CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 10 décembre 2010, n° 09-21824
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Kesslord (SAS), Ye
Défendeur :
Laurent (EURL), Turnpike (SARL), Campomaggi & Caterina Lucchi Srl (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girardet
Conseillers :
Mmes Darbois, Nerot
Avoués :
Mes Melun, Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Garnier
Avocats :
Mes Lussault, Le Rolle, Boudry, Bouvier-Ravon
La société Kesslord expose qu'elle est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur que lui a cédés Monsieur Yu Ye, son styliste salarié, sur un modèle de sac féminin qu'elle a diffusé de 2001 à 2004 sous la marque de son créateur, puis sous la marque Kesslord à compter de 2005, avec la référence " sac transformable 2 en 1 ".
La singularité de ce sac plat, de forme rectangulaire, réside, selon elle, dans la présence de pressions disposées aux trois quarts de chaque côté latéral du sac et sur le fond de celui-ci, avec des pattes stylisées équipées de pressions.
Elle fait grief à la société de droit italien Campomaggi & Caterina Lucchi d'avoir commercialisé des modèles dénommés " Gabs " reprenant les caractéristiques de son modèle " 2 en 1 " et d'en avoir vendu 92 exemplaires en mai 2008 à la société Turnpike et 460 à la société Laurent de juillet 2006 à juin 2008, qui les ont offerts à la vente dans leurs boutiques respectives sises à Paris.
Saisi par la société Kesslord et Monsieur Yu Ye d'une action en contrefaçon de leurs droits d'auteur et en concurrence déloyale, le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 6 octobre 2009, débouta les demandeurs de leurs prétentions au motif que le modèle revendiqué n'était pas original et que les actes de concurrence déloyale n'étaient pas caractérisés.
Vu les dernières écritures en date du 6 octobre 2010 de la société Kesslord et de Monsieur Yu Ye qui soutiennent en substance que le caractère utilitaire de la création qu'ils revendiquent n'exclut nullement une part d'arbitraire, pour conclure au caractère original de ce sac et à la condamnation in solidum des sociétés Campomaggi & Caterina Lucchi, Laurent et Turnpike à leur verser les sommes de 100 000 euro à la société Kesslord et 15 000 euro à Monsieur Yu Ye, en réparation des actes de contrefaçon, 65 000 euro et 50 000 euro à la société Kesslord en réparation des actes respectivement de concurrence déloyale et de parasitisme commercial ; ils sollicitent enfin les mesures d'interdiction et de publication d'usage;
Vu les dernières écritures en date du 9 septembre 2010 de la société Campomaggi & Caterina Lucchi, qui souligne que les appelants ont considérablement évolué dans la description du modèle qu'ils revendiquent et qu'en tous cas, celui-ci ne peut être qualifié d'original en raison du caractère fonctionnel des pressions et des pattes dont il est doté, avant de conclure à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, qu'elle fixe à la somme de 20 000 euro;
Vu les dernières écritures en date du 9 septembre 2010 de la société Laurent qui conclut également à la confirmation du jugement mais forme appel incident pour solliciter la condamnation in solidum des appelants à lui verser la somme de 14 975 euro correspondant au préjudice qu'elle a subi du fait de la saisie-contrefaçon opérée dans ses locaux et du retrait de la vente de l'ensemble des sacs " Gabs " soit 94 exemplaires ;
Vu les dernières écritures en date du 17 juin 2010 de la société Turnpike qui forme également appel incident pour solliciter la condamnation in solidum des appelants à lui verser la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, demande qui avait été rejetée par les premiers juges ;
Sur ce,
Sur l'identification du modèle argué de contrefaçon
Considérant que le modèle que la société Kesslord précise avoir commercialisé en 2001 sous la référence 25 807, a subi au cours des ans une évolution de coloris et de matières qui, selon elle, n'affecterait pas ses caractéristiques;
Qu'est versé aux débats un courrier recommandé avec accusé de réception que Monsieur Yu Ye s'est adressé à lui-même le 25 mai 2001, comprenant les photographies du sac;
Considérant cependant qu'il règne un flou certain sur les évolutions qu'a connues ce modèle comme en attestent, entre autres éléments, les dessins joints à l'attestation de Monsieur Yu Ye et le tableau communiqué par les appelants en pièce 32, lequel ne démontre aucunement que le modèle " 2 en 1 ", référencé 25 807, aurait été commercialisé après 2004 dans sa forme originaire;
Considérant que dans ce contexte, la cour se référera au catalogue hiver Enzari 2001/2002 qui présente les caractéristiques du modèle 25 807 ;
Sur l'originalité du modèle 25 807:
Considérant que les appelants exposent que le sac a été conçu dans une forme rectangulaire extra-plate et doté d'une série de pressions rondes argentées ou dorées, disposées sur les côtés et sur le fond du sac, avec une alternance de pressions mâles et femelles, pour que " les pattes stylisées de chaque côté du fond du sac donnent une esthétique particulière à la forme primitive et permettent d'obtenir un sac de type cabas de forme trapèze, soit un sac cubique plus petit, et plus rond dans sa troisième forme ";
Qu'ils ajoutent que s'il est indéniable qu'il existe des boutons pressions sur de nombreux articles de maroquinerie pour en assurer la fermeture, le fait que dans le modèle revendiqué ces boutons pressions se trouvent, non dissimulés, à l'état brut, permet de lui conférer son originalité ;
Considérant ceci rappelé, que ni le caractère transformable du sac en diverses configurations géométriques de base, ni sa présentation sous une forme rectangulaire et extra-plate, ni la présence de boutons pressions, ne sont revendiqués et ne peuvent l'être, le droit d'auteur n'ayant pas vocation à protéger un concept (sac transformable) ou des boutons pressions dont il est constant qu'ils sont largement diffusés et utilisés dans la maroquinerie ;
Considérant que la disposition des boutons pressions, leur espacement et l'alternance des boutons mâles et femelles sont toutes des caractéristiques contingentes, asservies à la fonction de ce sac destiné à être transformé en plusieurs formes (trapèze et cubique) ;
Qu'il suit que la disposition de ces boutons apparents ne saurait rendre compte des choix du créateur au travers desquels se refléterait la personnalité ce dernier;
Que le seul fait que les pattes latérales n'interviennent pas dans la transformation du sac, ne saurait suffire pour satisfaire à l'exigence d'originalité d'autant que ces pattes sont équipées d'une pression femelle et qu'elles peuvent être rabattues pour se fixer sur la pression mâle située au fond du sac ;
Considérant qu'il suit que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré Monsieur Yu Ye et la société Kesslord irrecevables à agir en contrefaçon du sac ;
Sur les actes de concurrence déloyale:
Considérant que, selon la société Kesslord, la reprise par l'intimée des mêmes formes extra-plate puis, après transformation, cubique et trapézoïdale, déclinées dans des coloris acidulés et gais et des matières diverses au gré des saisons, constituent des actes de concurrence déloyale;
Que son modèle bénéficie d'une incontestable notoriété dont témoigne une publication dans le magazine Elle et qu'il est destiné à une clientèle qui est précisément celle que veut atteindre l'appelante ;
Considérant toutefois que le seul fait que le sac soit transformable en des formes usuelles n'est pas de nature à fonder une action en concurrence déloyale dans la mesure où il n'est pas contesté que d'autres opérateurs sur le marché offrent à la clientèle des sacs transformables ;
Considérant que les premiers juges ont fait un examen précis des sacs en présence en relevant ce qui les singularise et les rapproche ; qu'aux termes de leur description, il ont relevé par des motifs pertinents que la cour fait siens que, hormis la reprise des pressions permettant la transformation des sacs, leur aspect d'ensemble, leur coloris et leurs matières différaient suffisamment pour que fût exclu tout risque de confusion;
Qu'enfin, l'appelante et l'intimée étant en situation de concurrence sur le même marché, c'est au regard de la concurrence déloyale et non pas du parasitisme commercial que doit être appréciée la responsabilité de l'intimée;
Que l'inexistence d'un risque de confusion commande dès lors de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale et d'un parasitisme commercial
Sur les demandes reconventionnelles:
Considérant que faute pour la société Campomaggi & Caterina Lucchi de justifier du préjudice distinct des frais irrépétibles, que lui a causé la présente procédure, sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ne peut qu'être écartée ;
Qu'il en est de même pour la société Turnpike qui ne fournit aucune donnée comptable précise sur les conséquences de l'arrêt de la vente du modèle litigieux et sur la perte de clientèle qu'elle aurait pu subir ;
Considérant que la société Laurent prétend pour sa part, avoir subi non seulement une perte de marge de 8 032 euro sur les produits qu'elle a dû retirer de la vente, mais encore une perte de marge de 6 703 euro pour les mois d'août, septembre et octobre 2008 en raison de la vente de produits de substitution qui se seraient avérés moins rentables ;
Considérant que si elle justifie, comme l'ont retenu les premiers juges, d'une perte de marges sur la revente des sacs qu'elle avait déjà achetés et que le tribunal a justement réparée par la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 8 032 euro, en revanche elle n'établit pas que la baisse de chiffre d'affaires qu'elle a constatée sur la vente de produits de substitution puisse être totalement imputable à cette substitution et constituer un préjudice donnant lieu à une réparation complémentaire;
Que la décision entreprise sera également confirmée en ce qu'elle a limité à la somme de 8 032 euro le montant des dommages et intérêts alloués à la société Laurent;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande de condamner la société Kesslord à verser au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel les sommes de 7 000 euro à la société Campomaggi & Caterina Lucchi, 3 000 euro à la société Laurent et 3 000 euro à la société Turnpike;
Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée et, Y ajoutant, Condamne la société Kesslord à verser sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile les sommes suivantes 7 000 euro à la société Campomaggi & Caterina Lucchi, 3 000 euro à la société Laurent et 3 000 euro à la société Turnpike, et à supporter les dépens qui seront recouvrés dans les formes de l'article 699 du même code.