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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. A, 9 février 2010, n° 09-02020

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Square (SA)

Défendeur :

Salomon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvet

Conseillers :

Mme Clozel-Truche, M. Maunier

Avoués :

SCP Brondel-Tudela, SCP Baufume-Sourbe

Avocats :

Mes Vahramian, Selurl Cochet

T. com. Lyon, du 11 mars 2009

11 mars 2009

Faits et procédure

En octobre 2007, la société Salomon a mis fin aux relations commerciales entretenues depuis 2003 avec la société Square, agence de production graphique.

Par assignation délivrée le 16/04/2008, la société Square a poursuivi en justice l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de la rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 11/03/2009, le Tribunal de commerce de Lyon l'a déboutée de ses demandes et alloué une indemnité pour frais d'instance hors dépens à la société Salomon.

Elle a interjeté appel le 30/03/2009.

Aux termes de ses dernières conclusions, expressément visées par la cour, elle sollicite l'infirmation du jugement du 11/03/2009, et la condamnation de la société Salomon à lui payer:

- la somme de 46 090 euro au titre de la rupture brutale des relations commerciales

- la somme de 88 904,11 euro à titre de dommages-intérêts pour les investissements informatiques réalisés une indemnité pour frais d'instance.

Elle expose que:

• en 2003, elle s'est vu confier par la société Salomon la réalisation de catalogues et brochures pour les produits "cyclisme" commercialisés sous la marque Adidas Cycling par sa division Mavic;

• chaque année elle a réalisé deux catalogues, traduits en quatre langues, destinés aux détaillants (automne/hiver et printemps/été), et un catalogue consommateurs, sa prestation s'étendant à toutes les phases depuis la création jusqu'à la livraison;

• ponctuellement, elle réalisait des posters, des fiches techniques, des fiches PLV (publicité sur le lieu de vente, des annonces, des flyers...);

• elle n'a plus reçu de commande de la société Salomon après le 29/06/2007;

• sur son insistance, par courrier du 18/10/2007, celle-ci lui a annoncé qu'elle ne lui passerait plus de nouvelles commandes pour les années à venir.

Elle indique que la commande en juin 2007 d'un seul catalogue professionnel pour l'année 2008, au lieu de deux les années précédentes, ne pouvait en rien lui laisser présager un arrêt des relations commerciales, et en tout cas ne pouvait constituer un préavis écrit en bonne et due forme.

Elle chiffre son préjudice au titre de la rupture brutale sur la base d'un préavis de six mois, rapporté au chiffre d'affaires moyen des années 2005 et 2006, compte tenu d'une marge brute moyenne de 83,3 %. Elle y ajoute le remboursement des investissements informatiques réalisés en 2007 pour satisfaire les commandes de Salomon et optimiser le flux de production éditoriale.

Dans ses dernières conclusions, expressément visées par la cour, la société Salomon demande la confirmation du jugement querellé et l'allocation d'une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle indique avoir passé commande à la société Square pour chacune des années 2005, 2006 et 2007, et par contrats distincts, signés habituellement en juin et en décembre, de deux catalogues professionnels saisonniers, et d'une brochure consommateurs annuelle, et pour l'année 2008, par contrat du 20/03/2007, d'un seul catalogue professionnel annuel et d'une brochure consommateurs.

Elle conteste l'existence de relations commerciales établies entre les deux. Elle ajoute qu'à supposer une relation établie, elle a parfaitement respecté le délai de préavis, qu'elle estime à quatre mois, en adressant le 18/10/2007 à la société Square une lettre de notification officielle de rupture. Elle relève que le chiffre d'affaires réalisé par la société Square en 2007 a été identique au chiffre d'affaires 2006. Elle estime que la commande d'un catalogue unique pour l'année 2008 aurait dû alerter cette dernière sur la fin des relations commerciales entres les deux sociétés.

Elle conteste l'affirmation de la société Square selon laquelle les travaux auraient été exécutés avant la signature des contrats.

En tout état de cause, elle conteste les sommes réclamées, en rien justifiées.

Sur ce,

En application de l'article L. 442-6-I du Code de commerce:

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers [...] 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords professionnels [...]". En l'absence d'accords professionnels, la durée du préavis doit être déterminée en prenant en considération, outre l'ancienneté des relations commerciales, les investissements effectués par le prestataire au profit du donneur d'ordre et l'état de dépendance du premier par rapport au second.

En l'espèce, il est constant qu'à compter de 2003, chaque année, la société Salomon a passé à la société Square deux commandes de catalogues professionnels et une commande d'une brochure consommateurs, auxquelles se sont ajoutées des commandes diverses pour des montants, selon les factures versées aux débats, de plus de 50 000 euro en 2004, de plus de 100 000 euro en 2005 et de près de 20 000 euro en 2006. Ces éléments démontrent l'existence de relations commerciales établies entre les deux sociétés.

La société Salomon n'explique pas en quoi le fait d'avoir en juin 2007 passé commande d'un seul catalogue professionnel pour les deux saisons de l'année 2008, aurait dû alerter la société Square sur la fin programmée des relations commerciales.

La rupture est intervenue sans préavis fin juin 2007, quand la société Salomon, qui n'avait plus passé de commandes ponctuelles depuis le mois de janvier, a passé sa dernière commande à la société Square, la lettre du 18/10/2007 n'ayant été qu'une confirmation de la rupture.

Compte tenu de la relative brièveté de la relation commerciale, qui n'existait que depuis 2003, et en l'absence d'allégation d'un état de dépendance de la société Square par rapport à la société Salomon, la durée du préavis que celle-ci aurait dû donner peut être fixée à trois mois.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la société Square de ses demandes.

Le préjudice résultant de la rupture brutale est représenté par la perte de marge sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé avec la société Salomon pendant la durée du préavis, mais en retenant que le catalogue de la saison automne-hiver 2008, joint au catalogue printemps-été 2008, a été commandé en juin 2007 et que la prestation correspondante n'a donc pas été perdue par la société Square.

Compte tenu de la baisse des commandes ponctuelles en 2006, qui, selon les factures versées aux débats, se sont élevées à 19 970,65 euro, au lieu de 107 088,44 euro en 2005, et de leur arrêt après le 31/01/2007, où deux factures seulement ont été émises d'un montant respectivement 3528,20 euro et 358,20 euro, le préjudice de la société Square, nécessairement limité, sera fixé à la somme de 12 000 euro.

Il ne saurait inclure le coût de l'investissement informatique réalisé par la société Square pendant cette période, dont rien n'établit qu'il n'était destiné qu'aux prestations réalisées pour le compte de la société Salomon.

Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de la société appelante.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, Condamne la société Salomon à payer à la société Square la somme de 12 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, Déboute la société Square du surplus de sa demande, Condamne la société Salomon à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Salomon aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.