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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 14 décembre 2010, n° 09-08725

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Escaich

Défendeur :

Méridionale de Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

MM. Chassery, Prouzat

Avoués :

SCP Nègre-Pepratx-Nègre, SCP Argellies-Watremet

Avocat :

Me Solal

T. com. Perpignan, du 8 déc. 2009

8 décembre 2009

Faits et procédure moyens et prétentions des parties:

Jean-Louis Escaich, exploitant à Saleilles (66) un fonds de commerce de librairie, papeterie et journaux, exerçait, depuis le 1er juillet 1986, une activité de diffuseur de presse pour le compte de la société Méridionale de Diffusion avec laquelle il était lié par un contrat établi, en dernier lieu, le 5 octobre 2001 ; il recevait des exemplaires du journal " L'Indépendant ", qui lui étaient livrés, dont il assurait la vente dans son magasin et le portage à domicile auprès des abonnés, moyennant une commission sur les ventes.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 1er juillet 2008, la société Méridionale de Diffusion a notifié à Monsieur Escaich la résiliation du contrat à l'expiration d'un préavis de 48 heures se terminant le 4 juillet 2008, au motif que celui-ci avait refusé de livrer les abonnés de Saleilles le mardi 1er juillet.

Estimant cette rupture abusive, Monsieur Escaich a, par acte du 21 octobre 2008, fait assigner la société Méridionale de Diffusion devant le Tribunal de commerce de Perpignan en indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 8 décembre 2009, la juridiction consulaire a notamment:

- dit que la rupture du contrat par la société Méridionale de Diffusion a été abusive pour non-respect du préavis de 48 heures,

- condamné, en conséquence, la société Méridionale de Diffusion à payer à Monsieur Escaich la somme de 2 400 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- rejeté le surplus de la demande,

- alloué à Monsieur Escaich la somme de 850 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que le contrat liant les parties est un contrat de commission au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce, révocable ad nutum, ce que ne pouvait ignorer Monsieur Escaich, que néanmoins, le délai de préavis de 48 heures prévu à l'article 5 du contrat n'avait pas été respecté, puisque la lettre de rupture était parvenue le 3 juillet 2008 à son destinataire et que la société Méridionale de Diffusion avait cessé tout approvisionnement dès le 4 juillet 2008, et que le préjudice subi par l'intéressé, du fait de la rupture abusive du contrat, devait être indemnisé par référence aux commissions dont il avait été privé au cours de la période du 1er juillet au 31 octobre 2008, date à laquelle il a arrêté son activité.

Monsieur Escaich a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration reçue le 22 décembre 2009 au greffe.

Il demande à la cour, en l'état des conclusions qu'il a déposées le 21 avril 2010, de réformer le jugement et de condamner la société Méridionale de Diffusion à lui payer la somme de 255 000 euro en réparation de son préjudice consécutif à la rupture et celle de 45 000 euro en réparation de son préjudice moral ; il sollicite, en outre, l'allocation de la somme de 5 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :

- le contrat conclu avec la société Méridionale de Diffusion est un mandat d'intérêt commun, ne pouvant être révoqué que par le consentement mutuel des parties ou pour une cause légitime,

- il n'a, pour sa part, commis aucune faute, alors que la société Méridionale de Diffusion a elle-même interrompu la livraison des journaux, le 1er juillet 2008, en ne lui fournissant que 161 journaux au lieu du nombre habituel, et qu'elle a organisé, de fait, son remplacement, en procédant à la recherche d'un nouveau porteur dès 31 mai 2008,

- les manœuvres frauduleuses, dont la société Méridionale de Diffusion a usé pour rompre le contrat, caractérisent, en toute hypothèse, l'existence d'un abus de droit.

Formant appel incident, la société Méridionale de Diffusion demande à la cour, par conclusions déposées le 5 juillet 2010, de débouter Monsieur Escaich de l'ensemble de ses demandes.

Elle soutient pour l'essentiel que:

- le contrat la liant à Monsieur Escaich, qui agissait en son nom propre dans le cadre de la vente des exemplaires du journal " L'Indépendant ", doit être qualifié de contrat de commission, révocable ad nutum, sans aucune indemnité,

- quelque soit l'analyse du contrat " mandat d'intérêt commun ou commissionnement ", l'article 5 prévoit un droit de révocation unilatérale pour chacune des parties, à tout moment, sous réserve du respect d'un préavis de 48 heures, avec renonciation par chacune d'elles à toute indemnité à raison de cette révocation,

- Monsieur Escaich a refusé d'acheminer les journaux, pour marquer son opposition au système de prélèvement automatique, qu'elle tentait de mettre en place auprès des abonnés, ce qui l'a conduit à rompre la relation contractuelle, compte tenu des perturbations en résultant dans la distribution,

- il ne justifie pas, par les pièces produites, du non-respect du délai de préavis de 48 heures.

Motifs de la décision :

C'est à juste titre que le premier juge a considéré que le contrat de diffusion de presse conclu entre la société Méridionale de Diffusion et Monsieur Escaich était, non un mandat d'intérêt commun, mais un contrat de commission au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce.

En effet, à l'égard des lecteurs du quotidien d'information régional "L'Indépendant ", venant se servir dans son magasin, Monsieur Escaich vendait en son nom personnel les exemplaires du journal, dont il encaissait directement le prix ; s'il avait, entre autres obligations, celle d'apporter son concours aux actions de promotion de vente effectuées en vue d'augmenter la diffusion du ou des titres de l'éditeur (article 3 b du contrat), il ne lui était pas demandé de prospecter ou de démarcher une clientèle, son seul intérêt résidant, en définitive, dans la perception de commissions sur les ventes d'un quotidien, qui exerçait sur la clientèle des lecteurs le pouvoir d'attractivité le plus fort ; il n'assumait, de plus, aucun risque commercial particulier, puisque les exemplaires invendus du journal étaient repris par le dépositaire.

Il en résulte que sauf abus de droit, le contrat à durée indéterminée, liant la société Méridionale de Diffusion à Monsieur Escaich, pouvait être résilié unilatéralement par chacune des parties.

L'article 5 dudit contrat dispose d'ailleurs qu'en raison du caractère gratuit, personnel, précaire et révocable unilatéralement de la convention, le dépositaire pourra y mettre fin à tout moment sous réserve du respect d'un préavis de 48 heures, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, après information de l'éditeur, et qu'aucune indemnité ne sera due de part et d'autre à la fin de la convention.

En l'occurrence, la société Méridionale de Diffusion a résilié le contrat de Monsieur Escaich par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 1er juillet 2008 à effet du 4 juillet suivant, en reprochant à celui-ci un défaut volontaire de livraison des exemplaires de " L'Indépendant ", le 1er juillet, aux abonnés de Saleilles ; par courrier du 3 juillet 2008, dans lequel il indiquait avoir reçu le jour même, en fin de matinée, la lettre de résiliation, Monsieur Escaich contestait la légitimité de la rupture, soulignant que la société Méridionale de Diffusion ne lui avait fourni, le 1er juillet, que 161 exemplaires du journal, ce qui ne lui avait pas permis de livrer l'ensemble de abonnés ; il invoquait également, dans son courrier, le fait que les abonnés avaient déjà été livrés, le 2 juillet 2008, lorsqu'il avait entrepris sa distribution.

En dépit du droit, qui lui était contractuellement reconnu, de révoquer à tout moment la convention, la société Méridionale de Diffusion a, en la circonstance, fait de l'exercice de ce droit un usage particulièrement abusif, puisque elle a pris l'initiative de rompre brutalement une relation commerciale, qui durait avec Monsieur Escaich depuis 22 ans, créant chez lui une confiance en sa pérennité, sans accorder à l'intéressé un préavis supérieur à celui de 48 heures prévu à l'article 5 du contrat, ni même démontrer la réalité du reproche, invoqué dans sa lettre de résiliation, tiré de son refus d'assurer le portage aux abonnés le 1er juillet 2008, alors qu'elle avait, dès le 31 mai, fait paraître dans la presse une annonce tendant au recrutement d'un vendeur colporteur de presse dans le secteur de Saleilles, dans le but évident de l'évincer; la brutalité de la rupture résulte également du fait que la lettre de résiliation est parvenue à son destinataire le 3 juillet 2008 pour produire son effet dès le lendemain, 4 juillet.

Selon les pièces produites, le chiffre d'affaires inhérent aux commissions versées à Monsieur Escaich par la société Méridionale de Diffusion a été de 17 254 euro en 2007, sur un chiffre d'affaires total de 66 199 euro, soit 26 % ; par référence au bénéfice de 17 088 euro réalisé en 2007, la part provenant de l'activité de diffuseur du quotidien " L'Indépendant" s'élève donc à 4 443 euro.

En l'état de ces éléments, dont il résulte que les commissions versées par la société Méridionale de Diffusion ne représentaient que le quart du chiffre d'affaires de Monsieur Escaich, il n'est pas établi que la cessation d'activité de celui-ci au 31 octobre 2008 a pour cause exclusive la révocation de son contrat de diffusion de presse ; l'attestation de son expert-comptable se borne à faire état de sa décision de cesser son activité, motivée par la baisse de son chiffre d'affaires, sans indiquer en quoi la poursuite de son activité n'était pas viable.

Monsieur Escaich ne pouvait ignorer tenant les dispositions claires de son contrat, que celui-ci était susceptible d'être résilié à tout moment et unilatéralement par la société Méridionale de Diffusion; la brusque rupture, que lui a cependant imposée cette société eu égard aux circonstances, a généré pour lui un préjudice, qui ne peut correspondre qu'au bénéfice dont il a été privé au cours des mois de juillet, août, septembre et octobre 2008 et dont le montant a été justement apprécié par le premier juge.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en toutes ses dispositions et Monsieur Escaich, qui succombe, condamné aux dépens.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Perpignan en date du 8 décembre 2009, Condamne Monsieur Escaich aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.