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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 24 novembre 2010, n° 09-00853

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

EPB (SAS), Saito

Défendeur :

La Redoute (SA), Sofraco (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avoués :

Me Olivier, Teytaud, Huyghe

Avocats :

Mes Lagarde, Casalonga, Bertrand

TGI Paris, 3e ch. sect. 3, du 3 déc. 200…

3 décembre 2008

Vu le jugement contradictoire du 3 décembre 2008 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris (3e chambre 3e section),

Vu l'appel interjeté le 13 janvier 2009 par la société EPB SAS, exerçant sous le nom commercial " La Chaise Longue ", et Naomi Saito,

Vu l'assignation du 20 mars 2009 afin d'appel provoqué et en garantie de la société La Redoute, intimée, à l'encontre de la société Sofraco, dénoncée aux appelantes le 14 avril 2009,

Vu les dernières conclusions du 13 septembre 2010 des appelantes,

Vu les dernières conclusions du 15 juin 2010 de :

- la société La Redoute, intimée et incidemment appelante,

- la société Sofraco intimée provoquée,

Vu l'ordonnance de clôture du 28 septembre 2010,

Vu la note d'audience du 6 octobre 2010, et les courriers y faisant suite du 11 octobre 2010 des avoués de la société Sofraco et des appelantes,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société EPB, exerçant son activité sous la dénomination " La Chaise Longue " (ci-après dite EPB) revendique des droits d'exploitation d'auteur sur des modèles de mini-poêle créés pour son compte par Naomi Saito, et reproche à la société La Redoute de proposer à la vente sur son site Internet des mini-poêles reproduisant, selon elle, les caractéristiques des modèles originaux ; qu'elle, a, avec Naomi Saito, fait assigner le 5 août 2008 cette société à jour fixe devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et en concurrence déloyale, et la société La Redoute a fait assigner à jour fixe la société Sofraco en garantie le 5 septembre 2008 ;

Considérant que les premiers juges ont, suivant jugement dont appel, essentiellement :

- dit que les modèles de poêle " coeur, étoile, fleur " ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur et rejeté les demandes en contrefaçon de ce chef,

- dit que les modèles de poêle " ours, cochon, grenouille " sont protégeables au titre du droit d'auteur et que la société La Redoute a commis des actes de contrefaçon, condamnant celle-ci à payer à Naomi Saito 3 000 euro en réparation de l'atteinte à son droit de paternité et à la société EPB 15 000 euro en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux,

- dit que la société La Redoute a commis des actes de concurrence déloyale et condamné celle-ci à payer à la société EPB 10 000 euro en réparation de ces actes,

- prononcé des mesures d'interdiction et de retrait aux fins de destruction,

- dit que la société Sofraco garantira la société La Redoute des condamnations prononcées du chef de la contrefaçon à hauteur de 50 % sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Sur le droit d'auteur

Considérant qu'il n'est pas contesté que Naomi Saito a dessiné 3 modèles distincts de mini-poêles en forme de coeur, d'étoile et de fleur en 1996 et trois autres modèles en forme de cochon, de grenouille et d'ours en 2002, ni que la société EPB diffuse et commercialise depuis ces modèles;

Considérant que le litige porte sur l'originalité de ces modèles, le principe de la protection d'une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une œuvre originale n'étant pas discuté;

Que les appelantes, soutiennent, sans prétendre s'approprier le monopole de l'idée d'embosser des poêles ou d'un type de poêle comportant des motifs, que l'originalité des mini-poêles en cause procède de la combinaison des éléments caractéristiques suivants :

"concernant les poêles « coeur », « fleur » et «étoile» :

- un récipient rond à bords bas en acier inoxydable au fond duquel est moulé un motif stylisé de coeur, de fleur, ou d'étoile,

- ces mêmes traits apparaissent sur la face arrière du récipient,

- le récipient est relié à un manche en plastique troué à son extrémité par un coude en métal fixé par deux rivets",

"concernant les poêles « ours », « cochon » et « grenouille » :

- un récipient aux bords repliés et arrondis dont la forme suit les contours d'une tête ronde avec deux courtes oreilles,

- dans le fond du récipient, sont moulés les traits stylisés du visage souriant d'un ours, d'un cochon ou d'une grenouille,

- ces mêmes traits apparaissent sur la face arrière du récipient,

- le récipient est relié à un manche en plastique troué à son extrémité par un coude en métal fixé par deux rivets'e ;

Qu'il sera rappelé que seule une création de forme est susceptible de protection et que si l'appréciation de l'originalité doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments du modèle et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, la combinaison telle que revendiquée doit conférer à ce modèle une physionomie propre qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ;

Que certes les pièces produites par la société La Redoute en langue étrangère sans traduction ou ne mentionnant pas de date de diffusion (ou de création) préexistante aux modèles revendiqués sont inopérantes ; que de même les documents produits par la société Sofraco pour établir une commercialisation en 2001 de la gamme de mini-poêles « ours », « cochon » et « grenouille » ne s'avèrent pas présenter un caractère probant suffisant pour être retenus ;

Considérant qu'il n'est toutefois pas sérieusement contesté qu'une forme de coeur a été représentée, pour des poêles rondes comprenant un manche troué à son extrémité, en 1989 dans quatre compartiments distincts et dans un modèle déposé en 1993 comme motif unique du fond du récipient ; qu'il est par ailleurs démontré qu'un ouvrage destiné à la jeunesse dont la première édition date d'octobre 2001 présente, en particulier, une tête de cochon stylisée ;

Considérant que le simple fait qu'il ne soit pas justifié de la préexistence de combinaisons identiques à celles revendiquées ne suffit pas à établir que celles-ci reflètent significativement la personnalité de leur auteur ;

Que s'agissant des mini-poêles « coeur », « fleur » et «étoile», indépendamment de l'idée non protégeable de donner à un aliment une forme esthétique appartenant au fond commun de l'univers de la cuisine ou des dessins stylisés, il ne peut être admis que le choix banal d'embosser un motif d'un graphisme banal de coeur, ou d'étoile à cinq branches, ou du contour ondulé d'une fleur, dans un récipient usuellement rond et apparaissant sur sa face arrière, associé à un manche ne présentant aucune particularité distinctive dans le domaine relié par un système d'attache coudé fixé par deux rivets, traduit un réel effort créatif au sens du droit d'auteur ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes de contrefaçon de ces poêles comme ne pouvant bénéficier de la protection du droit d'auteur ;

Que s'agissant des mini-poêles « ours », « cochon » et « grenouille », les premiers juges ont, par des motifs pertinents, retenu que les dessins stylisés reproduits n'étaient pas en eux-mêmes originaux ; qu'ils donnent en effet à voir des formes familières et connues permettant de représenter simplement ces animaux ; que leur reproduction tant dans le fond que sur l'arrière de la poêle, le pourtour de celle-ci comportant deux décrochements arrondis pour la représentation des oreilles de l'ours ou du cochon et des yeux proéminents caractéristiques de la grenouille, ne saurait suffire à donner à l'association de ces éléments, avec un manche banal relié par le système coudé précédemment décrit, un caractère protégeable au titre du droit d'auteur ; que si la combinaison revendiquée examinée par la cour renvoie incontestablement à un genre d'ustensile de cuisine ludique de nature à séduire des enfants, et procède de choix arbitraires il ne peut en effet être admis qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur en témoignant d'une activité créatrice certaine, même limitée ; que la décision entreprise sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a retenu que ces poêles sont protégeables au titre du droit d'auteur, condamné la société LA REDOUTE pour contrefaçon de droits d'auteur et la société SOFRACO à garantir (pour partie) cette dernière de ce chef ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que les appelantes reprochent à la société La Redoute des actes de concurrence déloyale et parasitaire à raison d'une commercialisation à un prix inférieur de copies serviles et de moindre qualité de deux séries de trois mini poêles, créant un effet de gamme, fautes distinctes des actes de contrefaçon invoqués ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que le prix pratiqué par la société La Redoute, même notablement inférieur à celui d'EPB, serait vil, ni que la société La Redoute réaliserait ses ventes à perte ; qu'il ne peut dès lors être imputé à faute à cette dernière la fixation de son prix de vente ;

Considérant par contre que la comparaison des modèles commercialisés par les sociétés EPB et La Redoute démontre une reprise servile ou quasi servile de l'aspect global des deux séries de mini-poêles exploitées par la société EPB, qui ne saurait être contredite par des différences de détail pour la série « coeur », « fleur » et «étoile» tenant au remplacement au centre du motif d'un cercle par une représentation, dans une taille comparable, de la forme concernée ; que la commercialisation de séries similaires, même si elle ne concerne pas l'intégralité des produits de la gamme, est de nature à créer un risque de confusion avec les produits exploités par la société EPB dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé, et génère nécessairement un trouble commercial ;

Considérant que ce choix de commercialisation préjudiciable démontre de la part d'un professionnel de la distribution d'ampleur significative une volonté délibérée de s'inscrire dans le sillage de la société EPB pour tirer indûment profit de ses diffusions, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles ont connu du succès auprès du public, même si la société La Redoute n'admet que de modestes bénéfices ;

Considérant que cette exploitation, constitutive de concurrence déloyale, uniquement imputable à la société La Redoute, est d'autant plus fautive qu'elle a perduré en dépit d'une décision exécutoire par provision prononçant une mesure d'interdiction de poursuite des actes illicites, l'intéressée admettant avoir commercialisé 339 poêles après le jugement ;

Considérant que la cour dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour évaluer l'entier préjudice subi par la société EPB, du fait des actes de concurrence déloyale retenus, à la somme de 30.000 euros ;

Considérant qu'il convient afin de mettre un terme aux agissements déloyaux de la société La Redoute de confirmer purement et simplement la mesure d'interdiction prononcée en première instance, sans qu'il y ait lieu à autre mesure aux fins de destruction, ni à publication ou affichage ;

PAR CES MOTIFS, Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté les demandes en contrefaçon de droits d'auteur des modèles de poêle "coeur, étoile, fleur", retenu des actes de concurrence déloyale de la société La Redoute, prononcé à son encontre une mesure d'interdiction sous astreinte, et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la société EPB une indemnité de 5.000 euros en application de l' article 700 du Code de procédure civile ; L'infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau,Déboute la société EPB et Naomi Saito de leurs demandes en contrefaçon de droits d'auteur des modèles de poêle "ours, cochon, grenouille" ; Condamne la société La Redoute à payer à la société EPB la somme de 30.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale ; Dit n'y avoir lieu à garantie de la société Sofraco ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société La Redoute aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile , et dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l' article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.