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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 10 novembre 2010, n° 09-02791

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Guiot (SARL)

Défendeur :

Idéal France (SAS), Dudule (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Conseillers :

MM. Legras, Bancal

Avoués :

SCP Michel Puybaraud, SCP Rivel & Combeaud

Avocats :

Mes Vince, Rineau, Trassard

T. com. Libourne, du 16 sept. 2003

16 septembre 2003

La SAS Idéal France et la SARL Dudule, appartenant au même groupe et ayant leur siège à Saint-Médard-de-Guizières (33), distribuaient depuis 1985 pour la première et depuis 1999 pour la seconde les produits pour la pêche de loisir de la SARL Guiot, de Saint-Colomban (44), vendus sous la marque " La Sirène " auprès des grandes surfaces. Elles bénéficiaient d'une remise commerciale de 30 % sur tout le tarif grossiste.

Le 19 septembre 2001 la SARL Guiot informait la SAS Idéal France de deux modifications concernant la distribution de ses produits: la suppression de la remise sur le tarif et l'indication à simple titre indicatif du délai de livraison.

Auparavant et par courrier LRAR du 26 septembre 2001 la SAS Idéal France s'étonnait auprès de la SARL Guiot de ce que celle-ci ait entrepris de distribuer directement ses produits auprès de ses clients. Le 7 novembre 2001 elle qualifiait la modification de tarifs et des conditions de vente de rupture des relations commerciales et demandait un dédommagement.

Par acte du 23 mars 2003 la SAS Idéal France et la SARL Dudule faisaient assigner la SARL Guiot devant le Tribunal de commerce de Libourne aux fins, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de la voir condamner à payer à la première la somme de 270 530,22 euro et à la seconde la somme de 82 492,51 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices commercial et d'image.

La SARL Guiot ayant soulevé in limine litis l'incompétence du Tribunal de commerce de Libourne au profit de celui de Nantes le tribunal saisi, par un premier jugement du 16 septembre 2003, se déclarait incompétent et renvoyait la procédure à Nantes, à quoi il était formé contredit. La cour de céans confirmait ce jugement par un arrêt du 23 janvier 2007. Sur pourvoi la Cour de cassation par un arrêt du 6 février 2007 cassait l'arrêt de Bordeaux et renvoyait l'affaire devant la Cour d'appel d'Agen qui, par arrêt du 6 février 2008, infirmait le jugement du 16 septembre 2003. L'affaire étant revenue à Libourne sur ses précédents errements la SARL Guiot concluait au sursis à statuer sur le préjudice dans l'attente du dépôt par les demanderesses de leurs comptes sociaux et subsidiairement à leur débouté.

Par jugement du 3 avril 2009 le tribunal a débouté la SARL Guiot de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la SAS Idéal France et à la SARL Dudule les sommes réclamées au titre de leur préjudice pour rupture des relations commerciales outre une somme de 5 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du CPC.

La SARL Guiot a interjeté appel de ce jugement le 15 mai 2009. Elle a conclu en dernier lieu le 19 mars 2010 à l'infirmation et au débouté des intimées de toutes leurs demandes avec leur condamnation à lui payer 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC.

La SAS Idéal France et la SARL Dudule, intimées, ont conclu en dernier lieu le 20 mai 2010 à la confirmation intégrale du jugement et à la condamnation de l'appelante à leur payer 5 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du CPC.

Motifs et décision

Attendu que l'action des sociétés Idéal France et Dudule est fondée sur l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce qui dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Attendu que l'ancienneté des relations commerciales entre la SARL Guiot en qualité de fournisseur et les sociétés intimées est largement établie, celles-ci ayant commencé en 1985 pour Idéal France et en 1999 pour Dudule alors rachetée par la première;

Attendu que l'importance du chiffre d'affaires généré par ces relations commerciales par rapport au chiffre d'affaires global de ces sociétés est à prendre en considération au stade de l'évaluation du préjudice et par ailleurs les raisons que la SARL Guiot expose pour justifier sa décision de modifier ses conditions de vente en septembre 2001, soit la baisse constante de ce chiffre d'affaires depuis le rachat indirect par Idéal France de Dudule qui s'avérait être un concurrent en tant que fabricant d'amorces en sorte que les volumes de vente à ces deux sociétés ne justifiaient plus le maintien de conditions préférentielles, n'ont qu'un intérêt historique dès lors que ce qui est reproché et constitutif de faute n'est pas cette " réorganisation de sa stratégie de distribution " mais la brutalité de la rupture des relations commerciales ainsi constituée;

Que de la même manière le rappel par l'appelante du principe de la liberté des prix et de la concurrence posé par l'article L. 410-2 du Code de commerce de même que la légitimité d'une augmentation mesurée de tarif pratiquée chaque année de même que l'absence en l'espèce d'accord d'exclusivité ou de contrat de distribution sont sans réelle portée sur la solution du litige;

Que la brutalité de la rupture de relations commerciales établies résulte de l'absence d'un préavis écrit sans que cette rupture doive être subordonnée à un motif légitime sauf cas, ici non invoqué, d'inexécution de ses obligations contractuelles par l'autre partie ou de force majeure;

Attendu qu'à juste titre les premiers juges ont retenu que l'augmentation automatique des prix de la SARL Guiot dépassant 30 % en moyenne du seul fait de la suppression de la remise s'ajoutant à l'augmentation annuelle des prix et le caractère désormais incertain des délais de livraison par la mention à titre seulement indicatif du délai de livraison ne pouvant engager sa responsabilité au lieu de la mention "à lettre lue qu'importe la saison" étaient constitutifs d'une rupture au moins partielle des relations commerciales;

Attendu, sur son caractère brusque, qu'il est constant qu'aucun préavis n'a été prévu, le nouveau tarif étant immédiatement applicable au 1er octobre 2001 et l'explication de l'appelante selon laquelle elle avait tenu compte du cycle saisonnier de l'activité de vente de matériel de pêche qui couvre une période de juin à septembre de chaque année moyennant quoi les sociétés intimées auraient disposé en pratique de plusieurs mois pour réorganiser leurs approvisionnements si elles le souhaitaient ne peut être admise;

Qu'il convient en effet de prendre en compte la spécificité de l'activité de fournisseurs de grandes surfaces commerciales des sociétés Idéal France et Dudule qui doivent négocier avec celles-ci les référencements de leurs produits d'une année sur l'autre;

Que c'est ainsi à raison que le tribunal a fixé à une année civile le délai de prévenance qui aurait dû s'imposer en l'espèce;

Attendu, sur le préjudice qui est celui découlant du caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même, qu'il doit être tenu compte de la durée du préavis qui aurait dû être respecté et des conséquences dommageables résultant de l'absence de préavis en gain manqué et perte prouvée, l'évaluation devant être appréciée au regard de la marge bénéficiaire brute que les sociétés intimées auraient été en droit d'escompter en l'absence de rupture des relations commerciales;

Qu'en l'espèce le préjudice a logiquement été apprécié à partir des chiffres d'affaires réalisés avec la SARL Guiot au cours de l'exercice précédent la rupture et les montants de ces chiffres d'affaires de même que les marges brutes pratiquées ressortent des attestations des experts-comptables des sociétés intimées et ne sont pas utilement contestés;

Attendu que la remarque de l'appelante selon laquelle Idéal France a eu la faculté de compenser la perte des produits " La Sirène " en se fournissant en amorces auprès de Dudule est contradictoire avec sa revendication de la spécificité des amorces de sa marque et en particulier de son produit " phare " X21 GM concours sans perdre également de vue qu'un changement du produit offert à la clientèle est toujours hasardeux surtout dans ce type de produits;

Attendu enfin que l'évocation par l'appelante de la commercialisation par les intimées d'un produit directement concurrent et plagiant son produit phare en 2003 est à l'évidence sans portée sur le litige qui se situe en 2001;

Attendu en conséquence que l'appelante sera déboutée et le jugement déféré confirmé;

Que la somme accordée par les premiers juges sur le fondement de l'article 700 du CPC aux demanderesses est de nature à couvrir l'ensemble des débours exposés au cours des deux instances.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement; Déboute la SARL Guiot de toutes ses demandes; Dit n'y avoir lieu de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du CPC ; Condamne la SARL Guiot aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avoués Rivel & Combeaud.