préjudice moral subis.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Denis Fenoy les frais qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits et non compris dans les dépens ; la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne devra lui payer une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Condamne la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne à payer à Denis Fenoy la somme de 120 000 euro à titre d'indemnité et celle de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Horemis Rhône-Alpes Auvergne à tous les dépens de première instance et d'appel et autorise la Selarl Dauphin-Mihajlovic, avoués, à recouvrer directement contre elle, les frais avancés sans avoir reçu provision.