CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 janvier 2011, n° 08-23166
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pain des abondances (SARL), Gay (ès qual.), Legras de Grandcourt (ès qual.)
Défendeur :
SFBC (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Sider
Avocats :
Me Dunan, Rossi, Garcia
Faits - procédure - demandes :
La SAS le Moulin de Paiou, constituée en août 2002, a conclu le 25 septembre 2003 un contrat de franchise de boulangerie-pâtisserie-sandwicherie avec Monsieur Didier Lopez, ancien joaillier et fondateur de la SARL le Pain des abondances, pour une durée de 5 années à compter du 1er juillet 2005 date de l'ouverture du magasin géré par cette société à Boulogne-Billancourt (92). Ce contrat stipule un droit d'entrée de 40 000 euro HT, une redevance mensuelle de 6 % du chiffre d'affaires HT, et une redevance mensuelle de publicité de 1 % du même chiffre.
Depuis le mois de février 2006 le franchisé a cessé de payer ces redevances, et le franchiseur a obtenu par ordonnance de référé du 26 mars 2007 une condamnation provisionnelle pour la période du 8 février au 9 octobre 2006 à hauteur de 38 385,63 euro; cette décision a été confirmée par un arrêt de cette cour du 30 octobre 2008 ajoutant une condamnation provisionnelle de 56 640 euro pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007.
Le 7 septembre 2007 le Pain des abondances a assigné le Moulin de Paiou en résolution du contrat et en dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce d'Antibes, qui dans un jugement du 5 décembre 2008 a :
* confirmé le parfait respect par le Moulin de Paiou de ses obligations contractuelles d'ordre public prévues par l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
* débouté le Pain des abondances de sa demande de nullité du contrat de franchise, de sa demande de résolution dudit contrat aux torts exclusifs du Moulin de Paiou, et de toutes ses autres demandes;
* prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs du Pain des abondances avec effet à la date du présent jugement;
* condamné le Pain des abondances à payer au Moulin de Paiou les sommes de :
- 72 809,29 euro au titre des redevances du 7 novembre 2006 au 8 janvier 2008, avec exécution provisoire;
- 80 837,97 euro TTC au titre du préjudice d'exploitation;
* débouté le Moulin de Paiou de sa demande au titre du préjudice résultant de l'atteinte à l'image de marque de son réseau;
* condamné le Pain des abondances à exécuter diverses obligations résultant de la résiliation (dépose et restitution de l'enseigne, arrêt des fabrications et ventes de la gamme Moulin de Paiou, banalisation du magasin et suppression de toute référence au Moulin de Paiou, paiement des redevances jusqu'à ces dernières), sous astreinte de 250 euro par jour de retard à compter du 31e jour de la signification du jugement;
* condamné le Pain des abondances à payer au Moulin de Paiou la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL le Pain des abondances a régulièrement interjeté appel le 29 décembre 2008. Elle a été mise en redressement judiciaire le 4 juin 2009 sur assignation du Moulin de Paiou, lequel a le 30 suivant déclaré une créance totale d'un montant de 172 790,27 euro; un plan de continuation du Pain des abondances a été homologué le 10 juin 2010. Concluant le 16 novembre 2010 cette société ainsi que son mandataire judiciaire Maître Patrick Legras de Grandcourt et son commissaire à l'exécution du plan Maître Francisque Gay soutiennent notamment que :
- le franchisé n'a ni reçu ni signé aucun document d'information précontractuelle (DIP); depuis l'ouverture du magasin le Pain des abondances est dans une situation financière plus que difficile alors que le chiffre d'affaires enregistré est loin d'être négligeable;
- le contrat de franchise porte sur un savoir-faire, mais n'a pas de cause en raison de la vacuité de ce dernier, qui est d'origine frauduleuse; lors de sa création en 2002 il n'était pas un nouveau concept puisque ses 4 fondateurs étaient non des professionnels de la boulangerie, mais d'anciens franchisés du Petrin Ribeirou qui en avaient simplement copié les recettes de 1996, et les dénominations des pains ainsi que leurs aspects; le Moulin de Paiou ne justifie pas sérieusement avoir réalisé des investissements pour mettre au point un savoir-faire substantiel; le même a d'ailleurs été assigné devant le Tribunal de grande instance de Grasse (lequel n'a pas encore statué) par le Petrin Ribeirou en parasitisme fautif et en concurrence déloyale; le prétendu savoir-faire, qui est un ensemble d'informations techniques, n'est ni original ni spécifique, et n'a été mis au point que de juillet 2002 à septembre 2005 c'est-à-dire après avoir été commercialisé; il n'est :
. ni secret : les pains au levain et les sandwiches suédois étaient déjà connus, et les produits et fournisseurs sont identiques à ceux du Petrin Ribeirou;
. ni substantiel : pas d'originalité se distinguant des règles de l'art; concept de suppression de certaines phases dans la panification qui est connu de tous les boulangers et pratiqué par eux, et de plus identique à celui du Petrin Ribeirou; pas de preuve par le Moulin de Paiou de la réalisation d'investissements humains et matériels;
. ni identifié : Forest le minotier du Petrin Ribeirou a été sollicité pour adapter des nouvelles farines non aux nouvelles recettes du Moulin de Paiou, mais aux recettes usurpées du Petrin Ribeirou; depuis juillet 2009 ce minotier est à la tête du réseau de franchise Moulin de Paiou alors qu'il n'est qu'un simple négociant de farine;
- le montant du droit d'entrée est exorbitant, ainsi que celui de la redevance mensuelle de 6 % du chiffre d'affaires;
- il y a eu dol du franchiseur, lequel n'a remis aucun DIP au franchisé, et a allégué une expérience depuis 1996 alors que la sienne propre ne datait que de 2002 c'est-à-dire 6 mois avant le contrat; le Moulin de Paiou n'a pas éprouvé son concept sur des unités-pilotes pendant 2 années, et n'avait donc aucune expérience propre à reproduire d'autant qu'il a caché au Pain des abondances qu'il n'avait qu'une expérience de franchisé; la boulangerie de Monsieur Lopez fut la première création de la franchise Moulin de Paiou;
- le franchiseur n'a pas respecté son obligation précontractuelle d'information, ni le délai minimum de 20 jours entre celle-ci et la signature du contrat, omissions que ne peut remplacer la formation intensive suivie pendant 4 mois par Monsieur Lopez dans 2 magasins (dont celui de Paris 12e) qui étaient en réalité des dissidents Petrin Ribeirou; le DIP n'a été remis qu'1 ou 2 mois avant l'ouverture du magasin de Boulogne-Billancourt; le Pain des abondances n'a pas contracté en toute connaissance de cause de ses engagements financiers et contractuels; le Moulin de Paiou a fourni de fausses informations sur le chiffre d'affaires HT prévisionnel (600 000 euro alors que la moyenne est de 475 715,66 euro) et l'étude de marché (elle concerne ce magasin de Paris 12e qui avait appartenu au Petrin Ribeirou et qui était hors norme pour sa rentabilité économique vu son chiffre d'affaires HT de près de 720 000 euro; l'emplacement de Boulogne-Billancourt est hors concept car sans parking et sur un axe routier à flux important); cette étude, réalisée certes par Monsieur Lopez, a cependant été validée sans modifications ni réserves par le Moulin de Paiou qui avait pourtant un devoir d'assistance et de conseil; les critères de cette étude de marché sont définis par le franchiseur; les difficultés de stationnement induisaient un recours massif au portage à l'extérieur (hôtels, restaurants); il existait 10 boulangeries dans un rayon d'1 km; le loyer annuel maximum du réseau est de 39 000 euro, alors que celui payé par le Pain des abondances est de 144 000 euro c'est-à-dire excessif puisque représentant plus de 20 % du chiffre d'affaires;
- dès l'ouverture du magasin les résultats n'étaient pas au rendez-vous, ce qui a conduit Monsieur Lopez à exploiter 7 jours sur 7 et à développer rapidement l'activité de portage à l'extérieur particulièrement coûteuse; ces 2 éléments étrangers au contrat de franchise expliquent qu'après presque 3 ans d'activité le Pain des abondances ait connu fin 2007 une situation bénéficiaire, laquelle n'a cependant pas empêché le Moulin de Paiou de l'assigner en redressement judiciaire 2 ans plus tard;
- les 5 autres magasins Moulin de Paiou ouverts en 2006 ont réalisé l'année suivante un chiffre d'affaires moyen de 388 377 euro, c'est-à-dire proche de celui d'une boulangerie traditionnelle;
- les engagements financiers du fonds de commerce (emprunts, crédits-baux) étaient disproportionnés; le franchiseur, en violation du contrat, n'a au cours de l'exécution de ce dernier dispensé :
. ni assistance permanente commerciale et technique (sur 5 années seuls 2 audits ont été réalisés et non 4; le Pain des abondances a lui-même dû remplacer le produit d'appel de la franchise par une baguette de 250 g beaucoup moins onéreuse; Monsieur Lopez avait pourtant connu une longue formation de plus d'1 année);
. ni conseil et opérations commerciales et soutien adaptés aux difficultés (pas de fonds propres du franchisé, recouvrement des redevances impayées);
. ni publicité en dehors des opérations promotionnelles pour l'ouverture du magasin et les différentes fêtes;
. ni marque notoire (à la différence du Petrin Ribeirou).
Les appelants demandent à la cour, vus :
. les règlements européens d'exemption 2790-1999 du 22 décembre 1999 et 556-1989 du 30 novembre 1988, et de la commission 772-2004 du 27 avril 2004;
. l'article 331 du Code de procédure civile ;
. les articles 1108, 1109, 1116, 1147, 1184 et 1383 du Code civil ;
. l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
. et le décret 91-337 du 4 avril 1991;
de réformer le jugement et de :
- à titre principal :
. constater l'origine douteuse du savoir-faire, et l'absence de ce dernier objet du contrat ne répondant pas aux normes du caractère secret, substantiel et justifié; en conséquence prononcer la nullité du contrat de franchise pour absence de cause;
. constater qu'aucun DIP n'a été remis et que le franchiseur n'a pas rempli son obligation précontractuelle d'information; dire et juger que le consentement du franchisé a été vicié en l'absence de toute information loyale et sincère; en conséquence prononcer la nullité du contrat de franchise pour dol;
. condamner la SAS SFBC, nouvelle dénomination de la SAS le Moulin de Paiou, à payer au Pain des abondances :
. à titre de restitution toutes les sommes perçues en exécution du contrat à savoir 40 000 euro HT ou 47 480 euro TTC au titre du droit d'entrée, et 75 461,80 euro globalement versés (28 610,50 euro HT pour la redevance mensuelle, 4 818,01 euro HT pour la redevance publicité, 35 000 euro payés au titre de l'exécution provisoire, et 7 033,29 euro au titre de la saisie attribution du 16 février 2009);
. la somme forfaitaire de 400 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts;
- à titre strictement subsidiaire :
. constater que le franchiseur n'a pas respecté ses obligations contractuelles (assistance technique, conseil, opérations commerciales, publicité, notoriété de la marque) et a failli à ses obligations précontractuelles d'information, mais également à son devoir d'assistance et de conseil dans le cadre des étapes précontractuelles;
. prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société SFBC;
. condamner cette dernière à payer au Pain des abondances la somme forfaitaire de 400 000 euro à titre de légitimes dommages et intérêts;
- en tout état de cause :
. constater que le Pain des abondances a respecté toutes ses obligations contractuelles en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement, et en conséquence débouter la société SFBC de sa demande d'astreinte à ce titre;
. constater que la déclaration de créance au passif du Pain des abondances est limitative et ne peut plus être modifiée au regard du principe d'immutabilité de la déclaration de créance;
. constater que le franchiseur n'a pas déclaré ses créances de 150 000 euro au titre du préjudice résultant de l'atteinte à l'image et de 300 000 euro pour non-respect de l'article 6.5.10 du contrat de franchise, et qu'il a limité à 80 837,97 euro sa déclaration au titre du préjudice d'exploitation;
. sur le fond débouter la société SFBC de l'ensemble de ses demandes;
- à titre infiniment subsidiaire dire et juger que les redevances au titre du budget publicitaire ne sont pas dues, et qu'il en est de même des redevances mensuelles postérieures au mois de novembre 2006 date à laquelle le franchiseur a cessé toute assistance technique;
- condamner la société SFBC à payer au Pain des abondances la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 8 novembre 2010 la SAS SFBC, nouvelle dénomination de la SAS le Moulin de Paiou, répond notamment que :
- elle a mis 3 ans (2002-2005) pour parfaire son concept avec l'aide de professionnels spécialisés, ce qui explique qu'elle n'a autorisé l'ouverture du premier magasin franchisé qu'en juillet 2005 (celui de Monsieur Lopez); ce dernier s'est préparé à sa future activité en dirigeant successivement en 2004 le nouveau magasin Moulin de Paiou de Bormes-Les-Mimosas (83) pendant 7 mois, et le magasin de Paris 12e pendant 3 mois; le premier acompte du droit d'entrée n'a été versé que le 6 septembre 2004; Monsieur Lopez ne démontre pas en quoi les informations qui lui auraient fait défaut auraient vicié son consentement;
- le DIP qu'elle a fourni présente un chiffre d'affaires moyen de 600 000 euro HT la première année, alors que le Pain des abondances a réalisé 665 345 euro HT, puis 676 630 euro HT pour l'année 2006/2007, et 720 974 euro HT en 2007; la clientèle extérieure ne représente que 4,96 % du chiffre d'affaires; les spécificités locales ont été prises en compte après leur transmission par Monsieur Lopez qui les a comparées au magasin de Paris 12e; le prévisionnel n'est qu'une estimation;
- elle n'a pas manqué à son obligation de publicité importante et régulière pour le magasin du Pain des abondances; ce dernier a pu faire la différence avec les boulangeries traditionnelles vu le chiffre d'affaires réalisé; la franchise Moulin de Paiou est différente du Petrin Ribeirou par ses enseigne, meubles, magasins, recettes, farine, noms de pains; elle-même a transmis plusieurs dizaines de communications à Monsieur Lopez de juillet 2005 à 2008, soit en moyenne plus d'1 par mois, l'a visité pratiquement 1 mois sur 2, a effectué régulièrement les contrôles techniques; son produit d'appel est la paiette (baguette au levain de 360 g) et non la baguette classique de 250 g, ce qui lui permet de se différencier des autres boulangeries, mais elle a fini par autoriser Monsieur Lopez à commercialiser une baguette de 250 g la vénitienne; le Pain des abondances a connu dès le départ une forte réalisation de chiffre d'affaires;
- les difficultés de Monsieur Lopez sont dues à de multiples erreurs de gestion dont un endettement trop important qu'elle a critiqué et une insuffisance de compte courant, et non à une baisse de chiffre d'affaires résultant d'un mauvais emplacement ou d'une absence de publicité; le Pain des abondances a une marge brute inférieure à celle prévisionnelle de 75 %, ce qui peut s'expliquer par des achats non maîtrisés, une non-comptabilisation de la totalité des recettes pour difficultés de personnel, et une absence de favorisation de la vente de pain par rapport aux autres produits; Monsieur Lopez a eu des conflits avec ses banques et l'URSSAF; l'enquête de satisfaction par un tiers n'a pas été favorable au magasin, lequel n'a pas maîtrisé son personnel;
- le contrat de franchise n'a été signé en 2003, soit 2 ans avant sa prise d'effet, que pour protéger le savoir-faire déjà mis au point et pour conforter Monsieur Lopez sur l'engagement d'elle-même à son égard; son fonds de commerce appartient non à la minoterie Forest mais depuis juillet 2009 à la société MDP Franchise; Monsieur Lopez connaissait l'existence du contentieux opposant le Petrin Ribeirou à elle-même; il était commerçant indépendant depuis plusieurs années, et savait donc que la qualité de la relation avec la clientèle est primordiale, tout comme la gestion notamment du personnel pour laquelle il a été aidé; le DIP a été communiqué à la signature du contrat comme l'a reconnu Monsieur Lopez en première instance; l'intéressé a eu 2 ans pour réfléchir et se renseigner; les fondateurs du Moulin de Paiou n'ont jamais caché avoir appartenu au réseau Petrin Ribeirou; Monsieur Lopez a pu constater la qualité de son savoir-faire pour avoir travaillé pendant plusieurs mois dans ses magasins, et a reçu formation et assistance; le Pain des abondances a tort de ne pas envisager l'exploitation d'un magasin de franchise comme un commerçant indépendant ayant une responsabilité sur sa capacité à gérer celui-ci et sa clientèle;
- le projet Moulin de Paiou date non de 1996 mais de 2002; elle-même n'a jamais prétendu vendre un secret de fabrication du pain, mais un concept original différent de celui du Petrin Ribeirou; le changement de farine a entraîné celui de recettes; Monsieur Lopez a eu accès à son savoir-faire plusieurs mois avant de verser le droit d'entrée, en travaillant dans ses magasins, et connaissait sa situation de premier franchisé; depuis 2004 le magasin de Paris 12e n'était plus franchisé Petrin Ribeirou mais appartenait à elle-même, et a obtenu d'excellents résultats malgré son absence de parking, absence qui est logique pour un magasin en pleine agglomération comme également celui de Boulogne-Billancourt; les chiffres d'affaires de ces 2 magasins sont voisins c'est-à-dire de 679 041 euro pour le parisien, et de 694 544 euro pour Monsieur Lopez; la boulangerie la plus proche du Pain des abondances est à 600 m;
- elle a déduit de sa réclamation les sommes de 28 610,50 euro, de 4 818,01 euro, et de la saisie-attribution; son préjudice d'exploitation, en application de l'article 11-4 du contrat de franchise, est égal à 4 254,63 euro (moyenne mensuelle des redevances 2007) x 19 mois restant à courir jusqu'au terme dudit contrat = 80 837,97 euro.
L'intimée demande à la cour de confirmer le jugement, et en outre de :
- fixer ses créances sur le Pain des abondances comme suit :
. 72 809,29 euro au titre des redevances du 7 novembre 2006 au 8 janvier 2008;
. 80 837,97 euro TTC au titre de l'indemnité contractuelle (pour préjudice d'exploitation);
. 61 316,36 euro TTC au titre des redevances du 1er janvier au 5 décembre 2008;
. 6 468,06 euro pour intérêts de retard du 1er mars 2009 au 30 novembre 2010;
- condamner le Pain des abondances à lui payer la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 novembre 2010.
Motifs de l'arrêt :
Sur la cause du contrat de franchise :
La franchise Moulin de Paiou est née en 2002, même si ses 4 créateurs Messieurs Clabaut, Botzung, Fogola et Sibourg exploitaient chacun une boulangerie depuis respectivement 1997, 1996, 1999 et 1998; de ce fait ils avaient acquis une expérience durable, laquelle n'a pour autant pas été reprise telle quelle par cette franchise puisqu'elle n'a servi que de base à cette dernière. L'originalité du Moulin de Paiou par rapport à la franchise Petrin Ribeirou, comme le précisent les documents du premier communiqués par le Pain des abondances, ne concerne pas les recettes ni les produits en eux-mêmes, mais des variantes de pains commercialisées dans des magasins ayant des enseigne, mobilier, matériels et agencements différents de cette franchise.
Si la franchise Petrin Ribeirou a le 1er août 2007 saisi le Tribunal de grande instance de Grasse en parasitisme fautif et en concurrence déloyale contre le Moulin de Paiou, le jugement n'a pas encore été rendu, et c'est donc à tort que le Pain des abondances affirme que la franchise du second ne fait que reproduire à l'identique celle du premier.
Au surplus il est difficile, vus le très grand nombre de boulangeries et l'ancienneté de cette activité, d'imaginer qu'un nouveau venu sur ce marché puisse apporter une réelle innovation technique; par suite le savoir-faire du Moulin de Paiou, même s'il n'est pas totalement " secret, substantiel et identifié " au sens de l'article 10 du Règlement européen n° 240-96 du 31 janvier 1996, l'est pour partie, notamment parce qu'il a pour produit-phare le pain " Le Païou " qui lui est spécifique et que ne vendent pas les autres boulangers; en outre le concept Moulin de Paiou se distingue par une marque identifiée et déclinée, ainsi que par un aménagement original de ses points de vente.
L'enseigne Moulin de Paiou a été acquise par le groupe Forest ayant pour activité principale la minoterie, mais qui a créé pour la gérer une société MDP Franchise, distincte et qui de ce fait ne peut être confondue avec cette activité minoterie.
Divers prestataires ont tout au long de l'année 2003 travaillé pour le Moulin de Paiou, et ont mis au point et facturé son concept d'aménagement (Deleu & Associés) ainsi que son identité visuelle (Elisabeth Coutrot); de ce fait l'intéressé justifie avoir réalisé pour partie des investissements spécifiques à son savoir-faire.
Enfin le Pain des abondances ne démontre pas le caractère prétendument exorbitant du montant du droit d'entrée (40 000 euro HT) ainsi que du taux de la redevance mensuelle (6 % du chiffre d'affaires).
C'est en conséquence à tort que cet appelant invoque une absence de cause au savoir-faire du Moulin de Paiou en tant que créateur de la franchise éponyme.
Sur le dol du franchiseur :
Dans le contrat de franchise que Monsieur Lopez a signé le 25 septembre 2003 est stipulé en page 2 : " Le franchisé reconnaît avoir eu le temps nécessaire pour réfléchir et se faire conseiller avant la signature du contrat. Il reconnaît en outre avoir reçu 20 (vingt) jours au moins avant la signature du présent contrat, un document d'information préalable [le DIP] conformément [aux lois et règlements], ainsi que le projet du présent contrat ". En outre le Pain des abondances a, en page 5 de ses " conclusions récapitulatives en réplique " devant le tribunal de commerce, précisé avoir reçu le DIP à la signature du contrat, et ne s'est plaint que du non-respect du délai de 20 jours entre cette réception et cette signature. Pour autant la cour constate que ce DIP prétendument remis en septembre 2003 contient curieusement des renseignements datant de janvier, mars et octobre 2004 (ouverture des magasins de Bormes-les-Mimosas, de Paris 12e et de Gand en Suisse), et surtout inclut des documents comptables établis aux 30 septembre 2003 et surtout 30 septembre 2004. Le Pain des abondances est donc fondé à soutenir que le DIP ne lui a pas été remis au plus tard lors de la signature contractuelle du 30 septembre 2003, d'où une violation par le Moulin de Paiou des dispositions impératives de l'article L. 330-3 du Code de commerce.
Néanmoins la cour constate que ce défaut d'information n'a pas eu par lui-même pour effet de vicier en totalité le consentement du Pain des abondances, ce qui fait que ce seul élément est insuffisant pour accueillir la demande en nullité du contrat pour dol.
Le chiffre d'affaires annuel annoncé pour la première année (600 000 euro) ne correspond pas à celui réalisé en moyenne (475 715,66 euro) par les 3 boulangeries qui, comme celle de Monsieur Lopez, n'ont été créées que par la franchise Moulin de Paiou. Par ailleurs la comparaison avec la boulangerie de Paris 12e n'est pas efficace puisque celle-ci existait déjà bien avant d'être franchisée, ce qui explique qu'elle réalisait un chiffre d'affaires de 717 410 euro. Par contre le problème de l'absence de parking spécifique au Pain des abondances ne pouvait être ignoré de Monsieur Lopez, qui a nécessairement visité les alentours de son futur magasin et ne peut par suite le reprocher au Moulin de Paiou; et de plus si le nombre de boulangeries dans un rayon d'1 km est d'environ 10, la plus proche du Pain des abondances est à 600 m ce qui est un élément attractif et donc positif pour celui-ci.
En outre le droit d'entrée a pour une grande partie (28 704 euro sur 40 000 euro HT) été payé le 1er octobre 2003 soit 6 jours après la signature du contrat, et non le 6 septembre 2004 comme le prétend le Moulin de Paiou, alors que l'exploitation du magasin franchisé ne devait commencer que le 1er juillet 2005.
Par ailleurs la faible ancienneté de la franchise Moulin de Paiou lors de cette signature dudit contrat le 25 septembre 2003 (soit à peine 13 mois vu la création de la société éponyme le 30 septembre 2002) ne permettait pas à Monsieur Lopez d'en bien connaître toute l'expérience, d'autant que le Moulin de Paiou lui-même reconnaît que le magasin de l'intéressé était chronologiquement le premier de la franchise. De plus Monsieur Lopez n'a qu'en 2004, c'est-à-dire après cette signature, expérimenté la direction des magasins de Bormes-les-Mimosas pendant 7 mois, et de Paris 12e pendant 3 mois avec la spécificité de celui-ci indiquée ci-dessus.
Dans le DIP le Moulin de Paiou mentionne un loyer de 39 000 euro pour un chiffre d'affaires de 600 000 euro soit un pourcentage de 6,5; or le loyer du Pain des abondances était de 100 000 euro soit un pourcentage de 16,67, et représente aujourd'hui 144 000 euro soit un pourcentage de 24 qui est bien trop élevé; l'activité antérieure de Monsieur Lopez (joaillier de 1993 à 2003) n'est en rien comparable à celle de la boulangerie, et ne pouvait donc lui servir de précédent pour apprécier le rapport loyer-chiffre d'affaires.
Le premier exercice du Pain des abondances, pour la période du 1er mai 2005 au 31 décembre 2006 soit 20 mois, a abouti à un chiffre d'affaires de 990 249 euro, soit sur 12 mois de 594 149,40 euro c'est-à-dire voisin de celui de 600 000 euro prévu par le Moulin de Paiou, mais a malgré cela dégagé une perte de 100 017 euro. Ultérieurement la situation a bien varié, puisque l'exercice 2007 s'est conclu par un chiffre d'affaires de 720 977 euro et un bénéfice de 25 227 euro, tandis que celui de 2008 a permis un chiffre d'affaires de 723 941 euro mais une perte de 26 061 euro.
Au surplus la liste des boulangeries franchisées Moulin de Paiou mentionne à tort que celles de Vallauris, Nice, Beausoleil, Grimaud et La-Seyne-sur-Mer sont ouvertes depuis respectivement septembre 1996, septembre 1997, mars 1999, mai 1996 et octobre 1998; en effet ces dates correspondent à l'ouverture en tant que boulangeries et non comme boulangeries franchisées Moulin de Paiou, et ces mentions font croire à tort aux futurs franchisés que la franchise existe depuis bien avant 2002 date de la création effective de celle-ci.
L'ensemble des éléments précités permet à la cour de retenir que le consentement du Pain des abondances a été vicié seulement pour partie en raison de la transmission par le Moulin de Paiou d'informations incomplètes et/ou inexactes quant à la configuration économique et financière de la franchise et du magasin. Par suite il ne convient pas de prononcer la nullité du contrat de franchise du 25 septembre 2003 pour dol, et sur ce point le jugement sera confirmé.
Sur l'inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles :
Les pièces communiquées par le Moulin de Paiou sont nombreuses en ce qui concerne l'exécution de ses engagements en faveur du Pain des abondances : publicités pour l'ouverture du magasin de Monsieur Lopez; opérations commerciales lors des fêtes des Rois, de Pâques, des Mères et de Noël; mises à jour documentaires pour améliorer la technique des pains et pâtisseries; audits et contrôles techniques; optimisation de l'efficacité commerciale des vendeuses; courriers divers pour essayer de remédier aux problèmes de qualités de pain et de gestion financière (recours excessif aux emprunts, marge brute insuffisante, vente à l'extérieur, rotation trop rapide du personnel), avec détail des remèdes proposés.
Par ailleurs le Moulin de Paiou a le 3 avril 2007 autorisé le Pain des abondances à fabriquer et commercialiser, en plus de celle de la baguette de base " la Païette " une baguette levure, alors que cela ne faisait pas partie de la franchise.
C'est donc sans fondement que le Pain des abondances soutient que son franchiseur le Moulin de Paiou n'a pas respecté ses obligations contractuelles.
Sur les demandes chiffrées :
Par courrier du 30 juin 2009 le Moulin de Paiou a déclaré au redressement judiciaire du Pain des abondances :
- d'une part les diverses sommes allouées par l'ordonnance de référé du 26 mars 2007, par l'arrêt de cette cour du 30 octobre 2008, et par le jugement attaqué du 5 décembre 2008 tant pour les redevances que pour le préjudice d'exploitation;
- d'autre part sa réclamation en appel pour les redevances postérieures aux précédentes.
Il en résulte que cette dernière est recevable.
L'interruption de paiement des redevances contractuelles par le Pain des abondances justifie que le Moulin de Paiou, en application de l'article 11.2 du contrat du 25 septembre 2003, ait décidé de résilier ce dernier; par suite le premier reste devoir au second toutes les redevances impayées jusqu'à la date de résiliation, laquelle a été fixée à juste titre par le tribunal de commerce au jour du jugement soit le 5 décembre 2008. Les 72 809,29 euro retenus par cette décision pour la période du 7 novembre 2006 au 8 janvier 2008 seront donc également alloués par la cour; en outre le Moulin de Paiou a droit, pour la période du 1er janvier au 5 décembre 2008, à la somme de 61 316,36 euro TTC qu'il réclame, mais en deniers ou quittances puisque se chevauchent à hauteur de 8 jours les périodes respectives du tribunal de commerce (7 novembre 2006 au 8 janvier 2008) et de la demande en appel du Moulin de Paiou (1er janvier au 5 décembre 2008).
L'indemnité pour préjudice d'exploitation stipulée par l'article 11.4 du contrat de franchise est " égale à la moyenne des redevances dues au cours des 12 derniers mois (...) multipliée par le nombre de mois restant à courir jusqu'à l'échéance [30 juin 2010] avec un minimum de douze mois "; elle est constitutive d'une clause pénale au sens de l'article 1226 du Code civil que la cour, au motif qu'elle est manifestement excessive eu égard au caractère insuffisant et incomplet des informations données par le Moulin de Paiou au Pain des abondances, réduira conformément à l'article 1152 du même Code à la somme de 1 000 euro.
Le prononcé du redressement judiciaire du Pain des abondances arrête à sa date, c'est-à-dire au 4 juin 2009, le cours des intérêts légaux et conventionnels, en application de l'article L. 622-28 du Code de commerce, et par suite c'est à tort que le Moulin de Paiou réclame des intérêts jusqu'au 30 novembre 2010.
Enfin la procédure collective atteignant le Pain des abondances, même si ce dernier bénéficie actuellement d'un plan de continuation, ne permet pas de faire droit à la demande du Moulin de Paiou au titre des frais irrépétibles d'appel.
Decision
LA COUR, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe. Confirme le jugement du 5 décembre 2008, sauf pour le préjudice d'exploitation de la SAS le Moulin de Paiou que la cour réduit à la somme TTC de 1 000 euro. En outre condamne la SARL le Pain des abondances à payer à la SAS le Moulin de Paiou la somme de 61 316,36 euro TTC en deniers ou quittances pour les redevances du 1er janvier au 5 décembre 2008. Arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels à la date du 4 juin 2009. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL le Pain des abondances aux dépens d'appel, avec droit pour les avoués de la cause de recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.