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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 janvier 2011, n° 08-11623

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ariba (Sté)

Défendeur :

Bravosolution France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Touzery-Champion, Pomonti

Avoués :

SCP Bolling-Durand-Lallement, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Pichon de Bury, Airieau

T. com. Bobigny, du 20 mai 2008

20 mai 2008

Le 4 août 2004, à la suite de la fusion des compagnies Air France KLM, la nouvelle compagnie a lancé un appel d'offre pour acquérir une plate forme permanente d'achat et les services qui lui seraient attachés.

Deux sociétés ont répondu à celui-ci, d'une part, le 4 septembre 2004 la société Bravosolution, d'autre part le 15 du même mois, la société Procuri aux droits de laquelle vient la société Ariba, toutes deux spécialisées dans la mise en œuvre d'applications informatiques chez leurs clients et intervenant chacune pour le compte de l'une des sociétés fusionnant, Bravosolution pour Air France et Procuri pour KLM.

Le 31 mai 2005, Air France-KLM a attribué le marché à la société Procuri.

Monsieur Gudin du Pavillon salarié de la société Bravosolution depuis juin 2001, qui avait été chargé en tant que chef de projet du suivi de cet appel d'offre, et avait participé à différentes réunions de démonstration en novembre 2004, a démissionné le 13 décembre 2004, demandant alors à être dispensé de l'exécution de la clause de non-concurrence et d'une partie de son préavis et a été embauché chez Procuri le 21 février 2005.

La société Bravosolution estimant avoir été l'objet d'actes de concurrence déloyale, a par acte du 31 mai 2006, assigné Procuri et Air France devant le Tribunal de commerce de Bobigny.

Par jugement du 20 mai 2008, le Tribunal de commerce de Bobigny a:

- condamné Procuri à payer Bravosolution la somme de 90 000 euro et ordonné la publication du jugement dans trois revues professionnelles

- débouté Procuri de sa demande reconventionnelle,

- mis Air France hors de cause,

- condamné Procuri à payer à Bravosolution la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Bravosolution à payer à Air France la somme de 800 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 13 juin 2008 par la société Ariba Inc. venant aux droits de la société Procuri ;

Vu les conclusions signifiées le 4 novembre 2010, par lesquelles la société Ariba Inc. demande à la cour de:

- constater que Monsieur Gudin du Pavillon a intégré l'effectif de Procuri le 21 février 2005, soit un mois après la fin de son préavis chez Bravosolution, et qu'ainsi il n'a participé ni à la réponse à l'appel d'offres remise par Procuri au groupe Air France KLM le 15 septembre 2004, ni aux ateliers de démonstration organisés par Procuri pour l'équipe du groupe AF KLM les 8,9 et 10 novembre 2004,

- constater que Bravosolution n'a entrepris aucune démarche afin de convaincre Monsieur Gudin du Pavillon de rester en poste et n'a pas rémunéré sa clause de non-concurrence,

- constater que Bravosolution a au contraire accepté de réduire son préavis,

- constater que Procuri a scrupuleusement respecté le préavis et la clause de non-concurrence de Monsieur Gudin du Pavillon, tel que cela a été jugé par le conseil des prud'hommes le 17 mars 2008,

- constater que l'augmentation de la rémunération de M. Gudin du Pavillon lors de son embauche chez Procuri a été de 22 % et non de 64,6 % et était justifiée compte tenu de ses qualifications, de son expérience, et de ses responsabilités,

- constater que Bravosolution n'apporte aucune preuve ni d'une utilisation d'informations confidentielles par Procuri, ni même de l'intérêt de ces informations pour Procuri dont la solution était radicalement différente de celle de Bravosolution,

- constater que Bravosolution n'apporte aucune preuve d'un quelconque acte de concurrence déloyale commis par Procuri, et qu'elle n'apporte pas la preuve d'une désorganisation de ses services suite au départ de M. Gudin du Pavillon,

- constater que Bravosolution reconnait que ses clients étaient captifs des solutions qu'elle proposait,

- constater que Procuri avait un partenariat ancien et fructueux avec KLM depuis 2002,

- juger qu'aucun acte de concurrence déloyale n'a été commis par la société Procuri,

- juger que l'action intentée par Bravosolution constitue un dénigrement de Procuri en ce que les moyens avancés sont fallacieux et téméraires, et que ce dénigrement a pour unique fin de déstabiliser les relations commerciales unissant Procuri et le Groupe AF KLM,

- juger que dès lors l'action intentée par Bravosolution est abusive,

En conséquence:

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la société Bravosolution de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Bravosolution à payer à la société Ariba Inc. venant aux droits de Procuri, la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

- condamner la société Bravosolution à payer une amende civile de 3 000 euro pour procédure abusive,

- condamner Bravosolution à payer à la société Ariba Inc. la somme de 25 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les conclusions signifiées le 21 octobre 2010 par lesquelles la société Bravo solution demande à la cour de:

- dire qu'en procédant à l'embauche de M. Gudin, Procuri s'est comportée de façon déloyale envers Bravosolution, son unique concurrent dans l'appel d'offre AF KLM,

A titre principal :

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a estimé le préjudice de Bravosolution à la somme de 90 000 euro,

- condamner Procuri à verser à Bravosolution la somme de 427 000 euro en réparation de son préjudice,

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions.

En tout état de cause :

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois publications professionnelles aux choix de Bravosolution, aux frais de Procuri dans la limite de 2 000 euro par publication.

- condamner Procuri à verser à Bravosolution la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeter toutes les demandes de Procuri.

Sur ce

Considérant que la société Ariba prétend que M. Gudin n'a pas été engagé de façon déloyale, que l'augmentation de rémunération dont il a bénéficié était tout à fait raisonnable, qu'elle n'a bénéficié d'aucune information confidentielle et que le départ de celui-ci n'a entrainé aucune désorganisation pour la société Bravosolution;

Considérant que la société Bravosolution fait valoir que la société Procuri a fait preuve de déloyauté au cours de la procédure d'appel d'offres en recrutant durant la procédure le co-responsable du projet de son seul concurrent direct et que par ce recrutement elle s'est procuré une chance supplémentaire de remporter le marché;

Considérant que lors de l'appel d'offre la société Procuri, société de droit américain n'avait aucune implantation en France alors que la société Bravosolution avait depuis 2003 des relations commerciales avec Air France et faisait à cette occasion intervenir son salarié M. Gudin qui dès lors connaissait parfaitement les besoins de ce client ;

Que Ariba a offert à celui-ci un salaire comportant une partie fixe et une partie variable devant être déterminée selon un plan remis au salarié après son embauche ; que Ariba a refusé de communiquer ce plan malgré les sommations faites par Bravosolution ; que les renseignements recueillis sur Internet concernant les rémunérations des salariés de Procuri mettent en évidence dans leur rémunération un pourcentage conséquent au titre de la part variable ;

Que la différence entre la rémunération fixe octroyée par Procuri à M. Gudin soit 80 000 euro en 2005 et celle qu'il a perçue de Bravosolution en 2004 et 2005 soit 48 595 euro s'élève à 64,6 % ;

Que si, au sein de Bravosolution, l'intéressé percevait également une part variable soit 12 000 euro, il y a lieu de retenir qu'une part variable avait au moins été promise à l'intéressé par Procuri et qu'aucun élément ne permet de supposer qu'elle n'aurait pas été versée ; que toutefois par sa réticence la société Procuri ne permet pas à la cour d'en apprécier le montant ; qu'il y a lieu dès lors de retenir l'augmentation très conséquente de la part fixe du salaire de l'intéressé et le caractère particulièrement attractif de son embauche par la société concurrente de Bravosolution au regard de ses nouvelles conditions de rémunération;

Considérant que si M. Gudin était parfaitement libre de démissionner et de contracter avec un nouvel employeur après avoir rempli ses obligations contractuelles, son embauche est intervenue alors que la décision d'attribution du marché n'avait pas encore été prise ; que M. Gudin écrivait dès le 10 décembre 2004 depuis sa messagerie professionnelle " de mon côté les choses avancent sérieusement et j'attends le contrat pour le contre signer la semaine prochaine " ce qui démontre que les accords pour son embauche par Procuri étaient finalisés à cette date ;

Que si Procuri prétend que, lors de sa recherche d'un cadre expérimenté pour mener sa politique d'expansion en Europe, le profil de M. Gudin avait été déterminant, elle ne justifie pas avoir mis en œuvre une procédure de recrutement , ni avoir dégagé des moyens matériels à la hauteur du but affiché ; qu'en effet elle n'a pris aucun local professionnel en France, M. Gudin devant travailler aux termes de son contrat " à son domicile et/ou sur les sites de Procuri " ;

Considérant que Procuri ne démontre pas avoir été retenue en raison de l'originalité de sa solution par rapport à celle proposée par Bravosolution;

Que M. Gudin disposait, de par son poste, de par son rôle auprès de la société Air France, de par ses responsabilités dans l'élaboration et le suivi de la proposition faite par Bravosolution pour répondre à l'appel d'offres, d'informations confidentielles, techniques et humaines de nature à aider la société Procuri dans son approche relationnelle et technique préalable à la décision d'attribution du marché d'appel d'offre;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en débauchant un salarié disposant de telles connaissances spécifiques et propres à son ancien employeur grâce à des conditions de salaire particulièrement attractives, la société Procuri a bénéficié d'un atout supplémentaire et a faussé le libre jeu d'une concurrence loyale à l'occasion d'une procédure d'appel d'offres;

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le comportement déloyal de la société Ariba et l'ont condamnée à réparation;

Considérant que la société Bravosolution fait valoir qu'elle a perdu une chance de remporter l'appel d'offre Air France KLM, de conserver les interventions ponctuelles qu'elle délivrait jusque-là à Air France, ainsi que d'améliorer son image, enfin qu'elle a engagé des frais pour répondre à l'appel d'offre, estimant à la somme de 427 000 euro l'ensemble de ses préjudices;

Considérant que l'appel d'offres était destiné pour la compagnie résultant de la fusion KLM-Air France à n'avoir plus qu'un seul prestataire ; qu'il s'ensuit comme l'ont jugé les premiers juges que la perte de chance d'être choisie au titre de l'appel d'offres se confond avec la perte de chance de conserver les marchés antérieurs ; qu'en revanche le fait d'avoir été écartée du marché n'a pas eu pour conséquence directe une perte de chance pour la société Bravosolution de voir son image valoriser;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont estimé à 90 000 euro le préjudice de la société Bravosolution et qu'ils ont ordonné la publication du jugement dans trois revues professionnelles dans la limite de 2000 euro par publication ; que leur décision mérite entière confirmation;

Considérant qu'il n'est pas démontré le caractère abusif de l'action engagée par la société Bravosolution, qu'il y a lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts de la société Ariba;

Et considérant que la société a engagé des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif et de rejeter la demande de la société à ce titre.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la société Ariba venant aux droits de la société Procuri à payer à la société Bravosolution la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette la demande de la société Ariba à ce titre, Rejette toutes autres demandes fins et conclusions, Condamne la société Ariba venant aux droits de la société Procuri aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.