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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 27 janvier 2011, n° 10-00551

BOURGES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SFNA (SAS)

Défendeur :

Etablissements Jeudy Agriculture Service (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Decomble

Conseillers :

MM. Costant, Lachal

Avoués :

Mes Guillaumin, Rahon

Avocats :

Mes Gerdet, Nadreau

T. com. Tours, du 23 mars 2007

23 mars 2007

Rappel des faits et de la procédure :

Depuis plus de 20 ans, la SAS SFNA fournit à la SAS Jeudy des produits alimentaires pour le bétail sous la dénomination " Produits Oftel " que la SAS Jeudy distribue ses clients éleveurs.

Courant 2003 et 2004, plusieurs problèmes de livraison surviennent alors que le secteur est affecté par une sécheresse exceptionnelle qui conduit les éleveurs à solliciter les fournisseurs en aliments de substitution à l'herbe.

Le 30 novembre 2004, une réunion [est] organisée avec la SAS SFNA à l'initiative de la SAS Jeudy aux fins de "déterminer la durée du préavis" avant la rupture de leurs relations commerciales pour le 31 décembre 2004.

A la suite de cette réunion, la SAS Jeudy adresse un courrier à ses clients pour les informer de sa décision de ne plus distribuer les produits de la SAS SFNA à compter du 1er janvier 2005.

Le 11 février 2005, la SAS Jeudy adresse un courrier à la SAS SFNA dans lequel elle s'étonne de ne pas avoir reçu la "ristourne" qui lui est consentie chaque année et qui s'élève pour l'année 2004 à la somme de 14 885 euro au vu des quantités achetées.

Le 26 avril 2005, la SAS SFNA informe la SAS Jeudy qu'elle ne donnera pas suite à cette demande.

Le 15 novembre 2005, la SAS Jeudy fait assigner la SAS SFNA devant le Tribunal de commerce de Tours aux fins d'obtenir la condamnation de cette dernière à lui payer les sommes de :

- 14 885 euro HT, en règlement de la remise de fin d'année pour l'année 2004, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de la décision à intervenir,

- 136 200 euro à titre de dommages-intérêts relatifs à la rupture brutale des relations commerciales outre les intérêts au taux légal à compter du jugement.

- 2 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 24 novembre 2006, le Tribunal de commerce de Tours fait droit à la première demande présentée par la SAS Jeudy et condamne la SAS SFNA à lui payer la somme de 14 885 euro au titre de la remise de fin d'année de 2004, avec les intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2007.

Le tribunal rejette la demande de la SAS Jeudy en paiement de dommages-intérêts, et condamne enfin la SAS SFNA à payer la somme de 1 000 euro à la SAS Jeudy en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur appel formé par la SAS SFNA, la Cour d'appel d'Orléans, par arrêt du 3 juillet 2008 " confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la SAS SFNA à payer à la SAS Jeudy la somme de 14 885 euro avec intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2007 et celle de 1 000 euro d'indemnité de procédure ainsi qu'à supporter les dépens, et, statuant à nouveau de ces chefs, déboute la SAS Jeudy de sa demande contre la SAS SFNA au titre de la remise pour l'exercice 2004 ".

La Cour d'appel d'Orléans condamne enfin la SAS Jeudy aux dépens de la première instance et d'appel et à payer à la SAS SFNA la somme de 2 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par arrêt du 27 octobre 2009, sur pourvoi formé par la SAS SFNA, la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléans, "sauf en ce qu'il a débouté la SAS Jeudy de sa demande contre la SAS SFNA au titre de la remise pour l'exercice 2004, et remet la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoie devant la Cour d'appel de Bourges".

Devant la cour de renvoi, la SAS SFNA soutient que :

- la SAS Jeudy a diminué ses commandes au cours de l'année 2003

- la rupture des relations commerciales lui a été imposée de façon brutale et unilatérale et sans motivation

- le délai de préavis d'un mois est insuffisant pour rompre les relations commerciales de plus de 20 ans

- la SAS Jeudy ne lui a laissé aucune possibilité de négocier un préavis plus long puisqu'elle a immédiatement averti ses clients qu'elle cesserait de fournir les aliments Oftel à compter du 31 décembre 2004

- son préjudice s'élève à 24 mois de pertes, soit 236 520 euro.

Elle demande donc la condamnation de la SAS Jeudy à lui payer ce montant, outre la somme de 10 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive en invoquant le préjudice fantaisiste et tenter d'obtenir la remise fin d'année, ainsi que la somme de 10 000 euro en application des dispositions de l article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Jeudy, en réplique, conteste avoir voulu mettre fin brutalement aux relations commerciales avec la SAS SFNA. Elle invoque l'aveu judiciaire de la part de celle-ci au motif que dans ses conclusions, elle a admis que la réunion du 30 novembre 2004 avait bien pour objet de déterminer la durée du préavis avant rupture des relations.

Elle soutient que la SAS SFNA, au lieu d'admettre ses torts dans les retards récurrents de livraison, a, au contraire, manifesté une attitude agressive à son égard en allant démarcher les principaux éleveurs pour les convaincre d'acheter directement des aliments.

Elle soutient que, devant cette situation, elle a été contrainte d'arrêter en urgence sa position et que le préavis devait être le plus court possible pour éviter une hémorragie au plan commercial.

La SAS Jeudy maintient sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, sa demande tendant à obtenir la condamnation de la SAS SFNA en paiement de la somme de 136 000 euro calculés par référence à 24 mois de marge réalisée sur les produits Oftel et 24 mois de marge perdue du fait de la perte de huit clients importants.

Elle demande enfin la condamnation de la SAS SFNA à lui payer la somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Décision :

Attendu que le litige qui opposait initialement les parties portait sur deux points :

- la remise commerciale sur l'activité 2004 demandée par la SAS Jeudy d'une part,

- l'imputabilité de la rupture des relations commerciales le 31 décembre 2004 d'autre part;

Attendu qu'au vu des décisions de la Cour d'appel d'Orléans du 3 juillet 2008 et de l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 octobre 2009, le litige porté devant cette cour est limité à la deuxième question, le litige relatif à la remise 2004 ayant été définitivement jugé ;

Attendu que l'article L. 442-6 du Code de commerce prévoit qu' " I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur.

A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) ;

Attendu que les éléments résultant des pièces produites établissent les faits suivants :

- l'initiative de la réunion du 30 novembre 2004 entre les deux partenaires commerciaux appartient à la SAS Jeudy qui la revendique ;

- l'objet de cette rencontre était de "déterminer la durée du préavis" avant rupture des relations commerciales souhaitée par la SAS Jeudy;

- aucun courrier n'a été échangé entre les parties avant la rencontre du 30 novembre 2004 concernant des difficultés commerciales au cours de l'année 2004 ;

- il n'existe aucun écrit de la SAS Jeudy invitant la SAS SFNA à la réunion du 30 novembre 2004 et indiquant son objet ;

- l'objet de la réunion et la date de la rupture des relations commerciales au 31 décembre 2004 a été annoncée à la SAS SFNA au cours de la rencontre du 30 novembre 2004 ;

Attendu que ces éléments factuels démontrent que la SAS Jeudy avait, dès avant la rencontre avec son partenaire commercial, la SAS SFNA, arrêté sa décision de mettre fin aux relations commerciales à la fin de l'année ; que dès lors, aucune marge de discussion n'était offerte à la SAS SFNA ;

Attendu que la lecture de la lettre-circulaire datée précisément du 30 novembre 2004 envoyée à chacun de ses clients, par la SAS Jeudy éclaire la position prise par celle-ci ;

Qu'en effet, la SAS Jeudy indique : "Dans une conjoncture toujours plus difficile et concurrentielle, les établissements Jeudy viennent de prendre une décision stratégique importante et sont amenés à revoir leur partenariat en matière d'aliments bétail. Ainsi à compter du 1er janvier 2005 les six établissements Jeudy ne distribueront plus la marque Oftel (...) " ;

Attendu qu'il résulte par ailleurs de l'examen des montants des livraisons au cours des derniers mois de 2004, que la SAS Jeudy avait anticipé la rupture en diminuant considérablement les achats à la SAS SFNA ; qu'en effet la comparaison entre les quantités achetées en 2003 et en 2004 révèle une diminution importante puisqu'elles passent de :

* en septembre, de 325 tonnes en 2003 à 223 tonnes, en 2004,

* en octobre, de 206 t à 148 t,

* en novembre, de 202 t à 132 t,

* en décembre, de 230 t à 60 t.

Attendu que dans ces conditions, alors que le contexte général des effets de la sécheresse de 2003 conduisait à une augmentation des achats de produits de substitution par les éleveurs d'une part, et que la SAS Jeudy n'a émis aucune critique ni reproche à l'encontre de la SAS SFNA au cours de l'année 2004, la décision de rompre les relations commerciales portée à la connaissance de son partenaire de plus de 20 ans, seulement par déclaration verbale pour prendre effet dans un délai très bref de 4 semaines, constitue une rupture brutale au sens de l'article susvisé ;

Attendu que la responsabilité de la SAS Jeudy est entière ; qu'il convient de la condamner à verser à la SAS SFNA la somme de 60 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que la demande en indemnisation pour procédure abusive présentée par la SAS SFNA à l'encontre de la SAS Jeudy n'est pas justifiée au regard des éléments analysés ci-dessus ; qu'en effet, il n'est pas démontré qu'en demandant initialement le versement de la remise sur les achats 2004, la SAS Jeudy ait eu une intention malveillante à l'encontre de son ancien partenaire commercial ;

Attendu enfin, qu'au regard de la nécessité pour la SAS SFNA de se défendre devant cette cour, il est équitable de lui allouer la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt de renvoi, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Tours, Statuant à nouveau : Dit que la rupture brutale des relations commerciales avec la SAS SFNA est entièrement imputable à la SAS Jeudy ; Condamne la SAS Jeudy à payer à la SAS SFNA la somme de soixante mille euro (60 000 euro) à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial ; Rejette la demande de la SAS SFNA en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne la SAS Jeudy à payer en outre à la SAS SFNA la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.