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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 3 décembre 2010, n° 09-14831

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Avanssur (SA), Axa (SA)

Défendeur :

Demory, Direct (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mmes Nerot, Chokron

Avoués :

SCP Menard-Scelle-Millet, SCP Oudinot Flauraud

Avocats :

Mes Blanchard, Greffe

TGI Paris, 3e ch. sect. 2, du 29 mai 200…

29 mai 2009

La société Avanssur a déposé le 14 avril 2006 la marque française dénominative " Direct Santé ", enregistrée sous le n° 3 423 565, pour désigner notamment les " assurances, contrats d'assurances, assurances de personnes, assurance-vie, assurance-décès, assurance incendie-accident-risques divers, réassurance ... " etc. Elle la céda à la société Axa qui précise l'exploiter pour certaines de ses offres de services d'assurances adaptés aux besoins des familles et dénommés "complémentaires santé".

En octobre 2007, la société Avanssur constata que la société Direct présentait sur son site Internet accessible à l'adresse www.directonline.fr, divers services de complémentaires santé, sous le vocable " Direct Santé ".

Estimant que ce faisant, la société Direct avait commis des actes de contrefaçon de sa marque et des actes de concurrence déloyale, la société Avanssur assigna cette dernière et son gérant, Philippe Demory, devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement en date du 29 mai 2009, celui-ci faisant droit à la demande reconventionnelle de la société Direct, prononça la nullité de la marque en raison du caractère frauduleux de son dépôt et débouta la société Avanssur de l'intégralité de ses demandes.

Vu les dernières écritures en date du 11 octobre 2010 de la société Avanssur et de la société Axa, intervenante volontaire en sa qualité de cessionnaire de la marque en cause, qui concluent au caractère parfaitement distinctif de la dénomination " Direct Santé " car elle ne désigne aucune forme de service d'assurances, contestent que la société Avanssur ait pu avoir une quelconque connaissance de l'usage très limité que la société Direct aurait fait antérieurement du signe Direct Santé, et soulignent que les intimés n'ont eu de cesse de soutenir que ce signe ne pouvait constituer une marque, pour conclure à l'absence de caractère frauduleux de son dépôt et à la réalité des actes de contrefaçon commis sur les sites de la société Direct ; les appelantes font grief à la société Direct d'avoir en outre commis des actes de concurrence déloyale en se présentant auprès de la clientèle comme " le numéro 1 de la complémentaire santé " ; elles sollicitent, outre le prononcé des mesures d'interdiction et de publication d'usage, la condamnation de la société Direct et de son gérant à verser la somme de 150 000 euro à la société Avanssur en réparation des actes de contrefaçon et à elles deux la somme de 150 000 euro en réparation des actes de concurrence déloyale;

Vu les dernières écritures en date du 18 octobre 2010 de Philippe Demory et de la société Direct qui demandent tout d'abord que Philippe Demory soit mis hors de cause avant d'opposer ensuite et à titre principal, la nullité de la marque en raison de son absence de caractère distinctif, subsidiairement sa nullité en raison de son dépôt frauduleux ; ils sollicitent la confirmation de la décision déférée et la condamnation in solidum des appelantes à verser à chacun d'eux la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;

Sur ce,

Sur la demande de mise hors de cause de Philippe Demory:

Considérant que les appelantes ne font grief à Monsieur Demory d'aucune faute précise qui lui soit personnellement imputable et qui soit détachable de ses fonctions de gérant de la société Direct; que sa demande de mise hors de cause sera dès lors accueillie;

Sur la validité de la marque

Considérant que la société Direct avance que l'emploi du signe " Direct " est utilisé par les opérateurs économiques pour décrire des services " offerts en direct ", sans intermédiaire ; qu'en 2006, année de dépôt de la marque, le terme " direct " suivi ou précédé d'autres termes plus ou moins distinctifs, dans une construction grammaticale incorrecte, était déjà très répandu dans le domaine des assurances comme en témoignent des dénominations telles que " directauto ", " groupdirect " " assurdirect ", en sorte que la marque est sinon descriptive de contrats d'assurances santé, du moins dépourvue de caractère distinctif et ne peut dès lors qu'être annulée;

Mais considérant que la marque verbale doit être appréhendée dans son ensemble au regard des services pour lesquels elle a été déposée;

Qu'elle est composée de deux termes de longueur équivalente le premier semblant issu de la langue anglaise suivi du substantif " santé ";

Qu'il s'agit d'une construction inhabituelle, qui non seulement fait l'économie de toute préposition et article mais associe de façon singulière deux termes dont le rapprochement n'est évocateur d'aucune signification particulière et notamment pas de services d'assurance quand bien même seraient-ils destinés à proposer des contrats couvrant les dépenses de maladie;

Que prise dans son ensemble, la marque n'est donc pas la désignation d'un service d'assurance-maladie, d'assurance-vie, d'assurance-décès ; qu'il n'en décrit pas plus une caractéristique, la seule présence de l'adjectif " direct " ne pouvant suffire à indiquer qu'il s'agirait d'un service d'assurance offert directement, sans intermédiaire ;

Considérant qu'elle n'est pas davantage dépourvue de caractère distinctif, dans la mesure où sa construction inhabituelle et ramassée sur deux termes dont un tiré dans la langue anglaise, est susceptible de remplir la fonction essentielle d'une marque, à savoir de désigner au consommateur l'origine d'un produit d'assurance en le distinguant des autres produits d'assurance présents sur le marché ;

Considérant que le signe " Direct Santé " est dès lors distinctif au sens de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle interprété à la lumière de l'article 3 b) et c) de la directive CE 89-04 ;

Que la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation de la marque pour défaut de caractère distinctif;

Sur le dépôt frauduleux :

Considérant que la société Direct justifie avoir, quelques semaines avant le dépôt de la marque litigieuse, utilisé la dénomination "Direct Santé" dans une brochure commerciale présentant ses produits et accompagnée d'un bulletin de souscription;

Qu'en effet, en page intérieure de cette publication, figurent les termes " Direct Santé " associes à l'expression, en milieu de page de l'expression " un choix simple, rapide et efficace : Direct Santé ";

Considérant que l'intimée fait état d'un tirage à 10 000 exemplaires en produisant le bon de commande et la facture de l'imprimeur pour une brochure " Essentiel Santé " qui correspond à l'intitulé de celle dans laquelle la dénomination "Direct Santé" est utilisée.

Considérant qu'il n'apparaît pas douteux d'une part, que ce document traduit un usage des signes éponymes antérieur à la date de dépôt de la marque et d'autre part, que l'importance de son tirage n'a pu échapper à la vigilance de la société Avanssur qui, comme le relèvent justement les premiers juges, avait été opposée dans plusieurs instances précédentes à l'intimée;

Considérant dès lors, qu'en déposant la marque en cause, la société Avanssur ne pouvait ignorer qu'elle privait la société Direct de l'usage de la dénomination "Direct Santé" pour désigner des services d'assurances, usage qu'elle avait pourtant entrepris auparavant de façon publique et non équivoque;

Considérant en conséquence, que la décision sera confirmée en ce qu'elle a annulé la marque en raison de l'indisponibilité des signes qui la composent née de l'usage antérieur qu'en fit l'intimée et du caractère frauduleux de son dépôt;

Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que les appelantes affirment qu'en se présentant sur son site Internet www.directonline.fr comme le " numéro 1 de la complémentaire santé en direct " et en faisant usage des slogans " le n° 1 de la santé en France " et " Direct Santé lutte à vos côtés pour la défense de votre pouvoir d'achat ", l'intimée a commis des actes de concurrence déloyale;

Considérant toutefois que l'incrimination des deux slogans précités n'a pas été soumise à l'appréciation des premiers juges ;

Que cette demande nouvelle est dès lors irrecevable par application de l'article 564 du Code de procédure civile, comme le relève justement la société Direct ;

Considérant que s'agissant de l'auto-promotion à laquelle se livre la société Direct sur son site Internet en se présentant comme " le n° 1 de la complémentaire santé en direct ", les premiers juges ont pertinemment relevé qu'il s'agissait d'un message publicitaire comportant un style ampoulé ;

Que le consommateur est familier de telles prétentions emphatiques qui ne sauraient d'autant moins l'abuser que le marché de référence sur lequel la société Direct aurait acquis cette position est indéterminé et que la seule locution de " n° 1 " ne permet pas d'identifier au regard de quelles qualités cette performance de " n° 1 " aurait été réalisée;

Que la décision déférée sera également confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale;

Sur les demandes reconventionnelles

Considérant que pas plus qu'ils ne le firent en première instance, les intimés ne démontrent-ils en quoi l'action des appelantes serait animée du désir de leur nuire et en quoi leur préjudice serait distinct des frais irrépétibles qu'ils ont exposés ;

Que leurs demandes ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant en revanche que l'équité commande de condamner les appelantes à verser à la société Direct la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;

Par ces motifs, Met hors de cause Philippe Demory, Déclare irrecevables les nouvelles demandes formées au titre de la concurrence déloyale, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Rejette la demande fondée sur le caractère abusif de l'appel, Condamne in solidum les sociétés Avanssur et Axa à verser à la société Direct la somme de 3 000 euro sur le fondement et à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.