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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 18 novembre 2010, n° 09-05728

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gazechim Plastiques (Sté)

Défendeur :

Ineos France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Poinseaux, M. Testut

Avoués :

SCP Keime Guttin Jarry, SCP Lefevre Tardy & Hongre Boyeldieu

Avocats :

Mes Mossus, Nin

T. com. Pontoise, 2e ch., du 7 mai 2009

7 mai 2009

Vu l'appel interjeté le 3 juillet 2009, par la société Gazechim Plastiques d'un jugement rendu le 7 mai 2009 par le Tribunal de commerce de Pontoise qui:

* l'a déboutée de ses demandes,

* l'a condamnée à payer à la société Ineos France, venant aux droits de la société BP Chemicals au versement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* l'a condamnée aux dépens;

Vu les dernières écritures en date du 29 octobre 2009, par lesquelles la société Gazechim Plastiques, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de:

* condamner la société Ineos France au versement de la somme de 1 552 000 euro à titre d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales,

* condamner la société Ineos France au paiement de la somme de 500 000 euro au titre du préjudice subi du fait de son comportement déloyal,

* condamner la société Ineos France au versement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les dernières écritures en date du 20 mai 2010, aux termes desquelles la société Ineos France, aux termes d'un dispositif comportant pour l'essentiel une énumération de constater qui ne saurait constituer des prétentions au sens des dispositions du Code de procédure civile, prie la cour de confirmer le jugement déféré et y ajoutant, de condamner la société Gazechim Plastiques au versement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :

* la société Gazechim, distributeur de matières premières plastiques destinées à des transformateurs, s'est fournie en produits, notamment le polystyrène, auprès de la société BP Chemicals, filiale du groupe pétrolier BP,

* la société Gazechim, qui a fait apport de ses actifs à la société Plastirex, a modifié sa dénomination sociale pour devenir la société Gazechim Plastiques,

* elle fait valoir que dès l'année 1979, elle a été sollicitée pour distribuer de manière informelle le polystyrène sur le territoire français, que le 1er mars 1982, a été conclu un contrat de distribution portant sur les matières plastiques et couvrant le sud de la France, que le 27 janvier 1986, la société BP Chemicals lui a proposé d'étendre sa distribution à toute la clientèle française dont le potentiel était situé à moins de 300 tonnes par an,

* la société BP Chemicals est actuellement dénommée Ineos France,

* par un communiqué de presse du 4 décembre 2002, la société Gazechim Plastiques aurait appris que la société BP Chemicals avait choisi comme distributeur exclusif du polystyrène pour tous les pays européens, à l'exception de l'Angleterre, de l'Irlande et des pays scandinaves, la société Biesterfeld Plastic Europe,

* le 6 décembre 2002, la société Gazechim Plastiques a demandé à la société BP Chemicals des explications,

* le 17 janvier 2003, cette dernière lui a adressé un fax ainsi rédigé: Nous vous rappelons que préalablement à la publication du communiqué de presse du 4 décembre dernier concernant la signature d'un partenariat européen avec la société Biesterfeld, nous avons contacté votre société (...). Le caractère non-exclusif du contrat signé avec la société Biesterfeld est lié au souci de notre société, de respecter les engagements en cours avec nos partenaires existants et de leur laisser un temps raisonnable pour leur trouver une solution alternative d'approvisionnement (...) Notre société continuera à assurer l'approvisionnement des matières nécessaires à votre société (...) pendant toute la durée de la transition,

* le 10 février 2003, la société BP Chemicals a notifié la cessation de ses relations commerciales avec la société Gazechim Plastiques à effet au 30 septembre 2003,

* c'est dans ces circonstances, que la société Gazechim Plastiques a assigné la société BP Chemicals devant le Tribunal de commerce de Pontoise afin que soit constatée la brutalité de la rupture de la relation commerciale et que soient réparés les préjudices subis au titre de la perte de marge pendant le préavis, du gain manqué et du fait du comportement déloyal de la société BP Chemicals;

Sur la rupture de la relation commerciale:

Considérant en droit que selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 5°) du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Considérant en l'espèce, que la société Gazechim Plastiques fait valoir qu'en lui accordant un préavis de 7 mois après 25 ans de relations commerciales, la société BP Chemicals n'a pas respecté un préavis suffisant pour remédier à sa désorganisation résultant de la rupture, d'autant que son chiffre d'affaires était en constante augmentation eu égard aux tonnages réalisés; qu'elle ajoute que la société BP Chemicals a, de surcroît, détourné le préavis de son objet en permettant à son nouveau distributeur de s'organiser et de détourner sa clientèle;

Considérant qu'il est acquis aux débats que la société Gazechim Plastiques et la société BP Chemicals, à laquelle succède la société Ineos France, ont conclu un accord de "revendeur" le 24 octobre 1977, lequel prévoit:

- article 1: le client achètera à la SF BP pour les besoins de son établissement de Pont de la Maye les produits suivants (...),

- article 3: le client exercera son activité dans les départements de Charente, Charente-Maritime, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées-Atlantiques, sans pouvoir prétendre à aucune exclusivité pour la revente des produits du fournisseur,

- article 4: le présent marché se renouvellera par tacite reconduction et par période annuelle, faute par l'une des parties de l'avoir dénoncé par lettre recommandée au moins 6 mois avant l'expiration de la période en cours,

Que le contrat de distribution signé le 1er mars 1982, portant sur des matières premières plastiques dont le polystyrène, et couvrant le sud de la France, stipule:

- article 2: Gazechim s'engage à acheter exclusivement à BP Chimie qui s'engage à lui fournir dans la limite de ses possibilités les produits énumérés à l'annexe 1,

- article 8: le présent contrat est conclu pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 1982. Il se renouvellera ensuite par tacite reconduction par périodes annuelles sauf dénonciation par l'une des parties par lettre recommandée et avec un préavis de trois mois avant l'expiration de la période en cours. Il est expressément stipulé qu'aucune indemnité ne pourra être réclamée par l'une ou l'autre des parties du fait de la dénonciation du contrat. Le présent contrat pourra être résilié sans indemnité par BP Chimie sur notification préalable faite par lettre recommandée au moins trois mois à l'avance, en cas de modification juridique de la situation de Gazechim telles que dissolution, absorption, apport partiel d'actif (...);

Considérant que le 4 décembre 2002, un communiqué de presse a annoncé la décision de la société BP de confier la distribution exclusive du produit polystyrène à la société Biesterfield;

Que répondant aux interrogations de la société Gazechim Plastiques, la société BP lui a indiqué par un courrier du 10 janvier 2003, qu'elle continuerait à assurer son approvisionnement avec le maintien des conditions de paiement existantes et n'a nullement fait mention d'une éventuelle rupture des relations contractuelles;

Que contrairement à ce que prétend la société Ineos France, qui succède à la société BP Chemicals, aucune pièce versée aux débats ne démontre que la société Gazechim Plastiques aurait été avertie, dès l'été 2002, de la perspective d'une distribution européenne du polystyrène et au mois de novembre 2002, du choix de la société Biesterfield comme distributeur;

Que ce n'est que le 10 février 2003, postérieurement à la parution du communiqué de presse, que la société BP Chemicals a notifié la rupture des relations commerciales en fixant le terme du préavis au 30 septembre 2003, soit sept mois plus tard;

Considérant que la société Ineos France fait valoir que ce préavis exclut toute rupture brutale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dès lors, selon elle, qu'aucune exclusivité n'avait été donnée à la société Gazechim Plastiques laquelle vendait d'autres produits que le polystyrène, s'approvisionnait également en polystyrène auprès d'un autre fabricant et ne se trouvait pas dans une situation de dépendance;

Mais considérant, peu important l'absence de clause d'exclusivité au bénéfice de la société Gazechim Plastiques, qu'il s'avère que le courant d'affaires entre les parties était amplement établi depuis à tout le moins l'année 1987 et ne s'analyse pas, ainsi que le soutient la société Ineos France, comme un simple flux économique;

Qu'il en est pour preuve:

- d'une part, la progression régulière des tonnages de polystyrène commandés et livrés, ainsi qu'il résulte des lettres adressées les 13 janvier 1988, 11 janvier 1993, 14 janvier 1999, par la société BP Chemicals à la société Gazechim Plastiques faisant état de ventes annuelles de polystyrène de 90 tonnes en 1986, passées à 2 317 tonnes en 1998,

- d'autre part, les courriers envoyés au cours de l'année 1999, par la société BP Chemicals à d'autres distributeurs les informant que pour toute demande d'approvisionnement en produits BP, il leur était loisible de passer commande auprès de notre revendeur agréé: Gazechim-Plastirex, deux autres courriers datés des mois d'octobre 2000 et 2001, l'un indiquant: dans le souci de vous offrir un service de qualité répondant à vos besoins, nous souhaitons vous orienter vers la société Gazechim Plastiques qui assure la distribution de notre gamme polystyrène en France, l'autre mentionnant: L'évolution récente du marché du polystyrène impose à nos deux sociétés (...) une réorganisation de notre réseau de distribution. Ainsi à compter du 1er janvier 2002, votre contact privilégié sera la société Gazechim Plastiques ;

Qu'au demeurant, la société Ineos France admet dans ses écritures (page 11) que lors des cinq dernières années, la société Gazechim Plastiques s'est positionnée comme un distributeur agréé prenant de l'importance et s'est trouvée de fait en 2002, le seul distributeur agréé;

Considérant que si la société Gazechim Plastiques se fournissait également en polystyrène auprès d'un autre fabricant, il n'en demeure pas moins que la société BP Chemicals, en rompant la relation contractuelle, telle qu'établie, devait, en tout état de cause, respecter un délai de préavis raisonnable pour permettre à son distributeur de se réorganiser;

Or considérant que dès le mois de février 2003, soit au cours du mois de la rupture, la société BP Chemicals a mis en place des quotas et a limité les quantités livrées à la société Gazechim Plastiques, circonstance qu'elle n'a pas contestée dans un courrier du 5 juin 2003, par lequel elle a indiqué à ce distributeur : Nous vous rappelons que la mise en place de quotas à laquelle vous faites référence s'agissant de février 2003, faisait suite à un manque de disponibilité des produits du fait de problèmes rencontrés sur nos sites de production et que ce manque de disponibilité a touché l'ensemble de notre clientèle française sans distinction (...) La société Biesterfield a passé commande quant à elle, à un moment où la production était redevenue normale, c'est pourquoi nous avons été capables de lui livrer les volumes commandés (...) Nous vous informons que vous pouvez toujours avoir accès aux produits polymères de marque BP mais vos commandes devront désormais être adressées à la société Biesterfield;

Que par ailleurs, il résulte d'un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 3 juin 2003, que dès les premières semaines de l'année 2003, la société Biesterfield a livré et facturé des clients de la société Gazechim Plastiques, ce qui démontre qu'avant même d'informer la société Gazechim Plastiques de la résiliation du contrat, la société BP Chemicals avait commencé à livrer plusieurs dizaines de tonnes de polystyrène à la société Biesterfield;

Que selon un fax du 22 janvier 2003, la société Saline d'Einville indique avoir été contactée par un concurrent lequel lui a annoncé la reprise de la carte BP à compter du 1er janvier 2003 et lui a proposé des tarifs " agressifs "; que par télécopie du 1er avril 2003, la société Sofaplast a relaté la visite de la société Biesterfield qui lui a fait part du fait que d'ici 1 ou 2 mois, Gazechim ne serait plus en mesure de fournir de la matière BP;

Considérant enfin que la société Gazechim Plastiques produit des factures datées des mois de janvier et février 2003, établissant la discrimination tarifaire mise en œuvre par la société BP Chemicals à son détriment;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société BP Chemicals n'a nullement respecté un délai raisonnable de préavis, de sorte que la rupture s'analyse comme brutale et engage la responsabilité de son auteur;

Considérant qu'au regard de la nature, la durée et l'importance des relations établies entre la société BP Chemicals et la société Gazechim Plastiques, le préavis aurait dû être d'une année pour permettre à celle-ci de bénéficier d'un temps suffisant pour se réorganiser;

Que compte tenu des éléments relatifs à la marge brute commerciale au cours des années précédant la rupture, constituant un élément d'appréciation à retenir comme base de calcul de l'indemnité réparatrice du préjudice, il convient de fixer cette indemnité due à la société Gazechim Plastiques à la somme de 750 000 euro laquelle répare l'intégralité de son préjudice;

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Ineos France ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce même fondement, à verser à la société Gazechim Plastiques une indemnité de 3 000 euro;

Par ces motifs, Statuant par décision contradictoire, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Statuant à nouveau : Condamne la société Ineos France à payer à la société Gazechim Plastiques la somme de 750 000 euro à titre de dommages et intérêts, La condamne à payer à la société Gazechim Plastiques la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles, Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation, Condamne la société Ineos France aux dépens de première instance et d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.