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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 9 février 2011, n° 09-04160

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bordeaux Magnum (SARL), Selarl Christophe Mandon (ès qual.)

Défendeur :

Tastet Lawton (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Conseillers :

MM. Legras, Bancal

Avoués :

SCP Rivel & Combeaud, SCP Boyreau, Monroux, SCP Labory Moussie & Andouard

Avocats :

Me Trassard, Dacharry

T. com. Bordeaux, du 2 juill. 2009

2 juillet 2009

La SARL Bordeaux Magnum, exploitant un magasin de vente de vins et spiritueux à Bordeaux et la SA Tastet Lawton, courtier en vins à Bordeaux, entretenaient depuis de nombreuses années des relations commerciales sous la forme d'une part d'achats par la seconde à la première de vins pour le compte de ses clients d'autre part d'achats par la première par l'intermédiaire de la seconde de vins notamment en primeur auprès des châteaux du bordelais.

Ces relations, qui avaient connu un développement notable surtout depuis les trois dernières années, devaient cesser totalement en avril 2008 à l'initiative de la SA Tastet Lawton.

La SARL Bordeaux Magnum s'en étant émue auprès de cette société dans un courrier du 6 juin 2008 n'obtenait pas de réponse et, par acte du 27 octobre 2008, elle la faisait assigner devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir constater la rupture brutale des relations commerciales et de la voir condamner à lui payer la somme de 179 024,86 euro en réparation de son préjudice outre 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC. La SA Tastet Lawton concluait au débouté et demandait 20 000 euro de dommages-intérêts et 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC.

Par jugement du 2 juillet 2009 le tribunal a débouté la SARL Bordeaux Magnum de toutes ses demandes et la SA Tastet Lawton de sa demande en dommages-intérêts, condamnant la première à une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC.

La SARL Bordeaux Magnum a interjeté appel de ce jugement le 10 juillet 2009. Elle a conclu le 10 novembre 2009 à l'infirmation en reprenant intégralement ses demandes de première instance.

La SA Tastet Lawton, intimée et appelante incidente, a conclu en dernier lieu le 11 octobre 2010 à la confirmation du jugement sauf à ce qu'il soit fait droit à sa demande de dommages-intérêts en fixation de créance et elle demande 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC.

La SARL Bordeaux Magnum a été déclarée en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 2 juillet 2010, la Selarl C. Mandon étant désignée en qualité de mandataire judiciaire. Celle-ci a conclu le 16 novembre 2010 en déclarant ne pas s'opposer aux demandes de l'appelante.

Motifs et décision

L'action de la SARL Bordeaux Magnum est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6-I 5e du Code de commerce aux termes duquel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant une durée minimale.

Il est reproché à la SA Tastet Lawton d'avoir à compter du mois d'avril 2008 et sans aucun préavis cessé toute relation commerciale avec la SARL Bordeaux Magnum.

Entre dans le champ d'application du texte susvisé toute relation commerciale établie, que celle-ci porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service, et le fait avancé par l'intimée qu'elle n'ait toujours agi dans ses rapports avec l'appelante qu'en sa qualité de courtier en vins qui n'achetait ni ne vendait et se bornait à la mettre en relation avec les vendeurs ou les acheteurs ne lui donne pas vocation à y échapper dès lors qu'il s'agissait bien de prestations de services.

La preuve de relations commerciales établies entre les deux sociétés est rapportée du fait de l'existence d'un courant d'affaires concrétisé par un chiffre d'affaires comptablement constaté depuis trois exercices.

L'intimée conteste le principe même d'une rupture dont elle aurait eu l'initiative en faisant valoir d'une part qu'elle ne disposait plus à partir du mois d'avril 2008 du tarif de la SARL Bordeaux Magnum qui lui aurait permis de lui passer des commandes d'autre part qu'elle lui avait maintenu l'accès à son site professionnel jusqu'en octobre 2008.

Cependant l'envoi par voie électronique à la SA Tastet Lawton du tarif 2008 de Bordeaux Magnum est établi par la production d'un mèl du 8 avril 2008, qui constituait le mode habituel de transmission, et au demeurant il était loisible à l'intimée de le lui demander. Par ailleurs l'accès au site de celle-ci était partagé par tous les professionnels ayant travaillé avec elle et ne pouvait constituer une preuve de son intention de poursuivre les relations commerciales et il en est de même des mailings de cotations.

Il est constant qu'aucune commande n'a plus été passée par Tastet Lawton à Bordeaux Magnum à compter d'avril 2008 et qu'interrogée sur sa position à cet égard en juin 2008 elle s'est abstenue de la faire connaître. La brutalité de la rupture des relations commerciales résulte de l'absence d'un préavis sans que cette rupture doive être subordonnée à un motif légitime sauf cas de force majeure ou d'inexécution de ses obligations contractuelles par l'autre partie, ici non invoqués, et il doit donc être considéré qu'il y a bien eu de la part de l'intimée rupture unilatérale et brutale des relations commerciales.

S'agissant des réservations de vins en primeur par Bordeaux Magnum dont Tastet Lawton l'a privée à partir du printemps 2008 en cessant sans l'en informer de prendre pour son compte des bordereaux de courtage pour la campagne de primeurs 2007 il est justifié des achats effectués par ce biais auprès de cinq châteaux entre 2004 et 2006 et il n'est pas contesté qu'en 2006 Bordeaux Magnum n'a pas retenu les vins qui lui étaient proposés. L'intimée fait valoir l'importante variation en quantité des achats selon les années et elle précise par ailleurs qu'en 2007 certains châteaux décidaient de ne pas alotir Bordeaux Magnum pour des raisons qui leur étaient propres. De son côté l'appelante cite trois châteaux lui ayant encore vendu du vin en décembre 2008. De fait il doit être tenu compte du caractère particulier de cette pratique qui implique que l'allocation de primeurs reste à la discrétion du viticulteur et que le courtier comme le négociant ne peut être responsable de la décision de celui-ci. L'action de l'appelante ne peut donc dans ce cas prospérer.

En revanche l'achat de vin pour les clients de Tastet Lawton reposait sur des contrats classiques et il est constant que depuis l'année 2004 soit depuis quatre ans lors de la rupture des relations le chiffre d'affaires en résultant était en augmentation, soit:

- 15 967 euro au 31 mars 2006;

- 349 718 euro au 31 mars 2007;

- 549 361 euro au 31 mars 2008.

L'appelante revendique un préjudice constitué par la perte de marge sur la base d'un taux de marge moyen de 32,30 % attesté par son comptable, du chiffre d'affaire du dernier exercice et de la durée de préavis (un an).

Le préjudice étant celui découlant du caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même il doit être tenu compte de la durée du préavis qui aurait du être respecté, le délai d'un an apparaissant raisonnable, et des conséquences dommageables résultant de l'absence de préavis en gain manqué et perte prouvée, le principe d'un chiffre d'affaires en augmentation étant acquis.

En l'espèce l'intimée qui conteste le principe même d'une rupture dommageable et donc d'un préjudice n'en discute pas le quantum lequel paraît justifié. En conséquence il sera fait droit à la demande de condamnation de l'appelante pour la somme de 177 443,86 euro, le jugement étant infirmé.

Il sera fait droit à la demande sur le fondement de l'article 700 du CPC de l'appelante.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement et statuant à nouveau : Condamne la SA Tastet Lawton à payer à la SARL Bordeaux Magnum la somme de 177 443,86 euro ; Déboute la SA Tastet Lawton de toutes ses demandes; Condamne la SA Tastet Lawton à payer à la SARL Bordeaux Magnum la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC; Condamne la SA Tastet Nawton aux dépens de première instance et d appel.