CA Lyon, 1re ch. civ. A, 13 janvier 2011, n° 07-2196
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Haulotte France (SARL)
Défendeur :
Labrosse Equipement (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
Mme Devalette, M. Semeriva
Avoués :
SCP Laffly Wicky, Me Morel
Avocats :
Me Couturier, SCP Jakubowicz Mallet Guy & Associés
Le 20 décembre 1999, la société Haulotte Group et la société LM Logistique Développement, ci-après LM, ont conclu un contrat de concession commerciale selon lequel LM obtenait l'exclusivité de la vente au détail, sur les départements 26, 07, 84, 30 et 38 des produits Haulotte concernant les domaines de l'hydraulique, du levage et de la manutention.
Ce contrat d'exclusivité d'un an, reconductible tacitement par périodes annuelles, avait pour contrepartie pour le concessionnaire, notamment la constitution et la conservation d'un stock minimum de produits pour chaque type de machine et la réalisation d'un volume de ventes minimum revalorisé chaque année et la première année sur la base de 15 nacelles élévatrices.
Depuis le 20 juillet 2001, Haulotte France, filiale commerciale pour la France d'Haulotte Group, a repris les contrats conclus sur la France et notamment celui de la société LM.
Par lettre recommandée du 9 mai 2007, la société Haulotte France a résilié le contrat de concession aux motifs qu'aucune machine n'avait été vendue depuis le début de l'année et qu'elle n'avait plus aucun contact avec la société LM.
Par lettre en date du 25 juin 2007, la société LM a contesté, comme abusive et sans préavis la rupture et proposé un règlement amiable du litige.
Suite à la fin de non-recevoir opposée par Haulotte France et se plaignant de ce que celle-ci ne respectait son exclusivité et lui imposait parallèlement un quota annuel de machines sans commune mesure avec le quota d'origine, la société Labrosse Equipement, ci-après Labrosse, venant aux droits de la société LM, l'a assignée les 18 et 21 septembre 2007 devant le tribunal de commerce en paiement de 500 000 euro de dommages-intérêts, outre publication du jugement et indemnité de procédure.
Par jugement en date du 10 juin 2009, le Tribunal de commerce de Saint-Etienne :
- a constaté l'absence de violation du principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles,
- a constaté l'intérêt de la société Labrosse Equipement à agir et mis hors de cause la société Haulotte Group,
- a condamné la société Haulotte France à payer à la société Labrosse :
* 2 990 euro TTC outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, au titre de commissions sur la facture Kerry,
* 87 780 euro au titre de l'indemnité de préavis sur 12 mois,
* 5 000 euro d'indemnité de procédure,
- a dit que la rupture du contrat de concession avait une cause légitime,
- a rejeté la demande de publication et d'exécution provisoire.
Par déclaration du 8 juillet 2009, la société Haulotte France a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières écritures, auxquelles la cour se réfère expressément, la société appelante :
- à titre principal, demande la réformation du jugement sur la recevabilité des demandes de la société Labrosse ;
- à titre subsidiaire, la confirmation du jugement sur le caractère légitime de la résiliation et son infirmation sur le caractère insuffisant du délai de préavis de 4 mois accordé et le rejet de la demande de dommages-intérêts à ce titre ;
- encore plus subsidiairement, l'infirmation du jugement sur l'indemnité allouée qui doit être réduite eu égard à la marge commerciale mensuelle dégagée sur les trois dernières années.
Elle fonde ses moyens d'irrecevabilité, sur d'une part la violation du principe de non-cumul des responsabilités, la société LM, désormais Labrosse agissant à la fois au visa de l'article L. 442-6-I du Code de commerce et des articles 1134 et 1147 du Code civil pour les mêmes faits, et d'autre part sur le défaut d'intérêt à agir de LM qui a été remplie de ses droits sur les commissions sur contrats conclus directement sur le périmètre de la concession exclusive.
Subsidiairement, elle invoque le caractère légitime de la résiliation du contrat de concession pour inexécutions contractuelles graves telles que :
- le non-respect des objectifs contractuels de vente pendant toute la durée de la concession, sans que la société LM ait émis des réserves ou discuté ces objectifs et alors que ces objectifs étaient réalisables puisque presqu'atteints en 2002 et 2004, et qu'une mise en demeure a été adressée le 16 janvier 2007 sur la vente de 10 machines avant fin mars ;
- la distribution de produits concurrents de Haulotte, en violation de la clause 2.3 du contrat en vendant à la société Ceftic un produit de la société JLG, concurrente directe de Haulotte, même si le type de commandes est différent.
Elle conteste avoir commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de son concessionnaire par le biais de sa filiale Royan Levage alors que cette société avait pour activité la location, même de longue durée, qui n'est pas un mode de financement de ventes, et non la vente au détail.
Sur le préavis accordé de 3 mois et de fait de 4 mois, la société Haulotte France note qu'il était suffisant et que la société LM s'est totalement désintéressée des ventes sur cette période.
Elle considère, en outre, que la société LM n'a subi aucun préjudice du fait d'une insuffisance de préavis, les investissements réalisés ayant servi au développement de son activité de location, et le chiffres d'affaires de 76,90 % réalisé avec Haulotte comprenant en réalité à 84,77% de ce chiffre d'affaires l'activité contrats d'entretien et de location, étrangère au contrat de concession, en fonction de la stratégie commerciale adoptée par la société LM dès avant 2007.
Encore plus subsidiairement, si une indemnité devait être versée, elle demande qu'elle soit calculée en imputant les 4 mois de préavis et sur la marge brute réalisée sur les 3 dernières années où les ventes ont largement chuté, soit une marge mensuelle de 1 303 euro.
Sur la facture de commissions Kerry, elle s'en rapporte.
Aux termes de ses dernières écritures, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Labrosse demande la confirmation du jugement sur la facture Kerry qui correspond à une vente directe de la société Haulotte France sur le secteur de son concessionnaire et sur le rejet des demandes d'irrecevabilité soulevées. Elle forme appel incident sur la cause légitime de la rupture et sur le délai de préavis de 12 mois. Elle demande une indemnité de 500 000 euro pour rupture abusive et injustifiée de relations commerciales établies, demande la publication et l'affichage de la décision et 10 000 euro d'indemnité de procédure supplémentaire.
Elle soutient tout d'abord que ses demandes distinctes, sur des fondements distincts, sont parfaitement recevables et qu'elles ne concernent pas le préjudice né de la violation du territoire d'exclusivité par le concédant pour lequel elle a été indemnisée, à l'exception du paiement Kerry.
Elle fait valoir ensuite que la résiliation était injustifiée :
- car les clauses de quota imposées unilatéralement ne lui étaient pas opposables comme arbitraires par rapport à celle de départ (15 nacelles) et non acceptées,
- car ces clauses étaient irréalisables (35 à 40 machines par an) et jamais atteints par elle ou un autre concessionnaire la société Giffard, sans qu'une résiliation soit intervenue,
- car la société Haulotte a violé elle-même la clause d'exclusivité sur ventes directes ou indirectes, qui est rigoureusement réciproque et non différente, par le démarchage systématique de clients, même par le biais de propositions de location longue durée, violations reconnues puisque les commissions sur ces opérations ont été réglées ; elle relève également une même violation par le biais de sa filiale Royans Levage dont le siège est 15 kms du sien et qui exerce une activité de location ce qu'elle fait elle-même.
Elle conteste pour sa part le grief nouveau et isolé de concurrence déloyale par distribution d'un produit JLG à la société Ceftic, ce produit étant différent des produits Haulotte.
Sur le caractère insuffisant du préavis qu'elle entend porter à 18 mois, elle rappelle que les relations commerciales ont duré 8 ans, que les produits Haulotte ont une durée de vie très longue, qu'ils représentaient 75 % du chiffre d'affaires, qu'elle a investi dans la construction d'un bâtiment industriel pour 325 000 euro, outre 2 118 335 euro pour la mise en place en janvier 2005 de parcs de location. Elle invoque enfin un état de dépendance économique.
Sur l'indemnisation de son préjudice, elle demande que soit prise en compte l'activité location qui entre dans le périmètre du contrat de concession et sur une moyenne de marge brute de 35 141 euro par mois, volontairement ramenée globalement à 500 000 euro.
Elle constate que sa créance n'est pas contestée sur le dossier Kerry et demande la publication et l'affichage de l'arrêt.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mai 2009.
Motifs de la décision
Sur la procédure
Outre la mise hors de cause de la société Haulotte Group, qui n'a d'ailleurs pas été intimée, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a constaté que la société LM était parfaitement recevable à fonder ses demandes respectives de dommages-intérêts pour violation de l'exclusivité contractuelle et pour rupture abusive de relations commerciales établies, la première sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et la seconde, sur l'article L. 442-6-I du Code de commerce, dès lors qu'il s'agit de demandes distinctes visant des faits distincts.
Par ailleurs, même si la société Labrosse qui vient désormais aux droits de la société LM s'en rapporte en appel sur la condamnation au titre du contrat Kerry et si les commissions sur les autres ventes conclues dans les mêmes conditions lui ont été réglées, la société Labrosse a néanmoins un intérêt à agir pour voir confirmer ses droits au titre du dossier Kerry. Elle est par ailleurs intimée sur les autres dispositions du jugement relatives aux conditions de la rupture et appelante incidente sur celles-ci, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée à nouveau en cause d'appel par la société Haulotte est parfaitement infondée.
Sur le fond
Concernant le dossier Kerry, il est établi, même si cette vente directe par la société Haulotte a eu lieu à la demande expresse du client, que cette opération s'est effectuée avant la rupture et dans le périmètre d'exclusivité de la société LM, de sorte que le jugement qui a condamné la société Haulotte à payer une commission sur cette vente de 2 990 euro TTC, montant non contesté, doit être confirmé.
Concernant les conditions de la rupture des relations commerciales, le caractère constant et établi de ces relations résulte de la signature du contrat de concession daté du 20 décembre 1999 et instaurant des relations commerciales d'exclusivité réciproque sur la vente des produits Haulotte jusqu'à la date de résiliation intervenue à l'initiative de la société Haulotte le 9 mai 2007.
Au visa de l'article L. 442-6 5° qui sanctionne la rupture brutale de relations commerciales établies, seule faute ouvrant droit dans ce cadre à réparation et non la résiliation elle-même, il importe peu de rechercher si la rupture était justifiée ou non, mais d'établir si la rupture s'est effectuée sans préavis ou avec un délai de prévenance insuffisant au regard de la durée et de la nature de ces relations et dans l'affirmative, de rechercher si le caractère brutal de la rupture se justifiait le cas échéant (hors le cas de force majeure qui n'est pas en cause) en raison d'une inexécution fautive, suffisamment grave, de ses obligations par la société LM.
En l'espèce, il est constant que la lettre de résiliation du 9 mai 2007 ne contient aucun préavis, la résiliation prenant effet à réception du courrier. Dans sa lettre du 9 juillet 2007, en réponse aux protestations du conseil de la société LM sur cette résiliation, le conseil de la société Haulotte indique d'ailleurs qu'il n'y a pas lieu de mettre en œuvre le moindre préavis.
Ainsi, contrairement à ce qu'affirme la société Haulotte, nul préavis, même de fait, n'a été accordé à la société LM, à laquelle il ne peut dans ces conditions être reproché de n'avoir effectué aucune vente pendant ce prétendu préavis de 4 mois.
Pour justifier cette rupture sans préavis, la société Haulotte oppose dans la lettre de résiliation du 9 mai 2007, le non-respect par la société LM, malgré une mise en demeure du 16 janvier 2007, du quota de ventes de 10 machines à fin mars 2007 et de l'obligation contractuelle de commande d'une machine par modèle.
Ces manquements qui sont établis puisque la société LM n'a effectué aucune vente ni commande de machines entre la date de la mise en demeure, qui n'a entraîné d'ailleurs aucune réaction de sa part, et la date de la résiliation, n'est [sic] toutefois pas suffisamment grave pour justifier, après plus de 7 années de concession exclusive, une rupture sans préavis, et dans un contexte où le non-respect, depuis le début du contrat de concession, des quotas fixés certes unilatéralement par la société Haulotte mais sans réserves ni contestation de la part de la société LM, n'apparaissait pas déterminant, puisque cette concession a été renouvelée chaque année, sans mise en garde particulière sur ce point.
Dans ces conditions, la mise en demeure sur la réalisation cette fois impérative d'un quota global annuel de 35 machines et un quota sur le premier trimestre de 10 machines, qui a donné lieu à la résiliation sans préavis du contrat cinq mois plus tard, est empreinte de mauvaise foi dans l'exécution du contrat de la part de la société Haulotte, elle-même non exempte de responsabilité dans la non-réalisation des quotas de vente par suite du non-respect, de son côté, du secteur d'exclusivité de la société LM sur les ventes directes ou indirectes, violation du périmètre d'exclusivité qui est établi et a d'ailleurs été réparé par le versement de commissions à la suite des diverses protestations émises par la société LM, ceci en dehors même de toute considération des contrats de location longue durée qui ne sont pas dans le périmètre du contrat d'exclusivité mais qui ont nécessairement une incidence sur les ventes de machines d'un coût élevé.
Au regard de ce comportement fautif de la société Haulotte, le grief fait à la société LM d'avoir vendu une seule machine concurrente de marque JLG, ne présentant pas, de surcroît, les mêmes caractéristiques en termes de complexité des commandes, n'apparaît pas non plus suffisamment sérieux du fait de son caractère isolé, pour justifier une rupture sans préavis.
En l'absence d'accords interprofessionnels en la matière et eu égard à la durée des relations commerciales exclusives sur 7 ans, à la nature des produits vendus, sous marque de distributeur et impliquant un long délai de renouvellement et des investissements de stockage, à l'importance enfin du chiffre d'affaires Haulotte réalisé par la société LM (76,90 %), même si la majeure partie de ce chiffre est constitué par les locations sur les produits Haulotte (84,77 %) et ne caractérise pas de ce fait une dépendance économique, le délai raisonnable qu'aurait du accorder la société Haulotte à son concessionnaire, pour permettre à celui ci de se réorganiser et de trouver d'autres partenaires, aurait du être de 12 mois, comme fixé par les premiers juges.
Cette indemnité a par ailleurs été exactement calculée sur la moyenne de marge brute réalisée sur le chiffre d'affaires pendant toute la durée de la collaboration puisque la baisse de chiffres d'affaires sur les trois derniers exercices, est en partie imputable à la société Haulotte et ne résulte pas de la seule inertie de la société LM, en ne prenant en compte toutefois, que les chiffres d'affaires réalisés sur les ventes, les locations de machines qui sont certes comprises dans l'ensemble de la relation commerciale entretenue entre les sociétés, n'étant pas concernées par la résiliation intervenue, ce qui permettait à la société LM de poursuivre cette activité déjà largement prépondérante, avec la société Haulotte ou un autre fournisseur de machines.
Le jugement qui, sur des bases chiffrées attestées par l'expert comptable et non contestées, a condamné la société Haulotte à payer à la société LM (désormais Labrosse) la somme de 87 780 euro doit être confirmé, sans qu'il y ait de prendre en compte une prétendue période de préavis qui n'a pas été consentie et qui n'a donné lieu à aucune vente postérieure à la rupture.
Le jugement doit être également confirmé sur le rejet des demandes d'affichage et de publication de la société Labrosse dont le préjudice est intégralement réparé par cette indemnité pour rupture brutale intervenue il y a plus de trois ans.
La société Haulotte doit être condamnée à verser à la société Labrosse une indemnité de procédure supplémentaire de 3 000 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Haulotte France à payer à la société Labrosse Equipement une indemnité de procédure supplémentaire de 3 000 euro, Condamne la société Haulotte aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Morel, avoué.