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Décisions

ADLC, 23 février 2011, n° 11-D-05

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des communications électroniques dans la zone Réunion - Mayotte

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Frédérique Laporte, rapporteure, , l'intervention de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mme Elisabeth Flüry-Hérard, M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.

ADLC n° 11-D-05

23 février 2011

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 23 septembre 2010, sous les numéros 10/0086 F et 10/0087 M, par laquelle la société Outremer Telecom a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom, Orange Madagascar, Mauritius Télécom, Telkom Kenya, Société Réunionnaise du Radiotéléphone (SRR), Seychelles Cable System (SCS), Emtel ainsi que STOI-Internet dans le secteur des communications électroniques et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu l'avis n° 2010-1200 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 9 novembre 2010 rendu sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par Outremer Telecom, France Télécom et SRR ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 10-DSA-219 du 21 octobre 2010, n° 10-DSA-246 du 15 novembre 2010, n° 10-DSA-248 du 16 novembre 2010, n° 10-DSA-254 du 24 novembre 2010, n° 10-DSA-257 du 29 novembre 2010, n° 10-DEC-27 et n° 10-DEC-28 du 3 décembre 2010, n° 10-DEC-29 du 9 décembre 2010, n° 10-DSA-274 du 15 décembre 2010, n° 10-DSA-276 et n° 10-DSA-275 du 16 décembre 2010 et n° 10-DCR-23 du 20 décembre 2010 ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Outremer Telecom, France Télécom, SRR, STOI-Internet entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 18 janvier 2011 ; Les représentants de l'ARCEP entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Les sociétés EMTEL Ltd, Mauritius Telecom, Orange Madagascar, Telkom Kenya ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. L'Autorité de la concurrence a été saisie, le 23 septembre 2010, d'une plainte de la société Outremer Telecom relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom et ses filiales Orange Madagascar, Mauritius Télécom et Telkom Kenya (ci-après, prises ensemble, " France Télécom ") ainsi que par la Société Réunionnaise du Radiotéléphone (SRR), STOI-Internet, Seychelles Cable System (SCS) et Emtel dans le secteur des communications électroniques à propos de l'accès au futur consortium portant sur le financement et l'exploitation du câble LION2 (1) destiné à relier Mayotte à l'île de La Réunion et au Kenya.

2. Accessoirement à sa saisine au fond, Outremer Telecom a sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires.

B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LA SAISISSANTE

3. Outremer Telecom, créée en 1986, est le premier opérateur alternatif de communications électroniques dans les départements français d'Outre-mer. Elle est cotée en bourse depuis mars 2007 et demeure détenue majoritairement par son fondateur, M. X..., ainsi que par le fonds d'investissement APAX Partners.

4. Outremer Telecom fournit des services de communications électroniques variés aux particuliers comme aux entreprises (liaisons louées en gros et au détail, services de téléphonie fixe locale et longue distance et de téléphonie mobile, accès à Internet haut débit, résidentiel et professionnel). En juin 2006, elle a regroupé l'ensemble de ses activités sous la marque Only.

5. Son activité est exclusivement déployée en Martinique, en Guadeloupe, à la Guyane, à La Réunion et depuis peu à Mayotte.

6. S'agissant plus particulièrement de la zone Réunion - Mayotte, Outremer Telecom a lancé ses services de téléphonie mobile en décembre 2006 à Mayotte et en avril 2007 à La Réunion. Elle a obtenu des licences 3G pour les départements d'Outre-mer le 15 mai 2008, et ses premières offres 3G ont été lancées en novembre 2008. Outremer Telecom fournit également des services de téléphonie fixe depuis 1998 et d'accès à Internet à La Réunion depuis décembre 2007.

7. En 2009, Outremer Telecom a réalisé un chiffre d'affaires de 176 millions d'euro dont près de 62 % dans les activités mobiles, 27 % dans les services résidentiels fixes et Internet et 8 % dans les services aux entreprises et aux collectivités.

2. LES ENTREPRISES EN CAUSE

a) France Télécom SA et ses filiales Orange Madagascar, Mauritius Télécom et Telkom Kenya

France Télécom SA

8. France Télécom SA est la société holding du groupe France Télécom qui est l'un des principaux opérateurs de communications électroniques dans le monde. Le groupe France Télécom comptait ainsi, au 30 juin 2010, environ 182 millions de clients répartis dans 32 pays, dont 123,1 millions de clients dans la branche mobile et 13,2 millions de clients pour l'ADSL.

9. Via ses filiales Orange Réunion et Orange Mayotte, l'opérateur historique est présent à La Réunion depuis l'été 2000 et à Mayotte depuis avril 2007.

10. Via sa filiale Télécom Marine, le groupe France Télécom est également l'un des rares opérateurs de télécommunications à posséder sa propre flotte de navires câbliers pour la pose et la maintenance de liaisons sous-marines en fibres optiques.

11. En 2009, le groupe France Télécom a réalisé un chiffre d'affaires de 44,8 milliards d'euro pour l'ensemble de ses activités.

Mauritius Télécom

12. Mauritius Télécom est l'opérateur historique mauricien et fournit, sur le territoire de l'île Maurice, des services de communications électroniques, fixes et mobiles. Cet opérateur est détenu par France Télécom à hauteur de 40 %.

Orange Madagascar

13. Orange Madagascar est une filiale de France Télécom qui détient une participation indirecte de 71,79 % du capital. Elle commercialise des services d'accès à Internet et de téléphonie mobile à Madagascar.

Telkom Kenya

14. Telkom Kenya constitue l'opérateur historique kenyan et est une filiale de France Télécom qui détient une participation de 51 % du capital.

b) SRR

15. SRR est une filiale à 100 % de la Société Française du Radiotéléphone (SFR). Elle est l'opérateur de téléphonie mobile le plus ancien à La Réunion, territoire sur lequel elle exerce son activité depuis 1995.

16. A La Réunion, SRR a bénéficié d'un monopole de fait jusqu'en 2000, date de lancement par France Télécom Mobiles, devenue Orange Réunion, de ses propres services sur le marché réunionnais. SRR propose ses services sous les marques SFR La Réunion et NRJ Mobile.

17. A Mayotte, SRR a lancé ses services en 2001. Elle est restée le seul opérateur mobile jusqu'à l'arrivée d'Outremer Telecom en décembre 2006 et Orange Réunion en avril 2007. SRR offre ses services sous la marque SFR Mayotte (Société Mahoraise du Radiotéléphone). SRR commercialise des offres d'accès à Internet haut débit depuis le mois d'avril 2010 et réalise des expérimentations avec France Télécom pour le dégroupage de la boucle locale.

c) SCS

18. SCS a été fondée en 2008 par le gouvernement des Seychelles dans le cadre du projet de financement et de déploiement du câble sous-marin desservant les Seychelles. Elle regroupe également plusieurs opérateurs privés.

d) STOI-Internet

19. STOI-Internet est un opérateur de communications électroniques mahorais qui commercialise un service d'accès à Internet à haut débit sans fil sur la partie Nord-Est de l'île de Mayotte par le biais de liaisons satellitaires.

e) EMTEL

20. Emtel est le deuxième opérateur mobile mauricien après Mauritius Télécom.

C. LE SECTEUR DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES DANS LA ZONE RÉUNION - MAYOTTE

1. PRÉSENTATION DU SECTEUR

La téléphonie mobile

21. En 2009, le marché de la téléphonie mobile représentait 316 millions d'euro à La Réunion et 50 millions d'euro à Mayotte.

22. Le taux de pénétration des services mobiles dans la zone Réunion - Mayotte, défini comme le nombre de clients exprimés en carte SIM (1 062 828 à La Réunion et à Mayotte) rapporté à la population totale (soit 800 000 habitants à La Réunion et 188 000 habitants à Mayotte), était en 2009 supérieur à 100 %, ainsi que cela ressort du rapport de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) au Parlement et au Gouvernement relatif au secteur des communications électroniques Outre-mer, publié le 8 janvier 2010 (ci-après le " rapport ").

23. Les opérateurs présents sur ces deux îles sont SRR, France Télécom et Outremer Telecom. A La Réunion, chacun d'entre eux dispose d'une autorisation de fréquences 3G et propose des offres 3G. A Mayotte, aucune demande d'autorisation de fréquences 3G n'a été formulée, mais l'ARCEP a souligné, dans son avis n° 2010-1200 en date du 9 novembre 2010 relatif à la demande d'avis de l'Autorité de la concurrence portant sur la présente saisine, qu'un tel processus ne nécessiterait que quelques semaines.

L'accès à Internet haut débit

24. En 2009, le marché de l'accès à Internet à La Réunion représentait environ 55 millions d'euro, dont 4 millions d'euro pour l'internet bas débit. Selon l'ARCEP, les marchés de détail résidentiel du haut débit fixe outremer sont caractérisés par une prédominance des offres DSL par rapport aux offres sur câble, la couverture des réseaux câblés ne concernant que quelques grandes villes. La pénétration de l'accès à Internet haut débit sur DSL a atteint en 2009 un niveau comparable à celui de la métropole (2).

25. Le taux de pénétration à La Réunion sur ces marchés est d'environ 50 %. Les opérateurs présents sont France Télécom, Outremer Telecom, Mobius, Mediaserv, Runnet et Zeop. SRR a lancé son offre d'accès à Internet haut débit en février 2010.

26. A Mayotte, les offres d'accès à Internet haut débit sont embryonnaires du fait de l'absence de câble sous-marin. Le seul opérateur d'accès à Internet haut débit est STOI-Internet qui propose ses offres grâce à la bande passante satellitaire qu'elle a déployée. Ces offres, qui ne concernent qu'environ 1 000 abonnés, ont un niveau tarifaire très élevé (54 euro par mois) et limitent le téléchargement à 1Go. Selon le représentant de STOI-Internet : " A court terme, les lignes ADSL seront insuffisantes pour répéter une offre et une couverture identiques à celle de la métropole, on est donc plus ou moins obligés d'acheter le câble mais cela aura des conséquences sur nos marges du fait de l'impossibilité de relever les prix " (3).

27. SRR réalise actuellement des expérimentations en matière de dégroupage avec France Télécom. Il s'agit par conséquent d'un marché naissant.

2. LE RÔLE DES CÂBLES SOUS-MARINS

28. L'accès des départements et des collectivités d'Outre-mer à des services de communications électroniques compétitifs constitue un enjeu majeur pour l'aménagement et le développement économique de ces territoires et par conséquent une préoccupation constante des pouvoirs publics.

29. Dans son rapport, l'ARCEP souligne l'importance de disposer d'une connectivité sous- marine pour raccorder les territoires ultramarins aux grandes plaques de communication d'Amérique du Nord ou d'Europe de l'Ouest, où se situent notamment les serveurs des principaux sites Internet consultés : " Les câbles sous-marins constituent en effet le goulet d'étranglement de l'écoulement du trafic depuis ces zones. L'accès aux capacités sous- marines et les conditions obtenues par les opérateurs ont donc un impact significatif dans le jeu concurrentiel sur les marchés de détail et notamment de l'accès à l'internet ".

30. L'ARCEP analyse l'impact financier pour les opérateurs ultramarins de la nécessité d'avoir recours à des câbles sous-marins pour écouler leur trafic. Elle évalue ainsi le coût induit par les capacités sous-marines à environ 4 euro HT par accès et par mois pour un accès à 1 Mbit/s. L'ARCEP indique que ce surcoût lié aux prix des capacités sur les câbles sous-marins est loin d'être négligeable et une variation importante peut modifier le jeu concurrentiel sur les marchés de détail de la zone. La demande croissante en débit et le développement des technologies correspondantes (haut débit fixe, haut débit mobile) sont par ailleurs susceptibles d'amplifier cet effet au fil du temps.

a) Fonctionnement

31. L'acheminement des communications électroniques sur les routes reliant les départements et collectivités d'Outre-mer à la métropole s'effectue de manière générale selon deux technologies distinctes : les liaisons satellitaires et les câbles sous-marins. Cependant, le câble sous-marin présente plusieurs avantages par rapport au satellite, en termes de capacité, de durée de vie, de flexibilité et de prix, ainsi que l'a relevé l'ARCEP à plusieurs reprises (4).

32. Compte tenu de leur coût important, les câbles sous-marins sont financés dans la plupart des cas par des consortiums internationaux rassemblant différents opérateurs présents sur leur parcours.

33. Les capacités proposées par les consortiums déployant les câbles sous-marins se décomposent généralement de la façon suivante :

- une prestation de transport sur le câble sous-marin proprement dit allouée ou achetée à l'un des membres du consortium entre deux stations terrestres d'atterrissement du câble ; et

- une éventuelle prestation dite de " complément terrestre " portant sur le tronçon de liaison compris entre la station d'atterrissement du câble et le point de livraison où vient s'interconnecter le réseau de l'opérateur client.

34. Compte tenu des risques importants de coupures des liaisons sous-marines, surtout à proximité des zones terrestres, les opérateurs sont en outre invités à rechercher des solutions de sécurisation consistant le plus souvent à acheter des capacités supplémentaires sur un autre câble sous-marin afin de réacheminer le trafic sur une seconde route en cas de besoin.

35. Au-delà des membres des consortiums, d'autres opérateurs peuvent bénéficier d'un accès aux câbles sous-marins par le truchement d'offres de gros proposées par les membres des consortiums. Il peut s'agir d'offres de location de long terme (IRU : Indefeasable Right of Use (5)), dont la durée est habituellement de 15 ans, ou d'offres de transit facturées à la capacité utilisée ou réservée.

b) Les câbles sous-marins existants dans la zone Réunion - Mayotte

36. Les infrastructures existantes sont assurées principalement par deux câbles sous-marins : les câbles SAFE et LION1.

37. S'agissant de La Réunion, sa desserte est historiquement assurée par un seul câble sous- marin, le câble SAFE (ou plus précisément l'assemblage SAT3-WASC-SAFE) permettant de relier l'île à la métropole, tout en desservant l'Afrique du Sud et plusieurs pays de l'ouest africain, via un point de connexion aux câbles transatlantiques situés à Sesimbra au Portugal.

38. L'ARCEP a levé la régulation sur le câble SAFE à La Réunion en raison de la fin du monopole de France Télécom dans la commercialisation des offres de gros. France Télécom conservant toutefois un monopole sur le complément terrestre, cette partie du câble reste régulée et soumise par conséquent à l'obligation de répondre aux demandes d'accès raisonnables et d'orienter les tarifs vers les coûts.

39. Le câble LION1 construit au travers d'un consortium regroupant uniquement France Télécom et des sociétés qu'elle contrôle relie La Réunion à Madagascar et l'île Maurice depuis décembre 2009.

40. Dans le cadre du processus de régulation des marchés pertinents du secteur des communications électroniques, l'ARCEP a été amenée à imposer à France Télécom des remèdes concernant sa prestation de complément terrestre à La Réunion. En revanche, en raison de la fin du monopole de France Télécom dans la commercialisation des offres de gros sur le câble SAFE à La Réunion, l'ARCEP a levé sa régulation.

41. Mayotte, quant à elle, dispose seulement de la technologie satellitaire, puisqu'elle n'est desservie actuellement par aucun câble sous-marin.

D. LE PROJET DE CÂBLE LION2

1. PRÉSENTATION

42. Le câble LION2 constitue la seconde phase du projet LION et a pour objet de permettre le raccordement du câble LION1 à Mayotte et au Kenya. Sa construction se fera dans le cadre d'un consortium, associant notamment France Télécom et SRR. Le projet de financement et de déploiement du câble LION2 a été annoncé par France Télécom fin 2009 et lancé au début de l'année 2010.

43. Le tracé du câble LION2, tel que défini par France Télécom, est le suivant :

<emplacement tableau>

44. Le projet LION2 devrait ainsi permettre :

- de relier Mayotte à La Réunion, via une connexion au câble LION1 (6) ;

- de relier Mayotte à la métropole grâce à plusieurs routes :

(i) une première route assurée via un point de connexion au câble EASSy situé au Kenya et permettant ensuite d'acheminer le trafic vers l'Europe par la " voie est " grâce à la connexion d'EASSy au câble Sea-Me-We-4 ;

(ii) une deuxième route passant par La Réunion, grâce à la connexion du câble LION2 au câble LION1, et permettant d'acheminer le trafic vers la métropole par la " voie ouest " via le câble SAFE ;

(iii) une troisième route assurée via un point de connexion au câble TEAMS au Kenya.

- d'assurer une nouvelle route par la liaison La Réunion - métropole ne s'appuyant pas sur le câble SAFE, via un point de connexion au câble EASSy puis Sea-Me- We-4.

2. LES RECOMMANDATIONS DE L'ARCEP

45. L'ARCEP a soutenu de manière constante ces dernières années que, s'agissant d'infrastructures difficiles à répliquer, le co-investissement présentait des garanties d'équité des conditions d'accès à l'infrastructure au fil du temps, quels que soient les aléas et les évolutions des marchés.

46. En matière de câbles sous-marins, l'ARCEP a précisé dans son rapport qu'" [i]l apparaît en tout état de cause nécessaire que les financements publics, et notamment les programmes de défiscalisation de certains investissements, privilégient les projets permettant des offres ouvertes à tous les opérateurs et celles garantissant un véritable gain (en termes de prix et/ou de qualité) au bénéfice du consommateur final [....]

En effet, si l'on souhaite que le bénéfice d'une aide accordée à un opérateur, notamment dans le cadre d'une défiscalisation, puisse in fine bénéficier au consommateur et ne soit pas capté par l'opérateur bénéficiaire, il est nécessaire que l'infrastructure subventionnée soit la plus ouverte possible aux autres opérateurs dans des conditions non- discriminatoires. Ainsi, la concurrence en prix et en qualité entre les opérateurs qui bénéficieront de l'infrastructure subventionnée permettra bien de transférer le bénéfice au profit des consommateurs locaux. Si l'aide ne bénéficie qu'à un seul opérateur, celui-ci n'aura aucune incitation à la répercuter au consommateur final par une amélioration du prix ou de la qualité des offres de détail ".

47. La démarche encouragée par l'ARCEP dans le rapport ne se limite pas à un accès à des offres de gros sur le câble. Il y est en effet précisé qu'il est nécessaire de " renforcer, dans les critères d'octroi des aides, les conditions d'ouverture des capacités du câble à l'ensemble des opérateurs, lesquels devraient pouvoir accéder par exemple à des mécanismes de co-investissement [...] ".

3. LE DISPOSITIF DE DÉFISCALISATION

48. Lors de son discours prononcé le 18 janvier 2010 à Mayotte, le Président de la République française a fixé comme objectif la desserte de Mayotte par un câble sous-marin d'ici fin 2011, visant le désenclavement numérique et le développement de l'île : " Mayotte doit profiter de ce grand investissement numérique que nous réalisons pour la France. Je demande aujourd'hui [...] de travailler [...] sur le raccordement rapide de Mayotte à l'Internet mondial par un câble sous-marin. Je souhaite [...] que ce câble soit opérationnel d'ici à la fin de l'année 2011 et que le réseau interne de l'île soit prêt, pour cette date, à accueillir ces nouvelles capacités ". Cette prise de position a conduit le gouvernement à examiner plusieurs scénarios de soutien au déploiement d'un câble sous-marin reliant Mayotte.

49. Dans son avis, précité, l'ARCEP indique que, parmi ces différents scénarios, le projet LION2 élaboré par France Télécom permet de répondre à l'objectif poursuivi, sans pour autant que la taille limitée des marchés de détail mahorais permette a priori de rentabiliser les investissements consentis pour construire la branche spécifique desservant Mayotte. L'ARCEP précise que " France Télécom avait d'elle-même, avant même l'annonce du Président de la République, sollicité l'obtention de soutiens financiers publics pour la réalisation d'une branche Mayotte dans le cadre de son projet LION2. Par ailleurs, le constat tiré des expériences passées mène à la conclusion que l'offre et la demande se rencontrent rarement sur les marchés de gros de capacités sur les câbles sous-marins ".

50. Différents mécanismes de soutien public ont donc été étudiés par le gouvernement afin de répondre à ce besoin de subventions. Une démarche en trois temps a été retenue :

- dans un premier temps, un encouragement du co-investissement, France Télécom étant invitée à ouvrir le consortium aux opérateurs désireux de co-investir, au premier titre les opérateurs exprimant les plus gros besoins de capacités, qui ne pourraient que difficilement être favorablement servis dans le cadre d'offres de gros de capacités (location ou IRU) ;

- dans un deuxième temps, un soutien public au moyen d'une défiscalisation, dans le cadre du dispositif prévu par l'article 199 undecies B du Code général des impôts (CGI) modifié par les articles 5 et 16 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des Outre-mer, financement assorti d'engagements sur la fourniture d'offres de gros à destination d'opérateurs qui n'auraient pas souhaité ou pas pu co-investir dans le câble, ou qui n'arriveraient sur le marché que postérieurement à sa construction ;

- dans un troisième temps, et si cela s'avérait nécessaire en complément de la défiscalisation, un financement public dans le cadre du volet C du programme national très haut débit.

51. En particulier, afin de bénéficier de cette défiscalisation, les engagements suivants relatifs à la seule desserte de Mayotte et portant sur la fourniture d'offres de gros ont été élaborés par les services du gouvernement :

" Le bénéficiaire de la défiscalisation prend les engagements suivants :

" faire droit aux demandes raisonnables d'accès au câble et aux éléments associés afin de permettre le raccordement de Mayotte aux points de connectivité internationale que constituent la station de câble sous-marin du câble LION2 au Kenya et celle du câble Lion à la Réunion ;

" tenir à disposition des opérateurs tiers ayant une activité commerciale sur le territoire de Mayotte une gamme d'offres techniques et tarifaires permettant de relier Mayotte à la Réunion et au Kenya. Ces offres doivent permettre aux opérateurs tiers d'assurer une sécurisation de leur desserte de Mayotte dans les limites de l'architecture des câbles sous- marins Lion et Lion2 ;

" fournir les prestations correspondant à cette gamme d'offres, ainsi qu'aux éventuelles offres complémentaires formulées en application des présents engagements, dans des conditions non discriminatoires, y compris par rapport aux conditions d'approvisionnement de ses propres activités de détail et des autres entités du même groupe ;

" fournir les prestations correspondant à cette gamme d'offres, ainsi qu'aux éventuelles offres complémentaires formulées en application des présents engagements, à des tarifs non excessifs en référence aux coûts encourus desquels sont déduits les montants de toutes les aides publiques qui participent à l'équilibre économique de la défiscalisation. "

52. II est par ailleurs précisé que " ces engagements sont rendus publics par les bénéficiaires et communiqués à l'ARCEP, ainsi que les modalités de leur publication, dès l'obtention de la défiscalisation. Ces engagements sont opposables individuellement aux bénéficiaires en particulier en cas de différend lié à la mise en œuvre de ces derniers devant l'ARCEP ".

53. Ainsi, la loi de développement économique des Outre-mer a inséré au I ter de l'article 199 undecies B du CGI les dispositions relatives à la défiscalisation des câbles sous-marins :

" I ter.- Le I s'applique aux équipements et opérations de pose de câbles sous-marins de communication desservant pour la première fois la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint- Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie ou les Terres australes et antarctiques françaises lorsque, parmi les options techniques disponibles pour développer les systèmes de communication Outre-mer, le choix de cette technologie apparaît le plus pertinent.

Le bénéfice de ces dispositions est subordonné au respect des conditions suivantes :

a) Les investissements mentionnés au premier alinéa du présent I ter doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget et répondre aux conditions prévues aux a à d du 1 du III de l'article 217 undecies ;

b) Les fournisseurs des investissements éligibles ont été choisis au terme d'une procédure de mise en concurrence préalable au dépôt de la demande d'agrément et ayant fait l'objet d'une publicité ;

c) A l'occasion de la demande d'agrément mentionnée au a, la société exploitante est tenue d'indiquer à l'administration fiscale les conditions techniques et financières dans lesquelles les opérateurs de communications électroniques déclarés auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peuvent, sur leur demande, accéder aux capacités offertes par le câble sous-marin, au départ de la collectivité desservie ou vers cette collectivité. Le caractère équitable de ces conditions et leur évolution sont appréciés par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans les formes et dans les conditions prévues à l'article L. 36-8 du Code des postes et des communications électroniques.

La base éligible de la réduction d'impôt est égale à la moitié du coût de revient hors taxes et hors frais de toute nature, notamment les commissions d'acquisition, à l'exception des frais de transport de ces équipements et opérations, diminuée du montant des subventions publiques accordées pour leur financement. Le taux de la réduction d'impôt est de 50 %. [...] La base éligible de la réduction d'impôt est égale au quart du coût de revient hors taxes et hors frais de toute nature, notamment les commissions d'acquisitions, à l'exception des frais de transport de ces équipements et opérations, diminué du montant des subventions publiques accordées pour leur financement. "

54. A ce jour, quatre opérateurs, STOI, Outremer Telecom, France Télécom et SRR, se sont signalés auprès du bureau des agréments de la direction générale des finances publiques.

55. Seules France Télécom et SRR ont formellement déposé des demandes d'agrément. Aucun dossier n'étant complet, les demandes ne peuvent être instruites en l'état par la direction générale des finances publiques.

56. Celle-ci devra se prononcer, dans les trois mois du dépôt des dossiers dûment complétés, sur la part d'investissement des opérateurs éligible à la défiscalisation qui correspond au coût du premier raccordement par câble sous-marin de Mayotte.

57. Ainsi, à ce jour, la défiscalisation du coût de la branche Mayotte ne peut être considérée comme certaine. A fortiori, son montant ne peut être connu.

4. LES OFFRES DE GROS D'ACCÈS AUX CÂBLES SOUS-MARINS

Sur les offres de gros sur le câble LION2

58. Le 5 août 2010, France Télécom a présenté à Outremer Telecom une première grille tarifaire, valable un mois, indiquant les tarifs de gros applicables aux capacités sur le futur câble LION2 et sur des liaisons entre la métropole et le Kenya, Mayotte ou La Réunion.

59. France Télécom a distingué les prix avant et après défiscalisation pour les liaisons ayant un point de connexion à partir de Mayotte. Les tarifs principaux correspondant à des IRU d'une durée de 15 ans sont récapitulés dans le tableau reproduit ci-après :

Liaisons STM-1 (IRU 15 ans*) : Avant défiscalisation - Après défiscalisation

Mayotte - Paris (Nord via Lion2) : 4,05 M€ - 2,3 M€

Mayotte - Réunion : 2,67 M€ - 920 K€

Mayotte - Kenya : 2 M€ - 250 K€

Kenya - Paris sur TEAMS (Nord) : 2,15 M€

Réunion - Paris via LION2/TEAMS (Nord) : 3,1 M€

Réunion - Paris sur SAT3/WASC/SAFE (Sud) : 1,8 M€

*Il est important de relever que ces tarifs ne tiennent pas compte du prix de la maintenance

60. SRR, interrogée sur les conditions tarifaires de futures offres de gros sur LION2, a estimé ne pas être en mesure d'en proposer, compte tenu des incertitudes tenant à la fois au coût réel de l'investissement de chaque station et à la capacité réellement activée par chacun des membres du consortium.

Sur les offres de gros sur le câble LION1

61. Il ressort du dossier que trois offres de gros sur le câble LION1 ont été proposées par France Télécom aux autres membres du consortium LION2. La possibilité d'abouter les deux câbles LION1 et LION2 assure notamment à l'ensemble des membres du consortium une continuité permettant de relier La Réunion à Mayotte et au Kenya.

62. Ainsi, STOI-Internet et SRR ont reçu respectivement une et deux offres de gros de la part de France Télécom :

- en avril 2010, il a été proposé à SRR l'achat de STM-1 (7) non sécurisés en IRU 15 ans au prix unitaire de 243 000 euro et 12 000 euro de maintenance par an, entre La Réunion et le point d'interconnexion des câbles LION1/LION2.

- la seconde offre résulte de l'accord de capacité conclu entre France Télécom et SRR prenant effet le 23 septembre 2010 ; cet accord prévoit un achat de capacité sur LION1 de 37 STM-1 se décomposant en 14 STM-1 de capacité allouée et 23 STM-1 en réserve au prix de 10 804 528 euro avec possibilité d'achat de capacité supplémentaire en cas de besoin.

- STOI-Internet a également reçu le 23 septembre 2010 une proposition de France Télécom d'achat de capacité sur LION1 pour le prix de 1 543 504 euro portant sur 2 STM-1 sécurisés ou 4 STM-1 non sécurisés ce qui porte le coût d'un STM-1 non sécurisé à 386 000 euro. Cette proposition garantissait l'accès à des capacités supplémentaires ainsi que le droit d'en acquérir auprès du consortium.

E. LES PRATIQUES RELEVÉES

63. Dans sa saisine au fond, Outremer Telecom estime que le refus d'accès au consortium LION2 qui lui a été opposé, sur la base de conditions non objectives et non transparentes appliquées de façon discriminatoire, matérialise une entente anticoncurrentielle entre ses membres, prohibée tant par le droit national que par le droit de l'Union européenne.

64. En outre, elle estime que certaines pratiques de France Télécom peuvent constituer des abus de position dominante.

65. L'instruction a également mis en évidence des différences de traitement entre les opérateurs prenant part au consortium dans les modalités de partage des coûts.

1. LA FORMATION DU CONSORTIUM

a) Les différentes étapes de formation du consortium

66. France Télécom a été à l'origine de la mise en place du consortium ayant pour objet d'assurer le financement et de définir les conditions d'exploitation du câble LION2.

67. Le 8 février 2010, dans la perspective de la première réunion du comité intérimaire de gestion du consortium LION2 (ci-après l'" IMC " (8)), France Télécom a adressé à l'ensemble des investisseurs potentiels un projet d'accord de confidentialité (ci-après le " NDA " (9)) ainsi qu'un projet de Memorandum of Understanding (ci-après le " MOU ") établissant les bases de fonctionnement du futur consortium, les obligations de chacun de ses membres ainsi que le niveau d'investissement financier minimal attendu de la part de chacun d'entre eux.

68. Le MOU stipule, en particulier, que les membres du futur consortium s'engagent :

- à négocier et à conclure un accord de construction et de maintenance (ci-après le " C&MA ") spécifiant les modalités de déploiement, de maintenance et d'exploitation du câble LION2 ainsi que les conditions d'acquisition de capacités sur ce câble par chacune des parties au MOU ;

- à investir au minimum 6 millions d'euro dans le projet ;

- à envisager la conclusion d'un accord d'interopérabilité avec le câble LION1 par une unité de branchement au large des côtes de Madagascar ;

- à construire, après avoir analysé la faisabilité technique du projet, un système de liaison terrestre reliant la station d'atterrissement du câble LION2 à Mombasa, au Kenya, à Mayotte et à l'unité de branchement LION1 (avec des pattes de raccordement desservant Mayotte et les Seychelles) ;

Le MOU ne prévoit pas que la participation au futur consortium garantira l'accès à des capacités sur le câble LION1.

69. Lors de la première réunion de l'IMC qui s'est tenue le 12 février 2010, France Télécom a imposé aux participants, à savoir Mauritius Télécom, Orange Madagascar, SCS, SRR et Outremer Telecom, un délai impératif de quelques jours pour la signature du MOU, soit jusqu'au 22 février 2010. Ce délai a été finalement reporté au 26 février 2010.

70. A cette date, France Télécom et ses filiales, SCS ainsi que SRR avaient signé le MOU, mais pas Outremer Telecom. Deux MOU additionnels prenant acte de l'entrée de Emtel puis de STOI-Internet dans le consortium ont ensuite été signés, respectivement le 15 avril et le 8 juin 2010.

71. Le C&MA a été signé le 23 septembre 2010 par l'ensemble des signataires du MOU, à l'exception de SCS qui s'est désistée le 19 septembre 2010. Emtel a assorti sa signature à l'accord d'une réserve expresse concernant ses possibilités de financement. Sous réserve de fournir une garantie de financement lors de la réunion de l'IMC prévue en novembre 2010, il était prévu que les signataires du C&MA deviendraient membres du consortium.

72. Lors de cette réunion, qui s'est déroulée les 15 et 16 novembre 2010, dont l'objet portait sur l'examen des garanties financières évoquées au paragraphe précédent, un délai de quatre mois supplémentaires a été octroyé à STOI-Internet afin de garantir son investissement.

73. Selon SRR, France Télécom a joué un rôle moteur dans ces différentes étapes : la position " détenue par France Télécom sur le projet LION2 est incontestable et facilement explicable. D'une part, France Télécom est le seul des opérateurs du Consortium à disposer d'une expérience, particulièrement significative, de l'achat, de la mise en place et de l'exploitation d'un câble sous-marin. D'autre part, le projet LION2 a été initié par France Télécom et les autres opérateurs, tel que SRR, ne l'ont rejoint qu'à un stade déjà relativement avancé. La preuve en est que le contenu du MOU a été arrêté par France Télécom et que les opérateurs, auxquels il a été proposé de participer au projet LION2, ne sont pas intervenus dans le processus d'élaboration du MOU. Les deux seuls paragraphes légèrement modifiés (point 3, page 3 et paragraphe 1.4) l'ont été au cours de la réunion du 12 février 2010 à laquelle participait Outremer Telecom, aucune renégociation ultérieure n'étant intervenue. Une autre démonstration de ce poids de France Télécom réside dans le fait que tant le président de l'IMC (Monsieur Yves Ruggeri) que l'ensemble des présidents des sous-comités sont des cadres de France Télécom ou de ses filiales ".

b) Le traitement d'Outremer Telecom

74. France Télécom a adressé un courrier concernant la desserte de Mayotte par câble sous- marin à Outremer Telecom le 3 septembre 2009, courrier auquel cette dernière a répondu le 17 septembre 2009 afin de marquer son intérêt pour participer à ce projet.

75. Une réunion est alors intervenue entre Outremer Telecom et France Télécom le 23 octobre 2009, réunion à l'occasion de laquelle France Télécom aurait, selon Outremer Telecom, présenté sommairement les conditions dans lesquelles un tel consortium pourrait être mis en place afin d'assurer le développement, l'exploitation et la maintenance du câble LION2.

76. A la suite de cette réunion, Outremer Telecom a relancé France Télécom, les 20 novembre et 14 décembre 2009, 18 janvier et 2 février 2010, aux fins d'obtenir des informations détaillées sur ce projet. Outremer Telecom souhaitait en effet connaître les conditions dans lesquelles les membres du futur consortium LION2 pourraient accéder au câble LION1, détenu exclusivement par le groupe France Télécom.

77. Selon France Télécom, une version du MOU a été transmise à Outremer Telecom dès le 16 décembre 2009 (10).

78. Comme le mentionne le compte rendu de la première réunion de l'IMC en date du 12 février 2010, Outremer Telecom a exprimé son accord pour la conclusion du NDA, mais n'a pas souhaité signer immédiatement le MOU, qu'elle était en train d'analyser.

79. Le 25 février 2010, France Télécom a rappelé à Outremer Telecom l'échéance du 26 février pour la signature du MOU. Outremer Telecom lui a indiqué le même jour qu'elle-même et le président de l'IMC, responsable " câble " de France Télécom, étaient préalablement convenus d'en discuter ensemble.

80. Le 26 février 2010, le président de l'IMC a confirmé son accord pour une telle rencontre et a indiqué parallèlement à Outremer Telecom que sa participation au consortium serait " conditionnée par la signature du MOU avant ce soir ".

81. C'est dans ce contexte, et au regard de ce délai très bref accordé après cette première réunion de l'IMC, qu'Outremer Telecom n'a finalement pas signé le MOU, dans la mesure, notamment, où elle estimait ne pas avoir eu de visibilité sur les conditions d'accès au câble LION1 dont bénéficieraient les membres du consortium LION2.

82. Selon Outremer Telecom, ces éléments matérialiseraient le caractère non objectif et opaque de la formation du consortium, compte tenu de la complémentarité entre les câbles LION1 et LION2.

2. L'ADHÉSION ULTÉRIEURE AU CONSORTIUM

a) Les conditions d'adhésion

83. Les conditions d'adhésion de membres supplémentaires sont définies par l'article 5 du MOU :

" 5. AMENDEMENTS ET ADMISSION DE NOUVELLES PARTIES AU MOU

5.1 Ce MOU ne pourra être amendé qu'avec le consentement unanime de l'ensemble des Parties.

5.2. Sous réserve de l'accord unanime des membres de l'IMC, de nouvelles parties au MOU peuvent être admises. Dans une telle hypothèse, le président représentera valablement les parties en signant un MOU additionnel avec chaque partie nouvellement admise, à condition cependant que les conditions cumulatives suivantes soient remplies :

5.2.1 Chaque partie nouvellement admise devra accepter de verser sa part proportionnelle dans chaque coût qui serait encouru ou dû en vertu du MOU, que ce soit avant ou après qu'elle a été admise en tant que partie ; et

5.2.2 Chaque partie nouvellement admise devra accepter d'être liée par les termes et conditions du MOU ainsi que par les termes et conditions de toute décision valablement prise en vertu du MOU avant qu'elle ait été admise en tant que partie ; et

5.2.3 Chaque partie nouvellement admise devra être titulaire d'une licence de télécommunications reconnue et valable, tel que cela pourra être requis ou considéré comme nécessaire pour l'exécution du MOU. Sur demande de l'IMC, la partie nouvellement admise fournira tout document permettant de prouver les éléments ci-dessus.

5.3 Sauf stipulation contraire au sein du présent texte et dans tout MOU additionnel, les parties disposeront des mêmes droits et obligations quelle que soit la date à laquelle elles auront mis en œuvre le MOU.

5.4 Les plannings afférents au MOU seront ajustés, en tant que de besoin, afin de tenir compte de l'adhésion de nouvelles parties " (traduction libre).

84. Ainsi, cet article prévoit un certain nombre de critères objectifs d'accès (paiement des frais liés au MOU, acceptation des décisions du MOU et des décisions préalablement adoptées dans le cadre de celui-ci et qualité d'opérateur). Toutefois, lors même que ces critères seraient remplis, l'adhésion d'un nouvel opérateur reste subordonnée à l'approbation à l'unanimité des membres de l'IMC, et ce sans qu'aucune justification soit requise (article 5.2).

85. Partant, le refus discrétionnaire de l'un des membres du consortium interdit à un opérateur tiers de le rejoindre.

86. Au-delà de ces éléments, la procédure apparaît peu précise. D'une part, le MOU ne prévoit pas la procédure à suivre lorsqu'un opérateur souhaite rejoindre le consortium.

87. Sur ce point, et dès lors que la signature du MOU emporte l'adhésion aux principes qu'il prévoit, mais également aux décisions ayant été préalablement adoptées par ses signataires, Outremer Telecom estime que le candidat devrait obtenir préalablement communication, le cas échéant sous le sceau d'un accord de confidentialité, des informations en cause, aux fins de lui permettre de déterminer s'il est prêt ou non à accepter lesdites conditions.

88. D'autre part, il convient de relever que le MOU n'enferme pas les demandes d'accès au futur consortium dans un délai déterminé à partir de sa conclusion initiale mais, au contraire, précise que toutes les parties au MOU auront les mêmes droits et obligations, quelle que soit la date à laquelle elles auront mis en œuvre le MOU (article 5.3). Enfin, il est indiqué que les plannings afférents au MOU seront ajustés en tant que de besoin afin de tenir compte de l'adhésion de nouvelles parties (article 5.4).

b) Le traitement d'Outremer Telecom

89. Alors que deux MOU additionnels prenant acte de l'entrée de Emtel puis de STOI-Internet dans le consortium ont été signés respectivement le 15 avril et le 8 juin 2010, ainsi qu'indiqué précédemment, Outremer Telecom n'a pas pu adhérer au consortium après la première échéance fixée par France Télécom au 26 février 2010.

90. Après plusieurs demandes restées sans réponse (11), Outremer Telecom a, lors d'une réunion qui s'est tenue le 17 juin 2010 avec France Télécom, demandé à cette dernière communication des conditions négociées par les signataires du MOU et plus particulièrement entre France Télécom et SRR afin de pouvoir apprécier son intérêt à rejoindre le consortium. France Télécom a refusé de faire droit à sa demande de communication en expliquant, en substance, que le futur consortium était sur le point d'être formé et qu'elle n'aurait pu y accéder que lors de la proposition initiale du MOU lui ayant été faite en février 2010.

91. Le 19 juillet 2010, France Télécom a maintenu sa position en indiquant à Outremer Telecom que la signature du MOU était un préalable pour participer aux discussions et que le consortium du câble LION2 était déjà formé (12).

92. La demande d'adhésion d'Outremer Telecom a fait l'objet d'un examen formel lors de la cinquième réunion de l'IMC, qui s'est tenue les 29 et 30 juillet 2010 à Paris, soit postérieurement au refus de France Télécom datant du 19 juillet 2010. Il résulte du compte rendu de cette réunion que la demande d'Outremer Telecom a été refusée pour les raisons suivantes avancées par (13) :

- Mauritius Telecom : une demande d'adhésion formulée par Telma a préalablement été refusée au motif que " les fonds étaient déjà réunis et que l'entrée d'une nouvelle partie pourrait retarder le projet " ;

- SSR : en premier lieu, il ne s'agit pas d'une demande formelle, en second lieu Outremer Telecom n'a pas signé le MOU.

93. Selon Outremer Telecom, cette situation caractérise le manque de clarté et la possibilité d'une application discriminatoire de la procédure d'adhésion au consortium.

3. SUR LES CONDITIONS DE PARTAGE DES COÛTS À L'INTÉRIEUR DU CONSORTIUM

94. La participation au consortium suppose une participation financière minimale, dont le montant a été fixé par France Télécom à 6 millions d'euro. La capacité activable est de 256 STM-1 dont 25 % sont mis en réserve, la capacité immédiatement activée dès la mise en service du câble étant de 192 STM-l.

95. L'allocation de capacité sur le câble correspondant à ce montant minimal, exprimée en nombre de STM-1, a évolué au gré de la constitution du consortium. Cette capacité (hors réserve), fixée initialement à 27 STM-1, est passée à 20 STM-1 avec les adhésions de STOI et d'Emtel, puis à 16 STM-1 à la suite de la rétractation de SCS.

96. Ni le MOU ni le C&MA ne contiennent de dispositions concernant la réaffectation des capacités destinées à un opérateur qui ne souhaite plus faire partie du consortium. En revanche, un mécanisme, intitulé " incentive scheme ", visant à combler les déficits d'investissement a été mis en place par le comité " Interim Investment&Agree SubCommittee " du projet LION2 (ci-après le " comité II&A SC ") (14).

97. Ainsi, dans le cas où chacune des parties signataires du MOU n'augmente pas son investissement pour combler le budget, le mécanisme retenu est le suivant : les mises initiales de chacun des membres n'ouvrent plus droit qu'à X % de la capacité, sachant que la capacité restante (100-X %) doit pouvoir être souscrite à un prix plus incitatif que les X % afin d'inciter les membres à investir davantage. La règle définie par le comité II&A SC et validée par l'IMC à l'unanimité est la suivante : la capacité achetée en bonus doit coûter deux fois moins chère que celle achetée par le biais de la mise initiale. Une règle de trois permet de déterminer X à partir de cette règle. Chaque membre qui se sera porté volontaire pour augmenter son investissement aura alors droit à une quote-part de la capacité vendue en bonus, la quote-part de ses droits étant déterminée par le niveau de sa mise initiale.

98. Un tour de table a eu lieu afin de connaître les intentions d'achat de chacun des membres. Seules France Télécom et SRR ont souscrit à ce schéma d'investissement. L'allocation des capacités correspondant au financement des opérateurs est actée à l'annexe 10 du C&MA.

99. Ainsi, la contribution " initiale " de SRR est passée de 6 millions d'euro à 7,25 millions d'euro concernant l'investissement " normal " correspondant à une capacité allouée de 20 STM-1, ce qui porte le prix des 20 premiers STM-1 à 362 500 euro l'unité. Le " bonus investment " de 4,75 millions d'euro lui permet d'acquérir 26 STM-1 supplémentaires au prix de 182 692 euro, soit un total de capacité allouée de 46 STM-1 acquise au prix moyen de 260 870 euro sur les 192 STM-1 qui seront immédiatement activés.

100. Selon ce même schéma financier, mais avec un investissement supérieur, France Télécom disposera de 57 STM-1. La contribution initiale de France Télécom s'élevant à 11,25 millions d'euro correspond à une capacité de 31 STM-1, soit un prix d'acquisition de 362 900 euro par STM-1. Le " bonus investment " de 4,75 millions d'euro lui a permis d'acquérir, comme SRR, 26 STM-1 au prix de 182 692 euro. France Télécom disposera donc d'une capacité initiale de 57 STM-1 acquise au prix moyen de 280 700 euro l'unité.

101. Corrélativement, tous les futurs membres dont l'investissement correspond au montant minimal d'investissement prévu de 6 millions d'euro disposeront d'une capacité allouée diminuée à 16 STM-1, ce qui porte l'acquisition d'un STM-1 à 375 000 euro, soit environ 40 % plus cher que l'unité acquise par SRR et 35 % plus cher que celle acquise par France Télécom.

<emplacement tableau>

102. Il convient de relever que cet accord a été adopté en avril-mai 2010 date à laquelle Outremer Telecom et Telma cherchaient à rejoindre le consortium, et ce alors que STOI- Internet et Emtel avaient déjà fait part de leurs difficultés à garantir leur investissement et n'avaient donc pas les moyens de s'y opposer.

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

103. A titre liminaire, il convient de souligner que, dans le cadre de la présente saisine, toutes les entreprises du consortium signataires du C&MA ont été mises dans la cause, y compris celles qui sont actives en dehors du territoire national, et ce dans le respect du principe du contradictoire, puisque l'ensemble des écritures leur a été communiqué, contrairement à ce que les parties ont soutenu lors de la séance.

1. SUR LE DÉLAI IMPARTI AUX FINS DE PRÉSENTER LES PREMIÈRES OBSERVATIONS

104. France Télécom estime que le délai qui lui a été imparti pour présenter ses premières observations sur la saisine et ses annexes était insuffisant compte tenu de la date à laquelle les annexes lui ont été transmises.

105. Selon une pratique décisionnelle constante, confirmée par la cour d'appel de Paris (voir notamment l'arrêt du 12 février 2004 rendu dans le cadre du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 (15)), la procédure mise en œuvre pour instruire une demande de mesures conservatoires doit être adaptée à l'urgence tout en respectant le principe du contradictoire.

106. En l'espèce, la saisine a été communiquée à France Télécom le 15 octobre 2010 préalablement à l'audition du 25 octobre 2010, soit plus d'un mois avant la date à laquelle celle-ci devait déposer ses premières observations. La date de remise des observations prévue par le calendrier de procédure avait été fixée au 26 novembre 2010. Les annexes ont été transmises à l'ensemble des parties le 12 novembre 2010, soit 14 jours avant l'expiration de ce délai.

107. S'agissant des annexes jointes à la saisine et transmises à France Télécom le 12 novembre 2010, cette dernière n'est pas fondée à prétendre que " celles-ci, essentielles pour la compréhension du dossier, appelaient un examen minutieux de [s]a part [...] et de ses conseils ". En effet, lesdites annexes constituent, pour l'essentiel, des actes afférents aux travaux du consortium ou aux échanges intervenus entre Outremer Telecom et France Télécom dont cette dernière avait connaissance.

108. Par ailleurs, le courrier du rapporteur général adjoint s'opposant à la demande d'octroi de délai supplémentaire rappelait les différentes étapes procédurales qui précéderaient l'adoption, par l'Autorité, de sa décision. En l'espèce, deux tours de contradictoire ont été proposés en sus des observations orales que les parties ont pu présenter en séance, ce qui a mis France Télécom en mesure de formuler les commentaires sur les annexes qu'elle n'avait pas, selon elle, été en mesure de formuler dans le cadre de ses premières observations.

2. SUR LE DÉCLASSEMENT DE PIÈCES ANTÉRIEUREMENT CLASSÉES EN SECRETS D'AFFAIRES

109. Dans leurs observations du 15 décembre 2010 et du 5 janvier 2011, France Télécom et SRR soutiennent en substance que les décisions ordonnant le déclassement de certaines pièces classées en annexes confidentielles, à savoir les décisions n° 10-DEC-27 du 3 décembre 2010, n° 10-DEC-28 du 3 décembre 2010 et n° 10-DEC-29 du 9 décembre 2010 (ci-après les " décisions de déclassement "), sont irrégulières, ce qui devrait entraîner la nullité de la procédure.

110. France Télécom et SRR font tout d'abord valoir que les décisions de déclassement ont été signées par le rapporteur général adjoint en violation des règles de compétence. En vertu des articles R. 463-14 et R. 463-15 du Code de commerce, seule la rapporteure générale serait en effet compétente pour décider que les documents dont la protection au titre du secret des affaires a été sollicitée peuvent être communiqués à l'ensemble des parties à la procédure.

111. France Télécom et SRR invoquent ensuite une violation du principe de séparation des pouvoirs entre les services d'instruction et le collège de l'Autorité : en décidant de déclasser les documents dont la saisissante sollicitait la communication dans sa demande de mesures conservatoires, le rapporteur général adjoint aurait préjugé de la décision du collège sur cette dernière.

112. France Télécom considère également que, dans la mesure où les documents communiqués à Outremer Telecom n'ont pas porté sur les seuls éléments se rapportant aux discussions relatives à sa demande d'admission, mais aussi sur des éléments " hautement confidentiels identifiant toute la stratégie d'un consortium ", la décision de déclassement a été prise en violation du secret des affaires. SRR fait valoir à cet égard que les décisions de déclassement sont disproportionnées.

113. Outremer Telecom considère quant à elle que les services d'instruction n'ont pas suffisamment procédé au déclassement des documents confidentiels et notamment de la demande de défiscalisation déposée par France Télécom auprès du ministère des Finances.

114. A titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l'article R. 463-15 du Code de commerce, " [l]orsque le rapporteur considère qu'une ou plusieurs pièces dans leur version confidentielle sont nécessaires à l'exercice des droits de la défense d'une ou plusieurs parties ou que celles-ci doivent en prendre connaissance pour les besoins du débat devant l'Autorité, il en informe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception la personne qui a fait la demande de protection du secret des affaires contenu dans ces pièces et lui fixe un délai pour présenter ses observations avant que le rapporteur général ne statue. La décision du rapporteur général est notifiée aux parties ".

115. En ce qui concerne la compétence du rapporteur général adjoint pour signer les décisions de déclassement, il suffit de relever que, en vertu des dispositions de l'article R. 461-3 du Code de commerce, le rapporteur général peut " déléguer sa signature à un rapporteur général adjoint ".

116. En ce qui concerne la prétendue violation du principe de séparation des pouvoirs, il convient de rappeler que, dans le cadre de sa plainte, Outremer Telecom dénonce des pratiques mises en œuvre par France Télécom et certaines de ses filiales ainsi que par SRR, STOI-Internet et Emtel relatives au refus d'accès au consortium LION2 qui lui a été opposé. Les services d'instruction sont dès lors fondés à déclasser les éléments nécessaires à l'établissement des faits concernés. Le fait qu'Outremer Telecom demande communication de ces éléments au titre des mesures conservatoires ne saurait à lui seul priver les services d'instruction de la faculté de déclasser tout ou partie de ces éléments pour les besoins de la procédure.

117. S'agissant des documents concernés par les décisions de déclassement et la violation alléguée du secret des affaires, il convient de souligner que les procédures de déclassement doivent être proportionnées aux nécessités de l'instruction d'une procédure d'urgence. Dans son arrêt du 2 décembre 2010, Euro Power Technology, la cour d'appel de Paris a ainsi rappelé qu'il fallait " mettre en balance le droit à la protection des secrets d'affaires avec les nécessités de la procédure ".

118. Par ailleurs, la sanction qui s'attache à la violation du secret des affaires n'est pas la nullité de la procédure, mais le versement éventuel d'une indemnité réparatrice, dans l'hypothèse où la divulgation de telles informations serait de nature à créer un préjudice direct et certain aux entreprises concernées (voir notamment la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets).

119. En l'espèce, Outremer Telecom a produit des éléments suffisamment probants au soutien de sa saisine justifiant l'instruction des faits se rapportant à la formation du futur consortium et à l'adhésion à ce consortium. Il a donc été nécessaire de déclasser certaines pièces classées en secrets d'affaires, à savoir principalement les documents suivants : le MOU du 26 février 2010, les MOU additionnels signés par Emtel et STOI-Internet, l'accord d'interopérabilité du câble LION2 avec le câble LION1, le C&MA du 23 septembre 2010, l'ensemble des comptes rendus de l'IMC ainsi que celui du comité II&A SC des 29 avril et 1er mai 2010.

120. La version non confidentielle de ces documents produite par France Télécom et SRR constituée de pages blanches et le résumé succinct produit par France Télécom ne permettaient en effet pas un examen des éléments fondant les pratiques dénoncées par Outremer Telecom dans sa saisine.

121. L'absence de déclassement de ces éléments, par ailleurs couverts par l'engagement de confidentialité toujours en vigueur, aurait conduit à vider le débat contradictoire d'une grande partie de sa substance.

122. S'il est exact que, dans sa demande de mesures conservatoires, Outremer Telecom a sollicité la communication des différents documents dont elle devrait accepter les termes et les conditions dans l'hypothèse où elle adhérerait au consortium, en vertu de l'article 5.2.2 du MOU, il convient de préciser que les documents ayant fait l'objet des décisions de déclassement ne recouvrent que partiellement ceux visés par Outremer Telecom (16).

123. Partant, force est de constater que les décisions de déclassement sont proportionnées aux nécessités de l'instruction et que, en tout état de cause, les parties n'exposent nullement en quoi la violation alléguée du secret des affaires aurait porté atteinte à leurs droits de la défense.

124. Les autres documents qui auraient dû, selon Outremer Telecom, être déclassés et qui concernent la demande de défiscalisation de France Télécom, le financement et le suivi des travaux du consortium, la capacité qui pourrait lui être allouée sur le câble LION2 ainsi que les contrats ou projets de contrats passés avec les fournisseurs d'équipements n'étaient pas utiles au stade de l'examen de la demande de mesures conservatoires : leur déclassement ne s'imposait donc pas.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

125. France Télécom considère que la communication en langue anglaise du C&MA à l'ensemble des parties, alors qu'une traduction synthétique en français des dispositions de cet accord avait été adressée le 5 novembre 2010 aux services d'instruction, viole l'article 26 du règlement intérieur de l'Autorité.

126. Aux termes de l'article 26 du règlement intérieur de l'Autorité :

" Tout document produit devant l'Autorité doit être rédigé en français ou, à défaut, accompagné d'une traduction en français. Une partie peut être autorisée, sur demande motivée et si les circonstances le justifient, à accompagner un document exceptionnellement volumineux et rédigé dans une langue autre que le français d'une traduction abrégée ou par extraits, sans préjudice de la possibilité pour le rapporteur général ou le président de séance d'imposer ultérieurement une traduction complète. "

127. En l'espèce, il convient de relever, en premier lieu, que les services d'instruction ont demandé à France Télécom, lors de l'audition du 25 octobre 2010, de fournir une traduction des documents produits. France Télécom a refusé d'en transmettre une version en français aux motifs qu'il lui faudrait solliciter l'accord de toutes les parties sur le contenu de la traduction et qu'elle estimait que l'article 26 du règlement intérieur de l'Autorité ne s'appliquait pas aux documents produits à la suite d'une demande des services d'instruction.

128. Il convient de relever, en second lieu, que ce document, dans sa version anglaise, a été communiqué à toutes les parties, c'est-à-dire aux opérateurs signataires du C&MA et à Outremer Telecom qui, seule, pourrait arguer d'une violation du principe d'égalité des armes, ce qu'elle n'invoque pas en l'espèce.

B. SUR L'APPLICABILITÉ DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE

129. Si France Télécom ne conteste pas que les pratiques dénoncées par Outremer Telecom puissent être examinées tant au regard du droit national que du droit de l'Union européenne, SRR estime quant à elle que ce dernier est inapplicable.

130. SRR fait observer que le consortium a pour objet la construction du câble LION2 reliant Mayotte au Kenya, d'une part, et à un point de connexion au câble LION1 situé dans l'océan indien, d'autre part. Or, SRR souligne que le droit de l'Union européenne ne s'applique pas à Mayotte en application de l'annexe II du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et que Madagascar et le Kenya ne peuvent être pris en compte lors de l'examen de l'affectation du commerce entre États membres. Elle en déduit que les raccordements du câble LION2 ne concernent que des territoires non soumis au droit de l'Union européenne.

131. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (17) (JOUE 2004, C 101, p. 81), la Commission européenne souligne notamment que " le critère de l'affectation du commerce est un critère autonome du droit communautaire qu'il convient d'apprécier séparément dans chaque cas " (point 12). Elle indique également que " [l]'application du critère de l'affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational " (point 22) et que " l'influence d'accords et de pratiques sur les courants d'échanges entre Etats membres peut être directe ou indirecte, actuelle ou potentielle " (point 36).

132. En l'espèce, il ne peut être exclu que les pratiques exposées ci-dessus, si elles étaient avérées, seraient susceptibles d'élever des barrières à l'entrée, notamment, sur les marchés de gros que constituent les liaisons interterritoriales Réunion - Métropole et Réunion - Mayotte.

133. Or, s'il n'est pas encore applicable à Mayotte (18), le droit de l'Union européenne de la concurrence est évidemment applicable à La Réunion et en métropole.

134. Il importe peu, dès lors, que le câble LION2 ne raccorde que des territoires non soumis au droit de l'Union européenne (Mayotte et le Kenya) dès lors que la fourniture de services sur des marchés et territoires qui y sont soumis dépend de l'accès à ce câble.

135. En outre, plusieurs opérateurs européens tels que British Telecom ou Vodafone, par l'intermédiaire de sa filiale Vodacom, sont membres du consortium EASSy (19) et ont donc vocation à intervenir sur les marchés de gros des liaisons Réunion - Métropole et Mayotte

- Métropole par la voie nord.

136. De plus, d'autres opérateurs européens sont d'ores et déjà actifs sur les marchés susceptibles d'être affectés par les pratiques des membres du consortium. Les opérateurs Câble & Wireless et Belgacom sont ainsi déjà présents sur le marché de gros de la liaison interterritoriale Réunion - Métropole par la voie sud via le câble SAFE.

137. Partant, à ce stade de l'instruction et sous réserve d'un examen au fond, les pratiques décrites ci-dessus sont susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres et d'être qualifiées au regard des articles 101 TFUE et 102 TFUE.

C. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS ET LA POSITION DES ENTREPRISES SUR CES MARCHÉS

138. Les chiffres cités à l'appui des développements suivants sont issus du rapport ainsi que de l'avis rendu par l'ARCEP dans le cadre de la présente saisine.

1. LES MARCHÉS DE DÉTAIL DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES DANS LA ZONE CONSIDÉRÉE

Sur les marchés de produits ou de services

139. Dans le cadre de sa pratique décisionnelle récente (20), l'Autorité de la concurrence a défini plusieurs marchés de détail dans le secteur des communications électroniques : les marchés de la téléphonie fixe, de la téléphonie mobile et des services d'accès à Internet haut débit.

140. Au cas présent, seuls ces deux derniers marchés sont concernés et seront donc retenus comme marchés pertinents, sans qu'il soit nécessaire de procéder à ce stade à une segmentation plus fine (en fonction du type de clientèle par exemple). En effet, comme l'a déjà souligné l'Autorité de la concurrence, les autorités de la concurrence, tant nationales que communautaires, préfèrent, lorsque la segmentation d'un marché n'apporterait aucune information supplémentaire sur le pouvoir de marché dont dispose l'entreprise concernée et sur les effets sur la concurrence, laisser la question ouverte (voir, à cet égard, la décision n° 09-D-24, précitée, point 146).

Sur les marchés géographiques

141. Un marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et de services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Il ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.

142. En ce qui concerne, premièrement, le marché de la téléphonie mobile, il convient de relever que les offreurs sont identiques à Mayotte et à La Réunion, avec des positions de marché assez équivalentes.

143. Cependant, dans sa décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009, précitée, l'Autorité de la concurrence a considéré qu'il n'était pas exclu de considérer que les marchés de détail de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte puissent constituer deux marchés distincts eu égard à certains " éléments d'hétérogénéité ", tels que des caractéristiques sociodémographiques, une maturité du marché mobile, des modes de consommation et des dynamiques concurrentielles différents.

144. En ce qui concerne, deuxièmement, le marché de l'accès à Internet haut débit, dont l'existence à Mayotte est contestée par France Télécom et SRR, l'Autorité a précisé, dans sa décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009, précitée, que " [c]oncernant la dimension géographique de ce marché, au regard notamment d'une animation concurrentielle beaucoup plus tardive qu'en métropole, d'opérateurs alternatifs différents et de moindre taille, la définition d'un marché géographique propre aux départements d'Outre-mer pour les services de communications fixes est, en l'espèce, pertinente ".

145. En l'état de l'instruction, les territoires de La Réunion et de Mayotte sont donc susceptibles de constituer deux marchés géographiques distincts.

Sur la position des entreprises sur ces marchés

146. Sur le marché de détail de la téléphonie mobile, SRR disposait, à mi-2010, d'une part de marché d'environ 60 % à La Réunion et de 65 % à Mayotte, tandis que les parts de marché de France Télécom étaient respectivement de 30 % et de 5 % et celles d'Outremer Telecom, entrée en 2007, de 11 % et de 30 %.

147. Sur le marché de détail des services d'accès à Internet à La Réunion qui représentait environ 55 millions d'euro en 2009, dont 4 millions d'euro pour l'internet bas débit, France Télécom disposait au début de l'année 2010 d'une part de marché d'environ 60 %. Les autres opérateurs sont Outremer Telecom avec une part de marché de 20 % en juillet 2009, Mobius (10 %), Mediaserv (8 %), Runnet et Zeop détenant chacune 1 %. SRR a lancé son offre d'accès à Internet haut débit en février 2010.

148. France Télécom est donc susceptible, en l'état de l'instruction, d'occuper une position dominante sur le marché de l'accès à Internet haut débit à La Réunion.

149. A Mayotte, les offres d'accès à Internet haut débit sont embryonnaires du fait de l'absence de câble sous-marin.

150. Le seul opérateur à fournir de telles offres est STOI-Internet qui utilise la bande passante satellitaire qu'elle a déployée. Ces offres, qui ne concernent qu'environ 1 000 abonnés, ont un niveau tarifaire très élevé (54 euro par mois) et limitent le téléchargement à 1Go. SRR réalise actuellement des expérimentations en matière de dégroupage avec France Télécom. Il s'agit par conséquent d'un marché naissant sur lequel il n'existe pas, pour l'heure, d'opérateur véritablement dominant.

2. LES MARCHÉS DE GROS DU TRANSPORT DE DONNÉES ENTRE TERRITOIRES DISTANTS

151. Sur les marchés de gros du transport de données entre territoires distants, les offreurs sont des opérateurs membres de consortiums, notamment des consortiums SAFE et LION ; les demandeurs sont des opérateurs tiers agissant sur les marchés de détail de la zone Réunion - Mayotte et souhaitant établir des communications et échanger des données avec d'autres territoires, particulièrement l'Amérique du nord ou l'Europe de l'ouest. Les demandeurs accèdent aux capacités des câbles par le biais d'offres de location tarifées en Mbits consommés ou par l'achat d'IRU d'une durée de 15 à 20 ans. Le tarif comprend la location de la capacité et la maintenance.

Sur la délimitation des marchés pertinents

152. S'agissant du transport de données, chacune des liaisons point-à-point définit en principe un marché pertinent, à l'instar de ce qui se fait par exemple dans le transport aérien. La capacité des offreurs potentiels sur une liaison donnée pour desservir une autre liaison peut néanmoins conduire à retenir des marchés plus larges.

153. La mise en œuvre du projet LION2 pourrait ainsi conduire à identifier un marché de gros du transport de données entre Mayotte et la métropole. Le raccordement de LION2 au câble LION1 pourrait également conduire à définir un marché de gros du transport de données entre Mayotte et La Réunion.

154. Il pourrait aussi être envisagé de définir un marché pertinent plus large des liaisons point-à- point entre, d'une part, la zone concernée de l'océan indien (Madagascar, La Réunion, Mombassa, Mayotte, l'île Maurice, etc.) et, d'autre part, la métropole, voire l'Europe de l'ouest, s'appuyant en pratique sur les câbles LION1 et LION2 pour la desserte locale et de manière complémentaire sur les câbles EASSy, TEAMS ou SAFE.

Sur la position de France Télécom

155. Il convient de relever que France Télécom dispose de droits spécifiques sur certains segments des câbles considérés. Elle fait ainsi partie du consortium à l'origine du câble SAFE et jouissait, jusqu'en 2008, d'un monopole de commercialisation des capacités disponibles sur ce câble. France Télécom dispose toujours d'un monopole d'exploitation sur le complément terrestre permettant d'acheminer sur ce câble le trafic en provenance de La Réunion.

156. En outre, France Télécom dispose à La Réunion, en tant qu'unique détenteur du câble LION1, d'un monopole sur la prestation de complément terrestre sur ce câble.

157. Cette position prééminente sur ce marché pourrait être renforcée par la mise en œuvre du projet LION2, qui permettra à France Télécom d'intervenir en tant qu'offreur sur la " route est " en utilisant le câble LION1et les câbles EASSy et TEAMS en tant que membre des consortiums chargé de les développer et de les exploiter.

158. Le câble LION 2 devant être connecté au câble LION1 afin de permettre l'acheminement de trafic entre Mayotte, La Réunion et l'île Maurice, France Télécom disposera de facto d'une influence déterminante sur les conditions de déploiement, de maintenance et d'exploitation du câble LION2. Cela est déjà matérialisé par le fait que France Télécom impose dans ses offres d'IRU sur LION1 une interdiction pour leurs souscripteurs de pouvoir revendre de la capacité.

159. De plus, le projet de déploiement du câble LION2, tel qu'il ressort du C&MA, prévoit d'accorder une propriété exclusive sur le segment terrestre à Mayotte à France Télécom et sur le segment terrestre au Kenya à Telkom Kenya.

160. Or, le coût du complément terrestre (portion du câble qui dessert la tête du câble au rivage et la raccorde au point de présence des opérateurs, situés le plus souvent à l'intérieur des terres) est un élément important de formation du coût de la bande passante.

161. France Telecom sera donc le seul opérateur à pouvoir fournir une connectivité en boucle Métropole - Kenya - Mayotte - La Réunion - Métropole. En particulier, les accords d'accès à des capacités sur LION1 conclus avec d'autres acteurs n'autorisent pas la revente de ces capacités sur le marché de gros selon la version de l'article 6 du C&MA figurant dans la saisine.

162. Enfin, France Télécom dispose d'une expertise technique de premier plan en matière de câbles sous-marins (elle possède d'ailleurs quatre navires câbliers) et constitue un opérateur verticalement intégré présent sur tous les marchés de gros et de détail.

163. A ce stade de l'instruction et sous réserve d'un examen au fond, France Télécom est donc susceptible de détenir une position dominante sur tout ou partie des marchés de gros concernés.

D. SUR LES PRATIQUES RELEVÉES

164. Dans sa saisine, Outremer Telecom estime, à titre principal, que le refus d'accès au consortium LION2 qui lui a été opposé, sur la base de conditions non objectives et non transparentes appliquées de façon discriminatoire, matérialise une entente anticoncurrentielle entre ses membres. Elle invoque à cet égard la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence relative aux conditions d'adhésion à des groupements d'entreprises.

165. France Télécom et SRR soutiennent qu'Outremer Telecom s'est vu refuser l'accès au consortium LION2 pour des raisons totalement objectives liées à l'avancement des travaux de ce dernier et à la nécessité d'arrêter le budget du projet LION2. Elles considèrent à cet égard que la pratique décisionnelle citée par la saisissante n'est pas applicable en l'espèce.

166. Dans le cadre de leur pratique décisionnelle, le Conseil de la concurrence puis l'Autorité de la concurrence se sont prononcés sur les conditions d'adhésion à des groupements d'entreprises, associations professionnelles ou groupements d'intérêts économiques (GIE), au regard des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

167. A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que la mise en commun de moyens au sein d'un groupement d'entreprises n'est pas critiquable en soi, tant il est vrai qu'elle peut, lorsqu'elle fonctionne conformément à l'objet qui lui est assigné, contribuer à améliorer l'efficacité de l'offre, par la réalisation d'économies d'échelle et une meilleure efficacité du service rendu aux consommateurs. Cependant, le recours à ce type de regroupement ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, lorsqu'il est établi qu'il a été utilisé pour mettre en œuvre des pratiques concertées ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter le libre exercice de la concurrence.

168. Ainsi, selon une jurisprudence constante rappelée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 27 mai 2003 (Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde- meubles de France), les conditions d'adhésion à une association professionnelle " peuvent porter atteinte à la libre concurrence si cette adhésion est une condition d'accès au marché ou si elle constitue un avantage concurrentiel et si ces conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire ".

169. Dans ce cadre, les comportements de groupements d'entreprises ont été sanctionnés à de nombreuses reprises en raison de l'absence d'objectivité et de justification des motifs de refus d'accès en leur sein (voir notamment la décision n° 10-D-15 du 11 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE " groupement des Taxis amiénois et de la métropole " ; voir également, en ce sens, la décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Les Indépendants dans le secteur de la publicité radiophonique dans laquelle le Conseil avait accepté des engagements proposés par le GIE et rappelé que, si une structure commune regroupant des acteurs économiques devient un élément essentiel de l'accès à un marché donné ou constitue un avantage concurrentiel sur le marché, les conditions d'accès à cette structure doivent être objectives, transparentes et non discriminatoires, sous peine d'être qualifiées d'entente entre les membres du groupement ; cette décision a été confirmée sur renvoi après cassation par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 1er juin 2010).

170. La pratique décisionnelle exposée ci-dessus n'a toutefois jamais été appliquée à la situation particulière d'un groupement destiné à mener en commun un projet d'investissement, tel que la construction d'une infrastructure.

171. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, le consortium LION2 a pour objet d'assurer le financement de la construction du câble sous-marin reliant Mayotte à la Réunion grâce à une connexion au câble LION1 et d'en définir les conditions d'exploitation et de maintenance. Il s'agit donc d'un groupement constitué dans le cadre d'un projet industriel qui repose sur un partage de risques financiers entre co-investisseurs, et non d'un groupement de moyens.

172. Dès lors, une analyse au fond apparaît nécessaire afin de rechercher si le droit de la concurrence impose ou non, en l'absence de pratique décisionnelle ou de jurisprudence portant précisément sur ce point, l'application de conditions d'adhésion objectives, transparentes et non discriminatoires à des groupements d'investissement, dans la mesure où cette adhésion constitue une condition d'accès au marché ou un avantage concurrentiel.

173. Dans le cas d'une réponse affirmative, l'instruction devra s'attacher à vérifier si les conditions dans lesquelles Outremer Telecom n'a pas pu, à ce jour, adhérer au consortium LION2 révèlent une procédure d'adhésion non transparente et discriminatoire, susceptible de caractériser une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 101 TFUE.

174. Dans sa saisine, Outremer Telecom fait également valoir, comme cela a été rappelé au paragraphe 64 ci-dessus, l'existence d'un abus de position dominante. A cet égard, il appartiendra aux services d'instruction de rechercher, d'une part, si le fait de faire obstacle à une demande d'adhésion d'Outremer Telecom au consortium LION2 peut relever d'une stratégie d'éviction et, d'autre part, s'il existe un lien de causalité entre la position dominante de France Télécom ou d'autres acteurs sur les marchés de détail et de gros concernés telle qu'identifiée précédemment et la poursuite d'une telle stratégie d'éviction éventuelle.

E. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

175. L'article L. 464-1 du Code de commerce dispose : " L'Autorité de la concurrence peut, à la demande du ministre chargé de l'économie, des personnes mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 462-1 ou des entreprises et après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

1. LES MESURES CONSERVATOIRES DEMANDÉES

176. Accessoirement à sa saisine au fond, Outremer Telecom demande à l'Autorité de la concurrence d'enjoindre aux membres du consortium :

" de suspendre tous les accords relatifs à la mise en œuvre du Consortium le temps que (i) Outremer Telecom ait pu avoir communication des éléments sur la bases desquelles son adhésion au Consortium pourrait être réalisée et (ii) ait pu présenter sa candidature dans un délai de vingt jours ouvrés à compter de la date à laquelle elle aura eu communication de l'ensemble des éléments pour ce faire ;

de modifier la procédure d'adhésion au Consortium afin de permettre une adhésion de nouveaux membres sur une base objective, transparente et non discriminatoire et d'examiner toute candidature sur la base de cette procédure modifiée ;

de communiquer à Outremer Telecom l'ensemble des éléments lui permettant de présenter sa candidature de manière éclairée au regard des droits et obligations qui pèseraient sur elle en sa qualité de Membre du Consortium, et notamment :

- la version actuelle de l'ensemble des accords relatifs au financement, à l'exécution et à la mise en œuvre du Consortium (C&MA, convention d'interopérabilité du câble LION2 avec le câble LION, contrats de fourniture des infrastructures et équipements, etc.) ;

- le montant des investissements demandés à chacun des membres du Consortium et leur justification ;

- les conditions tarifaires et techniques d'accès au câble LION réservées aux membres du Consortium ;

- la capacité qui pourrait être allouée à Outremer Telecom sur le câble LION2 compte tenu de son investissement ; ainsi que

- l'ensemble des décisions ayant été, à ce jour, arrêtées par les membres du Consortium dans le cadre du projet LION.

de diffuser, dans les mêmes formes et selon les mêmes modalités que les communiqués de presse afférents à la constitution du Consortium, un communiqué de presse relatif à la décision prononcée par l'Autorité et présentant les mesures qui auront été imposées. "

2. SUR LA GRAVITÉ ET L'IMMÉDIATETÉ DE L'ATTEINTE

177. L'un des principaux arguments avancés par Outremer Telecom pour justifier le prononcé de mesures conservatoires par l'Autorité repose sur le fait que sa pérennité sur les marchés de détail de la téléphonie mobile et de l'accès à Internet haut débit serait compromise. Elle invoque à cet égard le dépositionnement tarifaire et le retard qu'elle subirait dans le lancement des offres de communications électroniques en raison de sa non-participation au consortium.

178. Outremer Telecom fait en outre valoir qu'il en résulterait un affaiblissement grave de la pression concurrentielle sur les marchés concernés, en particulier à Mayotte, ce qui désavantagerait les consommateurs.

179. France Télécom et SRR estiment tout d'abord qu'aucune urgence ne peut être caractérisée étant donné que le câble LION2 ne sera pas mis en service avant le premier semestre 2012.

180. SRR et France Télécom soutiennent ensuite qu'Outremer Telecom ne démontre nullement l'existence d'un préjudice grave qu'elle subirait du fait des pratiques prétendument mises en œuvre par les membres du consortium.

181. Elles considèrent en effet qu'Outremer Telecom n'est pas fondée à invoquer un quelconque risque d'éviction, puisqu'elle sera en mesure de fournir des offres de détail par le biais des offres de gros qui lui seront proposées par les membres du consortium, comme elle le fait d'ores et déjà à La Réunion. Quant au dépositionnement tarifaire invoqué par Outremer Telecom, à le supposer avéré, France Télécom et SRR estiment qu'il ne résulterait pas du refus qui a été opposé à sa demande d'adhésion, mais d'offres de gros de la part des membres du consortium qui ne seraient pas acceptables. En tout état de cause, le manque à gagner qui en découlerait ne suffirait pas à caractériser une atteinte grave et immédiate au sens de la jurisprudence applicable.

182. Enfin, s'agissant de l'argument tiré de l'affaiblissement de la pression concurrentielle sur les marchés concernés, France Télécom et SRR font notamment observer qu'Outremer Telecom ne fait que rapporter leurs parts de marché actuelles sur les marchés de détail de la téléphonie mobile et d'accès à Internet haut débit et n'a mené aucune analyse prospective sur ces marchés.

183. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, s'il importe que dans certains cas l'Autorité de la concurrence puisse intervenir en " gelant " une situation afin d'éviter qu'une pratique très vraisemblablement anticoncurrentielle porte une atteinte immédiate et difficilement réversible, ou même irréversible, au mécanisme concurrentiel, il n'en reste pas moins que l'utilisation de cette faculté d'intervention doit rester subordonnée et proportionnée à l'urgence qui commande une telle intervention.

184. En effet, les mesures conservatoires que peut prononcer l'Autorité de la concurrence ne visent pas à prévenir un risque de perturbation potentielle du jeu concurrentiel, mais ont vocation à répondre à une atteinte existante, grave et immédiate par des mesures d'urgence nécessaires pour éviter des conséquences difficilement réversibles et préserver ainsi la pleine effectivité de l'application du droit de la concurrence dans l'attente de la décision au fond.

185. Il convient d'ajouter également que, si la régulation ex ante mise en œuvre par les autorités sectorielles a vocation à fixer des règles censées éviter la commission de pratiques anticoncurrentielles, les autorités de concurrence ne sanctionnent qu'ex post de telles pratiques passées ou existantes. Les mesures conservatoires prononcées par l'Autorité de la concurrence ne visent pas à encadrer de manière générale le comportement des opérateurs, mais à faire face à une atteinte grave et immédiate résultant de la mise en œuvre d'une pratique spécifique à un moment donné et sur un marché précis, dans des circonstances particulières.

186. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, au stade auquel se trouve son instruction, qu'Outremer Telecom s'est vu proposer de participer au consortium LION2 lors de la conclusion du MOU en février 2010, proposition qu'elle a déclinée de son propre chef en raison notamment de l'absence de visibilité sur les conditions d'accès au câble LION1 dont bénéficieraient les membres du consortium. L'atteinte dont l'entreprise se prévaut résulte donc, en partie, de son propre comportement. C'est un premier élément qui doit être pris en considération dans le cadre de l'examen de la demande de mesures conservatoires.

187. En deuxième lieu, il convient de relever que le déploiement rapide du câble sous-marin LION2 est en soi un élément d'animation concurrentielle du secteur des communications électroniques dans la zone Réunion - Mayotte, et ce quels que soient les acteurs responsables de ce projet industriel.

188. En effet, la mise en service de ce câble dans les délais impartis permettra de disposer dès le premier semestre 2012 de nouvelles capacités sur les marchés de gros. Dès lors, tout retard pris dans les travaux de construction du câble LION2 serait préjudiciable au secteur.

189. Or, l'entrée d'un nouvel opérateur dans le consortium LION2 entraînerait la suspension des accords relatifs à la mise en œuvre du consortium et, partant, des délais supplémentaires : en particulier, les contrats conclus avec les entreprises tierces pour la fourniture et la pose du câble sous-marin ainsi que la fourniture de l'ensemble des composants électroniques nécessaires à son fonctionnement (répéteurs, systèmes WDM, etc.) devraient être soumis à l'examen du nouvel entrant, qui peut les remettre en cause, et le budget redéfini.

190. Ce n'est donc que dans l'hypothèse d'un risque sérieux d'éviction de l'un des acteurs, comme l'entreprise saisissante, des marchés de détail de la téléphonie mobile ou de l'accès à Internet haut débit dans la zone Réunion - Mayotte qu'une intervention immédiate de l'Autorité pourrait conduire, après avoir mis en balance les risques, à redéfinir les conditions dans lesquelles a été formé le consortium, avec les inconvénients rappelés dans les paragraphes précédents.

191. Or, l'appartenance au consortium LION2 n'apparaît pas, en l'état, constituer une condition d'accès aux marchés indiqués plus haut. En effet, les opérateurs qui n'ont pas souhaité ou ne sont pas en mesure de partager les risques financiers de la construction du câble LION2 devraient avoir la possibilité de louer des capacités de gros auprès des co-investisseurs.

192. Au stade des mesures conservatoires, il convient par conséquent - et c'est le troisième point à prendre en considération - de souligner l'importance pour Outremer Telecom de disposer - au moins - d'un accès à des capacités de gros à des tarifs accessibles et non discriminatoires pour ne pas être pénalisée dans son métier d'opérateur de téléphonie mobile et d'accès à Internet haut débit dans la zone Réunion - Mayotte.

193. L'Autorité prend, à cet égard, acte des engagements formulés par France Télécom et SRR qui ont déclaré en séance qu'elles proposeraient des offres de gros dès que les conditions de défiscalisation seront connues.

194. Ainsi que l'a elle-même indiqué SRR, lors de cette même séance, pendant les premières années de mise en service du câble LION2, le coût annuel supporté par un opérateur tiers au titre de la location de capacités devrait d'ailleurs être moins élevé que celui supporté par chacun des opérateurs membres du consortium, sous réserve du montant des frais de maintenance facturés en sus de la location.

195. En l'absence d'offres de gros ou dans l'hypothèse où les conditions de fourniture de ces offres ne seraient pas jugées acceptables par Outremer Telecom, celle-ci disposera, sans préjudice de l'instruction des dossiers soumis à l'Autorité de la concurrence, de la faculté de saisir sans délai le régulateur sectoriel en application de l'article L. 36-8 du Code des postes et des communications électroniques.

196. Dans le cadre de son pouvoir de règlement des différends, l'ARCEP a la possibilité de préciser les conditions équitables d'ordre technique et financier dans lesquelles l'accès aux capacités sur le câble LION2 devra être assuré. Il est vrai, ainsi que l'a rappelé l'ARCEP lors de la séance, que celle-ci ne pourra pas imposer au cas d'espèce le principe d'une orientation vers les coûts. Mais elle sera néanmoins guidée par les objectifs généraux de régulation définis au II de l'article L. 32-1 du Code des postes et des communications électroniques, parmi lesquels figurent :

- " l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants du réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;

- le développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;

- la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;

- l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs. "

197. De telles conditions, s'agissant des offres de gros faites à Outremer Telecom, devraient permettre d'éviter que les tarifs de ces offres soient de nature à l'évincer des marchés de détail ou hors de proportion avec les prix habituels du marché de gros.

198. Enfin, France Télécom a précisé en séance que les engagements auxquels elle devra souscrire si son investissement bénéficie du dispositif de défiscalisation lui seraient " opposables " dans le cadre de la procédure de règlement des différends.

199. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, aucune atteinte grave et immédiate à la situation de la saisissante ou à la concurrence dans la zone Réunion - Mayotte ne peut être caractérisée.

200. En l'absence d'atteinte grave et immédiate à l'un des intérêts protégés par l'article L. 464- 1 du Code de commerce, il y a donc lieu de rejeter la demande de mesures conservatoires présentée par Outremer Telecom.

Décision

Article 1 : La demande de mesures conservatoires présentée par la société Outremer Telecom, enregistrée sous le numéro 10/0087 M, est rejetée.

Article 2 : Il y a lieu de poursuivre l'instruction au fond de la saisine enregistrée sous le numéro 10/0086 F.

Notes :

1 LION 2 : Low Indian Ocean Network 2

2 Page 60 du rapport.

3 Audition de STOI-Internet du 9 novembre 2010 (cotes 1227 à 1230).

4 Voir notamment la décision de l'ARCEP n ° 2010-0402 en date du 8 avril 2010 portant sur la définition des marchés pertinents des services de capacité, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre.

5 Droits d'usage irrévocable.

6 Initialement le projet de câble LION2 prévoyait une branche de raccordement aux Seychelles.

7 STM-1 : unité de capacité correspondant à 155 Mbit/s.

8 Intermediary Management Committee.

9 Non Disclosure Agreement.

10 Cotes 1766 à 1786.

11 Courriels de mai 2010 (cotes 331 à 333), courriels de juin et juillet 2010 (cotes 336 à 338).

12 Courriel du 19 juillet 2010 (cotes 336 et 337).

13 IMC n° 5 (cotes 843 et suiv.).

14 Comité II&A SC des 29 avril et 1er mai 2010 (cotes 1385 à 1410).

15 Décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 relative à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Télécom Caraïbe à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom.

16 Dans sa demande de mesures conservatoires, Outremer Telecom demande notamment la communication de la demande de défiscalisation de France Télécom, des contrats ou projets de contrats passés avec les fournisseurs d'équipements et des éléments relatifs à la capacité qui pourrait lui être allouée sur le câble LION2 ; autant d'éléments qui ne sont pas couverts par les décisions de déclassement.

17 Devenus les articles 101 TFUE et 102 TFUE.

18 A cet égard, il convient de souligner que, en vertu de l'article LO 3446-1 du Code général des collectivités territoriales, Mayotte va être érigée en une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution à compter de la 1ère réunion suivant le renouvellement de son assemblée délibérante en 2011. Elle sera dès lors soumise au droit de l'Union européenne au même titre que La Réunion conformément à l'article 355 TFUE.

19 Point 143 des observations en réponse de France Télécom.

20 Voir notamment la décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM et la décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009 relative aux saisines au fond et aux demandes de mesures conservatoires présentées par les sociétés Orange Réunion, Orange Mayotte et Outremer Télécom concernant des pratiques mises en œuvre par la société SRR dans le secteur de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte.