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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 11 février 2011, n° 10-00091

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Berto (SA), Berto Rhône (SAS), Berto Méditerranée (SAS)

Défendeur :

TLM Rhône-Alpes (SAS), BMF (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuny

Conseillers :

M. Maunier, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Ligier de Mauroy-Ligier, SCP Laffly-Wicky

Avocats :

Me Pujol, Lelièvre

T. com. Lyon, du 19 nov. 2009

19 novembre 2009

Faits - procédure - prétentions et moyens des parties

Au motif d'agissements constitutifs de concurrence déloyale, en l'occurrence le débauchage de 6 salariés entre le 6 mars et le 30 septembre 2008 et la tentative de débauchage d'autres salariés, la SA Groupe Berto (spécialisée dans la location de véhicules et notamment de poids lourds avec ou sans chauffeur), la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée ont fait citer devant le Tribunal de commerce de Lyon par exploit du 14 janvier 2009 la société TLM Rhône-Alpes (ci-après TLM), créée en mars 2006 spécialisée le transport de nacelles et de bungalows et sa société-mère la holding BMF elle-même constituée en mars 2001, pour les voir condamner à payer la somme totale de 174 343 euro à titre de dommages et intérêts et leur voir interdire tout acte de débauchage.

Par jugement du 19 novembre 2009, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- débouté la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée de l'ensemble de leurs demandes

- déclaré licite l'embauche non simultanée des 6 anciens salariés de la société Berto Rhône, la société Groupe Berto et la société Berto Méditerranée par les sociétés BMF et TLM

- condamné la société Berto Rhône à payer à la société TLM la somme de 4 849,14 euro outre intérêts au taux légal à compter de l'envoi de la première mise en demeure, majorée de la pénalité contractuelle calculée sur la base de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal

- condamné solidairement la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée à payer aux sociétés TLM et BMF la somme totale de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et la somme totale de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et à supporter les dépens.

Par déclaration remise au greffe le 7 janvier 2010 la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée ont interjeté appel de ce jugement dans toutes ses dispositions.

Par conclusions signifiées le 8 mars 2010 la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée demandent à la cour au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil de dire et juger que les sociétés BMF et TLM ont pratiqué des actes de concurrence déloyale à leur encontre et que ces actes ont désorganisé la société Groupe Berto et en conséquence de

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Groupe Berto de l'ensemble de ses demandes et a prononcé des condamnations à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

- condamner solidairement les sociétés BMF et TLM à payer à la société Groupe Berto :

* la somme de 72 343 euro au titre du préjudice financier subi

* la somme de 100 000 euro au titre du préjudice moral subi

* une indemnité de procédure de 5 000 euro

- interdire aux sociétés BMF et TLM ainsi qu'à toute filiale de la société BMF tout acte de débauchage du personnel de la société Groupe Berto et de ses filiales.

Les appelantes exposent que la société Groupe Berto a développé son activité sur l'ensemble du territoire français par la création d'agences, dont l'une, située à Mions, est exploitée par sa filiale la société Berto Rhône; qu'il existait dans les locaux de cette agence une équipe dirigeante et encadrante de 13 personnes; qu'entre le 6 mars et le 30 septembre 2008 elles ont constaté la démission inopinée et concomitante de plusieurs salariés de cette équipe à savoir:

- le 6 mars 2008 François Picart, responsable grands comptes, juridiquement rattaché à la société Groupe Berto

- le 9 juin 2008 Denis Bernar, responsable d'exploitation

- le 23 juin 2008 Stéphane Poncet conducteur polyvalent

- le 30 août 2008 Christophe Heinz, précédemment chef d'atelier, récemment muté à l'agence de Vitrolles

- le 5 septembre 2008 Corinne Balandras, responsable administratif

- le 30 septembre 2008 Rémy Duvalet conducteur polyvalent;

Qu'elles ont appris que François Picart, premier démissionnaire, avait été embauché par sa concurrente la société BMF, qui dans l'intention de leur nuire, lui avait donné carte blanche pour réorganiser BMF et TLM en débauchant au besoin ses salariés; que d'autres salariés démissionnaires ont été surpris dans les locaux de Mions où ils tentaient de débaucher des chauffeurs. Les appelantes ajoutent que le débauchage sélectif de leur personnel a entraîné une désorganisation des agences de Mions et de Vitrolles et plus généralement du groupe.

S'agissant du préjudice les appelantes mentionnent les frais de recours à des intérimaires, de publication d'offres d'emplois (3 750 euro), l'intervention de ses responsables à l'occasion de recrutements (19 500 euro), les frais de formation des salariés débauchés (37 793 euro), et la déstabilisation des autres salariés.

Elles contestent avoir abusivement engagé l'instance.

Par conclusions signifiées le 10 mai 2010 les sociétés TLM et BMF demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf sur le quantum des dommages accordés en raison du caractère abusif de la procédure initiée à leur encontre et de :

- dire et juger que l'embauche non simultanée de 6 anciens salariés des sociétés du groupe Berto est licite et que la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée ne justifient ni d'actes de débauchage, ni de désorganisation en résultant pour elles, ni d'un préjudice.

- condamner solidairement les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée à leur payer à chacune la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de procédure de 2 000 euro.

D'abord les sociétés intimées exposent que le groupe BMF, spécialisé dans la location de matériels de travaux publics, emploie 95 salariés tandis que le groupe Berto emploierait 1 550 salariés pour un chiffre d'affaires global de 120 000 000 euro; que le groupe Berto dispose aussi de près de 1 700 véhicules.

Elles rappellent le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et soulignent que les 6 salariés qu'elles ont recrutés ont tous respecté leur préavis. Elles estiment que les appelantes ne démontrent pas de manœuvres illicites et ni la désorganisation occasionnée par le départ des 6 salariés en cause.

Elles exposent que François Picart, qui envisageait en 2007 une reconversion au sein de la société Komatsu, a démissionné en février 2008 en raison de divergences avec le Directeur Général du groupe Berto, tout comme Denis Bernar responsable des chauffeurs. Elles soulignent que seuls deux chauffeurs sur 100 ont démissionné du groupe Berto pour être embauchés avec 10 autres nouveaux chauffeurs par le groupe BMF.

Les intimées ajoutent que Corinne Balandras a démissionné alors que les dirigeants du groupe Berto, dont elle ne partageait pas les conceptions, lui avaient adressé une lettre d'avertissement le 30 mai 2008.

A titre superfétatoire les intimées rappellent que les sociétés du groupe Berto, qui se prétendent concurrentes, sont en réalité des clientes qui ont laissé impayées des factures émises par la société TLM.

Elles soutiennent aussi que les appelantes n'ont pas démontré une quelconque faute susceptible de leur être imputée et observent que les sociétés Berto Rhône et Berto Méditerranée n'ont d'ailleurs formé aucune demande à leur encontre. Elles en concluent que leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive est justifiée, leur montant devant être porté à 15 000 euro.

Une ordonnance en date du 1er juin 2010 clôture la procédure.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que le jugement entrepris n'est pas critiqué en ce qu'il a condamné la société Berto Rhône à payer à la société TLM la somme de 4 849,14 euro, au titre de factures impayées de juillet, août et septembre 2008 relatives à la fourniture et au transport de bungalows et conteneurs, avec intérêts au taux légal à compter de l'envoi de la première mise en demeure, majorée de la pénalité contractuelle calculée sur la base de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal;

Attendu que les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée reprochent à la société BMF et à sa filiale TLM d'avoir débauché ou tenté de débaucher les éléments les plus qualifiés exerçant dans les locaux de l'agence de Mions, exploitée par la société Berto Rhône-Alpes, et d'avoir ainsi embauché courant 2008 6 salariés, à savoir:

- François Picart, responsable grands comptes, salarié du Groupe Berto depuis le 1er janvier 2007

- Denis Bernar, responsable d'exploitation, salarié de la société Berto Rhône depuis le 18 avril 2006

- Stéphane Poncet, conducteur polyvalent, salarié de la société Berto Rhône depuis le 9 mai 2006

- Christophe Heinz, chef d'atelier, embauché le 12 septembre 2005 par la société Berto Rhône, devenu salarié de la société Berto Méditerranée

- Corinne Balandras, embauchée le 22 janvier 2002 comme responsable administrative gestion de la société Berto Rhône

- Rémy Duvalet conducteur polyvalent, salarié de la société Berto Rhône depuis le 27 août 2007;

Que les pièces versées aux débats établissent que François Picart a depuis, dès le 27 novembre 2007, posé sa candidature pour devenir responsable d'agence de la société Komatsu, qui le 22 février 2008 lui a proposé de l'embaucher; que François Picart a ainsi démissionné le 6 mars 200[8] de ses fonctions au sein de la société Groupe Berto; qu'en conséquence il ne saurait être reproché à la société BMF, qui l'a engagé le 2 juin 2008, d'avoir débauché ce premier salarié;

Que Denis Bernar, responsable d'exploitation de l'agence de Mions, a donné sa démission le 24 avril 2008 et encore le 9 juin 2008; que ce salarié a quitté l'entreprise le 24 juin 2008; que le 5 septembre 2008 Corinne Balandras a démissionné de ses fonctions au sein de la société Berto Rhône après avoir été destinataire le 30 mai 2008 d'un courrier d'avertissement au motif " de défaut de facturation de PDF carburant du mois de décembre 2007 "; que dans ce courrier la société Berto Rhône mentionnait qu'elle pourrait être amenée à prendre une sanction plus grave voire à prononcer le licenciement de la salariée; qu'ainsi les appelantes ne peuvent sérieusement soutenir que l'embauche par BMF le 8 septembre de Denis Bernar et le 15 octobre 2008 de Corinne Balandras, celle-ci comme contrôleur de gestion, révélerait la volonté des sociétés intimées par l'entremise du premier démissionnaire François Picart de débaucher les éléments de l'équipe dirigeante et encadrante de l'agence de Mions;

Que Christophe Heinz, chef d'atelier qui a démissionné le 30 août 2008, avait été muté courant 2008, à une date que les appelantes n'ont pas mentionnée, de l'agence de Mions à l'agence de Vitrolles;

Que Jacques Boulanger, ancien salarié de la société Berto Rhône, retraité depuis le 1er février 2008, a attesté du " turn over élevé des postes de direction " et que " sur 25 cadres de direction il était le 5e en ancienneté alors qu'il n'avait que 6 ans de présence dans l'entreprise "; que les attestations établies par Séverine Roche ingénieur commercial à l'agence de Mions sont insuffisantes à caractériser une tentative de débauchage sélectif du personnel d'encadrement de cette agence;

Que les sociétés appelantes ne produisent toujours pas, en cause d'appel, de documents de nature à établir le rôle selon elles important voire essentiel dans l'exploitation de l'agence de Mions, joué par Stéphane Poncet et Rémy Duvalet, " chauffeurs polyvalents 4 étoiles ", qui ont respectivement démissionné les 23 juin et 30 septembre 2008 et ont ensuite été embauchés par la société TLM; qu'elles s'abstiennent toujours de préciser le nombre de chauffeurs employés par la société Berto Rhône (qui s'élève à 100 selon les intimées) et de justifier du nombre de chauffeurs polyvalents quatre étoiles y exerçant; que l'attestation établie par Patrick Fortune formateur coordinateur sécurité à l'agence de Mions rapporte seulement des propos de Monsieur Bernar; qu'il sera aussi observé que les salariés démissionnaires avaient été embauchés depuis peu de temps;

Que si les sociétés intimées ont embauché six salariés de trois sociétés différentes du groupe Berto, les sociétés appelantes, qui ne discutent pas que le groupe Berto emploie plus de 1 700 salariés, n'établissent nullement que les 6 démissions intervenues entre le 6 mars et le 30 septembre 2008 auraient entraîné la désorganisation de leurs services voire de la seule société Berto Rhône qui exploitait au 31 décembre 2007 l'agence de Mions avec un effectif de 110 salariés; qu'en effet la seule pièce financière versée aux débats par les sociétés du groupe Berto, à savoir le bilan de la société Berto Rhône clos au 31 décembre 2008, fait apparaître un chiffre d'affaires de 9 256 990 euro supérieur de 777 918 euro à celui de l'exercice précédent;

Que les premiers juges ont donc à juste titre débouté les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée de toutes leurs demandes;

Attendu toutefois, et même si les sociétés Berto Rhône et Berto Méditerranée n'ont pas formé de demandes à l'encontre des sociétés TLM et BMF, que les intimées ne caractérisent pas l'abus des sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée dans l'exercice de leur droit respectif d'agir en justice; que leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être rejetée;

Qu'ainsi le jugement entrepris sera confirmé sauf en ce qu'il a condamné solidairement la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée à payer aux sociétés TLM et BMF la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts;

Attendu qu'il convient de condamner aux dépens les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée ;

Par ces motifs, Confirme le jugement rendu le 19 novembre 2009 par le Tribunal de commerce de Lyon sauf en ce qu'il a condamné solidairement la SA Groupe Berto, la SAS Berto Rhône et la SAS Berto Méditerranée à payer aux sociétés TLM et BMF la somme de 5 000 euro à titre de dommage et intérêts; L'infirmant sur ce seul point, statuant à nouveau et y ajoutant; Rejette les demandes de dommages et intérêts formées par la SAS BMF et la SAS TLM Rhône-Alpes pour procédure abusive ; Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile condamne in solidum les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée à payer une indemnité de procédure complémentaire totale de 1 500 euro à la société BMF et à la société TLM Rhône-Alpes; Condamne in solidum les sociétés Groupe Berto, Berto Rhône et Berto Méditerranée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.