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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 20 janvier 2011, n° 10-01509

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Equidia (SAS)

Défendeur :

25 mars Production (SARL), Selarl FHB (ès qual.), SCP BTSG (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Lamarche-Bequet-Regnier-Aubert-Regnier-Moisan, SCP Petit Lesenechal

Avocats :

Me Sigler, Chain, Llorca

T. com. Paris, du 9 déc. 2009

9 décembre 2009

La SARL 25 mars Production, aujourd'hui en redressement judiciaire, a pour activité la production, la coproduction, la distribution de films, l'édition vidéo et communication audiovisuelle et pour gérant M. Courvoisier. La société par actions simplifiée (SAS) Equidia a pour activité l'édition, la production et la diffusion d'une chaîne thématique de télévision consacrée aux courses de chevaux, à tous services associés et surtout au cheval, appelée Chaîne Equidia.

Depuis 2005, " la chaîne Equidia " confie la production et la réalisation de divers programmes et prestations audiovisuels à la société 25 mars Production.

Par courrier électronique du 10 juillet 2008, la société 25 mars Production a été informée de l'arrêt de l'émission " Randonneurs d'Aventure " et en septembre 2008 la chaîne Equidia a annoncé, lors de la présentation de sa grille de programmes en conférence de presse, le lancement d'un nouveau feuilleton documentaire intitulé " Le Grand Trec " produit par une autre société de production, la société Bo Travail.

Estimant que ce programme constitue une contrefaçon du magazine coproduit sous le nom de " Randonneurs d'aventure ", la société 25 mars Production a le 6 avril 2009 assigné en référé d'heure à heure la SAS Equidia aux fins de voir interdire la première diffusion de ce nouveau feuilleton ; par ordonnance du 8 avril 2009, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré la société 25 mars Production irrecevable en ses demandes.

Cette dernière a alors saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une action en contrefaçon et concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Equidia et Bo Travail, procédure toujours en cours.

Parallèlement, par acte du 6 juillet 2009, la société 25 mars Production a fait assigner la SAS Equidia devant le Tribunal de commerce de Paris, qui par jugement du 9 décembre 2009 a condamné cette dernière à lui payer, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la somme de 68 397 euro en réparation du préjudice financier subi du fait la rupture brutale d'une relation commerciale établie, outre les sommes de 970 euro à titre de remboursement de frais et 4 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses conclusions récapitulatives du 17 novembre 2010, la société Equidia, appelante, réclame l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société 25 mars Production de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice moral et d'image. A titre principal, elle soulève l'irrecevabilité de l'action de la société 25 mars Production.

Elle considère également que les conditions d'application de l'article 442-6 5° du Code de commerce ne sont pas réunies et sollicite le rejet des prétentions de la société 25 mars Production.

A titre subsidiaire, estimant que l'évaluation de son préjudice par la société 25 mars Production ne saurait être admise, elle souhaite sa réduction conformément aux usages en la matière.

En tout état de cause, elle réclame la condamnation de la société 25 mars Production à lui régler la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs conclusions récapitulatives du 25 octobre 2010, la société 25 mars Production, la Selarl FHB en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société 25 mars Production et la SCP BTSG prise en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société 25 mars Production, intimées formant appel incident, demandent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il retient l'existence d'une relation commerciale établie entre la société 25 mars Production et la société Equidia, en ce qu'il retient la brutalité de la rupture de cette relation commerciale par la société Equidia ayant causé un préjudice à la société 25 mars Production qui doit être réparé, en ce qu'il condamne la société Equidia à payer à la société 25 mars Production la somme de 970 euro au titre de remboursement de frais, mais l'infirmation de ce jugement du chef de la durée du préavis et de l'étendue du préjudice.

Elles souhaitent la condamnation de la société Equidia à leur payer la somme de 136 793 euro en réparation de leur préjudice financier, outre la somme 130 000 euro en réparation du préjudice moral et du préjudice d'image et celle de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

Sur le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Equidia

Considérant que la SAS Equidia fait valoir que le partenaire commercial de la société 25 mars Production au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce est le PMU, de sorte que l'action dirigée à son encontre est irrecevable ;

Mais considérant que la SAS Equidia ne fait que reprendre en cause d'appel les moyens développés devant les premiers juges, auxquels ceux-ci ont pertinemment répondu par des motifs que la cour adopte ;

Qu'il suffit d'ajouter que la SAS Equidia ne peut développer une thèse différente selon les juridictions devant lesquelles elle est assignée ; qu'ainsi il résulte de ses conclusions déposées en avril 2009 devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre qu'elle est " depuis 10 ans éditrice d'une chaîne de télévision du même nom exclusivement consacrée au cheval diffusée sur le câble et le satellite et à laquelle plus de 10 millions de foyers sont abonnés ";

Que les quatorze contrats de coproduction versés aux débats passés entre la chaîne Equidia " opérée par le GIE chargé de gérer le Pari Mutuel Urbain " et la société 25 mars Production ont été signés entre le 4 février 2006 et le 22 février 2007 par M. Bruezière, directeur des programmes et des coproductions de la chaîne Equidia ;

Que la circonstance que le PMU qui est un des actionnaires de la SAS Equidia ait payé des factures est conforme à la stipulation contractuelle selon laquelle " les facturations doivent être adressées au GIE-Pôle TV Multimédia PMU/Equidia " ;

Qu'enfin, il résulte de l'extrait K bis que la SAS Equidia a été immatriculée le 10 février 2005, date à compter de laquelle la société 25 mars production se prévaut de relations contractuelles avec elle jusqu'en 2008 ;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont à bon droit rejeté ce moyen d'irrecevabilité ;

Sur le fond

Considérant que la SAS réfute l'existence de relations commerciales établies entre elle et la société 25 mars Production et s'oppose à l'application de l'article L. 442-6 5 du Code de commerce qui dispose :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)

5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ";

Qu'elle fait valoir que cet article ne peut trouver à s'appliquer dans le secteur de la production audiovisuelle eu égard aux contraintes artistiques auquel il est soumis ; qu'elle en veut pour preuve l'article L. 131-1-3 du Code de la propriété intellectuelle régissant les relations entre producteur et auteur interdisant la cession globale des œuvres futures, l'article L. 1242-2 du Code du travail tenant à la nature temporaire de l'emploi concerné, la convention collective du secteur qui met l'accent sur le caractère aléatoire de l'activité, le décret du 28 décembre 2001 limitant le volume de chiffre d'affaires qu'une société de production peut effectuer pour une chaîne hertzienne ;

Mais considérant que l'article L. 442-6 5e du Code de commerce vise " tout producteur " et " toute relation commerciale établie " et par conséquent les relations entre un producteur et un diffuseur, comme en l'espèce ;

Que la notion de relation commerciale établie est une notion économique et non juridique, qui ne saurait se confondre avec celle d'un contrat à durée déterminée, la loi ayant entendu viser une situation contractuelle née de la pratique instaurée entre des parties qui entretiennent des relations d'affaires suivies fondées sur un contrat ou une succession de contrats ;

Qu'il convient de procéder à l'analyse de la stabilité de la relation entre les parties; qu'il ressort des pièces produites la preuve de l'existence d'un courant d'affaires continu en matière de production d'émissions de télévision entre janvier 2005 et septembre 2008 entre les deux sociétés; qu'ainsi la société 25 mars Production a produit pour la chaîne Equidia trois types de programmes :

1) le programme Théma décliné en 19 épisodes entre janvier 2005 et novembre 2008,

2) le programme " Sur la piste des docs " entre novembre 2006 et septembre 2008,

3) le programme " Randonneurs d'aventure " entre avril 2006 et avril 2008, qu'elle a également procédé à la fabrication de " bandes annonces " pour le compte de la chaîne Equidia ;

Que la société Equidia n'est pas fondée à tirer de l'interruption de certains programmes pendant les congés scolaires ou l'été la preuve de l'absence de continuité d'une relation commerciale entre elles, alors que la stabilité et l'intensité de la relation commerciale s'analyse au regard de l'ensemble de l'activité commune, de l'importance du nombre de contrats de production pour chaque année écoulée ;

Qu'il est ainsi démontré que la relation entre les deux sociétés s'est inscrite dans la continuité à travers la conclusion d'une succession de contrats pour divers programmes pendant plus de trois années, qui constituaient pour la société 25 mars Production la grande majorité de son activité, ainsi qu'il ressort du tableau de volume horaire consacré à la chaîne Equidia par la société 25 mars Production ; que l'intimée pouvait, en l'absence de tout différend, légitimement espérer que d'autres programmes ou épisodes lui seraient confiés ;

Que la société 25 mars Production ne critique nullement les motifs pour lesquels la société Equidia a rompu toute relation, acceptant l'idée que les grilles de programme doivent sans cesse évoluer eu égard aux spécificités du secteur et ne remettant pas en cause la liberté pour la SAS Equidia de mettre fin aux relations, mais conteste seulement les conditions brutales de la rupture ;

Considérant que les premiers juges ont retenu pour des motifs que la cour adopte que c'est le courriel de M. Bruezière du 10 juillet 2008 qui a brutalement mis fin à la collaboration entre les deux sociétés ;

Que le courriel du 17 mars 2008, invoqué par la société Equidia, ne saurait être interprété comme la notification d'un préavis pour l'arrêt du magazine " Sur la piste des docs ", dès lors qu'il y est seulement fait part d'une baisse d'activité pour les mois de juillet et août 2008 et de la volonté de la chaîne d'aboutir à une nouvelle répartition des prestations entre les deux sociétés ;

Que la société Equidia n'apporte pas la preuve de ce qu'elle a informé la société 25 mars Production de sa décision de mettre fin à la production des programmes " Thema " et " Sur la piste des docs "; que pour l'émission " Randonneurs d'aventure " ce n'est que dans l'été que cette dernière a été avertie de sa suppression, alors qu'était déjà programmée la production d'une nouvelle destination, la septième, vers l'Andalousie et que les repérages nécessaires au tournage avaient été réalisés en mars 2008 ;

Que les événements postérieurs au 10 juillet 2008, dont se prévaut la société Equidia pour caractériser une faute de son cocontractant, n'ont aucune incidence dans la rupture des relations qui est antérieure ;

Que les programmes qui ont été diffusés postérieurement au 10 juillet 2008 comme celui de " Sur la piste des docs " en août 2008 ou " Thema " en novembre 2008 avaient fait l'objet d'une programmation avant l'arrêt des relations; que la facture du 19 février 2009 est au nom de la société 25 mars Distribution et non de la société 25 mars Production; que le bon de commande de janvier 2009 correspond à une prestation accomplie sans marge commerciale pour la promotion de la chaîne Equidia ; que la société Equidia ne procède que par voie d'affirmation à propos d'une nouvelle commande prévue en mai 2009 pour le programme " Théma "; que tous ces arguments sont donc inopérants ;

Que si la SAS Equidia était en droit de mettre fin à ses relations avec la société 25 mars production, elle devait le faire non brutalement avec un préavis écrit conforme aux usages du commerce et à la nature de la prestation fournie ;

Que le constat d'huissier de justice du site Internet de la société 25 mars Production produit par la SAS Equidia ne permet pas de contester une situation de dépendance certaine de la première à l'égard de la seconde, tempérée toutefois par le fait que les parties n'étaient pas dans un lien contractuel d'exclusivité ;

Qu'eu égard à la durée des relations établies pendant plus de trois années, aux investissements engagés (location de locaux, de salles de montage...), à la dépendance économique de la société 25 mars Production aujourd'hui en redressement judiciaire, mais également aux spécificités du secteur d'activité de la production audiovisuelle tenant à l'obligation constante de se renouveler, la durée du préavis raisonnable, dans un tel contexte, doit être limitée à trois mois correspondant au temps nécessaire à celle-ci pour prendre toute disposition utile afin de donner une nouvelle orientation à ses activités ou trouver d'autres partenaires commerciaux ;

Considérant que la réparation du préjudice, qui ne doit couvrir que les conséquences de la brutalité de la rupture et non la rupture, correspond à la perte de marge brute et non à la perte de marge dite " sur coûts variables ", à savoir les charges de l'entreprise qui varient en fonction du chiffre d'affaires, dans la mesure où la preuve de l'économie de certains coûts liés à des prestations non fournies pendant le préavis n'est pas rapportée ;

Que par ailleurs l'appelante ne saurait utilement demander la prise en compte des charges fixes, tel le montant du loyer payé par la société 25 mars Production, dès lors que le coût fixe correspondant ne dépend nullement du volume d'activité; qu'elle ne saurait davantage critiquer le calcul de la marge moyenne effectué par l'intimée, puisqu'il porte sur les trois programmes constituant l'essentiel de l'activité de cette dernière, étant relevé que les programmes de bande annonce ne dégageaient aucune marge; que la cour ne peut retenir les chiffres portant sur "les marges sur coûts directs" réalisées par d'autres sociétés de production qui sont parus dans des articles de presse ou encore des marges moyennes selon une enquête lancée par le CNC auprès des 50 principales sociétés de production d'œuvres ou une étude de l'Observatoire Européen de l'Audiovisuel ; qu'au vu des documents certifiés par un expert comptable, qu'aucun élément ne permet de remettre en cause, la cour évalue le préjudice subi par la société 25 mars Production à la somme de 34 198 euro ;

Considérant que la décision des premiers juges relative à la condamnation de la société Equidia à verser la somme de 970 euro au titre des frais avancés pour préparer le programme " Randonneur " sera confirmée ;

Considérant que ces sommes suffisent à réparer le dommage subi par l'intimée résultant de la brutalité de la rupture ; que par conséquent les demandes complémentaires en réparation du préjudice moral et d'image ne sauraient être accueillies;

Considérant que l'équité commande en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile d'allouer, en plus de celle allouée à ce titre par le premier juge, à la société 25 mars Production une indemnité de 4 000 euro ; que la SAS Equidia sera déboutée de sa prétention sur ce même fondement.

Par ces motifs, Confirme le jugement dont appel, en toutes ses dispositions, à l'exception de la durée du préavis et du montant du préjudice résultant de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, Statuant à nouveau de ces seuls chefs, Fixe la durée du préavis visé à l'article L. 442-6 5e du Code de commerce à trois mois, Condamne en conséquence la SAS Equidia à verser à la SARL 25 mars Production la somme de 34 198 euro, Condamne la SAS Equidia à payer à la société 25 mars Production, en plus de celle allouée à ce titre par les premiers juges, une indemnité de 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la SAS Equidia aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.