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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 janvier 2011, n° 10-02556

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Racer (SAS), Bittner, Chesnais, JFB Consulting (SARL), Leclère

Défendeur :

Crocs Europe BV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avoués :

SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Scapel, Associés

Avocats :

Mes d'Ornano, Ducoulombier, Petit, Bernardini

T. com. Salon-de-Provence, du 22 janv. 2…

22 janvier 2010

La société Loisirs Distribution a notamment pour activité l'importation et la diffusion en gros d'articles de sport et de loisir. Elle a conclu, le 5 décembre 2006, avec la société Crocs Europe BV, société de droit néerlandais dont le siège social est à La Haye (Pays Bas), deux contrats par lesquels la société Crocs Europe BV lui confiait pour trois années la distribution exclusive en France de tels articles dans deux secteurs distincts : " secteur public " et secteur médical. Ces contrats comportaient des clauses attributives de compétence territoriale au profit pour l'un de juridiction à Amsterdam et pour l'autre des tribunaux civils anglais, les droits hollandais et anglais étant respectivement applicables aux contrats de distribution. Il a été créé en février 2008 par la société holding à laquelle appartenait la société Loisirs Distribution, la société Crocs France Distribution aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SAS Racer, dont le siège social se trouve à Salon-de-Provence (13). La SAS Racer s'est vue transférer, le 21 mars 2008, le contrat de distribution liant la société Loisirs Distribution à la société Crocs Europe BV. La société Crocs Europe BV a dénoncé, le 2 juillet 2008, le contrat de distribution à effet au 1er janvier 2009, moyennant un préavis contractuel de six mois. La SAS Racer a assigné la société Crocs Europe BV devant le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence en rupture brutale de la relation commerciale qui serait intervenue " de facto ", le 12 juin 2008.

La société SARL JFB Consulting, Messieurs Thierry Bittner, Jérôme Chesnais et Bernard Leclère sont des agents commerciaux de la SAS Racer qui ont assigné la SAS Racer et la société Crocs Europe BV pour les entendre condamnées " in solidum " au paiement des indemnités de résiliation de leur contrat d'agent commercial. Une jonction des deux instances a été prononcée. Ils distribuaient des produits Crocs (chaussures/sabots en plastique de loisir distribués dans les secteurs Grand Public et Médical, outre des accessoires).

Par jugement contradictoire en date du 22 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence, retenant " la nature contractuelle de la rupture " s'est déclaré d'une part, incompétent territorialement pour connaître de l'action intentée par la SAS Racer contre la société Crocs Europe BV et a invité la SAS Racer à mieux se pourvoir et d'autre part, territorialement compétent pour connaître de l'action engagée par la société SARL JFB Consulting, Messieurs Thierry Bittner, Jérôme Chesnais et Bernard Leclère contre la SAS Racer et la société Crocs Europe BV, mais a sursis à statuer sur leurs demandes dans l'attente de l'issue du litige entre la SAS Racer et la société Crocs Europe BV.

La SAS Racer a régulièrement formé, le 2 février 2010, un contredit motivé à l'encontre de ce jugement dans les formes et délais légaux.

La SAS Racer à l'appui de son argumentation, fait soutenir dans des conclusions en réplique n° 2 * que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Crocs Europe BV était irrecevable comme tardive, * que l'action engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 (I) 5 du Code de commerce contre l'auteur d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie est de nature quasi-délictuelle et que dès lors la clause attributive de compétence insérée dans le contrat de distribution exclusive du 5 décembre 2006 (article 13-3) ne peut faire obstacle à l'application de l'article 46 du Code de procédure civile qui autorise le demandeur à une telle action de saisir le tribunal du lieu où le dommage a été subi. La SAS Racer soutient que les premiers juges ne pouvaient examiner les circonstances de la rupture et la qualifier de résiliation légitime du contrat de distribution au regard des stipulations contractuelles (à savoir : le non-paiement par le distributeur exclusif d'encours dont il était redevable envers la société Crocs Europe BV, outre que l'infraction au contrat de distribution n'est pas avérée) pour écarter la jurisprudence relative à la nature quasi-délictuelle des actions engagées sur le fondement légal précité. La SAS Racer sollicite l'évocation du fond de l'affaire.

À l'appui de son argumentation, la société Crocs Europe BV a fait déposer, le 29 novembre 2010 des conclusions selon lesquelles * l'exception d'incompétence soulevée devant les premiers juges était bien recevable, comme soulevée " in limine litis ", et selon lesquelles * la rupture du contrat de distribution dans le secteur " Grand Public " est fondée sur " une accumulation endémique d'impayés " de la part de la SAS Racer et sur " des opérations anormales (de la SAS Racer) sur un marché parallèle dit marché gris ". La société Crocs Europe BV soutient que la faute de la SAS Racer justifiait même une rupture sans préavis, ce qui fait que la rupture ne peut être considérée comme brutale, que le fait pour la SAS Racer de recourir aux dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce n'exclut pas l'application de la clause attributive de compétence territoriale au profit d'un tribunal étranger, et que notamment la détermination du caractère délictuel ou contractuel doit être opérée indépendamment du droit applicable si bien que le juge français doit qualifier une action de délictuelle ou de contractuelle en considération des critères élaborés par la Cour de justice des Communautés européennes et non en considération des solutions apportées en droit français, en l'espèce, selon le Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil n° 864-2007 du 11 juillet 2007. Ce texte prévoit que tout litige fondé sur l'existence d'un lien contractuel appartient à la matière contractuelle, ce qui est le cas, en l'espèce, où les parties ont librement aménagé leurs relations commerciales et où le litige survient à l'occasion de l'exécution du lien contractuel (rupture provoquée par les manquements de la SAS Racer à ses obligations contractuelles).

La société SARL JFB Consulting, Messieurs Thierry Bittner, Jérôme Chesnais et Bernard Leclère font valoir les observations suivantes dans des conclusions déposées, le 29 novembre 2010 : ils ont un intérêt certain à faire juger que le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence est territorialement compétent en raison de la connexité entre les affaires (ils réclament une indemnisation " in solidum " par la SAS Racer et par la société Crocs Europe BV du préjudice résultant de la cessation de leur contrat d'agent commercial) qui a fondé une décision de jonction des premiers juges. Une prorogation de compétence s'impose.

Attendu que la société Crocs Europe BV a soulevé, avant toute défense au fond, devant les premiers juges une exception d'incompétence territoriale ; que le recours volontaire et conjoint des parties à la procédure de médiation organisée par les articles 131-1 du Code de procédure civile ne prive pas la société Crocs Europe BV du droit de soulever une exception de procédure postérieurement à l'échec de la médiation ; qu'antérieurement à la désignation du médiateur par décision du Tribunal de commerce de Salon-de-Provence en date du 9 janvier 2009, la société Crocs Europe BV n'avait fait valoir ni défense au fond, ni fin de non-recevoir ; que la tentative de médiation voulue conjointement par les deux parties est intervenue à un moment de l'instance où le contentieux n'avait pas été noué au fond ; que dans la perspective voulue par les parties (et encouragée par la loi) de parvenir à une solution négociée de leur différend, il ne peut leur être imposé de soulever, avant de recourir à la médiation, toutes les exceptions et toutes les fins de non-recevoir ; qu'une telle exigence nuirait au succès de la médiation ; que l'organisation d'une médiation entraîne une suspension obligatoire de l'instance à l'issue de laquelle la discussion du fond de l'affaire, un moment ajournée, reprend ; que l'exception de procédure soulevée par la société Crocs Europe BV n'était pas tardive et était donc recevable ;

Attendu que la société SARL JFB Consulting, Messieurs Thierry Bittner, Jérôme Chesnais et Bernard Leclère, s'ils peuvent se joindre à l'instance pour s'associer aux prétentions de la SAS Racer et les " appuyer ", ne peuvent en élever de particulières pour leur propre compte ;

Attendu que la société Crocs Europe BV et la SAS Racer dans les deux contrats du 5 décembre 2006 organisant la distribution exclusive par la SAS Racer de produits de la société Crocs Europe BV sont convenues de soumettre le " contrat/agreement " soit " à la connaissance de tribunaux civils compétents à Amsterdam ", soit à celle des Tribunaux Anglais (la traduction exacte des clauses de compétence n'étant assurée par aucune des parties !!!) ; qu'il n'est pas discuté, cependant, que cette attribution de compétence concerne tous les litiges en lien avec le contrat et donc les litiges découlant de la rupture des relations contractuelles ; que la société Crocs Europe BV a mis fin à la relation contractuelle portant essentiellement sur la distribution de produits de la marque Crocs (chaussures/sabots) auprès de deux clientèles précisément définies (secteur " grand public " et secteur médical et hospitalier) ;

Attendu que ces clauses sont conformes à l'article 23 du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000 qui dispose que " si les parties sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différents nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou ces tribunaux sont compétents " et que cette " compétence est exclusive " ; que les clauses attributives de juridiction, valablement souscrites par les parties, doivent recevoir application ;

Attendu que la qualification de la nature de l'action judiciaire fondée sur la violation de l'article L. 442-6 I alinéa 5 du Code de commerce, seul fondement juridique invoqué par la SAS Racer au soutien de sa demande, est indifférente ; que la SAS Racer ne peut utilement se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation française qui considère que le fait pour un opérateur économique de rompre brutalement une relation commerciale établie engage sa responsabilité délictuelle, si bien les règles de compétence territoriale du Code de procédure civile régissant une action délictuelle doivent recevoir application ; que les clauses attributives de compétence territoriale exclusive au profit de juridictions étrangères visent tout litige en relation avec les contrats de distribution ; que la demande de la SAS Racer présente un lien avec lesdits contrats puisqu'elle tend à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la brutalité de la cessation de la relation commerciale à l'initiative de la société Crocs Europe BV qui y a mis fin conformément aux stipulations des contrats et en alléguant des manquements avérés de la SAS Racer à ses obligations contractuelles (non-paiement d'encours importants) ; que les contrats de distribution n'écartaient pas le jeu des clauses attributives de compétence territoriale exclusive lorsque l'action intentée par une partie cocontractante à l'occasion de la rupture de la relation commerciale relèverait de la matière délictuelle, selon les règles de droit et la jurisprudence de l'État où l'action était engagée ;

Attendu surabondamment, s'agissant de rapports de droit soumis à la législation européenne, que la qualification de la nature contractuelle ou non du litige ne se confond pas avec la qualification que la loi ou/et la jurisprudence nationale donne(nt) au rapport juridique litigieux ; qu'il convient pour interpréter la notion autonome de " matière contractuelle " de se référer aux principes du droit communautaire ; que l'obligation qui sert de base à l'instance indemnitaire intentée par la SAS Racer pour rupture brutale des relations commerciales établies, procède des contrats de distribution la liant à la société Crocs Europe BV ; qu'au regard du droit communautaire, le litige afférent aux circonstances de la rupture d'un contrat, relève de la matière contractuelle au sens de l'article de l'article 5 1) a) du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ; que l'action de la SAS Racer se rattachant aux contrats de distribution exclusive repose sur un fondement contractuel ; qu'il s'ensuit que les clauses attributives de compétence territoriale exclusive contenues dans les contrats de distribution sont applicables ;

Attendu que le jugement mérite confirmation pour les motifs exposés ci-dessus et ceux non contraires des premiers juges ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre une somme de 3 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant suivant arrêt contradictoire par sa mise à la disposition des parties au greffe de la cour d'appel, Déclare recevable le contredit formé par la SAS Racer et recevable l'intervention volontaire et accessoire au débat de la société SARL JFB Consulting, et de Messieurs Thierry Bittner, Jérôme Chesnais et Bernard Leclère. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, condamne la SAS Racer à porter et payer à la société Crocs Europe BV la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Dit que les frais éventuellement afférents au contredit seront à la charge de la société Crocs Europe BV qui a succombé sur la question de compétence.