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Décisions

CA Nancy, ch. soc., 21 janvier 2011, n° 10-01152

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Fobi (SAS)

Défendeur :

Lamielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmeitzky

Conseillers :

Mme Guiot-Mlynarczyk, M. Laurain

Avocats :

Mes Tarvidel, Castagnon, Scherer, Koehl

Cons. prud'h. Nancy, du 12 mars 2010

12 mars 2010

Faits et procédure :

Monsieur Lamielle, gérant de la SARL Est Outillage Bâtiment, a signé le 8 décembre 2004 pour une durée de cinq ans, un contrat de franchise et un contrat de location-gérance avec la SAS Fobi, qui a une activité de vente d'outillage et d'équipement pour les professionnels du bâtiment.

Par avenants des 18 juillet 2005 et 9 novembre 2006, le secteur initialement concédé à la SARL Est Outillage Bâtiment a été augmenté à sa demande.

Par courrier du 11 septembre 2007, la SARL Est Outillage Bâtiment a notifié à la SAS Fobi qu'elle mettait fin par anticipation aux contrats de franchise et de location-gérance avec effet au 31 décembre 2007.

Après avoir pris acte de cette rupture le 20 septembre 2007, la SAS Fobi a, par courrier du 12 octobre 2007, sollicité la restitution du matériel, une indemnisation pour rupture anticipée et le remboursement du dépôt de garantie.

Monsieur Lamielle a contesté devoir les sommes réclamées et, estimant que les relations entre la SAS Fobi et lui relevaient non pas d'un contrat de franchise mais d'un contrat de gérant de succursale, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Nancy le 12 novembre 2008.

Il a sollicité la requalification du contrat de franchise en contrat de travail, des rappels de salaire, des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat, une indemnité de préavis, des dommages et intérêts pour travail dissimulé, la remise de documents de fin de contrat sous astreinte et une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Fobi a conclu pour sa part à l'incompétence du conseil de prud'hommes au profit du tribunal de commerce, considérant que Monsieur Lamielle ne relevait pas de la qualification de gérant de succursale et que la relation commerciale était fondée sur un contrat de franchise qui n'est pas un contrat de travail. Elle a conclu sur le fond au rejet des demandes.

Par décision du 12 mars 2010, le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a dit que la fonction de Monsieur Lamielle devait s'interpréter comme celle d'un gérant salarié. Tout en rejetant le surplus des demandes, le conseil a condamné la SAS Fobi à verser à Monsieur Lamielle :

- 37 449,52 euro de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007, outre 3 744,95 euro de congés payés y afférents,

- 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Fobi a régulièrement interjeté appel de cette décision le 7 avril 2010.

Elle conclut à l'infirmation du jugement et à l'incompétence de la chambre sociale au profit de la chambre commerciale de la Cour d'appel de Paris concernant les conditions d'exécution et de rupture du contrat de franchise et celle de la Cour d'appel de Rennes pour les conditions d'exécution et de rupture du contrat de location-gérance.

A titre subsidiaire et sur le fond, la société conclut à l'infirmation des dispositions du jugement sur le rappel de salaire et la confirmation du surplus de la décision ayant rejeté les demandes de Monsieur Lamielle.

En tout état de cause, la société sollicite la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire sous astreinte de 50 euro par jour de retard outre une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'à hauteur de cour.

Monsieur Lamielle conclut à la confirmation du jugement sur la compétence du conseil de prud'hommes et à l'infirmation du surplus de la décision. Il sollicite la remise d'une attestation Assedic et d'un solde de tout compte sous astreinte de 15 euro par jour de retard ainsi que la condamnation de la SAS Fobi à lui verser :

- 82 410 euro de rappel de salaires, outre 8 241 euro de congés payés y afférents,

- 5 687 euro d'indemnité de préavis, outre 568 euro de congés payés y afférents,

- 17 062,20 euro de dommages et intérêts,

- 17 062,20 euro d'indemnité pour travail dissimulé,

- 64 308 euro au titre des frais engagés pour développer son activité sous l'enseigne Fobi,

- 5 000 euro à hauteur d'appel et 3 000 euro pour la première instance au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La cour se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier, en date du 2 décembre 2010, dont elles ont maintenu les termes lors de l'audience.

Motifs de la décision :

- Sur la compétence

Attendu que la compétence de la chambre sociale dépend de la qualification juridique donnée aux relations ayant existé entre Monsieur Lamielle et la SAS Fobi ;

Que Monsieur Lamielle prétend avoir eu la qualité de gérant de succursale et en déduit que le Code du travail doit s'appliquer à la relation contractuelle ; que la société soutient pour sa part que Monsieur Lamielle ne remplissait pas les conditions légales pour bénéficier du statut de gérant de succursales et que le contrat de franchise conclu entre les parties relève des juridictions commerciales ;

Attendu que selon l'article L. 7321-2 du Code du travail, " est gérant de succursale, toute personne dont la profession consiste essentiellement :

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise ;

b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise " ;

Qu'il n'est pas contesté que Monsieur Lamielle n'avait pas un magasin lui permettant de vendre les produits Fobi mais qu'il se déplaçait avec une camionnette pour recueillir les commandes faites par les professionnels et les particuliers des produits Fobi ; que dès lors, le statut de gérant de succursale revendiqué par l'appelant suppose que soient remplies trois conditions cumulatives :

- l'approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif auprès de la SAS Fobi,

- la fourniture ou l'agrément d'un local par la société,

- une exploitation aux conditions et prix imposés par l'entreprise ;

Que Monsieur Lamielle se prévalant de ce statut de salarié, il lui incombe de démontrer que ces trois conditions sont remplies ;

Que sur l'approvisionnement exclusif, les parties ne produisent aucune pièce en dehors des contrats de franchise et de location-gérance, du document d'information pré-contractuelle et des échanges de courriers entre la société Fobi et Monsieur Lamielle lors de la rupture des contrats ;

Que selon le contrat de franchise (article 6-2) " le franchisé s'engage expressément à ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur pour les produits et sauf accord exprès et écrit du franchiseur, le franchisé s'interdit de vendre tous produits qui ne seraient pas des produits distribués ou agréés par le franchiseur " ; qu'il apparaît que Monsieur Lamielle ne disposait pas d'une liberté d'approvisionnement et qu'il ne pouvait vendre que des produits Fobi ; que si la SAS Fobi prétend que l'appelant pouvait vendre d'autres produits émanant d'autres sociétés, cela n'est établi par aucune pièce, le courrier du 9 janvier 2008 dans lequel Monsieur Lamielle précisait avoir averti sa banque que la société Fobi ne faisait plus partie de ses fournisseurs est trop imprécis pour démontrer qu'il vendait des produits d'autres sociétés ;

Que dès lors, eu égard aux termes du contrat qui imposait au franchisé une exclusivité d'approvisionnement et au fait qu'aucune pièce ne remet en cause le respect par Monsieur Lamielle de cette obligation, il est considéré que la première condition de l'article L. 7321-2 est remplie ;

Que sur la deuxième condition, il n'est pas contesté que Monsieur Lamielle ne disposait d'aucun local et se rendait auprès de la clientèle pour présenter les produits et recueillir les commandes avec un véhicule acheté par lui-même ; que cependant, le contrat de franchise (article 5-3-2) ainsi que le document d'information pré-contractuelle auquel il renvoie, prévoient que " le franchisé s'engage à acquérir un véhicule Sprinter 308 CDI 355 auprès de la société Mercedes " et que " le franchisé devra installer dans le point de vente mobile, les éléments d'aménagements portant la marque et l'enseigne Fobi pour la présentation des produits ", ces éléments étant loués au franchisé par la société ;

Qu'il s'ensuit que le véhicule désigné comme " point de vente mobile " dans les documents contractuels peut être assimilé à un local dans lequel Monsieur Lamielle exerçait sa profession ; que les caractéristiques de ce véhicule étaient imposées par la société (marque et modèle, aménagements spécifiques) ce qui démontre que si le véhicule n'a pas été fourni par la société Fobi, il a été agréé par elle puisqu'il n'est pas contesté qu'il respectait les termes du contrat ;

Qu'il en découle que la deuxième condition était remplie ;

Que sur la dernière condition de l'article L. 7321-2 du Code du travail, si Monsieur Lamielle prétend que les prix et conditions de travail lui étaient imposés, force est de constater qu'il ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations ;

Que sur les conditions de travail, il ne démontre pas que des tournées lui étaient imposées, ni qu'il avait des clients précis à visiter régulièrement, ni encore qu'il avait un nombre de clients à voir par jour ou semaine ; qu'il lui était seulement imposé de réaliser un chiffre d'affaires de 100 000 euro la première année ; que le fait de fournir au franchisé des plans de tournée indicatifs est insuffisant, en l'absence d'autres pièces, à établir que les conditions de travail étaient imposées et unilatéralement déterminées par la société Fobi ; que si l'appelant invoque deux mails d'octobre 2006 et février 2007 pour affirmer qu'il a dû accomplir les ordres de Fobi, il apparaît à la lecture des pièces qu'il s'agissait de deux clients qui avaient demandé par mail une visite commerciale et que la société Fobi n'a fait que transmettre ces demandes de renseignement à Monsieur Lamielle puisque les clients étaient sur son secteur géographique ; que les mails ne contiennent aucun ordre ni consigne ;

Que sur les prix de vente au public, il résulte du contrat de franchise (article 4-4-6) que " le franchiseur communiquera régulièrement au franchisé un tarif tenu à jour, comprenant des prix de vente conseillés qui sont simplement indicatifs. Il est expressément précisé que le franchisé pourra déterminer librement ses prix de vente et facturera lui-même ses produits à la clientèle " ;

Que là encore, Monsieur Lamielle ne produit aucune pièce démontrant que les prix de revente lui étaient imposés par la société ; que, s'il prétend que les commandes de clients devaient être effectuées par un logiciel sur lequel les prix de revente étaient pré-remplis, il n'en justifie pas ; que de même, s'il affirme que les catalogues fournis par Fobi et distribués par lui-même comportaient des tarifs, il ne le démontre pas ; que la société verse aux débats les catalogues de toutes les années de collaboration avec Monsieur Lamielle ; qu'il est constaté que ne figure pour chaque article qu'une référence de produit sans aucun prix, de vente ou de revente; que ceci est confirmé par l'attestation de Monsieur Berlin, ancien franchisé de la société Fobi, qui précise que le franchisé saisit lui-même ses commandes et établit le prix qu'il a arrêté lui-même avec son propre client ;

Que Monsieur Lamielle argue encore du fait que le contrat de franchise prévoyait une marge imposée par la société ce qui revenait à lui imposer un prix de revente au client ; que cependant, la lecture attentive de l'annexe 3 du contrat permet de constater la société détermine contractuellement la marge pour le franchisé, soit 70 % de la différence entre le prix de revient et le prix de vente final ; que si le prix de revient est fixé par la société, le prix de vente final n'est imposé par aucun article du contrat, étant précisé que le franchisé accroît de fait sa marge s'il augmente le prix de vente ; qu'il est d'ailleurs établi par la société que Monsieur Lamielle a pratiqué des prix de revente différents selon les clients pour un même produit vendu à quelques mois d'intervalle ; que selon les pièces non contestées produites par la société Fobi, Monsieur Lamielle a vendu une perceuse, dont le prix de vente conseillé par la SAS Fobi était de 420 euro, à trois clients différents à un prix de 330, 320 et 400 euro ce qui a fait varier sa marge à chaque vente; qu'est encore versé aux débats un tableau reprenant la vente d'autres produits par Monsieur Lamielle dont il ressort que le même produit avec le même prix de vente conseillé, était vendu à des tarifs différents selon les clients ; que Monsieur Lamielle ne conteste pas l'ensemble de ces pièces et ne donne aucune explication sur ces différences de prix ;

Que s'il produit deux mails adressés à la société pour lui demander des prix relatifs à un produit, il ne démontre pas avoir effectivement pratiqué ce prix de revente conseillé à ses clients puisqu'il ne produit aucune facture ;

Qu'il s'ensuit que Monsieur Lamielle n'établit pas que la société lui imposait des tarifs et conditions de travail, celle-ci démontrant à l'inverse que l'appelant fixait lui-même le prix de revente à ses clients, et de facto sa marge, et qu'il organisait librement l'exécution de son travail ;

Que dès lors, le dernier élément constitutif du statut de gérant de succursale n'étant pas rempli, Monsieur Lamielle ne peut utilement revendiquer le statut de salarié et l'application des dispositions du Code du travail ; qu'il en découle que la juridiction prud'homale est incompétente pour statuer sur les demandes de Monsieur Lamielle ; que le jugement de première instance doit être infirmé et le litige renvoyé pour compétence devant le Tribunal de commerce de Paris ; qu'il n'y a pas lieu de renvoyer devant la juridiction commerciale de Rennes, le litige ne concernant que le contrat de franchise et non celui de location-gérance ;

- Sur la demande de remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

Attendu que la SAS Fobi demande que soit ordonnée la restitution des sommes versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire ;

Attendu cependant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la SAS Fobi ;

- Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute Monsieur Lamielle de sa demande de requalification du contrat de franchise en contrat de gérant de succursale ; Dit que la Chambre sociale de la Cour d'appel de Nancy est incompétente pour connaître du litige ; Renvoie pour compétence au Tribunal de commerce de Paris au greffe duquel la présente procédure sera adressée ; Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Lamielle aux entiers dépens.