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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 10 février 2011, n° 07-01400

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Toyota France (SAS)

Défendeur :

Valence Automobiles (SA), Pasquinelli Holding (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin

Conseillers :

Mme Devalette, M. Sémériva

Avoués :

SCP Brondel Tudela, SCP Aguiraud-Nouvellet

Avocats :

Selas Claude & Associés, SCP Bertin-Urion

T. com. Lyon, du 15 sept. 2006

15 septembre 2006

Exposé du litige

Par contrat du 25 août 1998, la société Toyota France a agréé la société Valence Automobiles en qualité de concessionnaire de ses produits.

Ce contrat a été résilié le 20 septembre 2002 à effet du 19 septembre 2004; puis, un autre concessionnaire, la société SPAA, a été désigné à Valence.

Estimant que la société Toyota France a "lourdement engagé sa responsabilité envers la société Valence Automobiles en lui opposant successivement deux refus d'agrément injustifiés et abusifs et en l'évinçant irrégulièrement de son réseau de distribution de véhicules neufs alors qu'elle l'avait officiellement intégrée, ce qui lui donnait droit au maintien de son statut de distributeur dont elle a été indûment privée", et que cette société " a encore engagé sa responsabilité en favorisant le détournement du fichier clients de la société Valence Automobiles au profit de la société SPAA ", cette société et la société Pasquinelli Holding l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts.

Après avoir rejeté l'exception d'incompétence élevée par la société Toyota France et s'être dessaisi, au profit du Tribunal de grande instance de Nanterre, pour litispendance et connexité, de la connaissance des demandes impliquant la violation alléguée des obligations contractuelles en raison de la vente de véhicules neufs après la fin du contrat de concession, le jugement entrepris:

- a jugé fautif le refus de la société Toyota d'examiner la candidature de la société Valence Automobiles, et l'a condamnée à payer à celle-ci et à la société Pasquinelli Holding une somme de 1 166 728 euro en réparation de leur préjudice,

- a rejeté la demande fondée sur une spoliation de clientèle,

- a condamné la société Toyota France à payer aux sociétés demanderesses une somme totale de 12 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a essentiellement retenu:

- que le contrat étant en cours le 30 septembre 2003, date d'achèvement de la période transitoire prévue à l'article 10 du règlement CE 1400-2002, les relations entre parties étaient, à compter de cette date, régies par ce règlement de sorte que la société Valence Automobiles était membre d'un réseau de distribution sélective qualitative et quantitative,

- que le 15 mars 2004, elle a fait acte de candidature sous la signature de M. Jean-Marc Pasquinelli et qu'il ressort des termes de la réponse négative adressée par la société Toyota France qu'aux yeux de cette dernière la société pressentie ne répondait pas à ses critères qualitatifs,

- que " par conséquent, par application de la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 juin 2005, la société Toyota France n'était pas fondée à opposer à la candidature de la société Valence Automobiles le fait que son numerus clausus était atteint ".

- que " sans qu'il soit possible de préjuger de façon certaine de la capacité de la société Valence Automobiles à satisfaire aux critères qualitatifs édictés par la société Toyota France, il ne lui a été reproché ni faute, ni insuffisance lors de la période de relations commerciales antérieure, l'ancien contrat ayant été résilié sur la base de l'article XII, paragraphe 12.1, qui prévoit une résiliation ordinaire sans motif ",

- qu'en conséquence, "la société Toyota France, par son refus d'examen de la candidature, a causé une importante perte de chance pour la société Valence Automobiles de pouvoir faire fructifier les investissements réalisés et de pérenniser son activité".

La société Toyota France a relevé appel le 28 février 2007.

La recevabilité de ce recours étant contestée, elle soutient que le motif élevé à ce propos et pris de l'article L. 420-7 du Code de commerce caractérise une exception d'incompétence, qui est tardive, partant irrecevable, et qui est de toute façon mal fondée, l'application du texte précité n'ayant jamais été réclamée par la société Valence Automobiles en première instance et la saisine par cette dernière, à plusieurs reprises, du conseiller de la mise en état démontrant qu'elle a prorogé la compétence de la cour et renoncé à toute contestation sur ce point,

La société Toyota France fait encore valoir que le jugement entrepris est nul, pour être un arrêt de règlement, d'une part, et avoir été rendu en violation du contradictoire; d'autre part, dès lors que le tribunal a reçu une note en délibéré et avancé la date prévue pour rendre son jugement, sans que la société Toyota France soit en mesure de répondre.

Sur le fond, elle soutient:

- que les demandes formées à son encontre sont irrecevables, le courrier du 15 mars 2004 constituant un acte de candidature personnelle de M. Pasquinelli, et qu'à tout le moins, le doute sur la réalité d'une candidature de la société Valence Automobiles bénéficie à son destinataire,

- que cette société ne démontre pas qu'elle aurait pu prétendre à l'agrément, ni même qu'elle aurait dû en bénéficier,

- qu'intervenant en sa seule qualité d'actionnaire, la société Pasquinelli Holding est irrecevable en ses demandes, faute de qualité à agir, le jugement n'ayant d'ailleurs donné aucun motif à la condamnation prononcée à son bénéfice.

- que si les demandes étaient jugées recevables, elles sont mal fondées, car la société Toyota France a, sous l'égide du règlement d'exemption de 2002, organisé son réseau en distinguant les concessionnaires agréés, dont l'activité est la vente de véhicules neufs, et les réparateurs agréés, qui se consacrent à la réparation puis, à l'intérieur de la première activité, a opté pour un système de sélection qualitatif et quantitatif, alors que pour la seconde, elle a adopté un système exclusivement qualitatif,

- que le constructeur n'ayant pas à lancer d'appel de candidatures ni à réserver une priorité aux anciens membres de son réseau, il ne lui incombe que d'indiquer quels sont les critères quantitatifs de sélection, ce qui a été fait en l'espèce et suffit au respect du texte communautaire, et qu'à supposer même qu'il puisse encore être exigé que ces critères soient définis, objectifs et précis, tel est bien le cas en l'occurrence, dans la mesure où ils sont fondés sur une définition raisonnée des zones de chalandise,

- que pour ce qui est des critères qualitatifs, leur caractère défini, objectif et précis n'a jamais été contesté et qu'en toute hypothèse, ceux qui ont été adoptés par la société Toyota France répondent à ces exigences, que la société Valence Automobiles n'a jamais apporté quelque preuve tendant à établir qu'elle y satisferait immédiatement ou à la date de prise d'effet de ses fonctions de concessionnaire, en tout cas qu'elle se serait engagée à le faire, de sorte qu'à supposer une candidature de sa part, celle-ci n'aurait pu qu'être rejetée, sans qu'y ait même lieu à son inscription sur une liste d'attente, faute de réunion des conditions objectives d'agrément auxquelles la société SPAA s'est au contraire conformée, de sorte que sa candidature n'aurait pu, sans faute, être rejetée par le constructeur, le tout en application de règles de présélection connues et approuvées par la société Valence Automobiles et jugées légitimes, tant par les juridictions que par la Commission,

- que le libre choix du cocontractant aurait conduit également au rejet de la candidature de cette société, qui n'avait pas atteint les objectifs fixés dans le cours des relations contractuelles précédentes,

- qu'il n'est preuve, en toute hypothèse, d'aucun préjudice ni d'aucun lien de causalité avec les griefs présentés, la société Valence Automobiles, qui continue d'ailleurs à vendre des véhicules neufs de la marque malgré l'absence d'agrément, ne justifiant pas des bases de ses réclamations et ayant commis une faute en tardant pendant 970 jours avant de présenter sa candidature,

- que, si la question venait à être à nouveau débattue, le contrat de concession initial a été valablement résilié, que cette résiliation a été acceptée et que la société Valence Automobiles ne justifie d'aucun droit au maintien des relations contractuelles,

La société Toyota France demande d'infirmer le jugement entrepris, de rejeter les demandes et de condamner la société Valence Automobiles à lui payer la somme de 50 000 euro en réparation du dommage causé par sa procédure abusive, éventuellement celle de 1 166 728 euro sur le fondement de l'article 123 du Code de procédure civile et celle de 30 000 euro par application de l'article 700 de ce Code.

Les sociétés Valence Automobiles et Pasquinelli Holding soutiennent que l'appel est irrecevable, la demande étant fondée sur les articles L. 420-1 et L. 422-6 I [sic] du Code commerce, de sorte que les articles L. 420-7 et R. 420-5 du Code de commerce donnant le pouvoir de juger à la Cour d'appel de Paris, le recours méconnaît les modalités réglant son exercice.

Elles considèrent que le jugement est motivé par rapport à l'espèce et qu'aucune date de délibéré n'ayant été précisément fixée, le jugement, qui ne se fonde d'ailleurs pas sur la note en délibéré, n'a pas méconnu les principes de la contradiction et n'est donc pas nul.

Sur le fond, elles font valoir:

- qu'il ressort, tant de l'analyse du courrier du 15 mars 2004, que du comportement ultérieur des parties et notamment des termes du courrier en réponse de la société Toyota France, que la société Valence Automobiles a bien présenté une candidature,

- que la justification du respect des critères de sélection est une question de fond et non d'intérêt à agir, et donc de recevabilité,

- que cette question ne se serait posée que si la société Toyota France avait examiné cette candidature,

- qu'un règlement d'exemption n'est pas susceptible de tenir en échec les dispositions du droit interne de la concurrence, particulièrement celles relatives aux pratiques discriminatoires, qui sont spécifiques au droit français,

- qu'en l'absence d'effet contraignant d'un règlement d'exemption, les positions défendues par la Commission, au demeurant variables dans le temps, n'ont qu'une valeur théorique et informative,

- qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la distribution sélective et quantitative est d'abord qualitative, puis quantitative, de sorte qu'un numerus clausus n'est pas opposable à défaut d'examen préalable des critères qualitatifs,

- que la société Toyota France a commis des fautes, par refus d'agrément fondé sur le seul motif qu'elle disposait d'un candidat répondant aux critères de sélection, alors que la Cour de cassation n'a nullement validé quelque principe arbitraire de présélection des candidatures, et qu'il était nécessaire de constituer une liste d'attente,

- que la thèse actuellement défendue par cette société est inexacte au regard des critères qu'elle a elle-même définis, qui ne confèrent aucune garantie de choix objectif et non discriminatoire des candidats, qui ne fixe nulle date butoir pour justifier du respect matériel de ces critères, et dont ne résulte qu'un intuitus personae arbitraire, étant précisé que la société SPAA ne répondait pas aux critères fixés,

- que si sa candidature a tardé, c'est que la société Toyota France ne lui a pas proposé de l'agréer, alors qu'elle l'a fait pour la grande majorité des autres concessionnaires, qu'elle avait alors un autre conseil que celui qui défend à présent ses intérêts et que de toute façon, cette tardiveté est insusceptible de justifier un refus d'agrément, puisque l'engagement éventuel de la société Toyota France n'est que la conséquence de l'absence de liste d'attente et du choix de critères inappropriés, étant précisé qu'il n'est pas établi qu'à la date du refus, la société SPAA aurait engagé de quelconques investissements,

- que la société Toyota France ne saurait lui opposer le fait qu'elle ne justifierait pas remplir ces critères, qui ne lui avaient pas été communiqués à la date du refus d'agrément, que tous les autres distributeurs ont réussi à les remplir et qu'elle répondait à ceux qui étaient fixés précédemment,

- que les objectifs de vente qu'on reproche à la société Valence Automobiles de n'avoir pas respectés étaient irréalistes et qu'il n'en résulte en toute hypothèse nulle faute grave,

- qu'elle n'a pas manqué à ses obligations concernant l'interdiction pour un réparateur de vendre des véhicules neufs,

- que le candidat répondant aux critères d'agrément ne peut être exclu du réseau de distribution sélective,

- que sa seconde candidature, du 9 juin 2005 ne pouvait être rejetée par application du seul critère quantitatif, fondé en l'espèce sur une définition inadéquate et discriminatoire des zones de chalandise, particulièrement en ce qui concerne celle de Valence, pour laquelle il n'est pas prouvé que la présence de deux distributeurs ne seraient pas économiquement viable,

- que tout membre d'un réseau de distribution sélective est en droit de s'y maintenir tant qu'il n'a pas commis de faute grave et qu'il répond aux critères de sélection, et qu'elle ne critique nullement la résiliation de l'ancien contrat, ni la durée du préavis, mais son éviction irrégulière.

Les sociétés Valence Automobiles et Pasquinelli Holding font par ailleurs valoir que la société Toyota France a, en fraude de ses droits, détourné son fichier clients et l'a ainsi spoliée d'un élément substantiel.

Elles concluent à titre principal à l'irrecevabilité de l'appel principal.

" Subsidiairement au fond ", elles demandent de confirmer partiellement le jugement, et, réformant pour le surplus, de dire que la société Toyota France a engagé sa responsabilité en l'évinçant du réseau, la condamner au paiement d'une somme de 2 333 456 euro à titre de dommages-intérêts, ainsi que celle de 583 364 euro pour détournement du fichier clients, et en tout état de cause, d'allouer à la société Valence Automobiles une indemnité de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Une assignation délivrée à la requête des sociétés Valence Automobiles et Pasquinelli le 25 janvier 2006 rappelait l'adoption successive des règlements d'exemption n° 1475-95 et 1400-2002 en soulignant que les accords de distribution automobile peuvent faire l'objet de telles exemptions catégorielles " sur le fondement de l'article 81 § 3 du traité "; elle formulait une demande au visa, notamment, de ces règlements.

Soutenant que de telles prétentions, fondées sur un refus d'agrément fautif au regard de ces règlements, dont l'objet est précisément l'application de l'article 81 § 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, la société Toyota France a objecté les dispositions combinées de l'article L. 420-7 du Code de commerce et de l'article R. 411-1 du Code de l'organisation judiciaire, issu d'un décret du 30 décembre 2005, pour conclure à l'incompétence du Tribunal de commerce de Romans, devant lequel ces demandes étaient formées et au renvoi de l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon.

La société Toyota France souligne dans ses écritures devant la cour, que par conclusions du 7 mars 2006, la société Valence Automobiles acquiesçait à l'incompétence de la juridiction qu'elle avait elle-même saisie et se désistait de sa procédure.

Une nouvelle assignation a été délivrée le 17 mars 2006, cette fois devant le Tribunal de commerce de Lyon et a conduit au jugement entrepris.

Cette juridiction, après avoir rappelé ces circonstances de sa saisine, puis souligné que le fait dommageable est survenu dans le ressort du Tribunal de Romans, a retenu que la société Valence Automobiles "a souscrit à l'argumentation de la société Toyota France" et "constatant l'accord intervenu et en application de l'article L. 420-7 du Code de commerce", il s'est déclaré compétent.

Les parties ont donc officiellement convenu que le Tribunal de commerce de Lyon était compétent, sur le fondement du texte dont l'applicabilité en la cause est à présent contestée par la société Toyota France et il résulte des observations des premiers juges que cette juridiction n'aurait pas été compétente selon les règles normales, faute de lien entre le litige et le ressort de ce tribunal, de sorte que c'est donc bien un texte particulier d'attribution qui l'amenait à connaître de la cause.

L'analyse alors admise par les deux parties est exacte.

Dès l'origine, en effet, l'action était fondée sur l'effet des règlements communautaires d'exemption et les demandeurs faisaient valoir devant le tribunal que la société Toyota France serait dans l'incapacité de justifier de l'existence d'un critère quantitatif précis et objectif défini avant le 1er octobre 2003, date d'entrée en vigueur du règlement 1400-2002 et de démontrer qu'elle a appliqué ce critère de façon uniforme.

Par ailleurs, un tel règlement n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles, de sorte que le litige est relatif à l'application en la cause des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

Dans ces conditions, le Tribunal de commerce de Lyon n'était compétent en la présente instance que par application de l'article L. 420-7 de ce Code et du décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005, entré en vigueur le 1er janvier 2006.

L'appel a été formé le 28 février 2007.

Aux termes de l'article R. 420-5 du Code de commerce en sa rédaction à cette date, pour l'application de la deuxième phrase de l'article L. 420-7, la Cour d'appel de Paris est compétente.

L'objection relative au pouvoir de la juridiction de juger d'un recours formé devant elle ne concerne pas sa compétence, mais le respect des règles d'ordre public régissant l'exercice de ce recours et donc sa recevabilité.

Son régime est en conséquence celui des fins de non-recevoir, qui peuvent être relevées en tout état de cause et non celui des exceptions d'incompétence, de sorte que le moyen d'irrecevabilité pris de la formulation tardive de cette objection est inopérant.

Il en résulte également que les parties ne disposant pas de la faculté d'aménager ces règles, la compétence de la cour ne peut être prorogée et il n'importe pas que les intimées aient déposé des conclusions et formé incidents devant le conseiller de la mise en état.

L'appel n'a pas été porté devant la cour d'appel désignée pour en connaître; il est irrecevable.

La prétention, expressément principale des sociétés Valence Automobiles et Pasquinelli étant ainsi accueillie, il n'y a pas lieu d'examiner leur appel incident, qui est subsidiaire.

Leur intention dilatoire dans la présentation de la fin de non-recevoir n'est pas caractérisée et d'ailleurs la cour d'appel aurait été tenue de relever ce moyen elle-même.

Il n'y a pas lieu d'écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, - Déclare l'appel principal irrecevable, - Dit n'y avoir lieu à statuer sur l'appel incident, - Déboute la société Toyota France de ses demande de dommages-intérêts, - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés Valence Automobiles et Pasquinelli la somme de 20 000 euro, - Condamne la société Toyota France aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Aguiraud-Nouvellet, avoué.