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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. A, 16 février 2010, n° 09-00945

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Berthier (SAS)

Défendeur :

Epilogue (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvet

Conseillers :

Mme Clozel-Truche, M. Maunier

Avoués :

Mes Barriquand, SCP Laffly-Wicky

Avocats :

Mes Minne, Trombetta

T. com. Lyon, du 21 nov. 2008

21 novembre 2008

Faits et procédure

La société Berthier, titulaire d'une licence de la marque Kenzo concernant la fabrication et la distribution de chaussures pour hommes, est entrée en relations commerciales avec la société Epilogue.

A l'automne 2005, la société Berthier a cessé de livrer la société Epilogue.

Par courrier du 20/10/2005, la société Epilogue a contesté cette mesure.

Par courrier en réponse du 09/11/2005, la société Berthier a confirmé le refus de livrer.

Par assignation délivrée le 02/06/2006, la société Epilogue a poursuivi en justice indemnisation du préjudice résultant pour elle de la rupture des relations commerciales. Par jugement du 10/02/2007, le Tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Béthune. Le jugement a été infirmé par arrêt de la cour de céans en date du 21/11/2008, qui a renvoyé l'affaire devant les premiers juges.

Par jugement du 21/11/2008, le Tribunal de commerce de Lyon a condamné la société Berthier à payer à la société Epilogue la somme de 75 349 euro en indemnisation de son préjudice de perte d'exploitation, outre une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté cette dernière de sa demande en indemnisation de son préjudice commercial.

La société Berthier a interjeté appel le 12/02/2009.

Aux termes de ses dernières conclusions, expressément visées par la cour, elle sollicite l'infirmation du jugement du 21/11/2008, le rejet des prétentions de la société Epilogue et l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en sa faveur.

Elle expose que:

- étant titulaire d'une licence Kenzo, elle est contrainte de respecter les préconisations de la marque concernant la qualité de ses points de vente, qui sont opposables à la société Epilogue ; toute livraison dans un point de vente non agréé pourrait entraîner la résiliation de son contrat de licence;

- jusqu'en 1995, la société Epilogue exploitait deux boutiques rue des Archers à Lyon, l'une de vêtements, l'autre de chaussures, séparées par une autre enseigne;

- par courrier en date du 11/06/2004, la société Kenzo Homme, qui fournissait à la société Epilogue les articles textile a notifié à celle-ci la fin de leurs relations commerciales à l'issue de la saison printemps/été 2006 en raison de la non-conformité du point de vente à ses conditions générales de vente et à ses recommandations, notamment quant aux conditions de présentation;

- la boutique chaussures étant indépendante, la société Berthier a continué à livrer la société Epilogue;

- à l'automne 2005, elle a découvert que cette dernière avait réuni ses activités chaussures et textiles dans le même lieu de vente, ce qui rendait impossible la poursuite des relations commerciales en l'absence d'agrément par Kenzo du point de vente textile.

En conséquence, elle se prévaut de la faute de la société Epilogue, qui justifie une résiliation sans préavis.

En deuxième lieu, elle fait valoir qu'il n'y a pas de rupture brutale, dès lors que la société Epilogue savait depuis juin 2004 qu'elle ne pouvait vendre de produits Kenzo à compter de la saison printemps/été 2006.

En troisième lieu, elle conteste le préjudice au titre d'une prétendue perte d'exploitation, et notamment le préavis prétendument normal d'une année retenu par le tribunal dans son calcul, et souligne que la société Epilogue a anticipé la rupture en passant une dernière commande plus importante, ce qui fait que l'année 2005 n'est pas du tout représentative (+ 30 % par rapport à 2004). Elle conteste également le coefficient marge brute/montant des achats de 0,8 % retenu par le tribunal, qui ne tient pas compte des variations de stocks, et qui corrigé en conséquence s'établit à seulement 0,65 %.

Elle conteste également le calcul de préjudice de la société Epilogue, notamment en ce qu'il se fonde sur le crédit du compte de la société Berthier dans ses livres au 31/12/2005, qui ne correspond pas au montant des achats de l'exercice, et ne prend pas en compte la variation des stocks, auquel est appliqué un coefficient arbitraire de 2,6 pour obtenir un chiffre d'affaires TTC sans aucun intérêt pour le calcul de marge. Elle relève que l'application du coefficient de 2,6 aboutirait à un chiffre d'affaires pour l'exercice 2005 de plus de 1 800 000 euro, supérieur de plus d'un tiers au chiffre d'affaires effectivement réalisé.

Elle relève que le chiffre d'affaires de la société Epilogue a sensiblement augmenté en 2006 (+ 17 %) et en 2007 (+ 11 %), et que celle-ci n'a donc subi aucun préjudice. Elle conteste de plus fort le prétendu préjudice complémentaire allégué.

Enfin, elle rappelle qu'en 2005, elle n'a fourni que 5 % des achats de la société Epilogue.

Aux termes de ses dernières écritures, la société Epilogue faisant appel incident, conclut à l'infirmation du jugement entrepris quant au montant du préjudice subi, et en conséquence à la condamnation de la société Berthier à lui payer :

- la somme de 219 373,36 euro au titre de ses pertes d'exploitation,

- la somme de 120 000 euro au titre de son préjudice commercial,

- une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle demande l'institution d'une expertise comptable pour la détermination des préjudices subis.

Elle rappelle que :

- depuis 1986 elle se fournit en chaussures Kenzo, et depuis 1993 auprès de la société Berthier;

- en 1995, elle a ouvert à proximité immédiate de sa boutique principale une boutique secondaire, qu'elle a destinée à la vente de chaussures et vêtements en cuir;

- en octobre 2005, elle s'est inquiétée des commandes de la saison printemps/été 2006 auprès de la société Berthier, qui a refusé de la fournir;

- par courrier du 20/10/2005, elle a contesté ce refus.

A l'appui de ses demandes, elle fait valoir que:

- il n'y a eu aucun préavis ; la société Berthier, société distincte de la société Kenzo Homme, ne pouvait se prévaloir de la rupture des relations commerciales entre celle-ci et la société concluante, qui de plus ne devait intervenir qu'à l'issue de la saison été/printemps 2006 ; en outre, cette rupture a été immédiatement contestée;

- la fourniture de chaussures Kenzo n'est nullement liée à la vente concomitante de prêt-à-porter de la même marque.

Elle évalue son préjudice sur la base du montant des achats effectués auprès de la société Berthier en 2005 qui se sont élevés à 81 990,80 euro HT, auquel elle applique un coefficient de 2,6, inférieur selon elle à la norme en matière d'articles de luxe, ce qui aboutit à un taux de marge de 1,35 se situant dans la fourchette basse dans de domaine d'activité.

Elle prétend à un préavis de deux années compte tenu de l'ancienneté des relations, et fixe ainsi son préjudice à la somme de 219 373,36 euro.

Elle fait état d'un préjudice complémentaire, qu'elle évalue à 120 000 euro, résultant de la privation de la possibilité de trouver un fournisseur de substitution et de négocier à des conditions satisfaisantes, de plus au moment où elle avait engagé des investissements considérables pour acquérir le droit au bail du local qui séparait ses deux boutiques et entreprendre des travaux d'embellissement, le tout pour un montant supérieur à un demi-million d'euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 05/01/2010.

Sur ce

En application de l'article L. 442-6-I du Code de commerce : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] 5° De rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale [...]. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."

En l'espèce, il est constant que la société Berthier en refusant à l'automne 2005 de prendre la commande de la société Epilogue pour la saison printemps/été 2006 a rompu brutalement sans préavis écrit la relation commerciale liant les deux sociétés.

Dans la lettre qu'elle a adressée à cette dernière le 09/11/2005, pour justifier son refus elle a soutenu que la cessation des relations commerciales avec la société Kenzo Homme s'appliquait à l'ensemble des produits de la marque et qu'en conséquence, elle ne pouvait plus comme licenciée de la marque vendre la chaussure. Cependant, la société Kenzo Homme a mis fin à sa relation commerciale avec la société Epilogue avec effet à l'issue de la saison printemps/été 2006 seulement. Cet élément ne pouvait donc justifier le refus de la société Berthier de prendre les commandes pour la dite saison.

En outre, la société Berthier ne justifie pas de ce que la cessation des relations commerciales de la société Epilogue avec la société Kenzo Homme s'appliquait à tous les produits de la marque, et cela ne ressort pas de la lettre de rupture du 11/06/2004. En conséquence, la réunion dans un avenir proche dans un même espace des lieux de vente de la société Epilogue ne pouvait pas non plus justifier la décision de la société Berthier, qui a engagé sa responsabilité en rompant brutalement la relation commerciale.

Compte-tenu de l'ancienneté de la relation, qui a débuté en 1993, sinon en 1986 si l'on considère que la société Berthier a succédé à la société Biderman Europe, la société Epilogue pouvait prétendre à un préavis de deux années, conforme à celui que la société Kenzo a respecté en 2004 quand elle a annoncé l'arrêt de fourniture des articles textile après la fin de la saison printemps/été 2006. Le jugement déféré a retenu un délai de deux années, mais avec un motif erroné, la disposition légale prévoyant le doublement du délai dans le cas de fourniture de produits sous marque de distributeur ne s'appliquant pas au cas d'espèce.

La société Epilogue est bien fondée à demander en réparation de son préjudice une indemnité égale à la perte de marge sur les ventes de chaussures Kenzo pendant la durée du préavis de deux années dont elle aurait dû bénéficier.

Le fait que pendant les exercices 2006 et 2007 elle a réalisé un chiffre d'affaires supérieur à celui qu'elle a réalisé en 2003, 2004 et 2005, ce qui ressort des fiches du site "manageo" versées aux débats par la société Berthier, n'est pas de nature à la priver de l'indemnisation dès lors que l'augmentation du chiffre d'affaires a pu résulter d'autres causes, et notamment de la réunion et de l'agrandissement de la surface de vente, et des efforts de la société Epilogue pour trouver rapidement un autre fournisseur d'articles de marque.

Le calcul de la marge brute s'effectuera sur la base des achats de l'année précédant la rupture. Selon les confirmations de commandes pour l'année 2005 produites par la société Epilogue, le montant de ses achats effectués auprès de la société Berthier pour les collections hiver 2005 et été 2005 s'est élevé respectivement à 18 340 euro et 28 752 euro soit au total à 47 093 euro. Le compte de la société Berthier dans les livres comptables de la société Epilogue, qui fait ressortir un solde créditeur du compte fournisseur d'un montant de 98 061,60 euro n'est pas probant, à partir du moment où il ne correspond pas au montant des achats du dernier exercice.

Les éléments au dossier ne permettent pas de savoir quelle est précisément la marge réalisée par la société Epilogue avec les chaussures Kenzo. Le calcul opéré par celle-ci, à partir du coefficient appliqué au prix d'achat pour déterminer le prix de vente au client, est aléatoire, et notamment ne prend pas en compte ni les soldes ni les remises. Par ailleurs, le taux de marge revendiqué de

"1 ,35 au bas mot" n'est étayé par aucune pièce comptable. Les premiers juges ont donc retenu à juste titre un taux de marge/achats de 0,80, calculé en rapportant le montant global des achats au chiffre d'affaires de la société Epilogue de l'année 2005.

La société Epilogue ne rapporte la preuve ni d'une perte de clientèle, contredite par l'augmentation de son chiffre d'affaires après la rupture, ni de ce qu'elle aurait procédé à des aménagements et des investissements spécifiquement destinés à la vente des produits Kenzo. La demande en indemnisation de son préjudice commercial n'est donc pas justifiée.

Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Il n'y a pas lieu d'allouer à la société intimée une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Berthier aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.