ADLC, 24 février 2011, n° 11-D-07
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Ronan Perrotte, l'intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, président de séance, MM. Yves Brissy, Noël Diricq, Jean-Bernard Drummen, membres.
L'Autorité de la concurrence (Section II),
Vu la lettre, enregistrée le 5 février 2008 sous le numéro 08/0017 F par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics passés dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques portuaires ; Vu les articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu les décisions de secret des affaires 09-DSA-246 du 19 octobre 2009, 10-DSA-129 du 1er juillet 2010 et 10-DSA-220 du 22 octobre 2010 et la décision 09-DECR-26 du 22 octobre 2009 autorisant l'utilisation de pièces classées en annexe confidentielle ; Vu le procès-verbal du 5 février 2010 par lequel la SARL P. Lassarat Participations a demandé à bénéficier des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal du 10 février 2010 par lequel la société Prezioso-Technilor a demandé à bénéficier des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal du 19 février 2010 par lequel la société Grivetto a demandé à bénéficier des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Grivetto, P. Lassarat Participations, Prezioso- Technilor, Sorespi Bretagne et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Grivetto, P. Lassarat Participations, Prezioso-Technilor, Sorespi Bretagne entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 23 novembre 2010 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. Le 30 janvier 2008, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics passés dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques portuaires.
2. La saisine ministérielle s'appuie sur un rapport administratif d'enquête, établi par la brigade interrégionale d'enquêtes de concurrence de Nantes relevant de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) en date du 10 août 2007, accompagné des pièces recueillies lors des investigations et des opérations de visites et saisies menées le 23 novembre 2006 auprès de plusieurs entreprises du secteur : Prezioso-Technilor, Philippe Lassarat, Maës et Cie (ci-après Maës) et Grivetto.
3. Un complément de saisine du ministre relatif à un appel d'offres portant sur des travaux de rénovation de la tour Eiffel a également été enregistré le 13 mars 2009 par l'Autorité de la concurrence.
A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNÉES
4. Les marchés et l'activité des entreprises concernées relèvent du secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques communément appelé " peintures industrielles " comprenant différents segments tels que les peintures bâtiment, peintures marine et peintures anticorrosion. Bien que la saisine ait visé les " marchés publics passés dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques portuaires ", l'enquête a porté plus largement sur des marchés de travaux de peinture navale ou relatifs à des ouvrages d'art.
5. Au sein du secteur des peintures industrielles, la filière anticorrosion a réalisé un chiffre d'affaires estimé à 700 millions d'euro en 2006. Elle regroupe une offre très atomisée d'environ 200 entrepreneurs mais a vu également la constitution d'entreprises d'envergure.
6. En l'espèce, quatre entreprises de taille et de spécialisations diverses sont concernées.
7. Prezioso-Technilor SAS (ci-après Prezioso) est une entreprise qui a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 186 millions d'euro en 2009 et fait partie d'un groupe comprenant des filiales à l'étranger et ayant à sa tête la holding Saint-Clair, dont le chiffre d'affaires consolidé s'élève à 247 millions d'euro. Elle est spécialisée dans le revêtement et l'isolation et fait partie des très grandes entreprises du secteur des travaux de peinture, avec une implantation nationale et un fort développement à l'étranger. Son activité revêtement représente environ 50 % de son activité au niveau national.
8. Philippe Lassarat SA (ci-après Lassarat) est également présente en France et à l'étranger. Elle est spécialisée dans le traitement des surfaces, notamment la peinture pour la marine, l'industrie et le bâtiment. Avec un chiffre d'affaires d'environ 75 millions d'euro en 2009 et d'un chiffre d'affaires consolidé de 86 millions d'euro pour le groupe Lassarat Participations, elle est une des entreprises leader du secteur.
9. L'entreprise Grivetto SAS (ci-après Grivetto) a réalisé un chiffre d'affaires de 5,7 millions d'euro en 2009. Elle s'est spécialisée dans la réfection des conduites forcées d'Electricité De France (ci-après EDF), mais elle effectue des travaux de réfection et de traitement de surface sur l'ensemble du territoire.
10. L'entreprise de travaux de peinture industrielle Sorespi Bretagne SAS (ci-après Sorespi), spécialisée dans le traitement de l'anticorrosion et des revêtements spéciaux a été rachetée en 2008 par la société Fougeray. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euro en 2009.
B. LES APPELS D'OFFRES CONCERNÉS
11. L'enquête et l'instruction ont porté sur plus d'une dizaine d'appels d'offres relatifs à des marchés de réfection d'ouvrages métalliques organisés par des acheteurs publics ou privés, entre 2004 et 2006, parmi lesquels six font l'objet des développements ci-après.
1. L'APPEL D'OFFRES DU PORT DE BREST POUR LA PÉRENNISATION DE PIEUX DE QUAIS
12. Le port de Brest a lancé, le 23 février 2005, un marché en deux tranches portant sur la pérennisation de pieux soutenant des quais. Une tranche ferme concernait les pieux des quais de réparation n° 4 et 5 et une tranche conditionnelle sur les quais n°1 et 3ème éperon. Ces opérations étaient estimées au total à 2,8 millions d'euro, dont 1,85 million pour la tranche ferme.
13. Selon le responsable du bureau " commande publique " à la DDE du Finistère, il était demandé aux candidats de proposer une moins-value sur le poste " 1 a " de la tranche conditionnelle " installation et repli de chantier " dans l'éventualité de l'affermissement de la tranche conditionnelle.
14. La date limite de réception des offres était fixée au 4 avril 2005. Les entreprises Lassarat, Prezioso, Tetis, Soprotec et Grivetto ont répondu dans le délai. Grivetto n'a pas présenté d'offre en s'en excusant et les entreprises Tetis, Soprotec ont été écartées pour insuffisance de garanties professionnelles et financières. L'entreprise Maës, qui avait retiré un dossier, n'a pas soumissionné.
15. Ce premier appel d'offres a été déclaré infructueux, les seules offres en compétition étant celles des entreprises Lassarat et Prezioso. Toutes deux inférieures à l'estimation de 2 802 347,60 euro TTC, elles se présentent de la manière suivante :
<emplacement tableau>
16. Un second appel d'offres a été lancé le 29 avril 2005. Grivetto, Lassarat, Prezioso et un groupement Soprotec/Tetis ont présenté des offres, se situant toutes en dessous de l'estimation de la DDE du Finistère portée à 2 899 462,00 euro TTC :
<emplacement tableau>
17. Seule l'entreprise Prezioso, à laquelle le marché a été finalement attribué pour un montant de 2,25 millions d'euro, soit moins de 1 % inférieur à son offre initiale, a alors fourni une offre complète, conforme au cahier des charges et sans incohérence.
2. L'APPEL D'OFFRES DU PORT DE NANTES SAINT-NAZAIRE, RELATIF AU MARCHÉ DE PEINTURE DE SIX ENGINS PORTUAIRES
18. Cet appel d'offres restreint lancé par le port autonome de Nantes Saint-Nazaire (ci-après PANSN) concerne la réfection de six engins de levage et comporte six lots distincts. Les lots n° 1 et 2 portent sur deux grues du port de Nantes (n° 7 et 11), qui ne contiennent pas de plomb. Les lots n° 3 et 4 correspondent à des grues situées sur le même site portuaire (n° 14 et 15) qui comportent du plomb ; le lot n° 5 porte sur une grue HMK 280 située à Montoir de Bretagne et le lot n° 6 porte sur un engin élévateur " bigue " de 400 tonnes, situé à Saint-Nazaire.
19. L'avis d'appel à concurrence était publié au BOAMP le 26 novembre 2005, l'ouverture des candidatures effectuée le 10 janvier 2006, pour un envoi du dossier de consultation des entreprises le 23 février 2006 avec une date limite de réception des offres le 14 avril 2006.
20. Sur 14 candidats, seules les entreprises Lassarat, Sorespi Bretagne, Borifer, Prezioso, Maës et TSI ont été agréées pour présenter une offre. Grivetto, qui avait candidaté, a été écartée en raison de références datant de 1993.
21. Parmi les six candidats ayant présenté des offres, seule l'entreprise Prezioso a soumissionné pour la totalité des lots. Les soumissions, examinées par la commission d'appel d'offres le 18 avril 2006, ont été les suivantes :
<emplacement tableau>
22. Le prix n'est entré que pour partie dans les critères d'appréciation des offres évalués en pourcentage : la valeur technique de l'offre au regard des moyens mis en œuvre pour les travaux et le contrôle d'exécution représentent 40 %, le montant des travaux 35 % et le délai d'exécution 25 %.
23. L'épaisseur de peinture requise a été fixée dans le cahier des charges à 380 microns ; l'entreprise Maës, s'en tenant à une spécification moindre, correspondant à celle du fournisseur de peinture, a de ce fait été éliminée du marché alors qu'elle était mieux disante pour trois des lots.
24. Les offres de Sorespi et TSI ont été moins bien classées en termes de prix et ne respectaient pas non plus les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières relatives à l'épaisseur de peinture.
25. Borifer s'est conformé aux critères techniques à la suite d'une demande de précisions de la part du PANSN, mais a proposé des prix incohérents entre types de grues et des délais de réalisation plus longs.
26. Lassarat, moins bien classée en termes de prix, a en outre proposé un montant identique pour les quatre premiers lots, que les grues contiennent ou non du plomb.
27. Prezioso, qui est la seule à avoir répondu à la spécification relative à la peinture, a été finalement classée en tête pour chacun des lots. Les cinq premiers lots lui ont été attribués, mais le lot n° 6 ne l'a pas été en raison de l'absence de concurrence.
3. L'APPEL D'OFFRES DU PORT DU HAVRE RELATIF À L'ÉCLUSE FRANÇOIS PREMIER
28. Le service des marchés du port autonome du Havre a lancé, en mars 2005, une procédure de consultation pour la réfection de la peinture de la porte P 2 de l'écluse François Premier, située dans le port du Havre. La date limite de réception des offres était fixée au 4 avril 2005.
29. Après un premier appel d'offres demeuré infructueux au 18 mai 2005, le port a relancé une procédure négociée le 6 juin.
30. Grivetto, Lassarat et Prezioso ont soumissionné aux deux appels d'offres.
31. Grivetto qui a indiqué ne pas pouvoir réduire ses coûts pour le second appel d'offres, a soumissionné au prix de 4 774 380 euro (hors taxes). Elle a été informée le 3 août 2005 que son offre n'avait pas été retenue.
32. Le marché estimé à 3 300 000 euro TTC par le port a été attribué pour un montant de 3 238 291 euro au groupement Isotherma/TIM.
4. L'APPEL D'OFFRES RELATIF À LA CONDUITE FORCÉE EDF DE PRAGNÈRES
33. Les conduites forcées sont des équipements d'adduction d'eau destinés à alimenter des centrales hydroélectriques. Lorsqu'elle fait effectuer des travaux sur celles-ci, EDF a recours à un système de présélection d'opérateurs qualifiés. Une mise en concurrence spécifique est ensuite organisée, pour chaque marché, parmi les entreprises qualifiées.
34. Le 7 mars 2006, EDF a lancé un appel d'offres pour la réfection de la conduite forcée de Pragnères (commune de Gèdre, 65), comportant un volet ferme et une part optionnelle. La date limite de retour des offres était le 21 avril 2006. Les entreprises Vallée anticorrosion et Lassarat ont remis des offres de 2 182 527 euro et 2 194 468 euro. Prezioso, qui avait été consultée, n'a pas remis d'offre.
35. L'entreprise Grivetto a remporté ce marché d'un montant final négocié de 1 776 175 euro, pour une part ferme, au moment de la signature de l'acte d'engagement, le 4 avril 2006, s'élevant à 1 425 millions d'euro et une part optionnelle résiduelle.
5. L'APPEL D'OFFRES DU CONSEIL GÉNÉRAL DE LOIRE ATLANTIQUE POUR LE MARCHÉ DE RÉPARATION ET REMISE EN PEINTURE DU PONT DE VARADES
36. En 2005, le conseil général de Loire Atlantique a lancé un appel d'offres pour la réparation et la remise en peinture du pont de Varades (44), opération nécessitant d'associer une entreprise de réfection et une entreprise de peinture. La date limite de réception des offres était fixée au 10 février 2006. Quatre groupements ont été retenus, et trois d'entre eux ont effectivement remis des offres. La commission d'appel d'offres s'est réunie le 28 mars 2006, et a enregistré les offres suivantes :
- Groupement Lassarat/Baudin 2 495 660 euro
- Groupement Maes/Eiffel 3 390 154 euro
- Groupement Prezioso/Freyssinet 1 655 779 euro
37. Cette dernière offre a été jugée irrecevable, en raison notamment d'une part, de la formulation par l'entreprise de réserves concernant la protection anticorrosion de parties du tablier du pont et, d'autre, part d'un prix estimé anormalement bas. Le premier appel d'offres a été déclaré infructueux.
38. Un second appel d'offres a été lancé au moyen d'une procédure négociée, les offres devant être remises le 28 avril 2006 au plus tard. Les groupements Prezioso/Freyssinet et Lassarat/Baudin ont alors à nouveau déposé des offres :
<emplacement tableau>
39. Le groupement Lassarat/Baudin, qui était, après négociation, le mieux disant, a obtenu le marché pour un montant de 2 384 464 euro (cote 5109).
6. L'APPEL D'OFFRES DU PORT AUTONOME DE BORDEAUX RELATIF AU PORTIQUE SITUÉ SUR LE TERMINAL CONTENEURS LE VERDON
40. Ce marché concerne la réfection d'un portique dit " Caillaud " (P 201) situé sur le terminal portuaire du Verdon. En 1998, ces travaux avaient été confiés à la SNCB depuis lors en liquidation judiciaire. Des malfaçons ont été constatées, ce qui a conduit le port autonome à engager une action judiciaire, à l'issue de laquelle une indemnité globale de 2,2 millions d'euro lui a été attribuée.
41. En 2006, la reprise des malfaçons correspondant à l'appel d'offres a été estimée à 350 000 euro par un bureau d'études, montant correspondant à une estimation antérieure de l'entreprise MTS, laquelle avait effectué un chantier sur un équipement voisin en 1999 et constaté l'état du portique Caillaud.
42. La date limite de réception des candidatures était fixée au 10 avril 2006 et la date limite de réception des offres au 30 mai 2006.
43. Après sélection des candidats, l'appel d'offres auquel ont répondu les entreprises Borifer, Lassarat et Prezioso était déclaré infructueux, les prix proposés par ces entreprises étant de cinq à six fois supérieurs au montant évalué. L'offre mieux-disante était celle de Prezioso pour 1 938 050 euro en solution de base et 2 125 612 euro en solution variante. L'entreprise Lassarat proposait une offre unique à 2 149 163 euro. L'entreprise MTS a renoncé à formuler une offre, sa dimension ne lui permettant plus d'effectuer de tels chantiers.
44. Le marché n'a pas été relancé " compte tenu de la valeur vénale d'amortissement de ce portique ".
C. LES PRATIQUES RELEVÉES
45. Les pratiques suivantes ont été constatées sur les six marchés décrits plus haut.
1. SUR LE MARCHÉ DES PIEUX DU PORT DE BREST
46. Lors du premier appel d'offres, la société Lassarat, bien qu'ayant retiré un dossier papier, a répondu le 30 mars 2005 au moyen d'un fichier informatique de type Excel intitulé : " 1-7-detail-estimatif-tranche-ferme.la.xls" (suivi de la date d'utilisation du fichier, mise en gras ajoutée) qui ne correspond pas au nom initial du document : " 1-7-detail-estimatif- tranche-ferme.xls " (mise en gras ajoutée).
47. La société Prezioso, qui avait retiré le dossier sous forme informatique, a répondu le 31 mars 2005, date d'utilisation du fichier, au moyen d'un fichier similaire, mais qui ne correspond pas non plus à la simple utilisation du fichier qu'elle a retiré : " 1-7-detail-estimatif-tranche-ferme..xls " (mise en gras ajoutée).
48. La mention " la " est ainsi absente du document adressé par l'entreprise Prezioso le 31 mars 2005, mais le point isolant la première partie du nom du fichier de son type demeure (.xls).
49. Par ailleurs, de fortes corrélations entre les chiffres contenus dans l'une ou l'autre des soumissions sont constatées. Les chiffres de Prezioso sont, pour un grand nombre de postes, ceux de Lassarat affectés du même coefficient multiplicateur de 0,88. Tel est le cas pour la tranche ferme des postes, " récupération et élimination des produits de sablage ", " coquilles à assembler par boulonnage ", " interruption de chantier ", et, pour la tranche conditionnelle, en outre pour les postes " mesures d'épaisseurs résiduelles ", " renforcement des pieux 7 a1 et 7 a2 " et le poste " contrôle qualité documents divers ". Les montants des postes de l'offre Prezioso apparaissent donc comme ayant été établis en opérant une réduction à partir de ceux de Lassarat grâce à des coefficients multiplicateurs (cotes 20 et suivantes, 133 ; 134 ; 164 ; 165 ; 167 ; 225 et suivantes).
50. Un même montant de 35 134 euro, correspondant au poste de moins-value applicable pour absence de repli de chantier, dans l'hypothèse de la réalisation de la tranche conditionnelle, figure dans chacune de ces deux offres. Cette donnée, qui ne correspond qu'à une éventualité, est située au dessous de la ligne de récapitulation du total. Le montant figurant dans cette cellule du tableur est une donnée saisie. Ce chiffre n'est pas calculé automatiquement lors de la modification des lignes précédentes, sauf si cette ligne était corrélée à d'autres lignes du tableau au moyen d'une formule de calcul non apparente, ce qui aboutirait en toute hypothèse à un résultat nécessairement différent (cotes 165 et 134).
51. En outre, cette moins-value n'était justifiée dans aucun des dossiers retournés à la direction départementale de l'équipement, laquelle a dû demander aux deux soumissionnaires le détail du calcul. Les réponses à cette demande comportent des rubriques très différentes, Prezioso y fait figurer une rubrique " amenée et replis sous-traitant " laquelle n'était pas mentionnée dans le poste " installation et repli de chantier ", ce qui dénote la volonté de reconstituer le chiffre de 35 134 euro postérieurement au dépôt de l'offre (cote 177).
52. M. X..., directeur de l'agence Lassarat de Montoir à l'époque des faits, indique qu'il a procédé lui-même au calcul de cette moins-value et en fournit spontanément le détail. Il estime que l'identité de ce montant avec celui de Prezioso relève d'une " incroyable coïncidence ", et justifie l'absence de sous-détail lors de la réponse à l'appel d'offres par le fait qu'il a lui même dicté téléphoniquement ce chiffre à M. Y..., son chargé d'affaires (cotes 3631 et 3620).
53. M. Y... confirme cette information. Il nie l'existence d'une rencontre pourtant inscrite dans son agenda avec M. Z..., directeur de l'agence Prezioso de Donges, le 30 mars 2005 à 9 heures, le jour même du dépôt de l'offre de Lassarat. Il affirme que la mention dans son agenda est sans objet parce qu'il a obtenu la veille un cadre de réponse vierge de la part d'un salarié de Prezioso (cote 5064).
54. Toutefois, cette dernière allégation n'est compatible, ni avec les concordances entre les divers postes des offres, ni avec l'identité du montant de la moins-value, ni avec l'intitulé du fichier de l'offre de Prezioso.
55. La seule explication valable réside dans la transmission par Lassarat de son fichier déjà renseigné à Prezioso, qui a supprimé la référence " la " dans l'intitulé de son offre. La date du 30 mars à neuf heures, notée dans l'agenda de M. Y... pour une rencontre avec M. Z..., peut correspondre à une transmission de l'offre complète de Lassarat à Prezioso, sur un fichier Excel. L'identité du poste de moins-value et la corrélation entre de nombreux prix de soumission ne peuvent relever d'une " incroyable coïncidence ", mais démontrent au contraire que Presiozo a utilisé un tableau renseigné, que lui a fourni Lassarat, pour établir son offre. Cette corrélation des prix s'est opérée en omettant une ligne, située au dessous du total. La ligne relative à la moins-value en cas d'absence de repli de chantier a été calculée et remplie par Lassarat et son montant repris à l'identique par Prezioso. Or, l'estimation de la moins-value est nécessairement liée à des coûts objectifs d'installation et de transports qui diffèrent dans l'une et l'autre offre.
56. Lors de leur audition, MM. X..., A... et B..., agent commercial de Prezioso n'ont pas été en mesure de donner une autre explication.
57. La comparaison des offres a conduit la commission d'appel d'offres à déclarer le premier appel d'offres infructueux. Cependant, les résultats du second appel d'offres, au terme duquel Prezioso a obtenu le marché, ont également été influencés par le comportement des deux entreprises. Lassarat a baissé son offre sur le seul poste de la tranche conditionnelle ainsi que sur la moins-value, sans la rendre inférieure à l'offre faite lors du premier appel par Prezioso. Les prix proposés par cette dernière ont maintenu inchangé le poste de la moins-value pour absence de repli de chantier dans la tranche conditionnelle, chiffre provenant de la première offre de Lassarat.
2. SUR LE MARCHÉ DU PORT DE NANTES SAINT-NAZAIRE, RELATIF AU MARCHÉ DE PEINTURE DE SIX ENGINS PORTUAIRES
58. Une note manuscrite non datée, saisie dans les locaux de l'entreprise Lassarat (cote 2593), fait ressortir que celle-ci a eu connaissance du nombre exact et de l'identité des compétiteurs qui ont répondu à cet appel d'offres, à l'exception de l'entreprise Borifer dont le nom ne figure pas sur la liste mais dont l'existence parmi les soumissionnaires est attestée par un tiret :
<emplacement tableau>
59. Sur cette note, en regard des noms de plusieurs de ces entreprises figurent des prix. Il convient d'examiner en premier lieu les échanges qui ont pu avoir lieu entre Lassarat et Prezioso et en second lieu les échanges entre Lassarat et Sorespi.
a) Entre Lassarat et Prezioso
60. M. X..., directeur de l'agence Lassarat de Montoir, auteur de cette note, a indiqué lors de son audition que ces chiffres correspondent à une recherche de prix, ce que tend à confirmer la mention de 69 000 euro, prix auquel Lassarat pouvait alors envisager le montant de sa soumission, homogène pour quatre des lots, et de 53 800 euro correspondant à son offre sur la grue MHK.
61. Ces éléments sont donc antérieurs à la réponse de Lassarat à l'appel d'offres.
62. Figurent également en regard des noms des entreprises Prezioso, TSI et Maës des numéros de téléphone portable des responsables de ces entreprises montrant que Lassarat était en contact avec ses concurrents pour rechercher des informations.
63. M. X... a par ailleurs noté dans son agenda des rendez-vous avec la société Prezioso, le 3 avril 2006 et avec TSI le 13 mars 2006.
64. Une autre note, rédigée par M. Y... et datée du 12 avril 2006, soit immédiatement avant la remise des offres, a été saisie dans l'agence de l'entreprise Lassarat. Elle fait également état des prix de soumission de Prezioso, arrondis, en mentionnant l'existence de plomb dans la grue n° 2 (cote 2594).
65. Ces prix sont très proches de ceux qui figurent dans la partie droite de la note de M. X... reproduite point 58. Celui-ci a déclaré lors de son audition : " Cette deuxième partie de document doit être postérieure, ce sont les prix attribués " avant d'ajouter que ces prix avaient pu être obtenus par la presse (cote 5044).
66. Cette hypothèse est cependant contredite par les faits : d'une part, les prix indiqués ne sont pas exacts mais arrondis ; d'autre part, l'un des lots, dont le prix de soumission de Prezioso figure dans les deux notes, n'ayant pas été attribué, ce montant n'a pas pu être publié (cote 4312).
67. En outre, M. B..., de Prezioso, reconnaît avoir donné ses prix à M. X..., de Lassarat, avant les réponses à l'appel d'offres. Les intéressés ont expliqué avoir voulu constituer un groupement, qui aurait échoué en amont de l'attribution du marché. Mais cette explication ne repose sur aucune justification et même si tel était le cas, elle ne saurait valider le comportement des entreprises qui ont déposé des offres séparées.
b) Entre Lassarat et Sorespi
68. Le document ci-dessus cité de M. X... fait mention, en haut à gauche, des prix de soumission de Sorespi, soit 54 000, 57 000 et 60 000 euro, avec l'échéancier de réalisation des travaux.
69. Cette entreprise a reconnu, lors de son audition, avoir donné téléphoniquement ses prix de soumission à M. X.... Selon MM. C... et D..., de l'entreprise Sorespi, cette communication serait postérieure à l'attribution du marché : " M. X... nous a appelé, bien plus tard, de façon informelle, pour parler de l'état général du marché, comme il le fait parfois, une ou deux fois par an, ce qui fait partie de relations normales. Il nous a demandé si nous avions répondu à l'appel d'offres du port de Nantes. Je lui ai donné mes prix de soumission par téléphone, considérant que cette affaire était caduque. Je ne vois pas d'autre explication " (cote 6453).
70. Il convient de rappeler que les autres mentions portées sur ce document sont antérieures à la date limite de réponse à l'appel d'offres. De plus, M. X... a déclaré avoir obtenu les prix de Sorespi " en même temps que les dates de réalisation des travaux sur les grues " (cote 3632). Or, cet échéancier était connu lors des visites du chantier par Lassarat, en mars 2006 ou au plus tard le 5 avril 2006, comme le confirme un autre document (cote 2598), en tout cas antérieurement à la date limite de dépôt des offres fixée au 14 avril 2006.
71. Les représentants de l'entreprise Sorespi, qui ont admis avoir eu des contacts téléphoniques avec M. X..., n'ont pas pu fournir d'explication au fait qu'au regard des prix de Sorespi figure l'échéancier de réalisation du chantier par type de grues. Or, cette mention, comme les propos de M. X... et l'ensemble des mentions de la note, confirment l'antériorité de cette note par rapport à la réponse de Lassarat à l'appel d'offres.
72. L'ensemble de ces éléments démontre que préalablement à la formulation de ses offres, Lassarat a eu connaissance des prix de soumission de deux de ses concurrents, Prezioso et Sorespi. Lassarat, après ses échanges avec Prezioso, a fixé ses offres à des montants nettement supérieurs à ceux de cette dernière, sans différenciation tarifaire selon les lots, alors que certains nécessitaient des travaux supplémentaires de désamiantage.
3. SUR LE MARCHÉ DE L'ÉCLUSE FRANÇOIS PREMIER AU PORT DU HAVRE
73. Une télécopie a été saisie dans les locaux de l'entreprise Grivetto, émanant de l'agence Lassarat de Notre-Dame de Gravenchon (76). Cette télécopie intitulée : " Écluse François 1er, réfection de la porte P2, votre détail " puis : " réfection de la peinture/Grivetto " a été adressée à l'entreprise Grivetto le 7 avril 2005 à 7 heures 33. Elle contient le détail de postes de prix, ainsi qu'un montant total d'offre de 5 710 158 euro (4 774 380 hors taxes).
74. Ce document, comme la lettre du port du Havre annonçant à l'entreprise Grivetto qu'elle n'est pas retenue après la procédure négociée, porte en outre les mentions manuscrites " 819 000 euro plus cher " et " trop cher de 819 000 euro par rapport à Lassarat ". Ces mentions démontrent que M. E... a eu connaissance du prix de soumission envisagé par Lassarat. En effet, ce montant de 819 000 est la différence entre le montant de soumission de Lassarat et le prix auquel l'entreprise Isotherma a obtenu le marché (3 238 291 euro). Le chiffre 4 058 223, correspondant au montant de l'offre de Lassarat, figure en outre sur la télécopie.
75. M. E... a admis avoir demandé un prix de soumission à Lassarat et avoir fait une offre au prix ainsi transmis en raison de l'échec d'une tentative de groupement. L'entreprise Grivetto ayant sollicité une prolongation de son délai de réponse, elle a soumissionné le jour même de la réception de cette télécopie, puis n'a pas modifié son offre lors du second appel d'offres.
4. SUR LE MARCHÉ DE LA RÉFECTION D'UNE CONDUITE FORCÉE EDF DE PRAGNÈRES
76. Une télécopie, datée du 4 avril 2006 à 11 heures 25, provenant de l'entreprise Grivetto a été saisie au siège de l'entreprise Prezioso. Ce document comporte le détail de l'offre de Grivetto pour le marché EDF de Pragnères et plusieurs mentions manuscrites dont les premières sont : " Attention M. F...... ", suivie de " nos prix à majorer à votre convenance ".
77. Prezioso n'a pu donner aucune explication à la présence de ce document ni dire quelles en ont été les suites. Le document comporte un tampon " Prezioso - siège " et " Exploitation F2 " à la date du 4 avril 2006 et à côté du tampon Prezioso, figure une mention manuscrite " OK 4/4/06 ", attestant la réception du document et sa prise de connaissance par Prezioso qui n'a en définitive pas déposé d'offre.
78. M. E..., expéditeur de ce document, a tout d'abord soutenu qu'un groupement était envisagé. Or, le système de qualification des opérateurs retenu par EDF exclut que les entreprises sélectionnées pour un marché puissent se grouper une fois cette sélection opérée. De plus, Grivetto a signé le projet de marché valant acte d'engagement le même jour que l'envoi de la télécopie et n'avait donc pas l'intention de former un groupement avec Prezioso. Puis, au cours d'une seconde audition, M. E... a déclaré : " Je vous confirme que c'est moi qui l'ai envoyé. M. F... m'a demandé mes prix, puisqu'il souhaitait répondre à l'appel d'offres d'EDF mais il ne comptait pas obtenir le marché. Simplement, il ne pouvait pas - pour des raisons commerciales évidentes - ne pas répondre à cet appel d'offres, tout en considérant qu'il n'avait pas la compétence technique pour remporter ce marché particulier. C'est donc lui qui est à l'initiative de la demande. Il est impossible à une petite entreprise comme la mienne de ne pas répondre à une telle sollicitation ". Il reconnaît par ailleurs qu'il " n'aurait pas dû accepter cela " (cote 4988 et 4989).
79. Ces éléments démontrent que les entreprises Grivetto et Prezioso ont échangé des informations sur les prix de l'offre et que Prezioso a décidé, à l'issue de ces échanges, de ne pas déposer d'offre.
5. SUR LE MARCHÉ DES TRAVAUX DE RÉFECTION DU PONT DE VARADES
80. Dans un ensemble de notes prises par M. F... de l'entreprise Prezioso, sont indiquées à la date du 14 mars 2006, les mentions suivantes concernant le pont de Varades (cote 5365) :
" Budget : 1,8 M - Lassarat M. G... (Région ouest) Pas céder
- 7 ans. Garantie
BE 1,4 million - Trop bien Pzo Lassarat
1,65M, 2,4M # 700K
- OS début mars travaux mai "8 mois" ".
81. Lors de son audition, l'auteur de cette note a fourni l'explication suivante : " Le prix de 2,4 millions n'est pas associé à Lassarat. 1,6 million peut être une estimation ou un prix de revient. 2,4 millions correspond au prix auquel on a soumissionné " (cote 5070).
82. Ces propos sont toutefois partiellement infirmés par ceux de M. B... de la société Prezioso. Même si le chiffre de 2,4 millions figure sur le document au dessous de Lassarat, il considère que les différents prix indiqués sur la note sont ceux de Prezioso. Mais il précise au sujet du chiffrage du second devis à 2,4 millions d'euro qui a constitué le montant de l'offre de Prezioso lors de la procédure négociée : " je me souviens simplement que cela a été un peu long à obtenir, notamment parce que le fournisseur de peinture Freitag était réticent pour fournir cette nouvelle garantie. Il a donc fallu du temps pour obtenir ce nouveau devis, au moins un mois " (cote 5118).
83. À la date à laquelle la note manuscrite est rédigée, soit avant l'ouverture des plis du premier appel d'offres le 28 mars 2006, le prix de 2,4 millions d'euro pour une nouvelle offre de Prezioso ne pouvait être utilement envisagé tant que le premier appel d'offres n'avait pas été déclaré infructueux. Lassarat a eu connaissance de la décision prise seulement le 10 avril (cote 6640), mais Prezioso ne donne aucune précision à ce sujet. En revanche, cette société indique qu' " à la date du 14 mars (elle) était en pleine réflexion sur la mise en conformité de son offre initiale avec les garanties exigées et sur les conséquences financières qu'une telle mise en conformité exigeait " (cote 6997). Cette assertion n'est pas une explication valable au fait que figure sur le document un chiffre de 2,4 millions en regard de Lassarat, tandis que le chiffre de 1,65 million d'euro, figurant à l'identique au regard de Prezioso, correspond à l'offre initiale faite par Prezioso pour ce marché. Elle n'explique pas non plus la mention : " Lassarat, M. G......pas céder ". Lors du conseil de surveillance de Prezioso du 31 mai 2006, le pont de Varades est encore cité dans les affaires " en chiffrage ", puis dans ce même document, comme entrant potentiellement dans le chiffre d'affaires de l'agence de Donges, dans les deux cas pour un montant de 1,5 million d'euro (cotes 5278 et 5280). Les propos tenus par M. B... montrent que le devis du fournisseur n'était pas disponible à la date du 14 mars 2006 ce qui ne permettait pas l'élaboration d'une nouvelle offre. Enfin, par courrier du 9 mars 2006, Prezioso avait fait une réponse précise concernant les garanties exigées et ne pouvait donc pas, avant toute décision de l'adjudicataire, s'attendre à une remise en cause de l'appel d'offres comme ses représentants le soutiennent (cotes 7031 et 7032).
84. À la date du 14 mars 2006, le montant de 2,4 millions d'euro figurant en dessous de la mention Lassarat ne peut donc s'expliquer que parce qu'il correspond à l'offre effectivement faite par ladite société en réponse au premier appel d'offres, pour lequel la date limite de dépôt des offres était le 10 février 2006. Ainsi, le 14 mars au plus tard, soit avant la réunion de la commission d'appel d'offres, qui a eu lieu le 28 mars, l'entreprise Prezioso connaissait le montant de l'offre de sa concurrente et pouvait en déduire l'écart de 700 000 euro avec sa propre offre, mentionné dans cette note.
85. Ceci est corroboré par la mention finale de ce manuscrit, selon laquelle les travaux doivent débuter en mai, ce qui apporte une preuve supplémentaire que ces notes sont liées au premier appel d'offres et non à la procédure négociée qui décalera les dates de travaux.
86. Bien que Lassarat " certifie de la façon la plus formelle n'avoir eu aucun contact avec quelque concurrent que ce soit au titre de cette affaire " (cote 6603), l'instruction fait apparaître qu'elle a communiqué son prix de soumission au premier appel d'offres à Prezioso avant que ne soit connu le résultat du premier appel d'offres.
87. Cet échange d'informations sur le prix est intervenu avant qu'intervienne le second appel d'offres qui s'est conclu par une procédure négociée. Il a faussé la concurrence sur ce marché. Le prix auquel le groupement Prezioso/Freyssinet a établi sa seconde offre est très proche de celui de la première offre de Lassarat, ce qui manifeste la volonté de Prezioso d'ajuster son prix en fonction de l'offre de son concurrent en lui laissant cependant la possibilité de remporter le marché après les négociations avec le maître d'ouvrage.
6. SUR LE MARCHÉ DE RÉFECTION DU PORTIQUE DU VERDON POUR LE PORT AUTONOME DE BORDEAUX
88. Une note manuscrite du directeur revêtement de Prezioso, M. F..., saisie au siège de l'entreprise porte les mentions suivantes (cote 673) : " Mantovani, Derpi, Borifer, Bordenave, ", puis dans une seconde partie :
" Verdon
Budget. "1,5 M.."...
= Lassarat............
Portique...... Demander Dossier
SNCBE ................... assureur
mmA......... Payer
chèque 2,5 millions Perdu Appel Port Autonome
[....]
2 280 K Réponse ".
89. L'intéressé a justifié cette note manuscrite en indiquant qu'elle correspondait à la recherche de renseignements sur l'état de la concurrence dans le Sud-Ouest, et sans expliquer l'indication du prix accolé à celui de l'entreprise Lassarat sous la mention " Verdon", ni la mention d'un contentieux lié à l'exécution du marché antérieur réalisée par l'entreprise SNCB.
90. La note, qui est antérieure au retrait du dossier, comme en attestent ses termes mêmes, montre que Prezioso a cherché à obtenir des informations sur ses concurrentes pour ce marché. Toutes les sociétés contactées par le port autonome y figurent, MTS, dont M. H... est le président et directeur général, ayant cependant renoncé le 24 mai 2006, six jours avant la date limite de remise des offres.
91. La mention " Budget. "1,5 M.."... = Lassarat ", pourrait refléter la communication d'un prix par un concurrent antérieurement au dépôt des offres.
92. L'offre de Prezioso n'a par ailleurs pas été établie en tenant compte des coûts mais d'un " budget " du port, qui correspond au montant de l'indemnisation obtenue par le port autonome dont la note de M. F... prouve une connaissance précise, ou à des expertises fournies à celui-ci pour un décapage et une rénovation totale, opérations qui ne correspondent pas aux travaux faisant l'objet de l'appel d'offres. Dans un fax, M. B... de l'entreprise Prezioso, écrit, le 22 août 2006, après avoir rappelé que le chiffrage du bureau d'études se monte à 1,5 million d'euro : " sachant que le client avait un budget d'1,9 million, j'ai demandé à modifier les rendements pour entrer dans le budget client (en notre faveur) " (cote 5272). Cette revalorisation que ne justifie nullement la prise en compte d'un " budget client " est expliquée par une modification des techniques de peinture à utiliser. Un calcul manuscrit de M. F..., daté du 24 mai 2006 (cotes 5403 et 5404), aboutit, pour une peinture au rouleau, à un montant de 1 685 000 euro, et mentionne en marge le chiffre d'1,9 million d'euro, ce qui atteste que dès le mois de mai, c'est bien ce niveau de prix de soumission qui était envisagé.
93. Les trois offres présentées par Borifer, Lassarat et Prezioso ne portent pas sur des travaux d'avivage et de reprise des seules parties corrodées mais sur la réfection totale de cet équipement qui n'était pas demandée par le maître d'ouvrage et chacune dépasse le montant de 1,9 million d'euro, celle de Prezioso s'élevant à 1 938 050 euro et à 2 125 612 dans sa solution variante et celle de Lassarat s'élevant à 2 149 163 euro.
94. Prezioso et Lassarat n'ont pas cherché à déposer des offres compétitives et répondant précisément à la demande, mais ont cherché à obtenir du port une rente maximale fondée sur l'indemnisation perçue par celui-ci. Il en est résulté une hausse significative des prix de soumission proposés, très éloignés de l'estimation faite par le port.
D. LES GRIEFS NOTIFIÉS
95. Les griefs suivants ont été notifiés le 22 octobre 2009 :
" Au vu de l'ensemble des éléments analysés ci-dessus, des griefs sont notifiés à chacune des sociétés suivantes, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité, à raison des marchés énumérés ci-dessous :
Grief N° 1, port de Brest :
Il est fait grief à
. Prezioso, d'une part,
. Lassarat, d'autre part,
d'avoir déposé, à l'occasion du premier appel d'offres lancé le 23 février 2005 par le port de Brest, des offres dont la coordination et l'absence d'autonomie sont établies. L'offre de la société Lassarat présente les caractéristiques d'une offre de couverture ayant pour but de faire apparaître Prezioso comme mieux-disante pour l'attribution de ce marché, conduisant le port à le déclarer infructueux. L'ensemble de ces pratiques a contribué à abuser le maître d'ouvrage quant à la réalité de la concurrence sur le marché et a favorisé une hausse artificielle du prix final des prestations lors du second appel d'offres.
Griefs N° 2 et N° 3, engins du port de Saint Nazaire
Il est fait grief à
Prezioso, Sorespi et Lassarat
d'avoir, pour les deux premières, transmis à Lassarat leurs prix de soumission respectifs en réponse à l'appel d'offres lancé par le port de Saint Nazaire le 23 novembre 2005, portant sur la réfection de six engins portuaires, échanges portant sur chacun des lots auxquels ces entreprises soumissionnent,
et à
. Lassarat d'une part
. Prezioso d'autre part
de s'être entendues sur leurs prix respectifs pour ce même appel d'offres. L'offre de Lassarat présente les caractéristiques d'une offre de couverture.
Grief N° 4, port du Havre
Il est fait grief à
. Lassarat d'une part
. Grivetto d'autre part
d'avoir déposé des offres coordonnées en réponse à un appel d'offres du port du Havre portant sur la rénovation d'une porte de l'écluse François premier. L'offre de Grivetto présente les caractéristiques d'une offre de couverture.
Grief N° 5, conduite forcée de Pragnères
Il est fait grief à
. Prezioso d'une part
. Grivetto d'autre part
de s'être coordonnées pour la réponse à l'appel d'offres lancé par EDF concernant la conduite forcée de Pragnères, les prix envisagés par Grivetto ayant été transmis à Prezioso, avec la possibilité explicite pour celle-ci d'en prévoir la majoration.
Grief N° 6, pont de Varades
Il est fait grief à
. Prezioso, d'une part
. Lassarat, d'autre part
d'avoir échangé des informations sur leurs prix respectifs pour répondre à un appel d'offres du conseil général de Loire Atlantique, portant sur la réfection de la suspension des appuis et bordures et sur la réfection du tablier du pont de Varades, Prezioso alignant ses prix sur ceux de Lassarat lors du second appel d'offres.
Grief N° 7, port du Verdon
Il est fait grief à
. Prezioso, d'une part
. Lassarat, d'autre part,
d'avoir échangé des informations lors d'un appel d'offres portant sur la réfection d'un portique sur le port du Verdon, et abouti à majorer substantiellement les offres en rendant l'appel d'offres infructueux.
Ces pratiques constituent un obstacle à la libre concurrence et, par leur objet et leur effet anticoncurrentiel, elles sont contraires aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité ".
E. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
96. Les sociétés Lassarat, Prezioso et Grivetto, ont, à la suite de la notification de griefs, décidé de ne pas les contester. Elles ont ainsi respectivement signé les 5, 10 et 19 février 2010, un procès-verbal de mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, c'est-à-dire de non contestation des griefs.
97. L'article L. 464-2 III du Code de commerce dispose : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction. "
98. Prenant acte de la position de la société Grivetto de ne pas contester les griefs, le rapporteur général adjoint a proposé à l'Autorité de la concurrence de lui accorder le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce afin que la sanction pécuniaire, le cas échéant encourue par cette dernière, soit réduite dans une proportion de 10 % du montant qui lui aurait été normalement infligé.
99. En application de cet article, les sociétés Lassarat et Prezioso ont, par ailleurs, pris au terme de ces procès verbaux un certain nombre d'engagements.
100. Les engagements souscrits par l'entreprise Lassarat sont :
" 1er engagement :
Le président directeur général de la société Philippe Lassarat transmettra la décision à intervenir de l'Autorité de la concurrence à chacun des chefs d'agences et leur demandera de la porter à la connaissance de tous les chargés d'affaires, en attirant leur attention sur le risque de remise en cause de la pérennité de l'entreprise si celle-ci venait à être sanctionnée une nouvelle fois pour avoir enfreint les dispositions de droit interne et/ou communautaire visant à assurer le libre jeu de la concurrence.
2e engagement :
Le président directeur général de la société Philippe Lassarat entreprendra la visite de chaque agence pour expliquer et commenter la décision à intervenir de l'Autorité de la concurrence et rappellera à cette occasion l'impérieuse obligation de respecter les dispositions de droit interne et communautaire tendant à assurer le libre jeu de la concurrence, en s'abstenant notamment de tout contact avec des concurrents potentiels préalablement à l'attribution des marchés pour lesquels l'entreprise a décidé de remettre une offre, sauf le cas particulier des remises d'offres en groupement d'entreprises dans le cadre d'appels d'offres publics, remises qui devront être précédées, dès le début des discussions avec les différents co-traitants potentiels, de la signature de conventions de groupement.
3e engagement :
La société Philippe Lassarat, dans le prolongement des séminaires de sensibilisation et de formation au droit de la concurrence en matière d'ententes qu'elle a organisés avec son Conseil le 27 mars 2008 (cf. les 19 attestations de présence ci-jointes ; pièces n° 2 - 1 à 2 - 19) et 25 janvier 2010 (cf. feuille de présence ; pièce n° 3), poursuivra la mise en place de ce programme auprès des directeurs commerciaux, des chefs d'agences et des chargés d'affaires et les informera des termes et de l'importance des présents engagements, ainsi que de l'obligation de s'y conformer.
Dans le cadre de ce programme, elle organisera annuellement avec un ou des intervenants spécialisés des séances obligatoires de formation des directeurs commerciaux, chefs d'agences et chargés d'affaires, tous susceptibles d'être en contact avec des entreprises concurrentes, sur le contenu des règles du droit de la concurrence.
Chaque séance fera l'objet de l'établissement d'une feuille de présence.
4e engagement :
Lors de la réunion annuelle intitulée " bilans et perspectives " devant se tenir au mois de mars 2010, le président directeur général de la société Philippe Lassarat remettra aux directeurs commerciaux et aux chefs d'agences une charte relative aux " pratiques de libre concurrence " (pièce n° 4).
Cette charte sera remise en double exemplaire, l'un des exemplaires étant conservé par son destinataire et destiné à être affiché en permanence dans les locaux de chaque agence et de chaque antenne, le second devant être restitué, dûment daté, signé et revêtu de la mention " pris connaissance, le ........... " au président directeur général.
Lors de la visite de chaque agence, telle qu'évoquée dans le second engagement, le président directeur général de la société Philippe Lassarat remettra cette charte à chacun des chargés d'affaires en double exemplaire, l'un des exemplaires étant conservé par son destinataire, le second devant être restitué dûment daté, signé et revêtu de la mention " pris connaissance, le ........... " au président directeur général.
Cette charte sera remise, dans les mêmes conditions que celles qui viennent d'être décrites, à chaque directeur commercial, chef d'agence ou chargé d'affaires nouvellement embauché.
5e engagement :
La société Philippe Lassarat, dans le cadre de sa campagne de renouvellement des délégations et subdélégations de pouvoirs applicables à compter du 1er avril 2010 (pièces n° 5, 6 et 7), y ajoute la clause suivante :
" Toute participation de votre part à une pratique anti-concurrentielle constituera une faute grave susceptible d'entraîner des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement ".
6e engagement :
Toutes les offres remises d'un montant supérieur à 30 000 euro HT seront accompagnées d'une attestation aux termes de laquelle l'auteur de l'étude de prix certifiera avoir élaboré celle-ci dans le strict respect des dispositions au droit interne et communautaire tendant à assurer le libre jeu de la concurrence.
7e engagement :
Dans le cadre de la révision de son système qualité ISO 9001, dont la dernière version a été établie en 2008, la société Philippe Lassarat intègre les exigences comportementales visant à éviter les pratiques d'ententes prohibées et les abus de position dominante.
Cette révision porte sur :
- La procédure PRO S 003 03 décrivant le " traitement de la demande de prix " (pièce n° 8).
- Le " processus préparation et réalisation d'intervention " (pièce n° 9).
- Le " dossier d'affaires/processus " destiné à l'audit QSHE (pièce n° 10).
Elle consiste essentiellement à veiller à ce que :
- Le processus d'étude de prix soit uniformisé entre toutes les agences et s'appuie sur le programme informatique développé par l'entreprise.
- L'auteur de l'étude de prix élabore celle-ci dans le respect des dispositions du droit interne et communautaire tendant à assurer le libre jeu de la concurrence et atteste de ce respect, si le montant de l'offre est supérieur à 30 000 euro HT.
- Une convention de groupement soit conclue avec le(s) co-traitant(s) pressenti(s) dès le début des discussions avec ce(s) dernier(s), en cas d'appel d'offres public.
- L'offre soit accompagnée, le cas échéant, d'une lettre d'informations sommaires au Maître d'ouvrage public et au Maître d'œuvre, sur l'existence et le contenu des discussions qui auraient eu lieu avec des co-traitants potentiels dans le cadre de conventions de groupement et qui auraient échoué.
- Les devis, leurs tableaux récapitulatifs visés au 8e engagement ci-après, les conventions de groupement (y compris celles ayant été conclues avec des co-traitants potentiels et qui ont été résiliées suite à l'échec des discussions) et les lettres d'informations précitées soient conservés pendant un délai de 5 ans.
La société Philippe Lassarat produit à l'Autorité de la concurrence la version précédente des documents précités (pièces n° 11, 12 et 13) et leur version venant d'être mise à jour, de façon à mettre en évidence l'intégration dans la démarche qualité du critère du libre jeu de la concurrence.
8e engagement :
En association avec la nouvelle démarche qualité exposée dans le 7e engagement et afin de permettre à la direction générale de la société Philippe Lassarat d'avoir un suivi plus régulier et rigoureux de l'activité d'études des différentes agences, celles-ci transmettront par voie électronique au siège de l'entreprise, chaque vendredi après-midi ou, au plus tard, le lundi matin :
- Toutes les remises d'offres d'un montant supérieur à 30 000 euro HT, accompagnées de l'attestation de leur auteur certifiant les avoir étudiées dans le strict respect des dispositions de droit interne et communautaire tendant à assurer le libre jeu de la concurrence.
- Un tableau récapitulatif de ces devis, comportant les informations énoncées au point C2 de la procédure PRO S 003 03 " traitement de la demande de prix ".
Cette remontée d'informations au siège de l'entreprise sera complétée par l'instauration d'un système électronique de mise en ligne de tous les agendas professionnels des chefs d'agences et des chargés d'affaires.
9e engagement :
La société Philippe Lassarat créera, au cours du premier semestre 2010, une fonction d'auditeur interne, dans le cadre de laquelle ce dernier aura notamment pour mission de s'assurer du respect au sein de l'entreprise des dispositions de droit interne et communautaire relatives au libre jeu de la concurrence.
Cet auditeur interne, qui sera directement rattaché au président directeur général, pourra en particulier :
- Demander aux auteurs des études de prix tous renseignements utiles sur les conditions d'élaboration des offres adressées hebdomadairement au siège de l'entreprise, conformément à la nouvelle démarche qualité et au 8ème engagement.
- Requérir toutes explications auprès des personnels concernés au sujet des mentions figurant dans leurs agendas professionnels et qui auraient trait à des rendez-vous avec des membres d'entreprises concurrentes.
- Se rendre dans chacune des agences et antennes afin de procéder à un contrôle des conditions d'élaboration des offres.
Ses rapports seront conservés au siège de l'entreprise pendant une durée de 5 ans.
10e engagement :
Afin d'informer l'Autorité de la concurrence de l'exécution des engagements souscrits ci-avant, la société Philippe Lassarat lui adressera, au cours du 1er trimestre des 3 années civiles qui suivront la notification de la décision à intervenir, un rapport relatant la mise en œuvre desdits engagements lors de l'année précédente.
Au cours des années suivantes, ce rapport sera adressé à l'Autorité sur demande expresse de sa part. ".
101. Les engagements souscrits par l'entreprise Prezioso sont :
" Information
* Diffusion à l'ensemble du personnel (accompagnement d'une feuille de paye) d'un code de bonne conduite intégrant entre autres choses un volet relatif aux règles de la concurrence.
* Diffusion dans un but préventif auprès de l'ensemble du personnel d'un contact au sein de la direction juridique chargé de répondre à toute question ou problème rencontrés en matière de droit de la concurrence ;
* Diffusion au personnel d'encadrement (directions de départements et d'agences), commerciaux et personnel de bureaux d'études participant à l'élaboration des offres et devis (ci-après " le personnel ") des engagements pris auprès de l'Autorité de la concurrence ; et à l'ensemble du personnel de la modification du règlement intérieur de la société, en précisant notamment que la violation des règles de concurrence est susceptible de constituer une faute grave ou lourde de nature à entrainer un licenciement.
Formation
* Mise en place d'un programme de formation obligatoire en " droit de la concurrence " destiné au personnel. La fréquence minimale de cette formation sera annuelle.
* Remise à tout nouveau membre du personnel d'un dossier comportant le " code de bonne conduite " de la société, les supports de formation en droit de la concurrence et notes d'instruction sur le respect des règles de concurrence. La formation annuelle obligatoire en droit de la concurrence complétera le parcours d'intégration de ces nouveaux collaborateurs.
Contrôle
* Mise en place par la Direction générale de la société d'une procédure de contrôle et de validation préalable à tout projet de groupement. Dès lors que le projet de groupement a été validé par la direction, une convention de groupement sera obligatoirement signée. Aucune information susceptible d'enfreindre les règles du droit de la concurrence ne pourra être échangée avec le ou les partenaires potentiels avant cette phase de validation. La société s'engage, en cas d'échec du groupement, après la signature de la Convention de groupement, à en informer le client et à lui demander, le cas échéant, son accord pour répondre seule à l'appel d'offres concerné, en indiquant la liste des entreprises avec lesquelles elle a pu entrer en contact et échanger des informations allant au-delà des échanges sur les moyens techniques et humains. La société s'engage en outre à conserver, pendant une durée de cinq ans, des traces écrites des raisons de cet échec et le contenu des informations qui auront été échangées.
* Mise en conformité du document " procédure de traitement des appels d'offres " (établi et en vigueur dans le cadre du système qualité ISO9001 :2008 de la société) par ajout de deux instructions spécifiques concernant, l'une, le respect général des règles de concurrence ainsi que des points de contrôle de celui-ci dans le processus de traitement des appels d'offres, et, l'autre, les règles de concurrence dans le cadre de groupements d'entreprises.
* Mise en place d'un système informatique centralisé de suivi et de validation des offres et devis permettant d'identifier notamment les offres ou devis non justifiés par des études de prix (logiciel Lagos). Les références de ces offres ou de ces devis sujets à alertes seront archivées sous forme informatique ou papier pendant cinq ans.
* Tests de compréhension des formations en droit de la concurrence, mis en œuvre en fin des formations annuelles ; et délivrance d'attestations de suivi des formations droit de la concurrence.
* Remontée d'informations par la direction juridique à la direction générale des résultats des tests de compréhension, des problèmes rencontrés ou questions posées (avec anonymat).
Sanctions
* Intégration dans le règlement intérieur de la société du code de bonne conduite, avec indication des sanctions encourues pouvant aller jusqu'au licenciement.
* Intégration dans tout nouveau contrat de travail conclu avec un membre du personnel d'une clause rappelant que le non-respect des règles de concurrence est susceptible de constituer une faute grave ou lourde de nature à entrainer un licenciement.
Suivi
* Un rapport annuel sera envoyé au premier trimestre de chaque année à l'Autorité de la concurrence pendant 3 ans. Il indiquera notamment les actions de formation au droit de la concurrence ayant eu lieu, les résultats des tests et les attestations, ainsi que les questions éventuellement adressées au contact au sein de la direction juridique et ses réponses.
Les deux années suivantes et sur simple demande de l'Autorité de la concurrence, ce rapport annuel lui sera transmis. "
102. Prenant acte de la position des sociétés Lassarat et Prezioso, le rapporteur général adjoint a proposé à l'Autorité de la concurrence de leur accorder le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce et, pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements présentés, que la sanction pécuniaire, le cas échéant encourue par les entreprises Lassarat et Prezioso, soit réduite dans une proportion de 12 à 20 % du montant qui lui aurait été normalement infligé.
103. Ces trois entreprises ne contestent pas les griefs notifiés, qu'il s'agisse des faits relevés, de leur responsabilité et des qualifications juridiques avancées par les services d'instruction. Cependant, elles ont présenté des observations portant sur la détermination de la sanction, et notamment sur la gravité des pratiques et l'importance du dommage à l'économie.
104. En séance, M. E... a souhaité formaliser les mesures prises par son entreprise pour se conformer au droit de la concurrence et compléter la décision de son entreprise de ne pas contester les griefs par les engagements suivants :
" Nous estimons que la taille relativement modeste de notre société ne doit pas être un frein à la mise en place d'une politique concernant des engagements comportementaux. Aussi, la société M. Grivetto SAS, en plus de la non-contestation a décidé de prendre des engagements afin de prévenir pour l'avenir tout risque d'atteinte nouvelle au droit de la concurrence.
A ce titre, à la date à laquelle où les griefs nous ont été opposés, nous avons décidé de prendre immédiatement les dispositions suivantes :
. Nous avons fait évoluer notre politique de management de la Qualité en précisant dans notre manuel que la société M. Grivetto SAS prend l'engagement de " refuser toute forme de corruption ".
. Dans le prolongement de cet engagement, nous avons adhéré au Pacte Mondial le 13 septembre 2010 dont un des 10 principes est " d'adopter, soutenir et appliquer dans leur sphère d'influence un ensemble de valeurs fondamentales, dans les domaines des Droits de l'Homme, des normes de travail et de l'environnement et de lutte contre la corruption ".
Nous poursuivons notre engagement de sensibilisation et de conformité au libre droit de la concurrence au travers des engagements suivants :
. Amélioration de notre politique de management de la qualité au travers de la mise en conformité du document MP 04 " procédure de traitement des appels d'offres " dans lequel est signifié le respect général des règles de concurrence ainsi que des points de contrôle du processus des appels d'offres.
. Création d'une charte de bonne conduite avec un paragraphe traitant du respect des règles de la libre concurrence. Elle précisera que le non-respect de ces règles constitue une faute grave ou lourde et qu'elle peut par conséquent induire un licenciement.
. À titre informatif, cette charte sera adressée par courrier à tous nos salariés et fera l'objet d'un article dans notre bulletin interne.
. L'établissement de cette charte sera à l'ordre du jour de notre prochaine revue de direction.
. Elle sera affichée dans le service et communiquée aux salariés gérant les appels d'offres et les devis afin que chacun ait connaissance de nos engagements auprès de l'Autorité de la concurrence.
. Notre règlement intérieur fera l'objet d'un additif dans lequel sera précisé que l'outre-passement de 1' obligation de respecter les règles de la libre concurrence peut constituer une faute grave ou lourde et qu'elle peut être à l'origine d'un licenciement. Cet additif sera adressé à chacun des salariés de la société et remis systématiquement aux nouveaux embauchés.
. Tous les nouveaux contrats de travail se verront ajouter une nouvelle clause qui traitera de l'obligation de respecter le droit de la libre concurrence et de ne pas en enfreindre les règles sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement.
. Création d'une note de service dans laquelle nous préciserons que toutes informations divulguées concernant nos appels d'offres et nos devis, à l'insu de la société M. Grivetto SAS et susceptibles de faire entrave à la libre concurrence sera passible de sanctions.
. Nous informerons nos clients de l'évolution de notre politique qualité.
. Nous nous engageons à faire état de nos actions et de leur suivi dans un rapport annuel que nous adresserons à l'Autorité de la concurrence. "
II. Discussion
A. SUR L'APPLICATION DU DROIT DE L'UNION
105. Les sept griefs ont été notifiés sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité devenu article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
106. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité CE (2004-C 101-07, JOUE C 101-81 du 27 04 2004, point 1), la Commission européenne rappelle que " les articles 81 et 82 du traité s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont "susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres" ".
107. Selon ces même lignes directrices et ainsi que le Conseil l'a rappelé à plusieurs reprises (voir notamment n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 novembre 2009), trois conditions doivent être réunies pour établir que les pratiques sont susceptibles d'affecter sensiblement le commerce intracommunautaire : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.
108. En l'espèce, les pratiques mises en œuvre concernent, pour quatre d'entre elles, des travaux de réfection d'engins et d'installations portuaires, pour l'une des travaux de réfection d'une conduite d'addiction d'eau alimentant une centrale hydroélectrique et, pour la dernière, la remise en peinture d'un pont, dans différentes zones géographiques du territoire national (Le Havre, Brest, Nantes-Saint-Nazaire, Varades (44) et Pragnères (65). Elles ne concernent pas des activités par nature transfrontalières et, s'agissant spécialement des travaux portant sur des installations portuaires, elles ne constituent ni des prestations de manutention portuaire ni des services en lien direct avec l'activité de transport maritime de marchandises au sein de l'Union européenne, lesquelles sont nécessairement de nature à affecter les échanges entre les Etats membres de l'Union européenne comme l'avait relevé l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre.
109. Cette absence d'affectation directe n'exclut pas que les pratiques en cause puissent néanmoins être considérées comme étant de nature à affecter les échanges entre États membres. En effet, le traité ne distingue pas selon que l'affectation des échanges est directe ou indirecte, d'une part, et actuelle ou potentielle, d'autre part, de sorte qu'une potentialité d'affectation indirecte suffit pour imposer l'application du droit de l'Union, à condition par ailleurs que cette potentialité d'affectation puisse être caractérisée et qu'elle soit sensible, ainsi que le rappellent clairement les lignes directrices précitées. À cet égard, une affectation indirecte peut par exemple être caractérisée, dans certaines circonstances, quand la pratique anticoncurrentielle porte sur un produit qui constitue un intrant par rapport à un autre produit ou service, ou relève d'un marché connexe à celui faisant l'objet de la pratique anticoncurrentielle. Dans la décision précitée n° 08-D-30, par exemple, le Conseil de la concurrence a constaté qu'était de nature à affecter les échanges une entente conclue par un ensemble d'entreprise françaises ou européennes de taille mondiale et portant sur le carburant destiné à un prestataire de services de transport aérien de tout premier plan, lequel était appelé à acheminer, vers un aéroport desservant une importante zone touristique, des consommateurs français ou européens. Le Conseil a notamment relevé que le coût du carburant constituait une part sensible des coûts du transporteur et du prix des billets.
110. En l'espèce, les hausses tarifaires subies notamment par des opérateurs portuaires, du fait des pratiques relevées sur les travaux de réfection d'engins et d'installations portuaires, ont pu avoir un effet sur la concurrence que se livrent les ports au niveau européen en obérant les coûts supportés par les chargeurs lorsqu'ils acheminent les marchandises qui transitent par transport maritime entre États membres et peuvent caractériser une potentialité d'affectation indirecte. Il reste néanmoins à s'assurer au cas d'espèce que cette affectation présente un caractère sensible.
111. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet d'établir que, constituées par des échanges d'informations et de coordinations d'offre intervenues sur des appels d'offres publics ou privés pour la réalisation de marchés de travaux, ces pratiques sont de nature à affecter de manière sensible les échanges entre États membres. En particulier, les marchés publics de dimension locale ne faisaient pas l'objet d'avis d'appels à la concurrence publiés au Journal officiel de l'Union européenne dès lors qu'ils ne dépassaient pas les seuils prévus par les directives communautaires portant coordination des procédures de passation de marchés publics et aucun élément du dossier n'indique l'existence d'offreurs en provenance d'autres Etats membres de l'Union européenne susceptibles d'intervenir sur ces marchés. Portant sur des marchés locaux et répartis à différents endroits du territoire national, dont ils ne constituent qu'une infirme partie, ces pratiques n'étaient pas susceptibles d'affecter sensiblement le commerce intracommunautaire. Sur un marché national évalué en valeur à 700 millions d'euro, les marchés concernés représentaient une valeur totale d'un peu plus de 10 millions d'euro soit environ 1,5 %. S'agissant spécialement des pratiques ayant concerné les travaux de réfection d'engins et d'installations portuaires, la part non significative des marchés soustraits à la concurrence et la modification très marginale des conditions d'exploitation des infrastructures portuaires ne permettent pas de qualifier l'affectation de sensible à l'échelle intracommunautaire.
112. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause ne peuvent être qualifiées sur le fondement de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, dont les dispositions ne sont pas applicables à la présente affaire.
B. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
113. À titre liminaire, il convient de rappeler que trois des quatre parties ne contestent pas les griefs notifiés, qu'il s'agisse des faits relevés, de leur responsabilité et des qualifications juridiques avancées par les services d'instruction. Cette absence de contestation suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions reprochées dans les griefs visés aux points 131 et suivants sont établies.
114. L'Autorité rappelle à cet égard que, ainsi que cela ressort de la jurisprudence et de sa propre pratique décisionnelle en matière de marchés publics ou privés sur appel d'offres, il est établi que les entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs dans le département du Pas de Calais, la Cour d'appel de Paris ayant rejeté le recours formé contre cette décision par arrêt du 18 décembre 2001 ; décision n° 01-D-17 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre dont le recours a également été rejeté par arrêt du 20 novembre 2001, décision n° 09-D-34 du 18 novembre 2009 relative à des marchés de travaux publics d'électricité et d'éclairage public en Corse, dont le recours a été rejeté par arrêt du 16 septembre 2010).
115. Des échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres (voir décisions du Conseil n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain, par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, n° 08-D-33 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres de la ville d'Annecy et du conseil général de Haute-Savoie pour le transport par autocar, cette analyse ayant été approuvée par la juridiction de contrôle qui a rejeté les recours contre ces décisions (respectivement le 23 octobre 2007, le 3 novembre 2009 et le 5 janvier 2010).
1. SUR L'ÉCHANGE D'INFORMATIONS ENTRE LES SOCIÉTÉS SORESPI ET LASSARAT (GRIEF N° 2 EN TANT QU'IL CONCERNE CES DEUX ENTREPRISES)
116. En l'occurrence, il est fait grief à Sorespi d'avoir transmis à Lassarat les prix qu'elle entendait proposer en réponse à l'appel d'offres du port de Saint-Nazaire. Ce grief est fondé sur une note de M. X... de l'entreprise Lassarat reproduite au point 58 qui fait mention des prix de soumission de Sorespi (54 000, 57 000 et 60 000 euro) avec l'échéancier de réalisation des travaux, ainsi que sur les déclarations des représentants des entreprises mises en cause sur ce marché et le contexte de cet appel d'offres.
117. Il est de jurisprudence constante que la preuve de l'échange d'informations et de son antériorité au dépôt des offres peut résulter soit de preuves se suffisant à elles mêmes, soit d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants de nature à caractériser l'entente alléguée (Cour d'appel de Paris, arrêt du 12 décembre 2000).
118. Un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme la preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants (Cour d'appel de Paris 18 décembre 2001, SA Bajus Transport ; Cour de cassation, 12 janvier 1993, société Sogea).
119. La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut de date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques et notamment avec le résultat des appels d'offres (Cour d'appel de Paris, 2 avril 1996, société Pro Gec SA).
120. Sorespi ne nie pas l'échange d'informations mais soutient avoir communiqué ses prix à Lassarat postérieurement à la date de remise des offres.
121. Elle soutient en premier lieu que l'unique document qui lui est opposé et qui n'est pas daté mentionne des montants qui sont des arrondis correspondant aux offres finales, ce qui au regard de la pratique du Conseil et de la jurisprudence de la cour d'appel retirerait à ce document sa valeur comme indice d'un échange d'informations antérieur à l'attribution du marché. Elle fait valoir que M. X... n'a jamais indiqué avoir obtenu ces prix antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres était connu mais seulement les avoir obtenus en même temps que la date de réalisation des travaux.
122. Dans sa décision n° 06-D-08, le Conseil procédant à l'analyse d'un document non daté présentant une étude chiffrée manuscrite s'est ainsi exprimé :" Ensuite, les montants manuscrits relevés sur les documents ne correspondent pas aux montants exacts des offres finalement présentées par les candidats et tous les chiffres sont exprimés hors taxes et arrondis, ce qui tend à indiquer qu'il s'agit de données provisoires dans le cadre d'une étude préalable au dépôt des offres. En effet si ces données résultaient d'informations reçues après l'attribution des marchés, elles correspondraient sinon aux montants exacts effectivement proposés par les entreprises, du moins à des arrondis correspondant à ces offres finales ". La Cour d'appel de Paris a confirmé que le caractère voisin des chiffres constituait un indice déterminant de l'existence d'un échange d'informations antérieur à l'attribution du marché " dès lors que les données ne correspondent, ni aux montants des offres finales, ni à ces derniers arrondis " (arrêt du 23 octobre 2007, Eiffage construction).
123. Cependant, il s'agit dans cet arrêt sur lequel Sorespi fonde son moyen de défense principal d'une solution propre au cas d'espèce car la notion d'arrondi est imprécise (voir décision n° 09-D-25 du 29 juillet 2009 précitée point 199). D'ailleurs, en fait, si la mention de 60 000 sur le document peut être considérée comme l'arrondi de 60 200, tel n'est pas le cas de la mention de 54 000 pour 54 900 correspondant au montant de l'offre déposée dont l'arrondi serait plutôt 55 000, ni le cas de la mention de 57 000 correspondant au montant de l'offre 57 980 dont l'arrondi serait plutôt 58 000. Les mentions de cette pièce se rapprochent donc moins d'arrondis des montants exacts effectivement présentés que d'arrondis d'offres envisagées.
124. Hormis les prix de Sorespi dont la mention sur le document serait, selon cette entreprise, postérieure à la remise des offres, il est établi que toutes les autres mentions portées sur le document sont antérieures à la date de remise des offres (points 60 à 67). Des mentions correspondent à une recherche de prix par M. X... qui a noté, d'une part, les prix envisagés pour son offre et, d'autre part, des informations concernant l'identité et les numéros de téléphone de ses concurrents. Elles relèvent de la prospective et confirment le caractère préparatoire du document. Les informations relatives à l'entreprise Prezioso sont antérieures à la remise des offres (point 67).
125. Lors de son audition par les services d'enquête (cote 3632) M. X... a indiqué avoir obtenu les prix de Sorespi " en même temps que les dates de réalisation des travaux sur les grues ". Lassarat n'ayant pas été attributaire de lots, les dates de réalisation des travaux n'ont pas pu lui être communiquées postérieurement à l'attribution du marché. En outre, une note rédigée par Lassarat lors des visites de chantiers (cote 2598) montre que ces dates étaient connues au plus tard le 5 avril 2006, alors que la date limite de remise des offres était le 14 avril 2006.
126. Enfin, chaque marché possédant des caractéristiques très différentes, l'inscription, postérieurement à l'attribution du marché, des prix de l'offre d'un concurrent qui n'a pas été retenu sur un document qui avait pour objet de préparer l'offre de Lassarat n'est pas plausible.
127. Sorespi fait valoir en deuxième lieu qu'elle n'aurait eu aucun intérêt à permettre à un concurrent d'obtenir ce marché dont elle avait besoin en termes d'activité et de notoriété. Elle énonce également qu'elle aurait remis une offre compétitive pour remporter le marché ce qui contredirait toute communication de ses prix à un concurrent. Elle se prévaut principalement d'une étude complète visant à emporter le marché sur les quatre lots pour lesquels elle était la plus compétitive et notamment d'une baisse de son taux horaire par rapport à d'autres chantiers pour tenter de remporter cet appel d'offres. Pour démontrer son besoin d'activité au printemps 2006 et sa volonté d'obtention de ce marché, l'entreprise Sorespi présente également, au soutien de cette démonstration, un plan de charge ne représentant qu'une faible part de son chiffre d'affaires annuel.
128. Mais ces arguments sont contredits par les déclarations des représentants du PANSN (cote 4314) qui, bien qu'ayant accepté l'offre, signalent qu'elle ne correspondait pas aux exigences techniques requises par le maître d'ouvrage et s'avérait nettement moins intéressante financièrement que ses concurrentes, malgré des efforts en coût de main d'œuvre qui peuvent se justifier par d'autres motifs qu'une véritable recherche de compétitivité.
129. En troisième lieu, Sorespi soutient que l'absence d'une transmission de ses prix à la société Lassarat antérieurement au résultat de l'appel d'offres trouve sa confirmation dans le fait que les entreprises n'ont pas coordonné leurs comportements et que Sorespi n'a obtenu aucune contrepartie.
130. Contrairement à ce que prétend Sorespi, l'échange d'informations entre Sorespi et Lassarat a eu le résultat recherché, qui était le dépôt d'offres apparemment concurrentes permettant à Prezioso de remporter cinq lots sur les six qui composaient l'appel d'offres. Grâce à cette apparence de concurrence et aux échanges d'informations entre Sorespi et Lassarat, et entre Lassarat et Prezioso, Prezioso a été en mesure d'ajuster son offre à un prix inférieur avec un écart de 6 à 13 % par rapport à l'offre de Sorespi concernant les quatre lots pour lesquels elle était en compétition avec Sorespi et qu'elle a remportés. Il n'est pas nécessaire de démontrer l'existence d'une contrepartie au profit de Sorespi pour établir l'existence d'une pratique anticoncurrentielle.
131. Le document ci-dessus analysé, rapproché des autres éléments recueillis, étant observé que Lassarat n'a pas contesté le grief d'avoir échangé des informations avec Sorespi concernant cet appel d'offres, constitue ensemble un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que Sorespi a échangé des informations avec Lassarat concernant le prix de son offre antérieurement à la date limite du dépôt de l'offre. En ne respectant pas l'indépendance des offres qui est la condition normale du jeu de la concurrence, l'entreprise a contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. SUR LES PRATIQUES COMMISES PAR LES SOCIÉTÉS LASSARAT, PREZIOSO ET GRIVETTO (GRIEFS N° 1, N° 2 R EN TANT QU'IL CONCERNE LASSARAT ET PREZIOSO -, N° 3, N° 4, N° 5 ET N° 6)
132. Les trois sociétés n'ont pas contesté les griefs qui leur ont été adressés concernant les pratiques consistant en échanges d'informations, coordination des offres et dépôt d'offres de couverture dans le cadre des appels d'offres en cause. Conformément au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, elles ont renoncé à contester la matérialité des faits constatés, leur qualification juridique au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce et leur imputabilité.
a) Les pratiques reprochées à Lassarat et Prezioso sur le marché de la réfection de six engins portuaires du port de Nantes Saint-Nazaire (griefs n° 2 et 3)
133. Elles sont constituées par un échange d'informations sur les prix de soumission des entreprises aux 6 lots antérieurement à la remise de leurs offres (points 60 et suivants).
134. La détention de ces informations n'est pas justifiée par la recherche de la constitution d'un groupement, faute qu'il ait été constitué à la date de cet échange, de sorte que les entreprises étaient toujours susceptibles de présenter des offres indépendantes (voir décision n° 06-D-25 de 28 juillet 2006 relative à la restauration du patrimoine campanaire de la cathédrale de Rouen).
135. À la suite de l'échange d'informations, l'entreprise Lassarat a procédé au dépôt d'une offre de couverture.
136. Ces pratiques non contestées ont faussé la concurrence sur le marché.
b) La coordination des offres des entreprises Lassarat et Prezioso sur le marché de pérennisation des pieux du port de Brest (grief n° 1)
137. Non contestées par les entreprises, l'échange d'informations et la coordination des offres sur le marché en cause tels que décrits aux points 46 à 57 de la décision caractérisent l'entente notifiée, qui a faussé la concurrence lors de l'appel d'offres.
c) La coordination des offres des entreprises Lassarat et Grivetto sur le marché de la rénovation d'une porte de l'écluse François premier du port du Havre (grief n° 4)
138. Les faits d'échanges d'informations et de coordination des offres tels que décrits aux points 73 à 75, antérieurement à l'appel d'offres, sont établis. La concertation résultant des faits relevés établit l'atteinte à la concurrence notifiée.
d) La concertation entre les entreprises Grivetto et Prezioso sur la mise en concurrence concernant le marché de la conduite forcée EDF de Pragnères (grief n° 5)
139. Les pratiques, non contestées, relevées aux points 76 à 79 de la décision, établissent la concertation préalable mise en œuvre par les deux entreprises. Cette dernière a éliminé toute concurrence sur ce marché, que Grivetto était sûre de remporter au prix qu'elle avait fixé.
e) L'échange d'informations entre les entreprises Lassarat et Prezioso sur le marché de réfection du pont de Varades (grief n° 6)
140. L'échange d'informations tel que décrit aux points 80 à 87 de la décision, s'il n'a pas eu d'influence sur le premier appel d'offres, a permis lors du second à Prezioso d'aligner son offre sur celle de Lassarat.
141. Cet échange d'informations sur les prix a, lors du second appel d'offres, limité l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence lors du deuxième appel d'offres. La concurrence a ainsi été faussée.
3. SUR LES PRATIQUES REPROCHÉES PAR LE GRIEF N° 7
142. Les éléments recueillis ne constituent pas un faisceau d'indices suffisamment probants permettant d'établir que la majoration des prix des offres remises par les sociétés Lassarat et Prezioso sont la conséquence d'une action concertée ou d'un échange d'informations sur leurs prix. Le grief n° 7 sera donc écarté.
C. SUR LES SANCTIONS
143. L'article L. 464-2 I du Code du commerce prévoit que " L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. (...) Elle peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions soit en cas de non-respect des engagements qu'elle a acceptés. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
144. Après un rappel du montant maximal des sanctions, seront successivement examinés pour en apprécier le montant :
- la gravité des pratiques ;
- l'importance du dommage causé à l'économie ;
- la procédure de non-contestation des griefs ;
- la situation individuelle des entreprises.
1. SUR LE MONTANT MAXIMAL DES SANCTIONS
145. Aux termes de l'article L. 464-2 I § 4 du Code de commerce, les seuils maximaux de sanction sont les suivants : " Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euro. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
146. Le III du même article dispose que " le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié " lorsque l'entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui ont été notifiés.
2. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES
147. L'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. Comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence à de nombreuses reprises (voir notamment décision n° 05-D-17 du 12 mai 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des marchés de travaux de voirie en Côte d'Or ; décision n° 04-D-03 du 18 février 2004 relative à des pratiques relevées lors d'un appel d'offres lancé par la direction régionale des douanes de Marseille pour la mise en conformité électrique de la cité de la Joliette), la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique.
148. Comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 25 septembre 2007 (entreprise Vendasi), " les ententes entre soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics sont, par nature, particulièrement graves puisque seul le respect des règles de concurrence garantit la sincérité de l'appel d'offres et l'utilisation optimale des fonds publics ".
149. Dans la présente affaire, la concertation en vue de la répartition des marchés réalisée par l'échange d'informations qui ont porté sur les prix des offres et le dépôt d'offres de couverture ont radicalement faussé les appels d'offres et ont été de nature à tromper les maîtres d'ouvrage quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence (voir décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile-de-France). Certes, les maîtres d'ouvrage se sont montrés vigilants puisque dans trois appels d'offres sur les cinq retenus, la procédure a été renouvelée après une première déclaration constatant le caractère infructueux des appels organisés. Mais elle a entraîné une augmentation des coûts à la charge des organisateurs, sans produire d'ailleurs une amélioration de la concurrence entre les soumissionnaires.
150. Un autre élément d'appréciation de la gravité des pratiques réside dans le fait que sont concernées quatre entreprises qui répondent à de nombreux appels d'offres chaque année et en particulier, s'agissant des entreprises Prezioso et Lassarat, qui jouent un rôle important dans le secteur des travaux de peinture industrielle. En outre, comme l'a souligné le Conseil de la concurrence, lorsque des entreprises sont " habituées à répondre à de nombreux appels d'offres publics, de ce fait, elles ne pouvaient ignorer le caractère prohibé des échanges d'informations entre soumissionnaires se présentant comme concurrents à un appel d'offres, rappelé par de très nombreuses décisions des autorités de concurrence et une jurisprudence constante. " (décision n° 08-D-28 du 3 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par des entreprises exploitant des granulats dans le département d'Ille-et-Vilaine). Le comportement des deux principales entreprises du secteur fait peser un risque de banalisation et d'entraînement à l'égard des autres entreprises de moindre importance désirant participer aux appels d'offres.
151. Par ailleurs, le caractère ponctuel ou la faible durée effective de la concertation n'est pas un critère pour atténuer la gravité d'une pratique d'entente horizontale en matière de marché public, puisqu'un appel d'offres est, par nature, un marché instantané qui peut être faussé sans recourir à une entente durable (décision n° 07-D-26 du 26 juillet 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés de fourniture de câbles à haute tension).
152. En l'espèce, la durée d'exécution de chaque marché a été inférieure à un an sauf en ce qui concerne le pont de Varades pour lequel les travaux ont duré dix-huit mois. Mais la gravité est caractérisée par le fait que les échanges d'informations anticoncurrentiels et offres de couverture ont porté sur cinq marchés en différents lieux du territoire national qui se sont échelonnés, sans lien établi entre les différents marchés, sur une période de 14 mois au cours desquels deux à trois entreprises se sont concertées alors qu'elles auraient dû présenter des offres concurrentes. Ces pratiques ont été constatées pour la première fois lors de l'appel d'offres du port de Brest en février 2005 entre les sociétés Prezioso et Lassarat et pour la dernière fois pour le pont de Varades en mars 2006 entre les mêmes sociétés. Les échanges d'informations litigieux auxquels a participé la société Grivetto ont été constatés en avril 2005 (appel d'offres du port du Havre relative à l'écluse François 1er) avec la société Lassarat et en avril 2006 avec la société Prézioso (marché de la conduite forcée EDF de Pragnères). Les agissements reprochés à la société Sorespi ont eu lieu en avril 2006.
153. Les pratiques constatées sont d'une gravité avérée et mettent en évidence le rôle joué par les entreprises Lassarat et Prezioso dans la perturbation de la concurrence sur ces marchés.
3. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE A L'ÉCONOMIE
154. Le Conseil a rappelé dans sa décision n° 08-D-13 du 11 juin 2008 qu'" il convient d'abord de relever que l'article L. 464-2 du Code de commerce énonce, parmi les critères de la sanction, l'" importance " du dommage à l'économie : il n'exige donc pas une évaluation précise de ce dommage ". La Cour d'appel de Paris a confirmé que cette évaluation chiffrée n'était pas nécessaire dans un arrêt du 28 janvier 2009 rendu sur la décision n° 07-D-50 du Conseil, solution reprise dans un arrêt 26 janvier 2010 rendu sur une décision n° 06-D-05.
155. La Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril 2010 (Bouygues Télécom) a jugé " que le montant de la sanction d'une pratique, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, doit être proportionné à l'importance du dommage causé par cette pratique à l'économie et [que] ce dommage ne saurait être présumé ".
156. Le dommage à l'économie " est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence " (Cour d'appel de Paris 13 janvier 1998).
157. En l'espèce, les marchés concernés sont d'une dimension relativement modeste, représentant un montant total de 10 millions d'euro environ. Si, pour les marchés du port de Brest et du Havre, l'attribution a été faite à un prix inférieur aux estimations des maîtres d'ouvrage, d'autres maîtres d'ouvrages, comme le PANSN et le Conseil général de Loire-Atlantique, ont dû se résoudre à contracter à des tarifs supérieurs à leurs estimations. Ainsi, Prezioso a été attributaire du marché du PANSN pour 260 000 euro environ alors que l'estimation était de 175 000 euro et l'entreprise Lassarat a été attributaire du marché du pont de Varades pour 2,38 millions d'euro alors que l'estimation était de 2,15 millions.
158. Il n'en demeure pas moins que les pratiques en cause constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur les prix a pu être suivi d'une attribution des marchés à un prix inférieur aux estimations du maître d'œuvre (voir Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2000, Sogea Sud Est), ou que les entreprises concernées n'aient pas présenté d'offres ou ne se soient pas vues attribuer le marché (voir décision n° 00-D-53 du 18 janvier 2001 relative aux marchés de travaux de revêtement de sols et de peintures dans le Finistère). Ces circonstances de même que la réalisation à perte d'un marché sont sans effet sur l'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie. Ce dommage a résulté de l'atténuation de l'incertitude qui pousse les concurrents à optimiser leurs prix et la qualité de leurs services pour obtenir le marché.
159. Si la concertation entre les entreprises n'a pas éliminé les offres concurrentes sur certains des marchés visés, le maître d'ouvrage n'a néanmoins pas pu bénéficier d'une pression pro-concurrentielle optimale nécessaire et attendue de la part notamment des deux principales entreprises du secteur.
160. Pour animer la concurrence, les maîtres d'ouvrage ont été amenés à déclarer infructueux trois des cinq marchés qui ont dû être reconduits. Or, les coûts liés à l'organisation d'un nouvel appel d'offres, à la charge du maître d'ouvrage, le caractère peu élastique de la demande en matière de marchés publics ainsi que les retards pris par les travaux, participent également au dommage causé par ces pratiques.
161. Si le montant des marchés concernés et leur durée d'exécution limitée tendent à restreindre l'appréciation portée sur le dommage à l'économie, la répétition de comportements anticoncurrentiels des entreprises Grivetto, Prezioso et Lassarat dans un intervalle de temps limité à l'occasion d'appels d'offres portant sur cinq marchés de travaux de peinture industrielle, constitue en revanche un élément de nature à aggraver l'appréciation du dommage.
4. SUR LA PROCÉDURE DE NON-CONTESTATION DES GRIEFS
162. Les engagements proposés par les sociétés Lassarat et Prezioso portent sur la mise en place de programmes de formation et de sensibilisation du personnel au droit de la concurrence, sur l'introduction de sanctions en cas de violation des règles de concurrence, l'institution d'un audit interne sur le respect de ces règles chez Lassarat. Ils comportent également une procédure de traitement des réponses aux appels d'offres dans le cadre du système de qualité ISO 2001 en organisant un processus unifié d'élaboration des offres et le contrôle des conventions de groupement.
163. Si dans un premier temps, la société Grivetto s'est bornée à ne pas contester les griefs, elle a en séance communiqué un " procès-verbal d'actions pour le respect des règles de concurrence du Président de la société M. Grivetto SAS ", c'est-à-dire d'engagements, qui consistent d'une part, en la mise en conformité du document " Procédure de traitement des appels d'offres " avec un meilleur contrôle du respect des règles de concurrence, d'autre part, en l'élaboration d'une charte de bonne conduite prévoyant le respect des règles de libre concurrence communiquée aux salariés et la modification du règlement intérieur pour introduire la sanction de la violation des règles de concurrence.
164. Les engagements pris par les sociétés Lassarat et Prezioso portent, d'une part sur des programmes de mise en conformité avec les règles de la concurrence et, d'autre part, sur une amélioration du contrôle de l'élaboration des appels d'offres qui devrait être une préoccupation constante d'entreprises qui ont l'habitude de répondre à des appels d'offres. Pris dans le seul champ comportemental, ils présentent néanmoins un certain intérêt, en ce qu'ils sont susceptibles d'aider à prévenir en particulier des pratiques litigieuses de même nature que celles notifiées dans la présente affaire grâce à la diffusion de la culture de concurrence au sein des entreprises et sont à cet égard, pertinents, crédibles et vérifiables. Conjugués au fait de ne pas contester les griefs, ils conduisent à accorder une réduction totale de sanction de 16 % à Lassarat et à Prezioso.
165. Les engagements pris par la société Grivetto qui consistent également en l'élaboration d'une charte de bonne conduite prévoyant le respect des règles de libre concurrence communiquée aux salariés et la modification du règlement intérieur pour introduire la sanction de la violation des règles de concurrence, apparaissent plus succincts, mais sont néanmoins adaptés au type d'entreprise concernée et susceptibles d'aider à prévenir la réitération des pratiques litigieuses. Alors que la proposition du rapporteur général adjoint était de limiter la réduction de sanction à 10 % en tenant compte seulement de l'absence de contestation des griefs, il convient donc de porter cette réduction à 12 % pour tenir compte des engagements souscrits.
5. SUR LA SITUATION INDIVIDUELLE DES ENTREPRISES
GRIVETTO
166. Le chiffre d'affaires le plus élevé de la SAS Grivetto a atteint 5 742 405 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2009. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximal de la sanction s'élève à 287 120 euro.
167. Grivetto répond d'échanges d'informations anticoncurrentiels avec les entreprises Lassarat ou Prezioso sur deux appels d'offres aux fins d'établissement d'offres de couverture. Le chiffre d'affaires réalisé en 2009 par Grivetto est de 5 742 405 euro.
168. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, la sanction pécuniaire qui devrait être infligée à la société Grivetto serait de 28 000 euro. Pour tenir compte de l'absence de contestation de griefs et des engagements pris en séance, ce montant est ramené à 24 600 euro.
LASSARAT
169. Les comptes de la SA Philippe Lassarat sont consolidés au sein de ceux du groupe Lassarat Participations. Le chiffre d'affaires le plus élevé des comptes consolidés a atteint 92 414 924 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2007. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure de non contestation des griefs, le montant maximal de la sanction s'élève à 4 620 746 euro.
170. Lassarat a pris une part active et prépondérante au travers de ses deux agences à la pratique d'échange d'informations et d'organisation d'offres de couverture sur quatre appels d'offres. Au cours de l'exercice 2009, elle a réalisé un chiffre d'affaires en France de 61 336 593 euro qui s'est accompagné d'une perte de 566 550 euro. Au cours de l'exercice précédent, son chiffre d'affaires s'est élevé à 52 862 735 euro avec une perte de 2 082 277.
171. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, la sanction pécuniaire qui devrait être infligée à la société Lassarat serait de 615 000 euro. Pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements pris en séance, ce montant devrait être réduit à 516 000 euro. Cependant, les pièces figurant au dossier attestent l'existence de difficultés financières persistantes, de nature à compromettre sa capacité à s'acquitter de la sanction au montant ainsi fixé. Il convient donc de la réduire à proportion de ces difficultés. En conséquence, le montant de la sanction, qui aurait dû s'élever à 516 000 euro, est ramené à titre exceptionnel à 120 000 euro.
PREZIOSO-TECHNILOR
172. Les comptes de la SAS Prezioso-Technilor sont consolidés au sein de ceux de la holding Saint Clair Holding. Le chiffre d'affaires le plus élevé des comptes consolidés a atteint 247 507 000 euro au cours de l'exercice clos au 31 décembre 2009. Compte tenu de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation de griefs, le montant maximal de la sanction s'élève donc à 12 375 350 euro.
173. Prezioso a pris une part active et prépondérante, notamment au travers de son agence de Donges, à la pratique d'échange d'informations et d'organisation d'offres de couverture sur quatre appels d'offres. Le chiffre d'affaires réalisé en France en 2009 s'est élevé à 120 016 770 euro et un bénéfice de 7 195 043 euro a été constaté. Si cette société a fourni des éléments faisant apparaître que selon les années, la part de son chiffre d'affaires réalisée dans le secteur des travaux de peinture industrielle ne représentait qu'entre 40 à 50 % de son chiffre d'affaires total, sans donner d'indication sur ce point s'agissant du chiffre d'affaires de l'exercice 2009, alors que les autres sociétés mises en cause ont réalisé en 2009 l'intégralité de leur chiffre d'affaires dans le secteur concerné par les pratiques, il faut aussi noter qu'elle appartient à un groupe et que le chiffre d'affaires consolidé de celui-ci est plus de deux fois supérieur à celui du groupe auquel appartient l'entreprise Lassarat et est sans commune mesure avec celui des sociétés Grivetto et Sorespi, qui sont des entreprises de taille beaucoup plus modeste.
174. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, la sanction pécuniaire qui devrait être infligée à la société Prezioso serait de 1 200 000 euro. Pour tenir compte de l'absence de contestation des griefs et des engagements pris en séance, ce montant est ramené à 1 008 000 euro.
SORESPI
175. La société Sorespi doit répondre de ses échanges d'informations anticoncurrentiels avec l'entreprise Lassarat sur un appel d'offres. Le chiffre d'affaires réalisé en 2009 par Sorespi est de 2 503 201 euro pour un bénéfice de 286 708 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, il y a lieu de prononcer à son encontre une sanction de 7 500 euro.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Grivetto SAS, Lassarat Participations, Prezioso- Technilor SAS et Sorespi Bretagne SAS ont enfreint les dispositions de l'article L. 420 1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est pris acte des engagements des sociétés Grivetto SAS, Philippe Lassarat SA, Prezioso-Technicolor SAS tels qu'ils sont présentés et analysés dans la présente décision. Il est enjoint aux sociétés Grivetto SAS, Lassarat Participations, Prezioso-Technicolor SAS de s'y conformer en tous points et de rendre compte de leur exécution à l'Autorité de la concurrence.
Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
. à la société Grivetto SAS une sanction de 24 600 euro ;
. à la P. Lassarat Participations SARL une sanction de 120 000 euro ;
. à la société Prezioso-Technilor SAS une sanction de 1 008 000 euro ;
. à la société Sorespi Bretagne SAS une sanction de 7 500 euro.