Cass. com., 8 février 2011, n° 09-17.120
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Cytyc Corporation (Sté)
Défendeur :
Labonord (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Pezard
Avocats :
Me Bertrand, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 juillet 2009), que la société Cytyc Corporation (la société Cytyc), de droit américain, a développé un test automatisé pour la détection du cancer du col de l'utérus, dénommé "Thinprep" ; qu'elle est titulaire de deux marques "Cytyc" et "Thinprep" et d'un brevet européen délivré le 8 octobre 1997, sous le numéro EP 0 511 430 et intitulé "solution pour la préservation de cellules" ; que la société Labonord utilise sous la dénomination "Turbitec" un procédé concurrent pour tester le même cancer et un produit "Easyfix" ; qu'estimant que ce produit contrefaisait le brevet EP 0 511 430 et que la documentation précisant que la référence indiquant qu'Easyfix était "pour Cytyc Thinprep" contrefaisait les marques "Cytyc" et "Thinprep", la société Cytyc a assigné la société Labonord en contrefaçon de brevet et de marques, et en concurrence déloyale ; que cette société a demandé à titre reconventionnel la nullité du brevet EP 0 511 430 ; qu'avant-dire droit sur le brevet, la cour d'appel a ordonné une expertise ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Cytyc fait grief à l'arrêt de donner pour mission à l'expert qu'il a désigné de "dire si un agent mucolytique est un agent antiagglutinant et inversement, dire si un agent anti-agglutinant est nécessairement chélatant, dire si la méthylcystéine est un agent chélatant, dire si un agent chélatant du groupe constitué par l'acide Edta et ses sels a des propriétés particulières, donner son avis sur les propriétés de ces différents agents par rapport à l'objectif de l'invention en cause qui est de fournir une solution de conservation in vitro à température ambiante et de fixage des cellules mammifères en vue d'une analyse cytologique ou histologique ultérieure, dire à son avis si ces différents agents sont substituables, complémentaires ou non", alors, selon le moyen, que le juge ne peut charger l'expert de se prononcer sur une question de droit ; que la cour d'appel, invitée à statuer sur la nouveauté et le caractère inventif des revendications 1 à 6 du brevet portant sur une solution destinée à conserver in vitro des cellules contenant un agent anti-agglutinant, ne pouvait donner mission à l'expert de dire si l'agent mucolytique de la solution invoquée à titre d'antériorité comme étant destructrice de la nouveauté et du caractère inventif du brevet était un agent anti-agglutinant ou était substituable à l'agent anti-agglutinant revendiqué par le brevet sans violer l'article 232 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en commettant un expert chargé de lui donner son avis sur les propriétés des différents éléments de la solution destinée à conserver in vitro des cellules contenant un agent anti-agglutinant et objet du litige, la cour d'appel a seulement confié à un technicien des investigations techniques ayant trait à des questions de fait dont elle se réservait de tirer les conséquences juridiques ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Cytyc fait encore grief à l'arrêt de la débouter de son action en contrefaçon de ses marques "Cytyc" et "Thinprep" contre la société Labonord, alors, selon le moyen : 1°) qu'il appartient à celui qui entend utiliser la marque d'un tiers comme référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit en tant qu'accessoire de prouver que ce produit est certainement et effectivement compatible avec le produit légitimement revêtu de la marque ; qu'en décidant que le flacon d'Easyfix vendu par la société Labonord constituait un consommable indispensable au fonctionnement de la machine d'analyse cytologique Thinprep de la société Cytyc et donc un accessoire de cette machine au motif que le fabricant d'un accessoire n'est pas tenu de faire valider la compatibilité de celui-ci avec le produit principal, quand il appartenait positivement à la société Labonord de prouver que son produit était compatible avec le test de dépistage du cancer de la société Cytyc, laquelle contestait une telle compatibilité, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article L. 713-6 b du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire pour indiquer la destination d'un produit, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée, c'est à la condition que cette référence ait un caractère nécessaire ; que cette référence est nécessaire lorsque l'usage de la marque constitue en pratique le seul moyen pour fournir au public une information compréhensible et complète sur cette destination afin de préserver le système de concurrence non faussé sur le marché de ce produit ; que pour considérer que l'utilisation des marques "Cytyc" et "Thinprep" était nécessaire pour permettre à un professionnel de l'analyse médicale de sélectionner les flacons contenant la solution chimique (dénommée Easyfix) destinés par la société Labonord au dispositif de préparation de frottis de dépistage concurrent afin de les adapter au processeur Thinprep, la cour d'appel a retenu que la documentation de la société Labonord présentait différents types de flacons (de volumes, de dimensions et de remplissage différents) et que le manuel de l'utilisateur du système Thinprep prévoyait uniquement le remplissage du flacon (20 ml), les spécifications tenant au volume du flacon et à ses dimensions n'étant pas fournies ; qu'en statuant de la sorte sans s'expliquer sur le fait que, ainsi que le faisait valoir la société Cytyc, tous les flacons d'Easyfix de la société Labonord destinés à être adaptés à des systèmes de dépistage concurrents avaient tous le même volume (60 ml) et les mêmes dimensions (35x70 mm) de sorte que, quand bien même les spécifications autres que le volume de remplissage du flacon adaptable au système Thinprep n'étaient pas connues, un professionnel de l'analyse médicale n'avait aucun doute sur le choix du flacon d'Easyfix qu'il devait adapter au système Thinprep et que la référence aux marques "Cytyc" et "Thinprep" n'était pas nécessaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 713-6 b du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société Cytyc faisait valoir que, même en admettant que l'utilisation de ses marques ait constitué une référence nécessaire pour indiquer la destination du produit de la société Labonord cette utilisation portait atteinte à ses droits et qu'elle pouvait en demander l'interdiction en application de l'article L. 713-6, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle ; qu'en rejetant l'action en contrefaçon pour la raison qu'il n'existait aucun risque de confusion dans l'origine des produits en cause, une telle confusion dans l'origine n'ayant pas été invoquée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige tels qu'ils étaient fixés par ces conclusions, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 4°) que le titulaire de l'enregistrement de marque est en droit de demander que l'utilisation de sa marque, même en tant que référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit, soit limitée ou interdite lorsqu'elle porte atteinte à ses droits ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si, malgré l'absence de toute fiabilité des résultats obtenus par l'analyse opérée au moyen de l'association de la solution Easyfix de la société Labonord et des autres éléments du test Thinprep de la société Cytyc et malgré le risque de parvenir à des résultats faussés, l'utilisation de la mention "Easyfix pour Cytyc Thinprep" n'était pas de nature à accréditer dans le public l'idée que la solution Easyfix avait, au contraire, été spécialement conçue pour être adaptée au test Thinprep de la société Cytyc, aux droits de laquelle une atteinte était portée en raison de ce risque, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 713-6, dernier alinéa, du Code de la propriété intellectuelle ; 5°) qu'enfin, dans ses conclusions devant la cour d'appel, la société Labonord n'a pas contesté que la société Cytyc n'acceptait de vendre de façon séparée les éléments de son "kit" qu'aux très grands laboratoires, dont la société Cytyc soutenait qu'elle pouvait s'assurer qu'ils n'étaient pas susceptibles de méconnaître le protocole de son test pour des raisons financières ; qu'en écartant le moyen selon lequel la mention "Easyfix pour Cytyc Thinprep" était propre à inciter les laboratoires à méconnaître ce protocole, notamment en réutilisant les filtres Thinprep prévus à usage unique, pour la raison que la société Cytyc acceptait elle-même la division de ses produits, la preuve n'étant pas rapportée que cette pratique n'avait lieu qu'en faveur des très grands laboratoires, la cour d'appel a méconnu les termes du litige tels qu'ils étaient fixés par ces conclusions en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté qu'aux termes des publications produites par la société Labonord le milieu pour cytologie monocouche Easyfix pour la recherche d'HPV a été validé, la cour d'appel a pu en déduire sans inverser la charge de la preuve que les flacons vendus par cette société constituaient des consommables indispensables au fonctionnement de la machine d'analyse cytologique et donc des accessoires de celle-ci ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient qu'aux termes de la documentation sur les flacons Labonord, il existe différents types de flacons, de volumes, de dimensions et de remplissage différents et que si le manuel de l'utilisateur de système Thinprep précise le remplissage du flacon 20 ml, les autres paramètres ne sont pas fournis ; que de ces constatations, dont elle a déduit que, même pour un professionnel de l'analyse médicale, la référence aux marques des matériels auxquels les flacons sont destinés était nécessaire pour sélectionner les accessoires compatibles avec les machines d'analyse cytologique, la cour d'appel, qui a ainsi écarté l'argumentation de la société Cytyc selon laquelle les flacons Easyfix destinés à être adaptés à des systèmes de dépistage concurrents avaient tous le même volume et les mêmes dimensions, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en dernier lieu, que l'arrêt retient que lorsque la société Labonord faisait la promotion de ses flacons avec pour certaines références la désignation "Easyfix-20ml-pour Cytic Thinprep-60ml" (taille du flacon), la mention Easyfix était apparente et la marque et la dénomination Labonord figuraient seules et en des termes lisibles sur les étiquettes d'identification des flacons ; qu'il relève que l'emploi de la marque Thinprep de Cytyc visait le nom de la machine de diagnostic de Cytyc et non les flacons que cette société commercialise sous la marque "Presevcyt" ; qu'il relève encore que la société Cytyc ne démontrait pas qu'elle proposait seulement aux grands laboratoires des ventes de consommables dissociés et non en kits complets et qu'elle ne pouvait en conséquence reprocher à la société Labonord de vendre des flacons pré-remplis d'une solution comme étant "pour Cytyc Thinprep" ; que de ces constatations, dont elle a déduit l'absence de risque de confusion, la cour d'appel, sans méconnaître les termes du litige et après avoir procédé à la recherche prétendument omise, a pu déduire que l'utilisation des marques de la société Cytyc comme référence nécessaire ne constituait pas de la part de la société Labonord un comportement déloyal portant atteinte à ses intérêts légitimes et non conforme aux usages honnêtes en matière commerciale ou industrielle ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Cytyc fait enfin grief à l'arrêt de la débouter de son action en concurrence déloyale contre la société Labonord, alors, selon le moyen : 1°) que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation, qui reproche à la cour d'appel d'avoir jugé que l'utilisation de la dénomination Cytyc en tant que marque était justifiée comme référence nécessaire pour indiquer la destination du produit de la société Labornord, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il écarte la concurrence déloyale tenant à la reproduction du nom commercial et de la dénomination sociale Cytyc, cette reproduction étant par suite dépourvue de toute justification, en application de l'article 625 du Code de procédure civile ; 2°) que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation, qui reproche à la cour d'appel d'avoir méconnu que l'utilisation de la mention "Easyfix pour Cytyc Thinprep" tendait à répandre dans le public l'idée erronée que le produit Easyfix de la société Labornord avait spécialement conçu pour être adapté au test Thinprep en violation des intérêts de la société Cytyc, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il écarte la concurrence déloyale à raison de l'accomplissement d'actes tendant à jeter le discrédit sur la société Cytyc et ses produits, en application de l'article 625 du Code de procédure civile ; 3°) que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen, qui reproche à la cour d'appel d'avoir écarté la contrefaçon des marques "Cytyc" et "Thinprep" à l'occasion de la commercialisation du produit Eastfix de la société Labonord, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il écarte l'action en concurrence déloyale et en parasitisme à raison de la commercialisation du même produit à un prix inférieur, au motif que la pratique des prix inférieurs n'est pas "en soi" fautive, en application de l'article 625 du Code de procédure civile ; 4°) que la société Cytyc faisait valoir que le produit Easyfix était présenté sur le site Internet de la société Labonord comme "Easyfix pour Cytyc Thinprep" et, sur la ligne immédiatement inférieure, "Easyfix pour Turbitec", c'est-à-dire son propre test, et que cette présentation était accompagnée d'une échelle de prix conçue pour faire apparaître non seulement que le flacon d'Easyfix présenté comme étant adapté au test de la société Cytyc était vendu à un prix inférieur à celui du "kit" de consommables de la société Cytyc mais aussi que les flacons de solution d'Easyfix destinés au test Turbitec de la société Labornord étaient vendus à un prix encore inférieur ; qu'en se bornant à énoncer que cette présentation était justifiée par "le souci de désigner le flacon Labornord compatible avec la machine de telle société" sans s'expliquer sur le reproche précisément adressé à la société Labonord de placer son produit dans le sillage de la notoriété du test de la société Cytyc en jouant doublement sur la différence de prix, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que le deuxième moyen ayant été rejeté, les trois premières branches sont inopérantes ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que la pratique des prix inférieurs n'était pas en soi fautive et que les faits allégués par la société Cytyc étaient insuffisants pour caractériser une faute imputable à la société Labonord, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, inopérant en ses trois premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.