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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 30 juin 2010, n° 09-03099

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Edim (SARL)

Défendeur :

Ex'Im Expertises (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Valay-Brière

Avoués :

SCP Deleforge Franchi, SCP Cocheme-Labadie-Coquerelle

Avocats :

Mes David, Baschet

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 21 janv. 2…

21 janvier 2009

Vu le jugement contradictoire du 21 janvier 2009 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ayant débouté la société Edim de toutes ses demandes dirigées contre la société Ex'Im Expertises et l'ayant condamnée à lui payer 12 000 euro au titre de la résiliation anticipée du contrat du 5 août 2005, avec exécution provisoire, ayant débouté la société Ex'Im du surplus de ses demandes et ayant condamné la société Edim à lui payer 2 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu l'appel interjeté le 29 avril 2009 par la société Edim;

Vu les conclusions déposées le 26 novembre 2009 pour la société Edim;

Vu les conclusions déposées le 18 mars 2010 pour la société Ex'Im Expertises;

Vu l'ordonnance de clôture du 29 avril 2010;

La société Edim a interjeté appel aux fins de réformation de la décision ; elle demande à la cour de dire qu'elle a à bon droit mis en œuvre la clause de résiliation anticipée aux torts d'Ex'Im Expertises, de dire que celle-ci a commis des fautes, de prononcer la nullité du contrat pour défaut de cause, de condamner la société Ex'Im à lui payer 40 488,96 euro de droits d'entrée et redevances indûment payées, 15 000 euro de dommages et intérêts; subsidiairement, elle sollicite la résiliation du contrat aux torts exclusifs d'Ex'Im ; en tout état de cause, elle demande 10 000 euro pour procédure abusive, le rejet des demandes de la société Ex'Im et 8 000 euro d'article 700.

L'intimée sollicite la confirmation du jugement sauf sur les sommes allouées; elle demande 40 000 euro de redevances non encaissées jusqu'à la fin du contrat, 25 000 euro de concurrence déloyale, 6 000 euro d'article 700.

Le 5 août 2005, Monsieur Penasa a signé avec la société Ex'Im, spécialisée dans le diagnostic immobilier, un contrat de franchise pour 5 ans pour l'exploitation d'un site à Vélizy qui a ouvert le 28 novembre 2005. Le 22 février 2007, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Edim a mis en demeure la société Ex'Im en visant la clause résolutoire. Le contrat a été résilié à effet au 29 mars 2007.

La société Edim plaide:

- les manœuvres dolosives mises en œuvre par la société Ex'Im pour convaincre les futurs franchisés de rejoindre le réseau en promettant un savoir-faire commercial qui en réalité n'existe pas, une formation et assistance commerciale qui n'existe pas, ne répondant même pas aux relances de son franchisé insatisfait; elle lui reproche aussi le caractère anticoncurrentiel du contrat en raison de l'interdiction faite aux franchisés de se concurrencer.

- le contrat est nul pour absence de cause puisque la franchise est une coquille vide ; le savoir-faire doit être secret, substantiel et original, doit résulter de l'expérience du fournisseur et avoir été testé par lui et Ex'Im s'est contentée de transmettre des documents commerciaux contenant des reproductions illicites de documents établis par des tiers ou des informations mensongères; il n'y a pas de savoir-faire dans la bible communiquée qui n'a rien d'original, est d'une banalité navrante et renvoie aux obligations légales, dans des plaquettes informatives qui portent la Marianne et expose les franchisés à des poursuites, dans la charte graphique qui n'est qu'un signe distinctif, dans les lettres d'information, dans le logiciel de gestion disponible dans le commerce ou dans l'existence d'une centrale d'achat. Elle estime que les éléments avancés par Ex'Im comme étant son savoir-faire ne sont pas plus convaincants.

- de même, il est nul pour défaut d'assistance technique et commerciale faute de continuité et d'adaptation constante aux besoins, que les franchisés ont du pallier par un système de coopération horizontale : pas de formation initiale, pas de techniciens expérimentés, pas de participation active au travail sur le terrain, pas de plus-value dans les conventions annuelles, pas de partenariat avec l'UNPI;

- il est nul puisque le consentement du franchisé a été vicié : manœuvres, fausses promesses, stratégie délibérée (recherche de nouveaux droits d'entrée);

- il est nul parce qu'il impose une répartition stricte des marchés géographiques contraire au droit de la concurrence, interdisant les ventes passives et la concurrence entre les franchisés.

Elle en conclut que la société Ex'Im doit lui rembourser les sommes versées au titre des redevances et droits d'entrée et réparer son préjudice, ce qui fait échec aux réclamations fantaisistes de son adversaire qui défend la thèse sans fondement qu'elle profiterait d'une similarité de logo.

La société Ex'Im lui réplique qu'elle a rompu de manière abusive le contrat en mettant en jeu la clause résolutoire contenue dans le contrat, qu'elle a toujours payé ses redevances sans aucunement plaider l'exception d'inexécution, même pendant la période de préavis, qu'elle a témoigné publiquement du savoir-faire de la société dans le cadre d'une opération publicitaire destinée aux futurs franchisés.

Elle fait valoir :

- sur les prétendues manœuvres avant la signature, que Monsieur Penasa s'est rapproché d'elle de sa propre initiative, a l'obligation de se renseigner, a reçu les documents précontractuels, a bénéficié d'une équipe complète et professionnelle, d'économies d'échelle et ne prouve pas en quoi, si manœuvres il y avait, elles auraient été déterminantes;

- sur le savoir-faire, qu'il existe, comme en témoignent les bons résultats de l'appelante et le taux très important des franchisés satisfaits (81,7 %), la qualité de la bible qui permet un gain de temps par concentration des documents et propose un contenu original et propre au réseau, la mise en place d'une charte graphique, de plaquettes, de lettres-type, de synthèses, le tout permettant une organisation efficace des cabinets, une réalisation des missions explicitée, des approches marketing analysées. La mise en place d'une centrale d'achat, la mise en place d'une solution informatique appelée Ex'Im online pour laquelle elle a été précurseur et qui reste le système le plus élaboré en ce domaine ; elle ajoute qu'elle a investi dans une campagne de publicité, que le savoir-faire est un ensemble d'éléments mis à disposition du franchisé lui procurant un avantage concurrentiel comme le démontrent les résultats de la société Edim qui la critique sur de soi-disant[es] contrefaçons de documents qu'elle utilise elle-même.

- sur la répartition géographique de la clientèle, qu'il s'agit d'une clause d'exclusivité simple qui assure au franchisé une protection territoriale lui garantissant un minimum de rentabilité pour son entreprise et qui est parfaitement licite, qui n'interdit pas, comme affirmé par la société Edim, les ventes passives et qui est simplement incitative.

- sur l'exception d'inexécution, qu'elle ne peut être plaidée par une cocontractante à jour de ses redevances, qui a exprimé son contentement à plusieurs occasions, qui a participé à des formations, reçu une assistance pour ses démarches administratives, participé aux conventions annuelles, s'est vue proposer une assistance en matière de prospection même si elle n'y a pas répondu, a reçu la visite de collaborateurs, a attendu plusieurs années avant d'envoyer une mise en demeure pour critiquer et justifier une rupture anticipée ; elle ajoute que les franchisés sont satisfaits et réplique que ses techniciens sont compétents, que le fait qu'elle n'ait pu s'entendre avec l'UNPI (Union Nationale de la Propriété Immobilière) n'implique pas la résiliation du contrat de franchise.

Sur le préjudice, qu'il n'existe pas car si réellement la société Edim n'avait rien reçu de son franchiseur depuis le départ, pourquoi aurait-elle payé ses redevances et pourquoi n'aurait-elle pas pris l'initiative de l'assigner ?

Sur ce

Dans sa lettre recommandée avec accusé de réception du 22 février 2007, la société Edim a pris l'initiative de mettre en jeu la clause résolutoire insérée dans le contrat de franchise du 5 août 2005, mettant en demeure la société Ex'Im de lui rembourser les sommes correspondant au coût des formations et assistances qui auraient dû lui être offertes avant l'ouverture du centre mais aussi d'avoir à satisfaire ses obligations contractuelles ; elle lui reproche 4 choses : de ne lui avoir transmis aucun savoir-faire, de ne pas lui avoir apporté d'assistance avant l'ouverture de son centre ni après, de ne pas lui avoir proposé de formation. Elle donnait 30 jours à la société Ex'Im pour s'exécuter sous peine de voir le contrat résilié et la société Ex'Im n'a pas satisfait aux injonctions contenues dans ce courrier. Dans la lettre du 30/05/07, la société Edim ajoutera le reproche lié à la limite apportée à la liberté commerciale. Ces courriers ne sont précédés d'aucun courrier officiel par lequel Monsieur Penasa aurait exprimé son mécontentement, l'e-mail de novembre 2005 cité par Edim ne pouvant correspondre aucunement à l'expression d'une insatisfaction.

A titre liminaire, la cour reprendra un des arguments principaux de la société franchiseur : Monsieur Penasa affirme qu'il a eu des doutes sur l'apport réel du franchiseur dès la réception du manuel établi par ce dernier, donc au début de son activité. Aussitôt, l'on s'interroge sur la raison pour laquelle il est resté 20 mois après la découverte de l'insuffisance de la bible, pourquoi il a accepté de payer 27 508 euro de droits d'entrée, les redevances qui ont suivi, pourquoi il a accepté de dire dans la lettre d'information de mai 2006 à usage interne puis dans le cadre d'une opération publicitaire qu'il était satisfait d'avoir "l'appui d'un réseau qui lui permettait d'anticiper sereinement l'avenir", de disposer "d'outils, de moyens, de savoir-faire lui permettant de satisfaire ses clients", pourquoi il a spontanément proposé d'aider ses futurs collègues et d'ainsi participer à l'expansion du réseau. En tous cas, il est difficile d'affirmer aujourd'hui que des manœuvres auraient été déterminantes de son engagement, puisque bien après lui, il se déclarait, chiffres et expérience à l'appui, satisfait. Ces manœuvres par ailleurs ne sont justifiées par aucun élément puisque le franchiseur a transmis les documents pré-contractuels dont le contenu n'a pas été contesté, obéissant là au souci de transparence qui préside au contrat de franchise.

Le consentement a en conséquence été libre et éclairé.

Sur le savoir-faire

Même si à cet égard, l'information précontractuelle ne suffit pas, la cour observe que celle-ci, relativement lourde, éclaire en partie le franchisé au moment de son engagement par les résultats produits par le dit savoir-faire; dès cette étape, il connaît le nombre de franchisés, les résultats d'exploitation, le développement du réseau et peut apprécier par les éléments de réussite la pertinence du savoir-faire ; à cet égard, l'intimée produit des témoignages positifs de franchisés qui viennent corroborer le fait que les informations précontractuelles étaient justifiées dans leur caractère encourageant.

Ceci étant, la jurisprudence s'accorde à dire que le savoir-faire recouvre plusieurs éléments qu'il n'est pas intéressant de dissocier, le savoir-faire correspondant à un ensemble d'informations résultant de l'expérience du franchiseur et testées par lui, secret, substantiel et identifié ; parmi ces éléments figurent nom, logos, symboles, méthodes de travail, services originaux et spécifiques, efforts de promotion, agencements, adaptation constante aux besoins du franchisé donc continuité du service. Le secret correspond à une confidentialité relative, notamment en cette matière de diagnostic immobilier dont les composants, officiels, manquent forcément de confidentialité, celle-ci résidant davantage dans les assemblages proposés par le franchiseur. L'identification doit s'entendre d'une formalisation suffisamment complète et la substantialité comme de l'utilité présentée par le savoir-faire à l'égard de l'activité du franchisé en permettant l'amélioration de l'accès du franchisé à un certain nombre de services, l'amélioration de ses résultats, de sa pénétration sur le marché. L'originalité, limitée au vu de la spécificité du métier en question dans le présent dossier, puisqu'il s'agit de mettre des pratiques non originales en adéquation avec des textes qui ne le sont pas davantage, ne réside pas forcément dans la transmission d'éléments inventifs ; elle peut être représentée par la mise à disposition d'une gamme de produits sélectionnés, que le franchisé pourrait mettre beaucoup de temps à rassembler, et de conseils ciblés,

La lecture des éléments fournis par Ex'Im Expertises permet, vis-à-vis de ces différentes exigences de se convaincre que la société Ex'Im a mis à disposition de Monsieur Penasa ces outils. La bible est une concentration de données utiles et son contenu ne parait pas pouvoir être critiqué ; elle est complétée par des plaquettes informatives, des chartes graphiques, des lettres-type, des lettres d'information régulières, un suivi de cette information; la société Ex'Im fournit des outils, des équipements, un logiciel, une centrale d'achats, la preuve d'une publicité et des frais qu'elle a engagés à cet égard, et c'est lui faire un mauvais procès que de dire qu'on a pu gagner quelques euro à s'adresser à la concurrence, d'autant qu'encore une fois son mérite est de concentrer les adresses de fournisseurs utiles.

Sur la formation

Les pièces 52, 95, 100,101 qui correspondent au dossier de formation de Monsieur Penasa et aux formations prouvent bien que des formations lui ont été proposées et ont été suivies ; de même, la société Ex'Im prouve qu'elle dispose de techniciens formés eux aussi et fournit les attestations de stages. Ce grief qui ne repose sur aucun élément, est battu en brèche par les pièces, sera rejeté.

Sur le défaut d'assistance

La société Ex'Im par la pièce 70 prouve qu'elle a fourni dans les locaux d'Edim, à l'ouverture du centre, une formation informatique puis une formation au démarrage les 20, 21, 27 et 28 décembre 2005 ; elle prouve également par la pièce 51 qu'elle a proposé une semaine d'assistance à la prospection commerciale sur le secteur de Monsieur Penasa qui ne lui a pas répondu. Il est également établi qu'elle a assisté Edim dans ses démarches administratives, que Monsieur Penasa a participé aux conventions annuelles, à une réunion régionale du début d'année 2007 ; elle établit qu'Edim a reçu les visites de ses collaborateurs, qu'elle a transmis des documents régulièrement par e-mail. De ce point de vue, également, Ex'Im a rempli ses obligations contractuelles, assurant le démarrage et le suivi ; l'argument sera repoussé, l'absence de partenariat avec la fédération ne suffisant pas à définir sa carence.

Tout ceci n'exclut pas la solidarité transversale entre les franchisés dont Monsieur Penasa voudrait faire un argument révélant la carence du franchiseur, mais ces deux aspects peuvent parfaitement se compléter.

Sur la répartition de clientèle

La clause critiquée indique que toutes les missions ordonnées par un prescripteur reviennent au franchisé du secteur auquel appartient celui-ci ; la bible incite le franchisé à ne pas donner suite à une demande d'un particulier qui n'appartiendrait pas au territoire qui lui est concédé ; mais elle dit aussi que pour respecter le choix libre du client spontané, le franchisé pourra choisir d'exécuter la mission lui-même. Ainsi, si dans un esprit de "réseau", il est déconseillé de prendre un client en dehors de son secteur, il n'est pas interdit de le faire donc l'article L. 420-1 ne peut trouver application.

Sur le caractère brutal de la résiliation

La cour considère qu'en l'absence de manquements de la part du franchiseur, le contrat a été abusivement et brutalement rompu par la société Edim qui doit indemniser sa cocontractante et qui sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Le tribunal a considéré que cette indemnisation doit correspondre à celle issue de l'article 23 du contrat soit une annuité de redevance calculée sur la base de 4 % du chiffre d'affaires HT, a en cela appliqué l'article 23 qui prévoit la résiliation anticipée du contrat ; mais l'indemnité dont le tribunal a tenu compte est celle qui correspond à la résiliation entreprise par le franchiseur pour inexécution de la part du franchisé, ce qui n'est pas le cas de l'espèce.

Ex'Im plaide qu'Edim lui doit toutes les redevances jusqu'au terme de juillet 2010 ; cela dit, il parait opportun d'en ôter le coût nécessairement généré par son activité de franchiseur; dans l'incapacité d'évaluer ces dommages et intérêts sur la base d'un chiffre d'affaires manqué, la cour estime légitime, étant donné le caractère abusif de la rupture, et sur la base des redevances perçues du vivant du contrat, d'accorder à la société Ex'Im Expertises 30 000 euro de dommages et intérêts.

De même, la cour considère que le plagiat des dénominations des deux sociétés n'est pas établi, le risque de confusion entre les deux noms étant très faible, que le dossier n'établit pas la concurrence déloyale dont se plaint Ex'Im non plus que le préjudice né d'une concurrence entre les deux. Le débouté s'impose sur la demande de dommages et intérêts formulée de ce chef.

Par contre, il est équitable de condamner la société Edim à payer 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 à la société Ex'Im Expertises. Succombant, la société Edim sera déboutée de la demande qu'elle a formulée sur le même fondement.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts; Condamne la société Edim à payer à la société Ex'Im Expertises la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée et abusive du contrat ; Déboute la société Edim de l'ensemble de ses demandes; Déboute la société Ex'Im Expertises du surplus de ses demandes; Y ajoutant, Condamne la société Edim à payer 5 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel à la société Ex'Im Expertises et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Cocheme Labadie Coquerelle, avoués associés, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.