CA Chambéry, ch. com., 8 juillet 2010, n° 09-01911
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sandvik Mining and Construction Lyon (SAS)
Défendeur :
Akros (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Robert
Conseillers :
MM. Greiner, Morel
Avoués :
SCP Dormeval-Puig, SCP Fillard Cochet-Barbuat
Avocats :
Me Roussat, Selarl Cochet
Faits et procédure
Depuis décembre 1999 la société Akros était en relation avec la société Sandvik Mining and Construction Lyon, qui lui confiait en sous-traitance des opérations de montage de machines destinées à l'exploitation minière. Par courrier recommandé du 25/11/2008 la société Sandvik a informé la société Akros de sa décision de mettre, sans préavis, un terme à leurs relations commerciales, au motif qu'elle venait brutalement de subir de nombreuses annulations de commandes et que les prévisions pour 2009 étaient alarmistes.
Par lettre recommandée du 26/11/2008, la société Akros a fait valoir que cette brusque rupture était contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et qu'elle était en droit de réclamer l'indemnisation de ses préjudices.
C'est ainsi que par acte du 05/01/2009, la société Akros a assigné la société Sandvik devant le Tribunal de commerce de Chambéry pour la voir condamnée à lui payer la somme de 956 000 euro à titre de dommages et intérêts. La société Sandvik a contesté cette demande en faisant valoir que le caractère imprévisible et irrésistible de la chute de son carnet de commandes était constitutif d'un cas de force majeure l'exonérant de toute obligation envers la société Akros et qu'en tout état de cause, le préjudice allégué n'était pas justifié.
Par jugement du 24/07/2009 le tribunal a:
- dit que la société Sandvik n'avait pas respecté le préavis relevant des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- condamné la société Sandvik à payer à la société Akros la somme de 348 900 euro à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 24/07/2009, ainsi que la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision sous réserve que la société Akros fournisse une caution bancaire d'un montant de 350 000 euro.
Le tribunal a relevé que, jusqu'au reçu du courrier du 25/11/2008, les relations des parties se déroulaient en confiance et bonne intelligence et que rien ne permettait à la société Akros d'imaginer un arrêt total des commandes, bien au contraire, les derniers échanges entre les parties induisant de sa part une amélioration de l'organisation de sa production et une adaptation de ses moyens aux fins de répondre à une demande accrue de la société Sandvik.
Il en a déduit que la rupture présentait un caractère de surprenante brutalité.
Il a estimé ensuite que l'existence d'un cas de force majeure n'était pas établi, la crise financière mondiale étant progressivement apparue dès 2007, ses effets s'étant fait ressentir dès mars 2008 dans certaines productions de Sandvik, et cette dernière ne justifiant pas des annulations de commande qu'elle alléguait, alors qu'il lui appartenait de permettre à la société Akros d'ajuster progressivement son potentiel de production à la régression de la demande et de satisfaire ainsi à son obligation de préavis.
Sur le préjudice, les premiers juges ont retenu, sur la base d'un préavis de un an et en fonction du nombre de machines qu'Akros aurait pu réaliser pendant cette période, la somme de 328 900 euro, correspondant à la perte de marge brute.
Par déclaration reçue au greffe le 24/08/2009, la société Sandvik a relevé appel de cette décision.
La clôture de la mise en état a été fixée au 07/06/2010.
Prétentions et moyens des parties
La société Sandvik Mining and Construction Lyon demande à la cour:
- de réformer le jugement entrepris,
- de débouter la société Akros de toutes ses demandes,
- de la condamner à lui verser la somme de 5 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,
- subsidiairement, de limiter le préjudice à la somme de 40 950 euro ou, en tout état de cause, à la somme de 131 625 euro.
Elle fait valoir que l'annulation brutale et massive, à partir du 20/09/2008 et à la suite d'un retournement soudain de conjoncture, des commandes des machines destinées à l'Amérique latine, dont l'assemblage était habituellement sous-traité à Akros, a constitué, de par son imprévisibilité et son irrésistibilité un cas de force majeure justifiant la résiliation sans préavis de la relation commerciale.
Subsidiairement, bien que d'accord sur la durée de un an attachée au préavis, elle conteste le nombre de machines retenues par le tribunal pour chiffrer le préjudice ainsi que le mode de calcul de la marge brute.
La société Akros demande à la cour:
- de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le caractère fautif de la rupture,
- de le réformer en ce qui concerne le montant de son préjudice et de condamner la société Sandvik à lui payer la somme de 956 000 euro, avec intérêts de droit dès le jour de l'arrêt à intervenir,
- de la condamner à lui payer la somme de 8 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- subsidiairement, si une expertise était ordonnée, de dire que l'expert comptable devra calculer le préjudice en tenant compte du chiffre d'affaires réalisé avant la rupture des relations contractuelles et, dans cette hypothèse, de condamner la société Sandvik à lui verser une provision de 700 000 euro.
Elle rappelle que depuis 1999 ses relations commerciales avec la société Sandvik s'étaient largement développées et que, peu de temps avant la rupture, il était question d'une augmentation du nombre de machines à traiter.
Elle soutient que la société Sandvik a engagé sa responsabilité au regard des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dès lors qu'elle n'a respecté aucun délai de préavis et qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un cas de force majeure.
Elle ajoute que la preuve des annulations de commande n'est pas rapportée, puisqu'elles émanent des sociétés du Groupe Sandvik et non des acheteurs des machines.
En ce qui concerne son préjudice, elle soutient qu'il a été minoré par le tribunal, le chiffre d'affaire à prendre pour base étant celui réalisé avant la rupture et non celui qui aurait été réalisé si la relation s'était poursuivie.
Motifs
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, que, sauf cas de force majeure justifiant l'absence de préavis, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords professionnels;
I. Sur la rupture sans préavis
Attendu qu'il ressort des productions que, depuis la fin 1999, les parties entretenaient une relation commerciale soutenue et en progression, le nombre de machines dont l'assemblage était sous-traité par la société Sandvik à la société Akros étant passé de 41 en 2000 à 107 au 10/12/2008 et les chiffres d'affaires corrélatifs de 557 000 euro à 2 727 420 euro;
Que les échanges de mails intervenus entre elles d'août à octobre 2008 laissaient encore présager un accroissement de la demande future;
Attendu qu'en cet état, le courrier recommandé du 25/11/2008, dans lequel la société Sandvik a annoncé à la société Akros qu'elle mettait un terme à leur collaboration dès l'achèvement des encours, constitue, à l'évidence, une rupture inattendue et brutale de la relation commerciale établie;
Attendu que la société Sandvik tente de justifier cette absence de préavis par un cas de force majeure résultant de la crise économique mondiale et de l'annulation soudaine des commandes;
Mais attendu que la survenance de la crise, qui s'est progressivement installée depuis 2007 et qui avait entraîné, dès le mois de mars 2008, une baisse du cours des matières premières minières, ne peut être qualifiée d'imprévisible, de même que la baisse ou l'annulation des commandes qui n'en sont que la conséquence; Qu'en outre, l'annulation massive des commandes à partir de la fin septembre 2009, dont se prévaut la société Sandvik, ne présente pas non plus le caractère d'extériorité, constitutif de la force majeure, puisqu'il s'agit de décisions internes, anticipatives, provenant de sociétés de son groupe et non d'annulations émanant des clients finaux;
Attendu que cette rupture sans préavis engage donc la responsabilité de la société Sandvik;
Il. Sur la réparation du préjudice
Attendu que les parties sont concordantes pour fixer à une année la durée du délai de préavis dû à la société Akros en application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce;
Attendu que seul le préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture est indemnisable;
Qu'il doit être apprécié en fonction de la marge bénéficiaire brute à laquelle l'intéressée aurait pu prétendre pendant la durée du préavis, ainsi que de tous autres dommages ayant directement et certainement résulté pour elle de la cessation brutale de la relation commerciale établie;
Attendu, s'agissant de la perte de marge brute, qu'il convient de déterminer le nombre de machines Akros aurait traitées pendant le délai de préavis, étant observé que, compte tenu de la poursuite de la dégradation des conditions économiques en 2009, la société Akros ne peut valablement soutenir que ce chef de préjudice devrait être évalué en fonction de l'activité des années précédentes;
Attendu qu'il ressort des productions et notamment des termes d'un mail adressé par Sandvik à Akros le 03/08/2007 que la part de sous-traitance dévolue à cette société était de l'ordre de 30 % du nombre total de machines vendues par Sandvik;
Attendu que la société Akros ne conteste pas l'indication de Sandvik selon laquelle elle a vendu en 2009 seulement 95 machines, chiffre au demeurant compatible avec la situation de crise;
Qu'il s'en suit que le nombre de machines qui auraient été sous-traitées à Akros pendant la durée de préavis doit être fixé à 29;
Attendu que le commissaire aux comptes de la société Akros atteste que le nombre d'heures facturées par machine était de 609, que le prix de vente de l'heure était de 39 euro et son prix de revient, de 24,70 euro;
Que la société Sandvik ne produit strictement aucun élément de nature à remettre en cause ces indications;
Qu'il y a donc lieu de les retenir;
Attendu que la perte de marge brute subie par la société Akros se monte, par conséquent, à la somme de 29 x 609 x (39 - 24,70) = 252 552,30 euro;
Attendu que le commissaire aux comptes atteste également que la société Akros a dû supporter en novembre et décembre les coûts des intérimaires ou des prestataires encore sous contrat alors qu'elle n'avait plus de travail à leur fournir, du fait de la rupture des relations avec Sandvik soit une perte de 38 248 euro, suivant le document annexé relatif à l'écart, par personne, entre les heures payées et les heures affectées aux productions Sandvik;
Attendu qu'il s'agit d'un préjudice distinct de la perte de marge et résultant directement et certainement de la brutale rupture de la relation commerciale;
Que, Sandvik ne fournit aucun élément de nature à remettre en cause sa réalité et son montant;
Qu'il y a donc lieu de le retenir;
Attendu qu'il ressort également de l'attestation établie par l'expert comptable que la cessation des relations avec Sandvik a entraîné le licenciement de deux salariés, soit une coût total de 82 427,46 euro à la charge d'Akros;
Mais attendu que, comme l'ont justement relevé les premiers juges, ces licenciements étaient, en tout état, inéluctables à l'issue du délai de préavis, de sorte qu'il n'y pas lieu de faire droit à ce chef de demande;
Attendu, en définitive, qu'il convient de condamner la société Sandvik à payer à la société Akros, à titre de dommages et intérêts, la somme totale de 252 552,30 euro + 38 248 euro = 290 800,30 euro, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt;
Attendu, par conséquent, que le jugement entrepris sera confirmé, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la société Akros;
Attendu, chaque partie ayant partiellement succombé dans ses prétentions devant la cour, qu'il n'y a pas lieu, en cause d'appel, de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et que les dépens d'appel seront partagés par moitié entre elles;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la société Akros, Statuant à nouveau, Condamne la société Sandvik à payer à la société Akros, à titre de dommages et intérêts, la somme de 290 800,30 euro, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, Rejette les autres demandes, Partage les dépens d'appel par moitié entre les parties, dont distraction au profit des avoués de la cause.