CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 12 mai 2010, n° 08-04076
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sodema (SARL)
Défendeur :
Prodim (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Calle
Conseillers :
Mmes Boissel Dombreval, Vallansan
Avoués :
SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Parrot Lechevallier Rousseau
Avocats :
SCP Brouard & Associés, SCP Leblond-Constantin
Vu l'arrêt de la présente cour du 23 novembre 2006 qui a annulé la sentence arbitrale du 28 novembre 2004;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2008 qui a déclaré non admis le pourvoi exercé contre ledit arrêt;
Vu l'article 1485 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Sodema après annulation en date du 12 février 2010 par lesquelles elle demande à la cour de déclarer caduc le contrat de franchise conclu entre elle et la société Prodim et d'annuler la clause de non-réaffiliation, de débouter la société Prodim de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et à 18 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Prodim du 18 janvier 2010, selon lesquelles elle demande à la cour de constater la responsabilité de la société Sodema dans la rupture du contrat de franchise et de condamner celle-ci à lui payer les sommes suivantes:
- au titre de la rupture fautive du contrat:
* à titre principal 133 476 euro (contrat non résilié valablement dans le délai contractuel),
* à titre subsidiaire 53 380,80 euro (contrat résilié à effet du 29 septembre 2001),
* à titre encore plus subsidiaire 26 930,40 euro (application de la clause pénale prévue à l'article 6 du contrat de franchise),
- au titre de l'indemnisation par équivalent de la clause de non-réaffiliation : 152 149,02 euro,
- au titre de l'indemnisation du préjudice commercial, l'atteinte à l'image, à la notoriété et à l'intégrité du réseau de la société Prodim : 80 000 euro,
- à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, une somme de 20 000 euro,
- sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile : 10 000 euro,
- les dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Attendu que le 28 septembre 1994, la société Sodema a conclu avec la société Prodim un contrat de franchise pour l'enseigne Shopi d'une durée de sept ans et un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans; qu'après avoir régulièrement dénoncé le non- renouvellement du contrat d'approvisionnement le 29 mars 1999, la société Sodema, dès le mois d'octobre 1999, a déposé l'enseigne Shopi pour apposer une enseigne concurrente; qu'après avoir assigné en référé la société Sodema en dépose de l'enseigne concurrente, la société Prodim a mis en œuvre la clause d'arbitrage afin qu'il soit statué au fond sur la rupture des relations entre les deux parties; qu'après deux premières vaines tentatives de constitution d'un tribunal arbitral, la société Prodim a obtenu, par sentence du 28 novembre 2004, la condamnation de la société Sodema à lui payer une indemnité de rupture; qu'entre temps, le franchisé avait dénoncé dans les délais contractuels le contrat de franchise; qu'après l'annulation de la sentence par un arrêt de la présente cour en date du 23 novembre 2006, après non admission du pourvoi par la Cour de cassation, il appartient à la cour, en application de l'article 1485 du Code de procédure civile, de statuer sur le fond, dans les limites de la saisine des arbitres;
Sur la résiliation du contrat de franchise:
Attendu que la société Prodim reproche à la société Sodema d'avoir abusivement résilié le contrat de franchise par anticipation, alors que la société Sodema soutient que le contrat de franchise était devenu caduc par la résiliation régulière du contrat d'approvisionnement;
Attendu qu'en cas d'indivisibilité de deux contrats, la résiliation de l'un emporte caducité de l'autre; que l'indivisibilité doit s'entendre de la situation dans laquelle se trouvent deux contrats, constituant une opération économique unique, dès lors que l'exécution de l'un devient impossible sans l'exécution de l'autre;
Attendu que si, en principe, un contrat d'approvisionnement peut être conclu indépendamment d'un contrat de franchise, c'est à la condition que les parties n'aient pas entendu, par les clauses des deux contrats, les lier l'un par rapport à l'autre;
Attendu en l'espèce, que les deux contrats ont été signés le même jour entre les mêmes parties; que l'article 2 du contrat précise que "le franchiseur a pour mission essentielle d'animer le réseau pour que soient assurées l'unité et l'homogénéité de celui-ci, le franchisé s'engageant en conséquence à respecter les normes générales techniques, administratives et commerciales qui lui sont fournies et qui constituent une condition essentielle du présent contrat"; qu'à cette fin, le franchiseur met à la disposition du franchisé " la fourniture et la mise à jour des tarifs de vente souhaitables d'appliquer dans ce type de magasin (article 231) " ; que cette stipulation doit être rapprochée de l'article 4 du contrat d'approvisionnement selon lequel " le client accepte les conditions tarifaires proposées par le fournisseur "; que ces deux articles ne peuvent être appliqués l'un sans considération de l'autre, la société Prodim proposant à la fois ses tarifs en qualité de fournisseur et de franchiseur;
Attendu qu'à l'article 242 du contrat de franchise concernant la publicité, il est indiqué que celle-ci concerne la notoriété de l'enseigne et des produits qui lui sont rattachés; que le contrôle par le franchiseur de la publicité suppose donc également que les produits distribués par le franchisé lui soient fournis par le franchiseur lui-même ou une autre société qu'il contrôle;
Attendu que l'article 25 du même contrat, complété par son article 312, tous deux relatifs à l'assortiment, imposent au franchisé de respecter la structure de l'assortiment minimum devant obligatoirement figurer dans le magasin pour assurer une image homogène des magasins de la franchise et concourir à leur performance; que cette clause permet de manière exceptionnelle au franchisé de compléter l'assortiment minimum en fonction de son " environnement propre ", ce qui suppose que pour l'assortiment général, il devra effectuer ses commandes auprès du fournisseur agréé par le franchiseur, c'est-à-dire en lui-même dans sa seconde qualité;
Attendu qu'il résulte donc de la lecture de ces différentes clauses que l'intention des parties, et en particulier la stratégie de la société Prodim, était de conditionner l'exécution du contrat de franchise par celle du contrat d'approvisionnement; que les deux contrats sont donc indivisibles;
Attendu que la société Prodim ne peut affirmer dans ses écritures que la conclusion des deux contrats n'a pas empêché son franchisé de quitter le réseau, alors que l'objet même du présent litige qui a noué un contentieux de dix années entre les parties est justement de faire sanctionner la société Sodema de ce chef;
Attendu que, dès lors qu'il n'est pas reproché à la société Sodema d'avoir régulièrement mis fin à ses relations contractuelles résultant du contrat d'approvisionnement, le terme de ce contrat emporte nécessairement la caducité du contrat de franchise à la date de l'arrivée du terme du premier contrat;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu de débouter la société Prodim de sa demande d'indemnité pour rupture abusive;
Sur la clause de non-réaffiliation:
Attendu que la clause de non-réaffiliation, selon le contenu même des écritures de la société Prodim, n'a vocation à s'appliquer qu'en cas de rupture fautive du contrat avant son terme par le franchisé; que la caducité du contrat ayant été constatée, il n'y a pas lieu de statuer sur la clause de non-réaffiliation;
Sur la clause pénale:
Attendu que la clause pénale de l'article 6 du contrat de franchise ne s'applique que dans le cas où l'accord est rompu; qu'elle n'a pas vocation à s'appliquer en cas de caducité du contrat; que la demande doit en conséquence être rejetée de ce chef;
Sur la procédure abusive:
Attendu que la société Sodema réclame une indemnité pour procédure abusive; que cependant, elle n'apporte aucune preuve de l'attitude déloyale de la société Prodim dans la défense de ses droits devant les différentes juridictions dont certaines lui ont donné satisfaction; qu'il y a lieu de constater que les deux premières procédures arbitrales n'ont pas abouti pour des raisons inhérentes à l'éventuelle partialité des arbitres successivement nommés par la société Sodema ou sur sa demande; que c'est la société Sodema qui a obtenu l'annulation de la sentence obtenue dans la troisième procédure arbitrale, pour un motif identique à celui qui lui était reproché par son adversaire dans les deux premières;
Attendu que se maintenir à tout prix sur un marché, y compris par des techniques déloyales qui privent les cocontractants de toute liberté, ne suffit pas à caractériser l'abus procédural; que la demande de la société Sodema sera en conséquence rejetée;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile :
Attendu que, succombant en sa demande, la société Prodim a contraint la société Sodema à exposer des frais irrépétibles dont le montant sera fixé à la somme de 10 000 euro;
Par ces motifs, - Déboute la société Prodim de toutes ses demandes; - La condamne à payer à la SARL Sodema la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes; - Condamne la société Prodim aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.