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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 14 décembre 2010, n° 09-03069

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

So.Go.Bois (SARL)

Défendeur :

Seguin Moreau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lafon

Conseillers :

MM. Roux, Sabron

Avoués :

SCP Taillard-Janoueix, SCP Fournier

Avocats :

Mes Prunières-Le Moigne, Trouvin

T. com. Cognac, du 13 oct. 2006

13 octobre 2006

Faits et procédure antérieure

En 2003 la société Seguin Moreau a passé commande de merrains à divers fournisseurs dont faisait partie la société So.Go.Bois.

Lors de la livraison des merrains au sein des ateliers de la société Seguin Moreau intervenue le 22 juin 2005 M. Goichon gérant de la société So.Go.Bois, après avoir salué les employés a ignoré ostensiblement M. Abderrahim Rached l'un d'entre eux et s'adressant à un autre employé prénommé Thierry lui a demandé " Alors Thierry maintenant que tu es marié vas-tu faire des enfants ".

Ce dernier ayant répondu affirmativement, M. Goichon a indiqué " Tu as raison il vaut mieux que ce soit toi plutôt que les bougnouls ".

Le personnel a quitté l'atelier et s'est plaint au comité d'établissement qui se tenait le même jour du comportement du gérant de So.Go.Bois.

Par lettre du 23 juin 2005 la société Seguin Moreau a signifié à la société So.Go.Bois sa volonté de cesser toutes relations commerciales avec elle en raison du comportement de son gérant.

Par lettre du 29 juillet 2005, la société So.Go.Bois a adressé à la société Seguin Moreau une lettre de mise en demeure de lui adresser la somme de 300 000 euro en réparation de son préjudice.

Par acte du 30 janvier 2006 la société So.Go.Bois a saisi le Tribunal de commerce de Cognac d'une demande en paiement de la somme de 447 658 euro à titre de dommages et intérêts à l'encontre de la société Seguin Moreau pour non-respect du délai de préavis et 50 000 euro pour rupture abusive, déloyale et vexatoire.

Par jugement du 13 octobre 2006, le Tribunal de commerce de Cognac a débouté la société So.Go.Bois de ses demandes.

Par arrêt en date du 5 février 2008 la Cour d'appel de Bordeaux 2e chambre a réformé le jugement et a condamné la société Seguin Moreau à payer à la société So.Go.Bois la somme de 139 000 euro à titre de dommages et intérêts à titre d'indemnité de brusque rupture sans préavis.

Statuant sur le pourvoi formé par la société Seguin Moreau, la Cour de cassation a retenu que pour accueillir la demande de la société So.Go.Bois l'arrêt a retenu que l'attitude et les propos reprochés à faute au gérant de la société So.Go.Bois n'entraient pas dans le champ contractuel de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à ladite société une inexécution contractuelle, et qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres a établir que la société So.Go.Bois à laquelle étaient reprochées des fautes commises lors de l'exécution de son obligation de livraison de la chose vendue, n'avait pas méconnu son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, la cour avait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil et a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel.

Procédure devant la cour de renvoi

La société So.Go.Bois a saisi la cour de renvoi par déclaration en date du 29 mai 2009.

A l'appui de sa saisine, elle soutient que:

- la brutalité de la rupture ne fait aucun doute et la société Seguin Moreau a profité de l'incident pour rompre les relations commerciales avec elle dans le but de rentabiliser son activité dans le cadre d'un plan de restructuration,

- la reprise des commandes est intervenue en 2005 à l'initiative de la société Seguin Moreau,

- compte tenu l'ancienneté des relations commerciales existant entre les parties le préavis raisonnable aurait dû respecter une durée d'au moins deux ans (17 ans de relations commerciales),

- la rupture sans préavis est infondée dès lors qu'elle n'a pas manqué à ses engagements contractuels, les faits invoqués n'étant pas justifiés et n'étant pas imputables en tout état de cause à So.Go.Bois,

- à titre subsidiaire leur gravité n'est pas suffisante pour fonder une rupture sans préavis, s'agissant d'un incident isolé,

- la société Seguin Moreau n'a pas respecté son obligation de loyauté,

- elle est fondée à solliciter la réparation du gain manqué soit 447 658 euro outre les pertes annexes à hauteur de 100 000 euro au titre de la perte de chance de bénéficier des gains qu'elle pouvait raisonnablement escompter,

- il lui sera alloué 10 000 euro à titre de dommages et intérêts.

La société Seguin Moreau réplique:

- les faits relatifs à l'incident du 22 juin 2005 sont parfaitement établis,

- les propos tenus par M. Goichon en phase d'exécution d'une obligation contractuelle sont fautifs et justifient la rupture des relations contractuelles sans préavis en application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

- subsidiairement les demandes d'indemnisation ne sont pas fondées en leur quantum,

- il n'existe pas de préjudice économique établi par l'analyse des bilans de la société So.Go.Bois,

- il ne peut y avoir lieu de prendre en compte la marge brute mais le préjudice réel,

- la période de référence doit être constituée par les années 2003 à 2005,

- il ne peut y avoir lieu d'accorder une indemnisation au titre de préjudice subi.

Motifs

Il est constant que l'expression des propos ouvertement racistes imputée à M. Goichon dans les termes précités est intervenue alors qu'en sa qualité de gérant de la société So.Go.Bois il effectuait une livraison de merrains auprès de sa cliente la société Seguin Moreau.

Ces propos dont l'expression n'est pas sérieusement contestée, ont été exprimés par leur auteur devant l'ensemble des salariés de la société Seguin Moreau présents dans l'atelier à l'adresse manifeste d'un des employés en leur sein qui s'est trouvé humilié parmi ses compagnons de travail quotidien.

Il est au surplus établi que ce comportement a légitimement soulevé un émoi au sein des salariés de la société Seguin Moreau puisqu'ils ont souhaité évoquer cette scène lors du comité d'établissement de l'entreprise qui se déroulait le même jour.

Il est donc manifeste que l'attitude de M. Goichon qui a engagé sa société en raison de ses fonctions en son sein et qu'aucune circonstance ne permet non seulement de justifier mais même d'expliciter, a créé un sentiment de malaise au sein de la société Seguin Moreau.

Ce comportement a enfreint l'obligation de loyauté qui doit présider à l'exécution d'engagements contractuels commerciaux, non seulement à l'égard du cocontractant ou de son représentant mais également de ses salariés dans l'exercice de leurs attributions eux-mêmes soumis à un comportement de réserve. Ce manquement à l'obligation de loyauté était d'autant plus répréhensible qu'il était imputable au gérant de la société So.Go.Bois avec laquelle la société Seguin Moreau entretenait des liens commerciaux depuis environ dix-sept années.

En conséquence il y a lieu de considérer que le comportement de M. Goichon qui était de nature à perturber l'ambiance de travail dans l'atelier de son cocontractant a pu justifier la volonté de la société Seguin de rompre toutes relations contractuelles avec la société So.Go.Bois sans respecter aucun préavis.

Il convient donc, par substitution de motifs, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes présentées par la société So.Go.Bois sur le fondement d'une rupture abusive des relations contractuelles.

En revanche il sera alloué à la société Seguin Moreau la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société So.Go.Bois qui succombe en son appel sera tenue aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris. Y ajoutant. Condamne la société So.Go.Bois à payer à la société Seguin Moreau la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société So.Go.Bois aux dépens d'appel et en accorde distraction à la SCP Fournier avoué en application de l'article 699 du Code de procédure civile.