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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 13 janvier 2011, n° 09-08901

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sofipar (Sté)

Défendeur :

Haucourt-Vannier (ès qual.), Senteria Parfums (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

M. Testut, Mme Lemaux de Talance

Avoués :

Me Seba, SCP Jupin & Algrin

Avocats :

Me Poncelet, Herlemont

T. com. Chartres, du 30 janv. 2007

30 janvier 2007

Vu la communication de l'affaire au Ministère public en date du 19 mai 2010;

Vu le jugement rendu le 30 janvier 2007 par le Tribunal de commerce de Chartres lequel, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

* a déclaré la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur et la société Procter & Gamble irrecevables en leur exception d'incompétence rationae loci,

* a déclaré recevable mais débouté la société Sofipar de son exception de nullité,

* a mis hors de cause la société Procter & Gamble Opérations,

* a déclaré Maître Haucourt-Vannier ès qualités recevable et bien fondée en sa demande d'application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce à l'encontre de la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur,

* a condamné la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur à payer à Maître Haucourt-Vannier ès qualités la somme de 848 030 euro au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales entre les parties,

* a débouté Maître Haucourt-Vannier ès qualités de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive,

* a condamné Maître Haucourt-Vannier ès qualités à payer à la société Procter & Gamble Opérations la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* a débouté la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur de toutes ses demandes,

* a condamné la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur à payer à Maître Haucourt-Vannier ès qualités la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens;

Vu l'arrêt rendu le 11 septembre 2008 par la Cour d'appel de Versailles saisie de l'appel de la seule société Sofipar, qui confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant :

* a débouté Maître Haucourt-Vannier ès qualités de ses demandes complémentaires au titre des intérêts,

* a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

* a condamné la société Sofipar aux entiers dépens avec distraction;

Vu l'arrêt du 22 octobre 2009, par lequel la Cour de cassation, sur le pourvoi formé par la société Sofipar, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles, remis la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée;

Vu la déclaration de la société Sofipar, en date du 17 novembre 2009, saisissant la juridiction de renvoi;

Vu les dernières écritures en date du 27 septembre 2010, par lesquelles la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :

* principalement, juger que le Tribunal de commerce de Chartres était incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris, et renvoyer Maître Haucourt-Vannier ès qualités à mieux se pourvoir devant cette juridiction,

* subsidiairement, débouter Maître Haucourt-Vannier ès qualités de l'intégralité de ses demandes,

* plus subsidiairement, débouter Maître Haucourt-Vannier ès qualités sur le quantum de ses demandes et ordonner une expertise comptable aux fins de déterminer le montant du préjudice indemnisable en fonction de la durée manquante du préavis déterminée par la cour,

* condamner Maître Haucourt-Vannier ès qualités à lui payer la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction;

Vu les dernières écritures en date du 17 mars 2010, aux termes desquelles Maître Haucourt-Vannier ès qualités de liquidateur de la société Senteria Parfums, prie la cour, au visa des articles 46 alinéa 2 du Code de procédure civile, 1842 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, de :

* confirmer la compétence initiale du Tribunal de commerce de Chartres,

* constater que la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumerie a engagé sa responsabilité en vertu de l'article L. 442-6 du Code de commerce, causant à la société Senteria Parfums de graves préjudices l'ayant conduite à la liquidation judiciaire,

* confirmer la décision du Tribunal de commerce de Chartres en toutes ses dispositions, sauf à remotiver conformément au droit positif la décision sur la compétence et à condamner la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumerie à payer à Maître Haucourt-Vannier ès qualités la somme de 860 965,72 en réparation du préjudice, outre intérêts de droit depuis le 19 octobre 2004, la société Sofipar ayant déjà versé la somme de 848 030 euro en vertu de l'exécution provisoire,

* condamner la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumerie à payer à Maître Haucourt-Vannier la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel avec distraction;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :

* Le 30 juin 2007, la société Abodino a été reprise par jugement du Tribunal de commerce de Chartres par les sociétés CGL Thermoformage, à hauteur de 66 %, et Jean Patou Parfumeur, pour 34 %, dont l'offre prévoyait le maintien des contrats commerciaux, puis est devenue la société Senteria Parfums;

* en juin 1999, la société CGL Thermoformage a acquis les parts de la société Jean Patou Parfumeur dans le capital de la société Senteria Parfums;

* la société Senteria Parfums, ayant pour activité la préparation et le conditionnement de parfums, entretenait des relations commerciales depuis le mois de juillet 1997 avec la société Jean Patou Parfumeur, dont certains actifs ont été acquis en septembre 2001 par la société Procter & Gamble International Opérations, et notamment la chaîne de production des parfums Lacoste, en fonctionnement jusqu'au mois de novembre 2001 puis retirée des locaux de la société Senteria Parfums en 2002;

* le 22 mai 2000, la société Jean Patou Parfumeur a dénoncé à la société CGL Thermoformage leurs relations, avec un préavis au 22 mai 2001;

* la société Sofireva a racheté la société Senteria Parfums au groupe CGL;

* à la suite de la cessation de ces relations en novembre 2001, la société Senteria Parfums a perdu une part importante de son chiffre d'affaires, a déclaré le 26 septembre 2002 son état de cessation des paiements, puis a fait l'objet d'un redressement judiciaire le 30 septembre 2002 et d'une liquidation en octobre 2002;

* le 25 juin 2002, la société Jean Patou Parfumeur a fusionné avec la société Sofipar;

* par acte d'huissier de justice des 7 et 19 octobre 2004, Maître Haucourt-Vannier ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Senteria Parfums a assigné la société Sofipar venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur et la société Procter & Gamble en paiement des sommes de 5 359 887,17 euro, montant total de l'insuffisances d'actifs, au titre du préjudice subi du fait de la rupture de la production de la ligne Lacoste, de marque Patou et de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive;

* la nullité de l'assignation et l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Chartres ont été soulevées par la société Sofipar au profit des Tribunaux de commerce d'Annecy ou de Paris, et par la société Procter & Gamble International Opérations, au profit des tribunaux suisses, au motif de son siège social à Genève;

Considérant que les dispositions du jugement déféré qui ont ordonné la mise hors de cause de la société Procter & Gamble International Opérations et rejeté la demande en nullité de l'acte introductif d'instance ne sont pas soumises à la cour;

Sur l'exception d'incompétence :

Considérant que la société Sofipar, venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur, a soulevé l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Chartres au profit du Tribunal de commerce de Paris, faisant valoir qu'aucun contrat n'a été régularisé entre les parties et que les conditions générales des commandes de la société Jean Patou Parfumeur désignent le Tribunal de commerce de Paris en cas de contestation;

Considérant qu'il n'est plus contesté que cette exception a été soulevée avant toute défense au fond et est recevable;

Considérant que selon les dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile, le défendeur peut saisir à son choix, outre la juridiction où demeure le défendeur :

- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;

- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi;

Considérant en l'espèce, qu'il est acquis aux débats que la société Senteria Parfums réalisait le conditionnement pour la société Jean Patou Parfumeur des parfums des marques lui appartenant; que ce conditionnement était effectué au siège social de la société Senteria Parfum à Chartres;

Que la société Sofipar ne saurait opposer à la société Senteria Parfums un seul bon de commande qui ne lui est pas destiné pour prétendre que cette dernière aurait accepté une quelconque clause attributive de compétence au profit du Tribunal de commerce de Paris;

Considérant que l'exception d'incompétence sera rejetée;

Sur la brutalité de la rupture :

Considérant que Maître Haucourt-Vannier ès qualités de liquidateur de la société Senteria Parfums reproche à la société Jean Patou Parfumeur d'avoir brutalement rompu, sans préavis, au mois de novembre 2001, des relations commerciales établies depuis 1997, alors que le chiffre d'affaires réalisé avec cette société avait atteint près de 50 % ;

Considérant en droit que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure;

Considérant que la société Senteria Parfums a été constituée en 1997, par la société Jean Patou Parfumeur et la société CGL Thermoformage afin d'assurer le conditionnement des parfums de la marque Patou ou de ceux sous licence Lacoste;

Que des dissensions sont intervenues entre les sociétés Jean Patou Parfumeur et CGL Thermoformage, de sorte que le 21 juin 1999, la première a cédé à la seconde sa participation au capital de la société Senteria Parfums;

Que par lettre recommandée du 22 mai 2000, la société Jean Patou Parfumeur a informé Alain Wirth, dirigeant de la société CGL Thermoformage de sa décision de ne plus poursuivre l'activité qui lui avait été confiée à l'issue d'un préavis d'un an devant expirer le 22 mai 2001;

Qu'en revanche, la société Jean Patou Parfumeur n'a pas informé la société Senteria Parfums de sa décision de rompre les relations commerciales qu'elles entretenaient ensemble depuis à tout le moins l'année 1997 pour un chiffre d'affaires de 1 142 921 euro représentant près de la moitié de son activité au mois de novembre 2001;

Considérant que force est de constater d'une part, que cette durée et le montant du chiffre d'affaires caractérisent une relation commerciale établie peu important l'absence de contrat ou d'engagement de volume et d'autre part, que la société Jean Patou Parfumeur entretenait directement avec la société Senteria Parfums une relation commerciale indépendante des rapports financiers et de gestion de la société CGL Thermoformage qui faisaient l'objet d'un différend;

Considérant que la société Sofipar ne saurait sérieusement prétendre que le préavis notifié à la société CGL Thermoformage serait opposable à la société Senteria Parfums, personne morale distincte, en raison de la théorie de l'apparence ou d'une prétendue immixtion de la société CGL Thermoformage dans la gestion de la société Senteria Parfums, pas plus qu'elle ne démontre que ce préavis aurait été nécessairement connu de cette dernière, l'attestation produite aux débats délivrée par un ancien vice-président directeur général de la société Jean Patou Parfumeur n'étant corroborée par aucun élément objectif probant;

Considérant que la société Sofipar soutient également qu'il ne lui incombait pas de respecter un quelconque délai de préavis raisonnable dès lors que la résiliation a pour origine les dysfonctionnements fautifs de la société Senteria Parfums et était ainsi prévisible;

Mais considérant qu'en dépit des mises en garde invoquées par la société Sofipar, lesquelles datent pour la plupart des années 1998 et 1999, les relations commerciales se sont poursuivies jusqu'au mois de novembre 2001, soit, en tout état de cause, postérieurement à l'expiration du préavis consenti à la société CGL Thermoformage, de sorte que la société Senteria Parfums ne pouvait anticiper la rupture, prévisibilité qui ne saurait, en tout état de cause, suppléer l'exigence du préavis écrit;

Considérant que la société Sofipar fait également valoir que des événements de force majeure se sont imposés à elle et ont rendu impossible la poursuite des commandes auprès de la société Senteria Parfums ;

Considérant toutefois que la résiliation de la licence des parfums sous la marque Lacoste, concédée à la société Jean Patou Parfumeur, intervenue au mois de juillet 2001 et la cession des actifs de cette dernière au profit du groupe Procter & Gamble au mois de septembre 2001, à supposer que ces événements soient irrésistibles et imprévisibles, ne dispensaient nullement la société Jean Patou Parfumeur de la notification d'un préavis écrit à la société Senteria Parfums, à l'instar de celui qu'elle avait notifié à la société CGL Thermoformage;

Considérant par voie de conséquence qu'est caractérisée la rupture brutale des relations commerciales, de sorte que la responsabilité de la société Sofipar, venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur, est engagée;

Sur la réparation du préjudice:

Considérant que la société Senteria Parfums, représentée par son mandataire liquidateur, ne peut obtenir la réparation que du préjudice résultant de la brusque rupture;

Que cette indemnisation s'entend de la perte de chance de réaliser la même marge brute que celle obtenue au cours des années précédentes;

Que la société Sofipar, venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur qui n'a respecté aucun délai de préavis, est mal fondée à soutenir que le préjudice de la société Senteria Parfums serait anéanti par sa propre faute consistant à n'avoir pas cherché d'autres partenaires; qu'il importe peu que la société Senteria Parfums ait été en cessation des paiements le 30 juin 2001 et que son mandataire judiciaire n'ait pas diligenté une procédure en comblement de passif, ces éléments étant étrangers aux rapports contractuels ayant existé entre la société Jean Patou Parfumeur et la société Senteria Parfums ;

Qu'en allouant à la société Senteria Parfums la somme de 848 030 euro à titre de dommages et intérêts, correspondant à la marge brute afférente au chiffre d'affaires procuré par la société Jean Patou Parfumeur durant l'année précédant la rupture brutale, le premier juge a exactement réparé son préjudice, de sorte que la demande d'expertise sollicitée subsidiairement par la société appelante sera rejetée;

Considérant que Maître Haucourt-Vannier ès qualités sollicite en outre le paiement des intérêts de droit à compter de l'assignation du 19 octobre 2004;

Mais considérant que la créance indemnitaire ne peut produire intérêts moratoires que du jour où elle est allouée judiciairement, soit à compter du prononcé du jugement de première instance;

Sur les autres demandes:

Considérant que les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile doivent bénéficier à Maître Haucourt-Vannier ès qualités de liquidateur de la société Senteria Parfums; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 15 000 euro ; que la société Sofipar qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement;

Par ces motifs, Statuant contradictoirement, sur renvoi après cassation de la décision de la Cour d'appel de Versailles du 11 septembre 2008, par arrêt de la Cour de cassation rendu le 22 octobre 2009, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société Jean Patou Parfumeur irrecevable en son exception d'incompétence, Statuant à nouveau : Déclare la société Sofipar, venant aux droits de la société Jean Patou Parfumeur, recevable en son exception d'incompétence, Rejette cette exception, Confirme pour le surplus le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, Y ajoutant, Condamne la société Sofipar à payer à Maître Haucourt-Vannier ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Senteria Parfums la somme complémentaire de 15 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Sofipar aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.